M. de Sara Forestier (2)

Ibis d’or de la meilleure actrice à Sara Forestier au Festival du film de La Baule

Du 28 décembre 2017 au 2 janvier 2018

Soirée débat mardi 2 janvier à 20h30

Film français (novembre 2017, 1h38) de Sara Forestier avec Sara Forestier, Redouanne Harjane et Jean-Pierre Léaud

Distributeur : Ad Vitam

 

Après des vacances de Noël bien voyageuses, c’est avec joie que je retrouve le cinéma de Montargis avec l’impression d’être enfin à la maison. C’est donc plein d’enthousiasme que je découvre le premier film de Sara Forestier : M.

J’aime les premiers films parce qu’ils sont toujours débordants. Ce film en a toutes les qualités et tous les défauts : il est plein d’idées et de bonnes intentions, il a trop d’idées et de bonnes intentions. C’est la balance entre l’énergie prolifique du jeune réalisateur qui se voit enfin confier un long-métrage et les lourdeurs que va créer ce foisonnement qui permette de juger si le film est bon.

Le film confronte l’univers de Mohamed – un bad boy illettré —, au côté fleur bleue de la jeune Lila qui écrit de la poésie pour laisser échapper les mots qui ne parviennent à sortir de sa bouche. Deux personnages touchants, qu’on a envie d’aimer malgré la maladresse de choix clichés. Alors, on essaye, de toutes nos forces, de croire à cette rencontre, de croire en cette dure mais belle histoire d’amour. Mais le film ne prend pas, malgré la justesse d’interprétation des acteurs. Les intentions sont bonnes, pourquoi un jeune homme pétri dans un complexe depuis l’enfance ne trouverait pas comme seule issue une histoire d’amour avec une adolescente renfermée ? Pourquoi une jeune fille mutique ne trouverait pas enfin confiance en elle parce qu’un gros méchant au cœur sensible a choisi de s’intéresser à elle plutôt qu’à une autre ? C’est peut-être juste un problème de probabilités, quelle chance y a-t-il qu’une racaille illettrée vive une histoire d’amour passionnelle avec une future poétesse bègue ?

Alors, la démesure prend le pas sur les bonnes intentions de Sara Forestier, et elles deviennent bons sentiments. Elle n’a pas su choisir. Choisir entre réaliser, scénariser et jouer le premier rôle. Certes, elle a voulu, ayant casté puis retenu Adèle Exarchopoulos, avant de revenir à l’évidence, c’est son film, à elle, son premier, son bébé. Elle n’a pas su choisir non plus entre les deux sujets de son film : la sortie du mutisme d’une lycéenne bègue et le secret de l’illettrisme d’un jeune adulte en manque d’amour-propre. Deux gros morceaux qui tiennent déjà chacun toute la place.

Et comme si ça ne suffisait pas, ou pire, pour expliquer, elle leur ajoute des histoires de famille tragiques, ils ont tous deux perdu un de leur parent, il leur est impossible de communiquer avec celui qui reste, et ajouter à cela, ils doivent parer aux difficultés d’une petite sœur.

Sans oublier la musique de Christophe, un prof de Français totalement fasciné par Lila qui va la faire entrer dans un cercle littéraire (et qui sait, être éditée ? ), un café sordide, (d’aucuns disent même Bar à Putes…), un autobus qui sert à Mohamed de maison et un hangar où Monsieur « J’ai Peur de Rien » découvre petit à petit, que l’effet secondaire d’une relation amoureuse est … qu’on s’attache à la vie ! Ça ne s’arrête plus… Parfois on ne sait même plus si les scènes sont censées être comiques ou dramatiques : sortir au restaurant une paire de lunettes pour faire croire qu’on sait lire ou s’imaginer son examinateur de Bac de Français nu n’est-ce pas plus angoissant que réconfortant ?

Heureusement, ce débordement de pathos crée parfois des moments magiques qui sauvent le film. Jean-Pierre Léaud, odieux et renfrogné, est une nouvelle fois sublime dans son interprétation, complice d’une gamine fabuleuse à chaque instant : Liv Andren (Soraya). La scène où père et fille se cherchent des poux est incroyable de justesse comme celle où Soraya essaye d’expliquer les différences et les points communs entre le N de Non et de Nom et le M de Mot et de Maux à Mo (le surnom de Mohamed). On comprend qu’ils s’y perdent ! On retrouve aussi avec beaucoup de plaisir Maryne Cayon, qui partageait récemment l’affiche de Djam, en minette superficielle. Sans oublier le trouble créer par la séquence de leur première fois, où Lila n’arrive pas à dire non, mais veut-elle seulement le dire ? C’est violent, trop intime, à la limite du supportable. Sara Forestier nous montre alors qu’elle a la capacité de toucher le réel et de nous le faire partager. Et c’est très prometteur.

Pauline

Carré 35 de Eric Caravaca (3)

On entre dans cette histoire, par la fenêtre.

La lumière s’éteint. Format 4/3, noir et blanc, image granuleuse semblant tirée d’archives familiales, zoom progressif sur une fenêtre, comme pour épier ce qui se cache derrière les barreaux de cette maison méditerranéenne.

Dès cette première image, Eric Caravaca nous place en voyeur de son enquête familiale. S’il n’a pas tourné cette séquence, il l’a choisie, comme de nombreuses autres d’origines très diverses qu’il convoque au gré du film.

Ce récit aurait pu être fictif, tous les éléments sont réunis pour créer un drame bouleversant : le croisement entre histoire personnelle et Histoire collective, des mensonges et non-dits, une mère excentrique, un père mourant et un fantôme, celui d’une petite fille, d’une grande sœur sans image. Le personnage principal part sur les traces de son histoire où, durant l’exil de ses parents, la mémoire semble s’être effacée. Ça aurait pu être la narration d’une pièce de Wajdi Mouawad où comme dans Incendies, Littoral, ou Tous les oiseaux (actuellement jouée à la Colline), le protagoniste fait ressurgir la vérité sur un passé et des origines volontairement oubliés par ces ascendants après le déracinement migratoire.

Pourtant, nous sommes face à un documentaire. Les acteurs ne jouent pas, le personnage n’en est pas un, le scénario est une véritable enquête que livre sans répit le réalisateur. La lumière doit être faite sur cette tragédie et doit l’être face à la caméra. L’image doit être rendue à cette petite fille, c’est la quête de ce film, celle aussi d’un petit frère en mal de cette grande sœur qu’il n’a jamais connue, qui repose sur un autre continent, dans une stèle du carré 35, au Maroc, où aucun parent n’est jamais venu se recueillir.

Mais sa recherche n’est pas sans embûches, il devra faire face au déni. Le déni est peut-être le personnage principal du film, celui sur qui tout repose. Le déni d’une mère qui a préféré oublier et réécrire l’histoire. Une mère qui, sa vie durant, n’a cessé de se réinventer, se faisant appeler Angela, Catherine, Angèle au gré des lieux qu’elle a traversé sans jamais s’y ancrer. Une mère qui a elle aussi été victime d’un mensonge familial qu’elle reproduit sans le réaliser. Cette mère que même ses deux garçons ne semblent pas vraiment connaître.

Alors sans la ménager, Eric Caravaca la place face à la caméra, il est, lui, derrière. Cette distance lui permet de poser les questions avec une frontalité qu’un fils n’oserait pas. Il n’est plus l’enfant, il est le réalisateur, celui qui dirige le film. Il reprend l’autorité sur cette mère qui lui a volé une partie de son histoire, qui, par son silence, a laissé le fantôme de sa petite sœur le hanter, jusque dans son nouveau rôle de père. Il cherche ce qu’on lui a caché pour ne pas reproduire à son tour, la douleur qu’il a héritée de sa mère. La distance créée par le dispositif filmique ne l’épargne pourtant pas, les sentiments s’échappent malgré lui, le ton de sa voix est parfois nerveux, triste. Il ne comprend pas.

Sa mère, elle, semble comme un animal pris au piège, essayant d’éviter la catastrophe coûte que coûte. À plusieurs reprises, elle livre son témoignage, refusant souvent de le changer malgré les évidences que lui met son fils sous le nez. Et pour cause, la vérité des faits est très éloignée de sa vérité de mère. Le déni est le moteur qui lui à permis de survivre à ce deuil, à cet exil, mais aussi à la honte. Que cherche-t-elle à (se) cacher ?

Au fur et à mesure du film, et de son enquête, Eric Caravaca rassemble puis recoupe les informations, les croise, pour découvrir que le secret familial ne commence pas à la mort de cette petite Christine, mais à sa naissance.

On comprend alors pourquoi cette mère a brûlé tous les vidéos et toutes les photographies de son enfant (même la photographie sur la tombe a mystérieusement disparu). Cet effacement n’est pas, comme elle le suggère, le refus de conserver des traces sur lesquelles pleurer, mais la volonté de supprimer une vérité qu’elle n’a pas pu assumer : le handicap de sa fille. Le déni va jusqu’à l’incapacité de dire le mot trisomie. Lorsque son fils l’interroge, elle est ferme, Christine était une jolie petite fille comme les autres, elle «n’était pas ce que tu dis là, non, si elle avait été…». Pourtant, malgré elle, la vérité jaillit, confirmée par le père, mourant littéralement dans le film. Christine était une petite fille née trisomique, sa mère n’a pas pu assumer la maladie face à sa famille. Du Maroc, ils partent vivre en Algérie. Elle est alors rattrapée par les événements de la décolonisation en marche et par une maladie qu’elle ne peut plus se cacher, elle revient à Casablanca, confie Christine à sa grande sœur et part à Paris. C’est donc loin de sa mère et de son père que l’enfant va succomber.

Au croisement de cette histoire déjà riche et bouleversante, des images d’archives documentent tous les sujets soulevés par le film. D’un point de vue historique d’abord, le réalisateur nous montre une réalité de la violence de la colonisation et de la décolonisation du Maroc et de l’Algérie. La distorsion entre les faits du terrain et les commentaires journalistiques français de l’époque étayent les réflexions de l’auteur sur la pluralité des vérités, sur le mensonge et le non-dit.

Avec force, les images d’archives traitent aussi de la mort, du deuil, et notamment de l’image ou la non-image à conserver de l’enfant mort en nous plongeant dans les catacombes des Capucins à Palerme…

Mais les images ouvrent aussi sur la perception sociale du handicap mental, en déterrant des films de propagande nazie de la seconde guerre mondiale (une vingtaine d’années avant l’histoire de famille ici narrée). Les malades sont filmés et considérés comme des vies sans valeur, ou des esprits morts. Une perception culturelle extrême qui peut éclairer, mais non expliquer, la honte d’une mère de voir son enfant touchée par une telle maladie.

Le film se clôture sur les images de la mère retournant se recueillir auprès de son enfant au Maroc, pour la première fois, cinquante ans après. Sur la pierre tombale repose enfin la photographie de Christine, retrouvée dans les tiroirs de l’ancienne maison familiale où elle est morte. La mission d’Eric Caravaca s’achève alors, il a su redonner un visage à sa sœur et réaliser un film sublime sur cette quête absolue de vérité. Mais à quel prix, peut-on se demander en tant que spectateur, tant ce film semble avoir été une épreuve pour tous les membres de cette famille.

Une question reste alors en suspens : la quête de la vérité apporte-elle toujours la paix et la sérénité recherchées ?