Le Journal de Dominique, un jour à Prades (4)

Mercredi 19 juillet

9h. Télé Gaucho

(2012. « Tout a commencé lorsque les caméscopes ont remplacé les caméras. Faire de la télé devenait alors à la portée de tous. Jean-Lou, Yasmina, Victor, Clara, Adonis et les autres ne voulaient pas seulement créer leur propre chaîne de télé, ils voulaient surtout faire la révolution. Ainsi naquit Télé Gaucho, aussi anarchiste et provocatrice que les grandes chaînes étaient jugées conformistes et réactionnaires[1]… »)

… parcours initiatique d’un jeune homme  (Félix Moati, choisi par casting) pas encore fini.

Inspiré par l’expérience de Michel Leclerc à Télé Bocal[2], dans les années 1990, avant internet. Montrer sa fabrication.

Film de troupe, sur un groupe. Difficulté : filmer le bordel sans  être bordélique.

Je ne regarde que le début, dit Michel Leclerc à une dame devant nous qui le voit s’asseoir par terre le long du mur et se pousse pour lui laisser une place. Il restera jusqu’à la fin : difficile de décrocher de cette histoire et de ses acteurs inspirés (mention spéciale à Sara Forestier).

La projection est suivie d’une table ronde animée par Yann Tobin au cours de laquelle on apprend que :

Michel Leclerc est venu au cinéma par la musique et son groupe de rock.

(Cadeau du clip « T’es mon youpin, t’es ma bougnoule » où il se met en scène avec Baya Kasmi -d’origine algérienne- et un groupe d’amis au bord d’une piscine où ces derniers plongent -hommage- façon Busby Berkeley)

Il ne fera plus de films personnels (Sauf si ma femme me plaque) parce que les quinquagénaires sont moins intéressants que les jeunes.

Quand il écrit un scénario, il se trouve enfermé (→ changements sur le tournage) et a tendance à surligner les choses pour le présenter aux producteurs.

Idem au montage  il a du mal à couper mais l’accepte. Il a été monteur pendant des années pour, entre autres, Capital sur M6 et y a beaucoup appris. Le montage = l’art de l’ellipse.

Pour que le spectateur ne s’ennuie pas, il faut jouer avec son attente mais s’il y a manipulation il ne faut pas qu’il ait l’impression de se faire avoir.

Michel Leclerc n’a pas l’esprit militant qui incite à vouloir gagner à tout prix en se foutant du mal que peuvent faire les coups qu’on donne (cf le personnage d’Emmanuelle Béart dans Télé Gaucho).

Il a peur de faire du cinéma macroniste[3].

Il pense qu’on ne peut progresser qu’en se confrontant à des idées opposées aux siennes.

Il a du mal à mesurer l’émotion, avec le sentimentalisme, les violons → met des petites touches d’humour.

Il n’aime pas quand tout va dans le même sens et affectionne les fins heureuses. Ainsi s’en est-il voulu après coup de terminer Télé Gaucho sur une séparation. Dans La Lutte des classes, l’école s’effondre mais, même s’ils s’engueulent, les gens sont réunis.

Il fait des films en autodidacte (n’a pas étudié dans une école de cinéma).

Il a toujours deux projets…

(Actuellement, un sur le féminisme -la parité : si actuellement 31% des films français sont réalisés par des femmes, qu’adviendra-t-il si on arrive à 50/50 : fera-t-il partie des 19% d’hommes éjecté du système ?- et un film historique en costumes dans lequel il organise la rencontre de Cyrano de Bergerac et de Molière)

… en même temps, façon d’avoir plus de chances d’obtenir du boulot l’année suivante.

14h. La première séance de courts métrages en compétition pour le prix Bernard Jubard est suivie, à

17h, de la projection de Foudre

(2023. « Été 1900, dans une vallée du sud de la Suisse. Elisabeth a dix-sept ans et s’apprête à faire ses vœux quand le décès brutal de sa sœur aînée l’oblige à retrouver sa famille et la vie de labeur qu’elle avait quitté cinq ans plus tôt pour entrer au couvent. Elisabeth n’est plus une enfant et les mystères entourant la mort de sa sœur vont la pousser à lutter pour son droit à l’expérience[4] »)

… film suisse de Carmen Jaquier, ennuyeux à périr. Je suis contente d’avoir attribué la note 2 à Tigru, ça me permet de donner à celui-ci la minimale : 1/5.

Le soir, à la télévision : des cons se font photographier dans la Vallée de la Mort près d’un thermomètre affichant 56° qu’ils montrent du doigt en arborant un sourire jusqu’aux oreilles. L’humanité ne mérite pas d’être sauvée.

Jeudi 20 juillet

            9h. Chercheuses d’or 1933

            (« Carol, Polly et Trixie rêvent de faire du music-hall. Elles apprennent que le producteur Barney Hopkins doit monter un show mais elles découvrent avec déception que Barney n’a pas d’argent. Le jeune compositeur Brad Roberts qui aime Polly et qui est beaucoup plus riche que celle-ci ne le croit, investit 15 000 dollars dans le spectacle. Brad, qui a une très jolie voix, refuse pourtant de se produire sur scène[5] ».

« Premier film d’une série de trois ayant pour héroïnes de jeunes artistes de music-hall à la recherche d’un travail, de la fortune et de l’amour durant la dépression[6] »)

… de Mervyn LeRoy, qui vaut surtout (les aventures sentimentales des trois chercheuses d’or sont tirées par les cheveux) pour les numéros musicaux de Busby Berkeley…

(En arrivant à Hollywood, il demanda à un caméraman quel était son secret, La caméra n’a qu’un œil, Je vais être cet œil)

… même si, dans Remember my forgotten man, on peut de nos jours tiquer aux paroles  « Cause ever since the world began, a woman’s got to have a man » et autre « he used to take care of me » chanté par Joan Blondell et repris par Etta Moten, une chanteuse Noire (elle fut Bess dans Porgy and Bess), ce qui, bien qu’aucun Noir ne figure dans le défilé des combattants de la Grande guerre, suggère (c’est mieux que rien) qu’ils participèrent au conflit puisque les mariages mixtes étaient alors interdits.

Suit une table ronde avec Yann Tobin, qu’il illustre avec des extraits de films et au cours de laquelle il évoque précisément la place quasi inexistante des Noirs dans le musical, Fred Astaire, dit-il, dut se battre pour les imposer…

… dans ce qui ne peut être, en 1937, que Slap that bass

 (« Zoom zoom, zoom zoom, The World is in a mess With politics and taxes And people grinding axes There’s no happiness », si ce n’est « When I’m listening to that big bass fiddle »)

…qui se passe dans la rutilante (et donc peu réaliste -le sol est un miroir- mais on s’en fout) salle des machines du paquebot (pas un Blanc parmi les mécaniciens) de Shall we dance.

14h. Deuxième séance de courts métrages.

17h. Rencontre avec Valérie Leroy, talentueuse réalisatrice de cinq courts métrages :

Le Grand bain

(2016. « Mia, trente ans, en instance de divorce, emménage dans un studio au sein d’une résidence HLM. Ancienne championne de natation, elle va se retrouver à donner des cours de natation aux habitants de l’immeuble. Sans piscine[7]… »)

… drôle et loufoque. Développement en long métrage envisagé, Mais il faudrait changer le titre.

Laissez-moi danser (2018. « Mylène, cinquante-cinq ans, est femme de ménage sur un ferry. Ce soir, ses collègues lui ont organisé une fête surprise pour son anniversaire. Mais sur l’enveloppe qu’on lui tend, il y a l’ancien prénom de Mylène, son prénom d’homme, son ancienne vie[8] »)

Belle étoile (2018. « Thu Yen, trente-cinq ans, est venue en France pour se marier mais les choses ne se sont pas passées comme prévu à son arrivée. Sa rencontre avec Marianne, femme de ménage au passé tourmenté, va changer le cours de sa destinée »)

Banc de touche

(2022. « Marjorie est médecin d’une équipe de football. Ce soir, le match est décisif, si l’équipe gagne, c’est la Ligue 1. Sauf que l’entraineur veut faire jouer un joueur blessé. Marjorie doit s’affirmer, entre sa conscience et l’intérêt de l’équipe[9] »)

… qualifié par L’Equipe de « film militant contre le sexisme dans le foot ». Rôle de la médecin confié à Suliane Brahim. Comment fait-on pour travailler avec une actrice de la Comédie Française, On lui écrit tout simplement.

Teen horses

(2019. « Suite à la séparation de ses parents Tania, 14 ans, arrive en cours d’année dans un nouveau collège. Venant de Finlande où elle a grandi, Tania vit cette épreuve comme un véritable déracinement. D’autant qu’en Finlande, elle était dans une équipe très soudée qui pratiquait un sport bien particulier, le hobby horsing ou cheval bâton[10] »)

…  ou, après la natation sans eau, l’équitation sans cheval. Et la boucle est bouclée.

Valérie Leroy : une réalisatrice à suivre.


[1] https://www.senscritique.com/film/tele_gaucho/411831

[2] « Chaîne de télévision associative locale d’Île-de-France, produite par l’association du même nom » (Wikipedia).

[3] N’ayez crainte, ça n’arrivera pas.

[4] https://www.swissfilms.ch/fr/movie/foudre/89D3A47877124A849EA53128CB6E6A98

[5] https://www.cineclubdecaen.com/realisateur/leroy/chercheusesdorde1933.htm

[6] https://vodkaster.telerama.fr/films/chercheuses-d-or/525046

[7] https://www.unifrance.org/film/42564/le-grand-bain

[8] https://www.senscritique.com/film/laissez_moi_danser/29433341

[9] https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=banc+de+touche+valerie+leroy

[10] https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=teen+horses+valerie+leroy

Le disciple de Kirill Serebrennikov

Présenté par Sylvie Braibant 
Film russe (novembre 2016, 1h58) de Kirill Serebrennikov avec Petr Skvortsov, Viktoriya Isakova et Svetlana Bragarnik 
Titre original :Uchenik
Synopsis : Veniamin, un adolescent pris d’une crise mystique, bouleverse sa mère, ses camarades et son lycée tout entier, par ses questions. 
- Les filles peuvent-elles aller en bikini au cours de natation ? 
- Les cours d’éducation sexuelle ont-ils leur place dans un établissement scolaire? 
- La théorie de l’évolution doit-elle être enseignée dans les cours de sciences naturelles ?
Les adultes sont vite dépassés par les certitudes d’un jeune homme qui ne jure que par les Écritures. Seule Elena, son professeur de biologie, tentera de le provoquer sur son propre terrain.

J’ai beaucoup ri pendant « Le disciple », ce film russe qui expose les corps et la parole religieuse, dominés par une croyance dont l’origine est méconnue. Les citations permanentes de la Bible datent le film.

Proférés par un jeune intégriste comme des injonctions,  l’anachronisme péremptoire des versets bibliques semble situer l’action du film dans un temps inconnu de la plupart des personnages. En introduisant le doute en même temps que la toxicité religieuse, la vie sociale se trouve déstabilisée progressivement. A noter le parallèle d’équivalence établie entre la drogue et la religion dès le début. Comme un sortilège malsain qui voudrait réduire la vie à des comportements automatiques. Au nom d’un dieu inconnaissable, c’est la vie même que l’on attaque ! On ne pense plus alors qu’à la malmener sous des prétextes fallacieux. Interdictions et punitions sont prononcées comme des sentences d’un tribunal imaginaire qui tente maladroitement de contrôler le cours de la vie humaine.

D’où la bouffonnerie de certaines scènes où le grotesque le dispute à la bêtise ! Rien ne se prête plus à la parodie de la vie qu’est le cinéma, que la religion qui l’a largement précédé. Les jeunes femmes semblent cependant échapper à cette ambiance de culpabilisation généralisée : scènes de la piscine et du bord de mer, où les corps expriment une sensualité bienfaisante… Sans complexe.

Défense de la connaissance scientifique par une actrice formidablement vivante face à des collègues alourdis, figés dans leurs passés. Antisémitisme latent, puis verbal. Bien avant qu’il ne soit devenu allemand, le mot “pogrom”est d’origine russe.

La vision de ce film est d’autant plus pénible pour certains spectateurs qu’elle leur révèle leur proximité avec la religion.L’effet glaçant de ce film toxique peut sonner comme un avertissement d’actualité …

Il y a trois siècles, Spinoza écrivait : “dieu, asile d’ignorance”.

Michel

Le potager de mon Grand-Père

 DOCUMENTAIRE DU MOIS

Semaine du 7 au 13 décembre 2016 Soirée-débat lundi 12 à 20h30

Présenté par Marie-Noëlle Vilain
Film français (avril 2016, 1h16) de Martin Esposito

« Le réel et son double * »

On est heureux d’avoir choisi cette projection à l’Alticiné…et tout autant ravi de la présentation débat de Marie-Noël qui observe que le Potager de mon grand-père est aussi un film sur le temps et la transmission… Et puis à l’amour des jardins s’ajoute un bel amour filial entre un petit fils et son grand-père. Il flotte au dessus de ce film une belle expression de la dignité humaine, et plus généralement de la dignité du vivant.

Pour le reste, un peu comme pour le scénario du documentaire Mondovino concernant les viticulteurs, il y a ici un médiocre jardinier, faire-valoir du bon. Le premier (Tonton) est un moderne, mais il a la modernité de son âge, une vieille modernité. Il est un peu « activiste », il veut un jardin ordonné, traite ses légumes sans nuance (à la bouillie bordelaise, ce qui est un moindre mal), utilise outre mesure son motoculteur, arrose sans raison, désherbe obsessionnellement. Bref, il a un peu la déraison des gens trop raisonnables et conventionnels, et ça le conduit à bien des déboires. Alors, que le second (Papy), s’appuie sur une expérience ancestrale et il observe. Sa pratique est contraire, il est adepte du non agir, il accorde confiance à son sol et à la nature, paille, combine les plantes, laisse son jardin dans une apparente anarchie. Tonton tente de maitriser, de dominer, un environnement qui l’entoure, Papy fait corps, compose avec un environnement qui le contient.

Mais en même temps, je me demande si ce monde là est bien celui où nous vivons? En effet dans le réel, il y a certes de beaux jardins et des sages jardiniers, et quelquefois de moins sage, mais il y a aussi, chaque année un tonnage constant de pesticides utilisés en France dans les cultures agricoles ou horticoles. Parmi eux, les pesticides organochlorés, modificateurs hormonaux, qui se répandent et qui selon une étude récente, se retrouvent désormais dans le corps des femmes enceintes.

Et dans nos villes et villages qu’en est-il ? Un marqueur, comme ont dit maintenant, un symbole visible de notre rapport à la vie,   c’est l’arbre. La dignité des vieux arbres. Dis moi comment vont les arbres de la ville où tu habites ?

Mutilés, massacrés à la tronçonneuses sur nos places publiques, réduits à l’état de simples et tristes troncs. Ce matin encore, je lisais les titres de l’Eclaireur du Gâtinais du 07.12 « des arbres disparaissent du paysage à Nogent sur Vernisson », Ce ne sont pas les arbres qui disparaissent du paysage, c’est le paysage qui disparait avec eux .

En revanche, à Sainte Geneviève des Bois, le conseil municipal a planté un arbre pour le climat.

Que peut un arbre ? Que peut un jardinier ? N’empêche, le potager de mon grand père est beau et la conscience du jardinier est comme une petite lumière dans la nuit.

Georges

 

* Titre emprunté à l’ouvrage de Clément Rosset

Rétrospective Bertrand Tavernier animée par Thomas Pillard

 

 

  Samedi 3 et dimanche 4 décembre 2016

6 films pour 40 ans de cinéma
Rétrospective Bertrand Tavernier animée par Thomas Pillard Docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, chargé d’enseignement à la Sorbonne.

 

Cher(e)s cramé(e)s de la bobine, bonjour,

Qu’avez-vous pensé de cette retrospective?

Tous commentaires bienvenus

A vos claviers!

 

PS : Je vous signale bel et riche article de Michelle Ligneau journaliste à l’Eclaireur du Gâtinais « le tandem Tavernier-Noiret ». (mercredi 17.12, page 18).  

 

 


 

Je veux seulement que vous m’aimiez

Soirée-débat dimanche 20 novembre à 20h30
 

Présenté par Maïté Noël 
Film allemand (vo, 1976,1h50) de Rainer Werner Fassbinder avec Vitus Zeplichal, Elke Aberle et Alexander Allerson 
Titre original : Ich will doch nur, dass ihr mich liebt

 

Article de Maïté

Rainer Werner Fassbinder ou l’ art de la mise en scène des contrastes illustré dans le film.

Commençons par la musique.

Alors que l’histoire racontée est tragique, la musique accompagnant certaines scènes du film est plutôt entraînante, voire guillerette. Dans une scène, on voit par exemple Peter et Erika dans leur salon, discutant une énième fois de leurs soucis financiers et dans le même temps, Dalida chante à la télé: «Ne crains rien, je reviens, car je t’aimerai toujours, t’aimerai toujours, c’est bien toi mon unique amour» C’est une chanson optimiste dont le rythme enjoué contraste avec ce que vit ce couple accablé par ses soucis financiers. Vous aurez sans doute reconnu «muss i denn, muss i denn» chanson populaire allemande du 19è siècle où il est question d’un jeune homme qui doit quitter sa bien-aimée ; il lui jure de l’aimer toujours et de l’épouser à son retour. Cette chanson est encore jouée par la marine allemande lors du départ d’un bateau (sur You tube, on voit dailleurs Dalida chanter sur un bateau au son d’un orchestre genre Bagad de Lann-Bihoué sans les binious!)

Ce contraste ne se trouve pas seulement dans l’accompagnement musical mais aussi dans la mise en scène de certaines séquences.

Une demande en mariage se fait «normalement» dans un lieu romantique,  un parc au clair de lune, au bord d’une rivière etc. Ici, Peter et Erika se promènent dans ce qui semble être une carrière ; le sol est inégal et mouillé et lorsque Erika, tout heureuse à l’idée de se marier, se jette dans les bras de Peter, on voit leurs chaussures s’enfoncer dans le sol glaiseux , scène qui préfigure déjà les soucis financiers dans lesquels ils «s’enfonceront» par la suite. Lorsque par contre, ils se promènent dans un environnement romantique, une serre avec des orchidées et de hautes plantes exotiques, c’est pour se livrer à un calcul au Pfennig près de leurs recettes et de leurs crédits à rembourser.

La scène du petit-déjeuner chez les parents offre aussi ce contraste. La table est mise, sur une belle nappe blanche, on voit de la vaisselle en porcelaine, des œufs à la coque, de la confiture dans des ramequins en verre, des Brötchen. Tout cela est très «gemütlich» et invite à la convivialité, or que voyons nous : la mère, l’air mauvais, mange dans une autre pièce, le père lit son journal, Erika fait les cent pas car, contrairement à ce qu’il avait promis, Peter n’a toujours pas demandé d’argent à son père. Seul Peter s’assied, mais au lieu de manger, il «massacre» son Brötchen à coups de couteau, désespéré ou furieux contre lui-même d’être incapable de quémander de l’argent à son père.

Je termine par un dernier exemple. Cela se situe au tout début du film. On voit Peter qui se réveille dans un lit. La caméra nous montre une petite pièce, puis une fenêtre avec des barreaux. On comprend qu’il se trouve dans une prison. Suspendu devant la fenêtre, se trouve un mobile: ce sont des mains en carton avec un index tendu; en fait des indicateurs de direction à prendre pour la suite d’une visite de monument ou pour trouver la sortie d’un musée; mais nous sommes dans une cellule de prison!

Le mobile se met à bouger de plus en plus vite et les index s’agitent dans toutes les directions à la fois.

Ce mobile qui s’agite préfigure ce qui est démontré dans tout ce film, dans cette société cruelle, les humbles, les gentils, les serviables ne trouvent aucune échappatoire et ne doivent s’attendre à aucune reconnaissance. Par deux fois aussi apparaissent sur l’écran ces mots écrits en lettres majuscules : « Peter avait construit une maison à ses parents mais au bout de deux mois, ils n’éprouvaient déjà plus aucune gratitude à son égard» Nous l’avions bien sûr compris mais par cet écriteau, clin d’oeil aux panneaux explicatifs du cinéma muet, Fassbinder enfonce encore le clou. Même si Peter est profondément aimé par Erika, cela ne suffira pas à le sauver.

Face au matérialisme, au pouvoir de l’argent, l’amour n’est jamais le plus fort.

Cela correspond à la vision pessimiste de la société que l’on retrouve dans tous les films de Fassbinder, même si parfois, tout semble s’arranger, il n’y a jamais de happy end .

Maïté

Mercenaire

Quinzaine des Réalisateurs : prix Label Europa Cinema
Du 10 au 15 novembre 2016
Soirée-débat mardi 15 à 20h30
 

Présenté par Jean-Michel Vilain
Film français (octobre 2016,1h44) de Sacha Wolff avec Toki Pilioko, Iliana Zabeth, Mikaele Tuugahala 
Synopsis : Soane, jeune Wallisien, brave l’autorité de son père pour partir jouer au rugby en métropole.
Livré à lui-même à l’autre bout du monde, son odyssée le conduit à devenir un homme dans un univers qui n’offre pas de réussite sans compromission.

Brooklyn village

Grand prix au Festival du Cinéma Américain de Deauville
Du 3 au 8 novembre 2016
Soirée-débat mardi 8 à 20h30

Présenté par Marie-Annick Laperle
Film américain (vo, septembre 2016,1h25) de Ira Sachs avec Theo Taplitz, Michael Barbieri et Greg Kinnear 
Titre original Little Men
Synopsis : Une famille de Manhattan hérite d’une maison à Brooklyn, dont le rez-de-chaussée est occupé par la boutique de Leonor, une couturière latino-américaine. Les relations sont d’abord très cordiales, notamment grâce à l’insouciante amitié qui se noue entre Tony et Jake, les enfants des deux foyers. Mais le loyer de la boutique s’avère bien inférieur aux besoins des nouveaux arrivants. Les discussions d’adultes vont bientôt perturber la complicité entre voisins.

L’économie du couple

 

Du 27 octobre au 1er novembre 2016

Soirée-débat mardi 1er à 20h30

 Présenté par Martine Paroux

Film belge (août 2016,1h40) de Joachim Lafosse
Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller

On pourrait commencer comme ça : voici un film qui ne dit rien, ne prend pas parti, et n’a d’autre souci que de montrer les affres, les tensions d’un couple en route vers la rupture.

Mais on pourrait dire aussi, voici Marie qui ne veut plus vivre avec Boris, mais Boris n’arrive pas à finir cette relation, pour une raison matérielle évidente explicitée dans le synopsis,  et d’autres, on s’en doute.

Il y a différentes manières de voir ce film, ce que je souhaite faire c’est pointer un aspect de la crise du couple, m’arrêter sur quelques séquences du film et présenter ici une sorte de hors champ.

Que sait-on de chacun ? Quel cortège imaginaire accompagne leurs paroles et leurs actes  dans cette dissension ?

Le film révèle par bribes des indices sur « qui sont ces deux là », en dévoilant le comportement de Marie et de Boris, ce qu’ils disent et se disent, leurs rapports à leurs filles jumelles, à leurs parents, la situation sociale de l’un et de l’autre.

Martine P. nous signalait que les deux acteurs ne s’appréciaient pas. C’est un avantage, la tension était palpable. Elle nous signalait aussi que Joachim Lafosse avait conseillé à ses acteurs de revoir « Qui a peur de Virginia Woolf » de Mike Nichols. Nous nous souvenons de ce chef d’œuvre durant lequel les protagonistes se disent toutes sortes d’horreurs, et les conditions possibles de leur énonciation se révèlent en fin de film. (Une sorte de contrat tacite).

Dans les deux films, il y a un point commun, le secret ; quelque chose qui ne doit pas être prononcé. Là s’arrête l’analogie, car la circulation de la parole dans le couple Marie/Boris est moins sophistiquée, mais là aussi, ce qui est soustrait, non dit, est présent comme un fantôme…

Pour ce non dit,  un faisceau de quatre indices sont parsemés dans le film:

Première séquence, Boris descend dans son jardin où trois intrus semblent lui demander des comptes, il leur donne quelques billets…bousculade.

Deuxième séquence, Marie s’agace d’entendre Boris s’amuser avec son portable.

Troisième séquence, Boris revient le visage marqué, sans doute une rixe, il avoue à sa femme qu’il « leur » doit de l’argent.

Quatrième séquence, Marie remet à Boris 10 000 euros pour régler sa dette.

La deuxième séquence semble incongrue, mais elle s’éclaire si on admet que Boris est un joueur compulsif, le téléphone peut être alors au service de cette compulsion.

Donc Boris est un joueur compulsif ; sa maîtresse, c’est le jeu. Elle exige que son personnage soit attachant, séducteur par tous moyens, et un peu menteur. On sait aussi de lui qu’il se vit comme étant d’une famille plus modeste que celle de sa compagne. Qu’il est une sorte d’intermittent du travail, qu’il a des dons pour rendre les choses belles dans la maison (c’est un fameux bricoleur)…qu’il est attaché à sa mère. On voit aussi qu’il est bon papa, câlin, ludique, cool.

Pour Marie, c’est plus simple, elle est attachée à ses parents, à sa mère (Marthe Keller) qui vit non loin d’elle, elle a un côté structuré, contenant et réfléchi face à un monde qui ne demande qu’à lui échapper. Marie est fiable, sincère, engagée, travailleuse, responsable, bonne mère, etc. Elle a un idéal de sincérité, elle reproche à sa mère de s’être trop accommodée, d’avoir fait semblant.

Marie est froide, rude envers Boris, elle ne l’aime plus, ils vivent sous le même toit et ils partagent encore et surtout ceci : Les enfants ne doivent pas avoir à connaître que leur père est joueur, jamais le mot jeu ne sera prononcé en leur présence. L’un et l’autre sont d’accord pour protéger leurs enfants de cette connaissance. C’est le secret,  il constitue une analogie avec  « Qui a peur de V.W » c’est  leur point d’entente. (Ce socle à partir de quoi on peut ne pas s’entendre)

Cette entente tacite du couple permet toutes les autres mésententes. La question de la division des biens est conflictuelle. Boris veut 50% de la valeur de la maison qui ne lui appartient pas. Il allègue qu’il y a fait des travaux. Ses prétentions sont excessives, son argumentation ne tient pas la route et les spectateurs que nous sommes s’en étonnent. Que veut dire cette revendication ?

Ce que recherche Boris, ce n’est pas exactement l’argent, il a un trouble avec ça, c’est un joueur, il ne connaît même pas la valeur du bien dont il demande 50%. Non, ce qu’il recherche, c’est une sorte d’étrange réparation symbolique. Tout se passe dans l’esprit de Boris comme si la maison, c’était le couple. Marie ne peut être 66% du couple. Elle ne peut pas non plus être parent à 66%. L’égo de Boris n’a que faire des réalités concrètes, tout se joue dans le symbole…Et la réparation c’est : je suis ton égal.

Dernières images…on voit le couple enfin séparé, apaisé, attablé devant un verre…Flash back, le tribunal, la lecture du jugement, le partage selon les vœux de Boris. Marie a renoncé à faire valoir son droit. Son acceptation des conditions de Boris est un acte de bonté et d’intelligence. Les dignités sont sauves, une vie plus calme reprend son cours.

Georges

 

 

FRANTZ

Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune espoir pour Paula Beer
Du 19 au 25 octobre 2016
Soirée-débat mardi 25 à 20h30

Présenté par Marie-Annick
Film franco-allemand (vo, septembre 2016,1h54) de François Ozon avec Pierre Niney, Paula Beer, Ernst Stötzner 
D’après un pièce de théâtre de Maurice Rostand
Synopsis :Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.

STEFAN ZWEIG, ADIEU L’EUROPE

STEFAN ZWEIG, 
ADIEU L’EUROPE

Nominé au Festival de Locarno
Soirée-débat mardi 18 à 20h30

Présenté par Laurence Guyon
Film allemand (vo, Août 2016,1h46) de Maria Schrader avec Josef Hader, Barbara Sukowa et Aenne Schwarz 
Titre original : Vor der Morgenröte 
Synopsis :En 1936, Stefan Zweig décide de quitter définitivement l’Europe. Le film raconte son exil, de Rio de Janeiro à Buenos Aires, de New York à Petrópolis.

Je n’ai pas aimé ce film… mais quoi donc ?

Il y a quasiment autant de lecteurs de Stefan Zweig que de spectateurs du film.  C’est un film qu’on souhaite voir après avoir peu ou prou lu Zweig.  Pour ma part, c’est plutôt peu, je l’avoue. J’ai fait sa connaissance avec « le joueur d’échecs » paru en feuilleton dans le journal Monde en 1972 à l’époque du match Fischer vs Spassky, j’ai souvenir d’une nouvelle peu vraisemblable et d’une  psychologie des personnages taillée à la hache. Les autres livres que j’ai pu lire de lui ne m’ont guère plus passionné, de sorte que je ne regrette pas mon aveux.

Le film m’est apparu classique (trop), bavard et lent, sans surprise. Bien sûr Joseph Hader est à la fois ressemblant, crédible, remarquable dans sa manière de réprimer ses sentiments, son embarras et sa détresse…tout en les rendant tout de même visibles en dépit de ce qu’il veut paraître. La manière furtive et délicate de nous montrer le couple mort est elle aussi parfaite. Mais, autant vous prévenir tout de suite, je suis au maximum du bien que je peux  dire de ce film.

Ce récit m’apparaît comme une théorie de mondanités exécrables, de discours véhéments et vains qui n’ont pour fonction que de contrebalancer les silences et prises de position éthiques neutralistes de Zweig. Le monde de Zweig qu’on nous présente est un monde de figurants.  On imagine que dans la vraie vie, cette contrainte éthique qu’il s’est imposé devait être mortifère.

Une spectatrice durant le débat faisait remarquer que les réfugiés politiques, s’ils sont des intellectuels connus, ont des devoirs vis à vis de ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir fuir ou qui sont restés pour lutter. Mais on peut aussi imaginer que l’auteur « du monde d’hier » pressentait d’une manière péjorative le « monde de demain », ce monde de l’après nazisme, que nous les vivants, expérimentons désormais.

C’est le monde du présent qui semblait échapper à Zweig. Ses amis, à l’instar de Walter Benjamin s’étaient suicidés. Un autre  et génial ami, l’écrivain  Joseph Roth, qui si l’on en juge par leurs correspondances, avait des préventions plus fermes et une  anticipation plus aiguë  que celles de Sweig sur le national socialisme,  lui aussi s’est suicidé…d’une autre manière, plus lente, celle d’un pauvre et grand alcoolique, désespéré, mourant seul à Necker un jour de mai 39.

En dernier lieu, l’histoire et la littérature, le cinéma nous ont souvent montré des couples se suicidant. Chacun a  aussi en tête des cas concrets, des noms célèbres parmi les intellectuels du 20ème siècle. Et parmi les simples quidams, aujourd’hui encore, en Octobre 2016, un couple à Villejuif vient de se suicider parce qu’il ne pouvait plus payer son loyer.

Dans le suicide d’un couple, il peut y avoir des motifs et une volonté commune d’en finir, ça peut arriver. Ce que l’on voit aussi , c’est la mise à mort de l’un par l’autre, puis le suicide de l’autre, et parfois, au décours de ces tristes histoires, la mort d’un seul conjoint sur les deux. Enfin, on peut lire sur ces affaires, qu’il existe des mécanismes morbides où l’un tente de convaincre l’autre que la mort est la seule issue valable. (Un inducteur et un induit.) Les déprimés mélancoliques sont parfois de bonne foi, par désespoir, amenés à raisonner en ces termes. Ils veulent ainsi,  par la mort, protéger leur(s)  proche(s) d’une vie atroce dont le pire reste à venir.

Dans le cas de Zweig dont on sait qu’il était déprimé et de Lotte sa jeune épouse, nous avons un doute, celui là même exprimé dans un Figaro de  2010 « Cette femme qui s’était jurée de lui redonner goût à la vie était-elle aussi désespérée que son époux au foie noir ? (mélancolique) N’est-ce pas Stefan Zweig qui a voulu imiter Heinrich von Kleist, un écrivain qu’il avait célébré dans son essai « Le Combat avec le démon » en entraînant une compagne dans la mort ? ».

Dans ce film, Zweig est un homme seul qui meurt à deux.

…Et cette pensée pour Lotte à elle seule aurait suffit à me pourrir le film si d’aventure, le reste ne m’avait pas déjà semblé ennuyeux.

Georges