Juste une nuit-Ali Asgari

Il y a des films comme ça, Juste Une Nuit où tout semble sombre et sans issue, un monde de portes qui n’ont de cesse de se fermer.
Et puis il y a ce bébé silencié, non désiré par un père immature, non annoncé à ses parents par Fereshteh, jeune maman qui n’a pas encore pris la mesure des transgressions multiples qu’elle a franchies dans une société iranienne prise dans les tourments multiples de la charia qui régissent cruellement la marche de la société.
Confier pour une nuit cette enfant dont l’existence même est mise en cause en sa présence (référence au choix ou non de l’avortement par le jeune papa), révèle tout de cette société privative de libertés, et où le risque vital continu est tellement prégnant que l’humanité semble en avoir perdu toute substance. J’ai parfois pensé à des plans de Taxi Téhéran (Jafar Panahi) —ça se passe ici— mais ça pourrait-être d’ailleurs où de telles rigueurs religieuses vis-à-vis des mères célibataires, ou de l’avortement… sont documentées.
Nous voici entrainés par Ali Asgari, réalisateur dans une nuit faite d’allers-et-venues, en taxi, à scooter et même en ambulance —affranchie des contrôles par un chauffeur bienveillant, rare personnage positif du film— dans un Téhéran où tout n’est qu’adversité, défiance, renoncement à toute forme d’engagement et de responsabilité… et de confiance dans la parole de l’autre.
Sauf que dans ce grand bain de vacillement et d’incertitudes, apparait un couple qui relève d’une épopée de Don Quichotte et de son [thérapon], indéfectible porteuse d’armes presque fusionnelle tant sa présence à l’écran (et dans la vie de Fereshteh) est permanente. Un Sancho Panza qui aurait pris les traits d’Atefeh, l’amie fidèle, toute de loyauté et d’attachement, comme engagée, mais qui ne peut ouvrir non plus les portes de sa chambre universitaire. Ainsi, la question de la comédie ou de la tragédie n’est pas tranchée, d’ailleurs s’agit-il finalement de ça ? Je continue malgré tout de penser au théâtre dans ses unités de lieu (Téhéran en huis-clos), de temps (film en temps réel de la journée autour de la recherche d’un lieu de garde du bébé), et d’action, un suspense labyrinthique.
Les personnes secourables se retirent au gré des pérégrinations des jeunes femmes et de l’enfant. C’est une narration universelle d’un long métrage qui pourrait, pourquoi pas, être estampillé “documentaire”, tant il nous dit d’une société sous contrôle où tout est tenu.

Le film se termine sur le choix assumé de révéler la vérité aux parents… après, tout peut arriver, mais c’est quand tout semble verrouillé que quelque chose de nouveau s’ouvre à force du courage de Fereshteh.
Par ses pleurs le bébé bringuebalé signe son entrée au monde et rend possible le véritable accueil maternel. Elle a entendu l’appel et décide alors de présenter sa fille à ses parents… La jeune mère se découvre à elle même dans un monde d’interdits ; et c’est une double maïeutique. Fereshteh jette loin ses peurs et sa culpabilité dans un pays où toute désobéissance est fortement réprimée. Le voile noir final laisse le spectateur dans une incertitude non dénuée d’espoir…

Pierre

Un beau Matin-Mia Hansen Love

Léa Seydoux dans un rôle de femme simple, un peu à contremploi des rôles qu’on lui connaît, encaissant toute la charge psychique d’une vie que la réalisatrice cadre (en 35mm argentique, mazette) en captant l’air du temps de celles qui n’ont pas beaucoup de temps pour elles. Son père en fin de vie qu’il faut accompagner entre hôpitaux et Ehpad qu’on ne voudrait pas pour soi, éducation de sa fille en mère isolée… et le grand amour d’un vieil ami marié, qui demande des « aménagements », les hauts et les bas d’une passion enflammée avec la crainte (ou même l’angoisse) de voir l’être aimé se perdre dans l’adultère. C’est un film qui pose justement les questions de notre temps, sur fond de dispute entre Éros et Thanatos dans un Paris magiquement filmé.  J’y ai retrouvé des visions de Doillon, Klapisch… et même  Rohmer. Un film à voir.

Pierre

Les Promesses d’Hasan-Semih Kaplanoglu (2)

J’ai beaucoup aimé les Promesses d’Hasan. Formidable film, construit comme un long travelling à facettes multiples, tant au plan esthétique qu’aux réflexions auxquelles nous invite Semih Kaplanoglu dans ses superbes paysages…

La question du progrès de l’agriculture, des techniques de plus en plus productives qui entrainent l’entrée de jeunes exploitants dans un capitalisme qui se veut sans faille et oblige à des ruses, des arnaques et des compromissions, finissent par déposséder les travailleurs de la terre de toute moralité. Mais le système est ainsi fait que pour gagner des marchés (ceux de l’UE en l’occurence), il faudra toujours faire plus, traiter davantage quitte à empoisonner… Pourtant que d’humanité dans le traitement des personnages, et quel grand rôle que celui d’Hasan se démêlant de sa propre adversité, celle construite au fil d’une vie jalonnée de renoncements et de trahisons.

Alors vient le temps du pardon obligé mais qui s’avère (finalement) impossible vers les plus proches. Le vent chaud dessèche tout. L’image est soignée. Les plans fixes comme des photos (j’ai pensé aux plans d’ouvertures de séquences qu’avait choisis A.Varda dans « Sans toit ni loi”). Portraits, silhouettes, paysages et gros plans sur la nature sont remarquablement soignés ; l’image est magique… et ajoute encore par des effets spéciaux faisant surgir le rêve à l’écran.

Bref, c’est un superbe long long métrage que je recommanderai volontiers.

Pierre Oudiot

….et bienvenu à Pierre, nouveau contributeur