Antigone, de Sophie Deraspe

Avec Nahéma Ricci, Rachida Oussaada, et Nour Belkhiria

Bande-annonce Antigone

C’est étrange la vie. Surtout en ce moment.

Mettre son masque sur le nez. 
Descendre quelques marches d’escaliers pour sortir de chez soi. 
Avancer. 
Et se retrouver ailleurs.
Loin ailleurs.
Proche de cet ailleurs de Wajdi Mouawad qui a réécrit la tragédie œdipienne dans le froid canadien d’un exil Incendiaire. 
Mais plus loin encore. 
Dans un monde parallèle.
Un Québec alternatif. 
Un espace où l’histoire de la fille de celui qui s’est aveuglé, ébloui par la vérité n’a pas encore été écrite. 
Dans un monde où Antigone n’est pas un texte de la littérature classique.
Mais un prénom. 
Un simple prénom. 
Un prénom contemporain. 
Un prénom d’exilée (fine reprise du statut de la jeune fille dans Œdipe à Coline). 
Et c’est là toute la magie de cet univers cinématographique aussi beau qu’étrange et complexe.

Le fait d’avoir conservé les prénoms de la tragédie grecque intacts créée une inquiétante étrangeté surprenante, plaçant cet univers dans une familiarité forte de par notre connaissance de la pièce, doublée d’une sensation d’étrangeté car la réalisatrice prive le spectateur de la sensation de réel, voire de naturel, que le cinéma essaye habituellement de créer, sans pour autant – et c’est une vraie performance – être à un seul moment superficiel. Ce choix de conserver les prénoms offre un décalage poétique qui place le langage et les dialogues du film dans un univers étrangement proche mais radicalement singulier où la beauté et le symbole comptent plus que le naturel, et ce au profit de la profondeur. En cela, le film se rapproche étonnamment du symbolisme tel qu’il a ébranlé la deuxième partie du 19e siècle tant en poésie qu’en peinture (en illustrant notamment les grandes héroïnes des textes classiques). Cette poétisation du langage et ce symbolisme permettent au film de tenir. En effet, sans cela, le caractère excessif de l’histoire la dévoierait comme incroyable, rendant le spectateur incrédule et le laisserait à l’extérieur de toute émotion ou empathie… Mais la réalisatrice nous place d’emblée dans une tragédie (jouant ainsi avec le potentiel du théâtre à forger des mondes imaginaires) où les mots, les personnages et les actes se révèlent plus fort que la recherche d’un réalisme, qui passe tout à coup, elle, pour superficielle. Loin du naturalisme habituel du cinéma, on ne se demande pas face à Antigone si ce qui se passe à l’écran est vraisemblable. C’est beau, et c’est la seule chose qui compte. Nous sommes, très vite débordés par l’émotion quand Antigone interprète devant sa classe dans une sublime mise en abyme le récit de sa propre histoire. Celle d’une réfugiée qui a vu, au moment de partir, au moment de l’exil, le corps de ses parents inanimés jetés devant ce qui bientôt ne sera plus son foyer. Cet événement, raconté, nous laisse imaginer le drame et nous montre ces enfants, accompagnés par leur seule grand-mère à l’aéroport. On s’attache très vite à ces cinq-là, même à Polynice qui apparaît déjà comme l’opposé de sa sœur, petite frappe d’un gang, violent, superficiel, mais aimant sa famille. 

Mais le spectateur est intranquille, la réalisatrice joue sur notre connaissance de l’histoire et sait que nous nous préparons au pire. Pire qui ne tarde pas à arriver. Alors que Polynice se fait violemment interpeller par la police (bien que ces actes ne semblent pas si graves), son frère tente de s’interposer. L’image s’arrête. On entend un coup de feu. On ne comprendra la suite que par les bribes d’images montées sur des musiques de rap, des vidéos virales au buzz offert par internet et les réseaux sociaux (ces scènes qui ponctuent le film sont d’une force tant sonore que visuelle et rythme le film tout en proposant une critique de la société des images contemporaines de manière très pertinentes). La police a tiré sur Étéocle. Le bel Étéocle, le gentil, l’idole des supporters de l’équipe de foot locale. Tué parce qu’il a sorti… Un téléphone ! L’actualité brute, les blessés, les morts, les manifestations, les Black lives matter se rappellent à nous dans une violence incroyable. Et c’est cet incroyable qui fait de cette scène la pièce maîtresse du film, elle est la grande réussite du long-métrage. Et ce parce qu’elle semble particulièrement ratée et bâclée. En effet, si le film se plaçait dans notre monde, tentant de se rapprocher d’un naturalisme documentaire pour faire état de ce problème sociétal qu’est la violence policière, en voyant cette scène, son raccourci, l’absence de réalisme du contexte qu’elle met en scène, son aspect gratuit, le public serait sorti de la salle en s’offusquant qu’il est impossible qu’un jeune homme soit tué ainsi, que c’est délirant et caricatural, que la scène est creuse et beaucoup trop superficielle alors qu’elle traite d’un problème aussi important qu’actuel. Et pourtant, devant Antigone, le spectateur reste. Parce que depuis le début du film, il a été préparé. Ce qui se passe devant ses yeux n’est pas la réalité. C’est une tragédie avec tous ses excès. Une dramaturgie qui cherche davantage à nous toucher et à nous faire penser politiquement un état de notre société dans sa complexité qu’à paraître réel. Et en ça, elle fonctionne parfaitement. Et elle fonctionne d’autant mieux qu’elle est excessive, presque caricaturale. C’est presque magique. Et alors, quand plus tard dans le film, la superficialité de la scène se rompt au profit d’une nouvelle vision, celle de la police, qui par ses enquêtes et sa connaissance des deux frères, a tout les éléments et toutes les raisons de croire qu’Étéocle est dangereux et certainement armé, on reste abasourdi. Le portrait dressé à sa sœur de Polynice est attendu, bien que comme elle, nous le découvrons bien plus dangereux que nous le pensions. Mais c’est la découverte du passif d’Étéocle comme chef de gang responsable de trafics de drogues et d’armes qui brise l’irréalisme premièrement affiché de la scène, sa présentation de frère génial nous avait aveuglés et même fait oublié que sous la plume de Sophocle déjà, comme le disait un ami, « Étéocle c’est quand même un sacré salopard ». On se laisse prendre à cette adaptation, croyant en des divergences mais la tragédie nous rattrape dans une sublime profondeur.

Comme dans la pièce classique, Antigone sait (après coup ici certes) que ses frères n’ont rien des héros qu’elle aurait aimé admirer. Et pourtant, elle va défendre leur honneur et leur dignité, coûte que coûte, quitte à se faire emmurer. Elle le fait pour sa famille, pour le souvenir des drames qu’ils ont vécus, pour l’image inoubliable de son frère lorsqu’il était petit qui pleurait et que l’orphelinat condamnait à n’avoir ni père ni mère pour être consolé. Elle n’explique pas, elle ne justifie pas, mais elle fait passer l’amour avant la rationalité. La famille avant sa vie. Elle est fidèle à son personnage. Et on peut en dire autant d’Ismene, qui, dans un très beau monologue, explique à sa sœur que tout ce qu’elle veut c’est une vie normale, avoir le droit d’être aimée, de vivre libre, de faire le métier qu’elle a choisi. De choisir sa vie avant sa famille. Est intacte aussi la colère de sa sœur qui refuse ce qu’elle trouve superficiel et d’un triste manque d’ambition. Tout comme l’apparition de l’oracle dans une vision fantasmatique et rêvée qui ajoute à l’étrangeté mais permet de mieux comprendre le choix esthétique fort de la réalisatrice précédemment mis en relief. Et Hémon aussi est incroyablement fidèle, magnifiquement interprété lui aussi va coller, afficher les portraits d’Antigone pour la faire sortir de derrière les murs, lui redonner la parole, une image et une humanité. Seul le nom de Créon si important dans la pièce n’est pas mentionné, s’il est le père d’Hémon, il ne peut être l’oncle tyrannique d’Antigone. Cependant on retrouve avec ce personnage la rhétorique politicienne, l’idée que l’image passe avant les sentiments, que l’ordre de la cité passe avant sa propre famille.

C’est une fabuleuse réécriture d’une tragédie sublime, qui ne cesse de nous faire réfléchir sur la cité, la politique, la famille, soi… dans des échos toujours plus profonds.

Une question est restée cependant en suspens après la séance, mais l’actualité l’a finalement malheureusement tranchée : est-ce qu’un masque mouillé de larmes a encore un sens ? Ceci dit, nous étions 9 dans l’immensité de la salle.

François Truffaut

Madeleine Morgenstern (1931 - d.) - Genealogy

Sans aucun doute, mon cinéaste préféré.
Ses films, l’homme, ses amours et toute sa vie me fascinent et me passionnent.
Voici in extenso un article paru dans Next de Libération en 2014 à l’occasion de l’exposition qui lui était consacrée.
Régalez-vous
——————————————————————–
François Truffaut, du côté de chez Madeleine
Par Anne Diatkine — 10 octobre 2014 à 18:56
Alors que la Cinémathèque française consacre une exposition au cinéaste disparu il y a trente ans, celle qui fut son épouse et la PDG des Films du Carrosse évoque leur vie et ses films, bien souvent imbriqués.
Madeleine Morgenstern fait toujours très attention de n’usurper aucune place. Mariée une poignée d’années avec François Truffaut alors qu’il était un critique de cinéma influent, elle récuse le rôle de muse, et abhorre encore plus celui de veuve, même si le cinéaste était retourné vivre chez elle, à la toute fin. C’est elle qui est la garante des droits moraux et qui a géré le catalogue des films avant qu’il ne soit vendu à MK2. Mais évidemment, Madeleine Morgenstern est bien plus que cela dans la vie de François Truffaut. Un lien qui ne s’est jamais rompu. A l’occasion de la belle exposition de la Cinémathèque française, entretien avec une femme discrète et ferme.
La rencontre
«C’était fin août 1956 au festival de Venise. Je me mettais toujours au premier rang devant l’écran, et François aussi. Il écrivait comme on respire et je pensais qu’il publierait certainement des livres. Quand on s’est mariés, je n’avais pas conscience que j’épousais un cinéaste. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne l’ai pas encouragé. Je lui disais : « Tu n’as pas fait l’Idhec [ex-Fémis, ndlr], tu n’as jamais été assistant. Es-tu certain qu’il suffit de voir beaucoup de films pour savoir comment on fait ? » J’étais terrifiée pour lui. Il avait de quoi m’en vouloir !»
«Les Mistons»
«Il y a une originalité qu’on mesure mal aujourd’hui. François a fait ses premiers pas avec un film de fiction tourné avec de vrais acteurs – Gérard Blain et Bernadette Lafont pour la première fois à l’écran. Les futurs cinéastes débutaient plutôt par des documentaires, comme l’ont fait Alain Resnais, Jacques Demy, Agnès Varda. Avant les Mistons, un petit film est resté inédit car François ne voulait pas qu’on le voie. C’est Une visite, un court métrage sans le son.»
L’éclat Léaud
«Jean-Pierre était déjà apparu dans la Tour, prends garde ! de Georges Lampin. Mais son vrai premier rôle, c’est évidemment les Quatre Cents Coups. Il n’avait pas l’âge du rôle, il ne correspondait pas tout à fait au gamin, mais sa détermination reste tangible dans les essais filmés. A l’origine, le film devait être un triptyque sur les enfants composés de trois sketchs. Les Mistons aurait été l’un d’entre eux, les Quatre Cents Coups le deuxième, et François avait déjà écrit l’embryon de l’Argent de poche qui aurait été le dernier volet. Mais très vite, les Quatre Cents Coups ont naturellement pris toute la place.
«A travers sa propre histoire, François voulait atteindre une vérité. Il a donc coécrit le scénario avec Marcel Moussy qui avait un passé d’instituteur. Car aussi autobiographique soit-il, le film est décalé dans le temps. C’est pendant l’Occupation et tout de suite après la Libération que François a éprouvé ce que vit le petit Doinel. Le film documente, à l’insu de François, l’époque où il a été tourné : tout ce Paris disparu de la fin des années 50. Mais c’est un effet d’après coup lié à la justesse du film et aux conditions de tournage dans les rues de Paris.
«Jean-Pierre avait fini par habiter chez nous car François craignait qu’il n’arrive en retard. En temps normal, il était pensionnaire, et évidemment, très content de prendre le large. Par la suite, il y a eu une chambre à disposition pour Jean-Pierre dans les bureaux du Carrosse – la maison de production que François avait fondée pour tourner ses films. François se sentait responsable de lui. Responsable à cause du succès du film qui l’avait écarté de la scolarité. Il l’aimait comme acteur et comme jeune homme, sans cependant se retrouver en lui. Antoine Doinel ressemble à l’un et à l’autre, sans être ni l’un ni l’autre. C’est un condensé des deux. L’un des motifs de la saga Doinel était de continuer de voir Jean-Pierre évoluer sous sa caméra. Lorsqu’on parle de mimétisme, il y a des gestes que Léaud a copiés sur François. Mais c’était des indications de jeu ! Entre eux deux et Doinel, c’était un pur amour à trois ! André Bazin, le père spirituel de François, est mort le premier jour du tournage, et j’ai accouché de ma fille aînée, Laura, le dernier jour.»
Se reconnaître
«La Peau douce a été tourné chez nous, dans l’appartement où je vis encore aujourd’hui, et je ne peux pas dire qu’il fasse partie de mes films préférés ! François compartimentait sa vie, et même si l’appartement était un décor pratique, la décision de tourner à la maison m’a surprise. Peut-être devait-il sentir qu’il n’allait pas rester longtemps dans cet appartement. C’est en voyant le film que j’ai compris l’état de notre couple. Par la suite, j’ai rarement été fâchée contre les films, même lorsqu’ils se rapportaient à notre vie. En vérité, Baisers volés n’est pas une histoire qui me concerne beaucoup. Le modèle du personnage de Claude Jade est une autre jeune fille. Mais comme dans Domicile conjugal, j’ai vécu la situation absurde où François m’appelle d’un restaurant parce qu’il s’ennuie avec une femme. Et comme le personnage de Claude Jade, j’avais un souci des convenances : « Tu ne peux pas la laisser en plan. Reste au moins jusqu’au dessert. Sois poli ! » Les petits boulots incroyables d’Antoine Doinel sont décalqués de la vie de François. Entre autres, il avait été engagé à Ciné Revue pour rendre invisible des poils pubiens qui s’échappaient des bikinis.»
La famille
«Nous avons vécu l’un avec l’autre beaucoup plus longtemps séparés qu’ensemble. Nos relations ont duré toute la vie, elles sont devenues plus libres et plus fortes avec la séparation. Au début, François consacrait ses week-ends à nos deux filles, Laura et Eva. Puis, quand les filles sont parties, François a continué à destiner ses dimanches à sa famille, c’est-à-dire moi. Ces dimanches étaient jour de cinéma. François s’étant marié surtout pour avoir une famille, il a gardé la famille après le divorce.»
Au volant
«François aimait les femmes qui conduisaient, comme dans les films de Hitchcock. Quand il était au volant, il faisait tout le contraire des autres conducteurs. Si quelqu’un l’emboutissait, il sortait immédiatement de la voiture : « Je suis désolé, c’est de ma faute. » Au début, il a conduit une voiture de sport qui s’est cassée en deux lamentablement. Il a continué avec des voitures plus modestes. On ne peut pas dire que François mettait sa virilité dans l’accélérateur.»
Un film de vacances
«Même si le projet de l’Argent de poche est ancien, il a été conçu comme un film de vacances après Adèle H. Sauf que ça a été l’un des tournages les plus fatigants de François du fait de la centaine d’enfants présents. J’ai bien sûr accepté que Laura et Eva jouent et travaillent avec leur père. Eva a détesté l’expérience. Entre le scénario et le tournage, elle avait grandi et, adolescente, ça ne lui plaisait pas du tout d’embrasser un garçon devant la caméra de son père. Elle ne savait pas ce qu’il allait lui demander. J’ai été une mère indigne ! Comme souvent, la scène était tirée d’un souvenir d’enfance de François.»
La prégnance
«Comme les gens ont vu François interpréter certains rôles et qu’il aimait lire les textes en off de certains de ses films, son visage et sa voix étaient familiers. C’est paradoxalement dans ses films les moins autobiographiques qu’il était présent physiquement. Ils tissent une toile intime tout en étant toujours accessibles et fictionnels. Rohmer aussi a inventé un monde qui lui est propre, mais qui ne le découvre pas.»
Le malentendu
«François était considéré comme le gentil, à la limite de l’académisme, voire, insulte suprême, bourgeois. Dans l’opposition à Godard, c’est toujours Jean-Luc qui gagne. Je crois surtout que François a toujours refusé d’être le porte-drapeau de quoi que ce soit et n’a jamais transformé sa notoriété en pouvoir. Il se tenait loin des modes et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle l’Enfant sauvage, sorti en 1969, a été dénigré dans certains pays. Le film a été compris comme une défense de la figure autoritaire, alors que pour François, qui avait dû s’éduquer seul, il était un hommage à André Bazin. Et surtout, François n’a jamais voulu faire des films d’avant-garde. C’est bien sûr François qui a connu l’exclusion sociale, plus que tout autre. Par opposition à une jeunesse complètement fauchée, errante, allant de chambre en chambre, s’engageant comme soldat, puis désertant, François a toujours tenu à ne jamais être débraillé sur un plateau. Je ne crois pas l’avoir jamais vu en jean. La nourriture, la décoration de son appartement, tout ce qui ne concernait pas directement le cinéma n’avaient aucun intérêt pour lui. Il inventait, mais c’était sans emphase. Il innovait, quand ça lui traversait l’esprit et que c’était drôle, comme dans certaines scènes de Tirez sur le pianiste. Encore un accueil public désastreux ! On oublie souvent que beaucoup de films de François n’ont pas été appréciés à leur sortie, si l’on excepte les Quatre Cents Coups et le Dernier Métro. François disait souvent : « Un film sur quatre rencontre le public, et les trois autres, si on arrive à sauver les meubles, c’est déjà très bien. » Jules et Jim a rencontré la critique mais n’a pas du tout été triomphal au box-office !»
«Les Quatre Cents Coups» bis
«Assez tardivement dans sa vie, François m’a dit qu’il aimerait retourner une version des Quatre Cents Coups plus dure. Il attendait le décès de ses parents pour s’y mettre. Ça ne s’est pas fait car son père lui a survécu. J’étais très étonnée, car le film me semblait déjà suffisamment âpre.»
Etre juif
«On n’évoquait pas beaucoup de mon enfance juive pendant la guerre. Ce n’est pas qu’il ne voulait pas m’écouter, mais je n’en parlais pas, estimant avoir été une petite fille très aimée. François aussi, cependant, s’est découvert juif. Pendant le tournage de Baisers volés, le directeur de l’agence qui a servi de modèle à Antoine Doinel lui a demandé s’il n’y avait pas une enquête qu’il aimerait faire, en cadeau. On n’a pas toujours besoin d’un détective, mais François a saisi l’occasion : « Je serais content si vous pouviez retrouver la trace de mon père. » On savait peu de chose sur ce père biologique, à part qu’il était étudiant dentiste quand il a rencontré la mère de François. L’agence a rendu un rapport au conditionnel, sur un homme, Roland Lévy, dentiste, habitant Belfort, qui, chaque soir, promenait son chien à la même heure. Roland était aussi le second prénom de François. Quand, à la parution de la biographie, cette information a été rendue publique, j’ai reçu un coup de fil des enfants de cet homme. « On aimerait beaucoup être de la famille de François Truffaut. Mais, malheureusement, notre père n’a jamais eu de chien. » Ce qui laisse planer un doute sur la véracité du rapport.
«Ce qui me semble important, c’est la satisfaction de François vis-à-vis de cette enquête qui consolidait sa théorie sur sa naissance : à savoir que la famille de sa mère était antisémite et que c’était la raison pour laquelle son père en avait été écarté. Il pensait que ses grands-parents préféraient encore que leur fille élève un enfant toute seule qu’avec un juif. A-t-il d’ailleurs su la grossesse de la jeune fille ? Janine de Monferrand, la mère de François, avait tout juste 18 ans lorsqu’elle l’attendait. Ses parents l’ont fait accoucher en cachette. Le bébé a été mis en nourrice. François avait déjà 4 ou 5 ans lorsqu’il est revenu dans sa famille, après le mariage de sa mère avec Roland Truffaut. L’enfant avait été trimballé de nourrices en grands-mères – la mère de son père adoptif l’aimait beaucoup. Il était une marque d’infamie qui a obligé sa mère à se marier, pas forcément avec l’homme de son choix, mais avec celui qui acceptait de reconnaître l’enfant. François ne comprenait pas pourquoi socialement il était toujours présenté comme plus jeune que son âge. Quand il avait 8 ans, ses parents disaient qu’il en avait 6, pour que sa mère ait l’air majeur à a naissance. C’est vers 8 ans, en fouillant dans des papiers, qu’il a découvert la vérité sur son état civil.»
A la recherche d’un point de vue maternel
«Janine de Monferrand ressemble au personnage de la Petite Voleuse, le film que Claude Miller tournera après la mort de François, d’après un script qu’il avait écrit. Comme la petite voleuse, elle a été enfermée Au bon pasteur, une institution pour rééduquer les délinquantes, les marginales et autres filles-mères comme on disait. Le film se termine sur une échographie où l’on voit que la jeune fille attend « un petit agité ». On peut imaginer qu’il s’agit de François lui-même. Même si, par ailleurs, il était aussi parti d’un autre personnage : une jeune femme délurée rencontrée lors de ses quatre cents coups.»
L’héritage moral
«Par testament, François m’a désignée PDG des Films du Carrosse. J’ai compris sa décision comme une reconnaissance vis-à-vis de mon père. J’avais toujours eu des jobs subalternes dans le cinéma, mais il savait qu’être directrice ne me ferait pas perdre la tête et que j’obéirais à certains principes de rigueur et d’honnêteté. Cependant, j’ignorais les rouages de la société. Comme François compartimentait sa vie, je ne connaissais pas les techniciens ni les acteurs. J’ai connu plus tard Fanny Ardant, avec qui j’ai des liens d’amitié. Le catalogue des films était le capital qu’il laissait à ses trois filles, Laura, Eva, et Joséphine, la fille de Fanny [Ardant]. Il a été bien géré grâce aux collaborateurs de François. Je l’ai vendu à MK2 quand les canaux de diffusion se métamorphosaient et qu’il y avait un risque que les enjeux m’échappent.»
Lire des lettres
«Je me suis retrouvée après la mort de François face à une montagne de correspondance très bien classée, qui ne me concernait pas. Pendant longtemps, j’ai eu beaucoup de répugnance à lire des lettres qui ne m’étaient pas destinées, et je ne les ai d’ailleurs toujours pas toutes lues. La correspondance amoureuse a été remise au notaire de François. Chacune des femmes ou leurs ayants droit ont pu les récupérer vingt ans après la mort de François.»
Aujourd’hui
«Au début, je n’aimais pas l’idée de commémorer les 30 ans de la disparition de François. Il est présent dans ma vie, et même s’il ne l’était pas, je serais invariablement ramenée à lui, en dépit du peu d’années où l’on a formé un couple. On ne s’est disputés qu’une fois, et ça a été le divorce. Je n’ai formé aucune rancune contre lui, ma tranquillité n’est pas de complaisance. Mais la nuit, ma violence se réveille dans des cauchemars. « Et là encore, tu m’as menti. » Je serais prête à prendre un revolver pour le tuer ! Je le raterais, je ne sais pas tirer. A chaque cauchemar, je suis bouleversée d’être restée aussi jeune, à mon âge. Il me faut un instant pour me rendre compte qu’il ne s’agit plus de moi.»
Anne Diatkine

Le journal de Dominique (5), In memoriam Michael Lonsdale

Juliette Gréco est morte.
Deux jours plus tôt, Michael Lonsdale tirait sa révérence dans la plus grande discrétion, il me semble en avoir entendu l’annonce après celle, divulguée avec fracas, de Juliette quand il est mort le premier, par une phrase lancée aux infos de 23 heures sur France Inter et puis plus rien. Seule, me semble-t-il, la chaîne France 5, en la personne de Dominique Besnehard, lui rendra hommage en remplaçant, dans son émission Place au cinéma, la projection de Chantons sous la pluie par Des hommes et des dieux, c’est quoi ça, des hommes et des dieux, pourquoi il n’y a pas Chantons sous la pluie, je fulmine jusqu’à ce que me revienne le titre du film de Xavier Beauvois dans lequel joue Michael Lonsdale, alors d’accord, c’est bien.

Et Arte diffusera India song de Marguerite Duras, le jeudi suivant à 23h 40. Souvenir lointain du film où j’avais entraîné Claudine, et de celle-ci commentant, après la séance : « Je m’endormais pendant un quart d’heure et quand je rouvrais les yeux, il y avait toujours la même image… ». C’est sûr que les plans sont longs, il y en a un qui dure six minutes, caméra fixe braquée sur les personnages figés comme dans un tableau, d’ailleurs c’est un tableau, artistiquement composé, Delphine Seyrig allongée alanguie sur un canapé, quatre hommes assis debout autour d’elle, rien ne se passe à l’image, tout est dans les voix off, ce film, c’est de la littérature. Et si rien ne bouge ou si peu ou si lentement, n’est-ce pas parce qu’il fait si chaud « Cette chaleur ! Le seul remède, l’immobilité, la lenteur, ralentir le sang » dit une voix qualifiée au générique de fin d’ »intemporelle », on ne sait pas qui parle. Usage d’un grand miroir pour agrandir l’espace et dédoubler les personnages, lesquels ne sont que des reflets, « J’ai tiré sur moi à Lahore sans en mourir » dit Michel pas encore Michael en 1975 Lonsdale, interprète du vice-consul de Lahore qui a été rapatrié à Calcutta où il se retrouve en présence de son grand amour, Anne-Marie Stretter, née Anna Maria Guardi d’une mère vénitienne, et s’éclaire pour moi le mystère du titre d’un autre film de Marguerite Duras Son nom de Venise dans Calcutta désert que je n’ai pas vu et que j’aimerais bien voir, maintenant que j’ai revu India Song

Et bientôt sur le blog des Cramés je lirai ceci : « Pour les scènes du couple Tabard, François Truffaut avait demandé à Michael Lonsdale la permission de tourner dans son grand appartement pour sa belle lumière et la vue sur la tour Eiffel. On imagine Michael Lonsdale, alors, profondément heureux : il tournait avec Delphine Seyrig. Il s’appelait Georges Tabard, elle était Fabienne Tabard, et elle était là, chez lui, avec lui. On sait [eh bien non, je ne savais pas] qu’elle fut la seule femme de sa vie : “J’ai vécu un grand chagrin d’amour et ma vie s’en est trouvée très affectée. La personne que j’ai aimée n’était pas libre… je n’ai jamais pu aimer quelqu’un d’autre. C’était elle ou rien et voilà pourquoi, à 85 ans, je suis toujours célibataire ! Elle s’appelait Delphine Seyrig.” Le dictionnaire de ma vie, 2016. Aussi, quand le vice-consul de Lahore crie Anna Maria Guardi par les rue de Calcutta, je découvre avec émotion que par sa voix Michael Lonsdale hurlait son propre désespoir.

Mercredi 23 septembre 2020

AlTiCiné en VOD

LA TOILE VOD

TOUJOURS PLUS DE FILMS A L’ALTICINE

BIENVENUE SUR LA e-SALLE DE VOTRE CINEMA

Votre cinéma AlTiCiné, en partenariat avec LA TOILE vous propose désormais de (re)-découvrir sur n’importe quel support (ordinateur, tablette, téléphone…) une sélection de films reprenant des thématiques, ou la filmographie d’un réalisateur

Chaque semaine vous pourrez ainsi prolonger votre expérience cinéma, grâce à ce service VàD (Vidéo à la Demande) spécialement construit autour de l’actualité de notre programmation.

En cette période inédite que nous vivons tous, par la fermeture de nos entreprises, le confinement, RESTONS CHEZ NOUS, mais RESTONS AU CONTACT

Bienvenue dans la plateforme VOD du cinéma AlTiCiné – pour les grands comme pour les plus petits

Soutenons le Cinéma

Soutenons AlTiCiné

Le Blog des Cramés, Spécial confinement!

Amis Cramés de la Bobine, bonjour,

Pas d’Alticiné, et cette belle sélection que nous avions soigneusement concoctée est remise à plus tard. Quand ? En attendant, nous avons une pensée amicale pour Martine Nicolas la Directrice et tous ces sympathiques et compétents équipiers du cinéma, nous les connaissons, nous les apprécions, pour l’heure, ils sont au chômage.

Le blog souhaite reprendre sa formule « spécial confinement », vous vous souvenez : des articles d’auteurs habituels voisinaient avec de nouveaux, il y avait une rubrique sur les films à venir, une autre bien appréciée des lecteurs : les films que vous avez aimés, et les films que vous avez détestés. Eh bien! on recommence et on espère que vous serez des nôtres pour l’un de ces exercices. (Pour les films aimés ou détestés, vous pouvez aussi les choisir parmi les projections des Cramés de la Bobine)-.

Souvenez-vous, il y avait aussi des extraits du journal de Dominique, nous allons inaugurer ce Spécial Confinement par un 4e extrait.

Vous avez envie de participer, nous n’attendons que vous. Envoyez vos articles sur la BAL du site, ou à georges.joniaux45@orange.fr, on s’occupe du reste …et au plaisir de vous lire!

Portez-vous bien, prenez soin de vous et… écrivez dans le blog, lisez-le.

Au plaisir, amicalement

L’équipe du blog.

Le cinéma de Dominique (4) : Touristes ? Oh, yes ! J.P Mocky

            Ce film de Jean-Pierre Mocky raconte les aventures d’une famille (nombreuse) hollandaise qui accompagne à Paris le maire de son village afin de le soutenir dans un concours de chansons. Ils affrètent un car où tout le monde s’entasse, sauf un petit rouquin marié à une jeune femme momentanément aphone, ce qui n’est pas grave vu que le film, plutôt que parlant, est sonore, les Hollandais en question étant incarnés par des acteurs français (inconnus sauf quelques-uns dont on connaît la trogne sans savoir le nom) qui, n’en parlant sûrement pas un mot, ne peuvent qu’émettre des sons aux accents vaguement néerlandais et réduits au strict minimum. Les seuls à faire de vraies phrases dans une vraie langue, c’est la grand-mère d’origine italienne et le pizzaïolo de son cœur à qui elle était fiancée avant d’épouser, allez savoir pourquoi, un Russe homosexuel qui ne rêve que d’aller à l’Opéra pour voir un ballet (et aussi les danseurs) mais pas de bol c’est complet.

 Le jeune rouquin doit subir un contrôle sanitaire dans son usine de fromages, raison pour laquelle il part après les autres, seul en voiture, en embarquant un énorme frometon dans son coffre à destination de sa cousine qu’il doit retrouver à Paris où vraisemblablement elle réside, sinon pourquoi s’embarrasser d’un tel machin qui pèse des tonnes, si elle vivait en Hollande elle pourrait s’approvisionner sur place. 

Bref il prend sa voiture à l’intérieur de laquelle, profitant d’un arrêt essence, se glisse une belle Noire sans papiers qui, lorsqu’elle se retrouvera seule à Paris après l’arrestation de son mec comme dealer, ne cessera de lui coller aux basques, courant derrière l’auto sans se faire semer (une vraie championne), ce qu’il tente pourtant avec persévérance et moult ruses.

Dans la capitale, le rouquin se fait mettre voiture et fromage à la fourrière. Avec un couple d’Américains, il est arrosé par un employé municipal. Dans un pressing, une dame les sèche avec un séchoir à cheveux. Quand ils peuvent enfiler à nouveau leurs vêtements, a lieu un malencontreux échange de papiers et de portefeuilles, à la suite de quoi le Hollandais présente, au commissariat où il est venu s’enquérir de son automobile, un passeport US, ce que le policier trouve à juste titre hautement suspect. Alors le rouquin s’enfuit et, afin d’échapper aux recherches, pique à un Ecossais son kilt et son béret.

Pendant ce temps-là sa mère (qui sous un chapeau tyrolien porte de grosses nattes jaunes et, sous sa jupe, des culottes façon petites filles modèles de la comtesse de Ségur née Rostopchine) ne songe qu’à aller au Salon de l’Agriculture. Elle s’y fait draguer par un Espagnol très excité qui se met en slip devant elle dans une cabine, mais quand il veut ressortir, son pantalon a disparu. 

Quant à son horticulteur de père, il est pris à piquer des fleurs dans le jardin des Tuileries par un agent de la force publique et se fait illico embarquer dans un commissariat qui s’avère être celui duquel s’enfuit son fils avant de se faire passer pour Ecossais.

Et à un moment on voir JPM qui court sur un trottoir en disant des choses qu’on ne comprend pas plus que le reste, c’est joyeusement foutraque, un film burlesque où ça s’agite beaucoup sans besoin de paroles, c’est le geste qui compte.  

A la fin de la journée (et du film), le maire ne gagne pas le concours. De désespoir il se jette à l’eau et un de ses compatriotes tente de le sauver et il l’attrape par les cheveux qui sont  une moumoute mais l’eau est peu profonde.

Et on rentre au bercail (la belle Noire aussi, adoptée par l’aphone qu’elle aide à récupérer son sac lorsqu’un gamin le lui pique dans un grand magasin, ce qui fait qu’elles se retrouvent dans le commissariat déjà évoqué deux fois, Paris est tout petit) sauf les grands-parents (la grand-mère suit son pizzaïolo et le grand-père les danseurs du corps de ballet) et la sœur du rouquin qui est venue retrouver un correspondant français qui lui a écrit des lettres enflammées.

« Suite à un problème technique, les toilettes [pour hommes, au sous-sol de la cinémathèque] sont fermées pour une durée indéterminée »[1]. Au cas où les messieurs n’auraient pas compris, une seconde affiche juste en dessous précise « Toilettes hors service ».

Jean-Pierre Mocky

  C’est la raison pour laquelle lesdits messieurs se retrouvent tous, à côté, dans les toilettes des femmes qui sont, de ce fait, surchargées. J’ai de la chance, lorsque j’y entre il en reste de libres. Ce qui n’est audiblement plus le cas quelques secondes plus tard : à peine ai-je eu le temps de poser mes affaires qu’une voix masculine proteste, Merde, merde, merde, merde, et que des coups de pied sont donnés dans les portes. Quand ils résonnent dans la mienne, je dis, Doucement. Dans la cabine d’à côté, un monsieur ironise, On se croirait dans un film de Mocky. A quoi je réponds, Oui, c’est le film qui continue.

    Lundi 21 juillet 2014


[1] Quand la même chose arrive à l’UGC Ciné Cité Les Halles, la note sur la porte dit que « nos super héros se démènent pour vous sortir de là ». Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours affichée la semaine suivante et parfois au-delà. Les super héros sont fatigués.

NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS, un film de Eliza Hittman

Film américain (vostf, août 2020, 1h42) de Eliza Hittman avec Sidney Flanigan, Talia Ryder et Théodore Pellerin 

Synopsis : Deux adolescentes, Autumn et sa cousine Skylar, résident au sein d’une zone rurale de Pennsylvanie. Autumn doit faire face à une grossesse non désirée. Ne bénéficiant d’aucun soutien de la part de sa famille et de la communauté locale, les deux jeunes femmes se lancent dans un périple semé d’embûches jusqu’à New York.

Présenté par Chantal Levy

Une salle plutôt clairsemée pour ce troisième film d’Eliza Hittman : vacances de toussaint, changement d’horaire pour cause de couvre-feu ? Le film étant disponible sur plateforme VOD  ̶  volonté de la réalisatrice dont le film n’a pas pu sortir en salle comme prévu aux Etats-Unis pour cause de Covid  ̶  certains pourront se rattraper. 

Douloureux, délicat, tel est ce film à mes yeux, et « utile » pour reprendre l’adjectif d’Eliza Hittman. Ce film qu’elle a voulu « utile » l’est sans conteste.

Il raconte le périple d’Autumn Callahan et de sa cousine Skylar, un voyage odyssée qui mène les deux adolescentes de 17 ans d’une petite ville de Pennsylvanie, à New York City où Autumn, enceinte, pourra avorter malgré une grossesse de 18 semaines et cela sans autorisation parentale.  

Ce film n’a rien d’un réquisitoire, mais il déroule de façon quasi documentaire les difficultés auxquelles Autumn va devoir se confronter : les centres de planning familial, les cliniques d’aide aux femme en détresse, Autumn allant de l’un à l’autre, obligée de remplir à chaque fois le même formulaire, répondre aux questions quasi similaires, refaire des examens médicaux déjà faits, Autumn n’ayant d’autre choix que celui d’accepter ce processus qui alourdit son fardeau pour pouvoir finaliser son choix, celui de mettre fin à une grossesse non désirée, expliquant qu’elle ne « se sent pas prête à être mère« . 

Voilà une jeune fille qui a fait son choix, sans agressivité aucune : lorsque la doctoresse, qui l’a auscultée au centre familial de sa petite ville natale, lui téléphone afin de fixer un rendez-vous de suivi médical, Autumn, qui est dans le bus roulant vers New York, décline poliment le rendez-vous et dit simplement qu’elle la recontactera.   

Bien sûr, le film se concentre sur Autumn : d’une part le fardeau qu’elle porte, l’enfant non désiré, mais aussi l’unique valise emportée par Skylar comme métaphore du fardeau  et d’autre part le regard qu’elle porte sur ce qui l’entoure : les hommes, que ce soit dans la famille ou au travail, car comme beaucoup de jeunes aux Etats-Unis, Autumn et Skylar travaillent dans un supermarché après l’école, les hommes croisés durant le périple, dans le bus, le jeune Jasper, autre personnage important du film, ou dans le métro ; la ville avec son rythme effréné et effrayant, ses bruits, ses mouvements, ses lumières, ses transports, la grande ville où le mode de vie est à des années lumières de celui de Pennsylvanie ; enfin Autumn et son regard perdu, à certains moments, un regard d’incompréhension lorsque qu’on lui parle des différentes étapes qui mèneront à l’avortement, son regard inquiet toujours empreint d’incompréhension lorsqu’à proximité de la clinique qui va la prendre en charge elle voit une foule de manifestants pro-life, son regard écœuré qu’elle détourne lorsque la travailleuse sociale de centre familial de Hillsboro, sa ville natale, ayant compris qu’Autumn souhaite avorter,  lui montre une vidéo anti-avortement qui martèle le fait qu’avorter c’est tuer un être vivant. On veut culpabiliser la jeune fille, après l’avoir trompée sur le nombre de semaine de sa grossesse. Tous ces regards ne sont-ils pas aussi nos propres regards de spectateurs ? 

En effet, la réalisatrice décide de filmer en 16mm, de filmer au plus près, de filmer souvent en gros plan, nous rapprochant ainsi de ces deux adolescentes que l’on sent à peine sorties de l’enfance et découvrant un monde qui leur est étranger et que l’on aimerait aider. L’argent, autre facteur important, elles en ont volé un peu à leur employeur pour payer le trajet et essayer de survivre pendant 24h qui se transformeront en 48, l’argent nécessaire pour payer un avortement, pour se loger et se nourrir, cet argent qu’Autumn et Skylar n’ont finalement pas en quantité suffisante et qui va pousser Skylar à se sacrifier en acceptant les avances de Jasper connu pendant le trajet : un gros plan magnifique sur la main tendue d’Autumn cherchant celle de Skylar qui, adossée à un pilier dans une gare routière subit le long baiser de Jasper en échange d’argent.

Et comment ne pas être submergé de douleur, d’émotion et d’empathie lors de la scène clé qui donne au film son titre, Never Rarely Sometimes Always, réponses à un QCM posé par la travailleuse sociale Kelly Chapman, jouant son propre rôle, devant le visage d’Autumn qui se crispe à certaines questions, et se défait à d’autres ?

Ces deux adolescentes, ces deux jeunes femmes dont c’est le premier film en tant qu’actrices nous livrent une performance époustouflante : notons que Talia Ryder, Skylar, était mineure au moment du tournage ce qui posait des problèmes à la réalisatrice car elle ne pouvait pas la faire tourner à n’importe quand. 

L’avortement, sujet tabou, dans un pays où les états tentent par des lois qui leur sont propres de restreindre le droit à l’avortement autorisé par la Cour Suprême, loi fédérale, en 1973 et réaffirmé en 2016 par cette même cour, sujet sensible dans d’autres pays, l’Irlande par exemple dont la loi ne date que de janvier 2019 et qui depuis essaie aussi de la restreindre, en Pologne où les femmes manifestent aujourd’hui pour ce droit remis en cause, sujet sensible donc choisi par Eliza Hittman qui a mis plusieurs années à faire le film et qui en a parfois tu le thème de peur d’essuyer des refus de tournage. 

Autumn et Skylar sont à la fois matures et innocentes, solides et fragiles ; elles sont deux mais elles n’en sont pas moins seules, une solitude accentuée par certains plans de foule, par un entourage familial qui n’écouterait pas et ne comprendrait pas ; elles pourraient être nos filles, elles incarnent tout simplement l’adolescence meurtrie, blessée qui doit payer le prix fort pour renaître.      

Chantal

Manhunter de Michael Mann

Avec William L. PetersenKim GreistJoan Allen

Synopsis : L’agent fédéral William Graham vit retiré de ses obligations professionnelles depuis qu’il a été gravement blessé par le dangereux psychopathe cannibale Hannibal Leckor, incarcéré par la suite. Jack Crawford, un ancien collègue du FBI, le contacte pour qu’il l’aide à arrêter un tueur en série, Dragon rouge, qui assassine des familles lors des nuits de pleine lune. Pour réussir sa mission, Graham va se mettre à penser comme le meurtrier et va notamment consulter, dans ce sens, le détenu Hannibal Lecktor…

Seuls à deux dans la salle de l’Alticiné où est projeté Manhunter de Michael Mann, ce film réédité qui sort à Montargis en même temps qu’à Paris c’est inespéré.

Manhunter : du temps où je me permettais encore de découvrir un film à la télévision, je l’y avais vu sous le titre réducteur de Le 6è sens qui ne faisait référence qu’au don du profiler quand le titre original évoque deux chasses à l’homme : celles (reflets l’un de l’autre) dudit profiler à la poursuite du tueur en série et de ce dernier traquant ses proies, d’ailleurs pour lui les miroirs ont leur importance.

Du film je n’avais gardé souvenir (et encore, incomplet) que d’une unique (et je la pensais plus longue) séquence : un parking souterrain, sa rampe hélicoïdale…

(Je croyais qu’on en découvrait davantage alors qu’en réalité la caméra la filme toujours depuis le même point) 

… et les grincements des roues d’un fauteuil roulant avant qu’il n’apparaisse à l’écran : ça c’est bien là mais (et c’est inexplicable) comment avais-je pu oublier le climax de la séquence, soit le fauteuil roulant qui déboule avec son occupant en flammes ? Puissance du son et du hors champ.

Début…

(Mise à part l’une des premières séquences : assis devant un océan paisible, un policier du FBI tente de convaincre le profiler de rempiler en lui glissant des photos de familles assassinées. Le profiler les retourne face caméra : au lieu des scènes de carnage auxquelles on s’attend, ce sont des instants de bonheurs familiaux, c’est ce qui a été détruit qui s’offre aux regards et c’est très fort)

… du film très bavard, avec des sous-titres qui défilent à toute allure, nous avons  à peine le temps de les lire, nous galérons à emmagasiner une masse de renseignements en quelques secondes. Est-ce la raison pour laquelle (excepté la séquence susmentionnée) le film ne m’avait pas marquée ? Et pourtant :

Le tueur, longiligne de corps et de visage, affligé d’un bec de lièvre, le cheveu blond et rare, mais comment est l’acteur dans la vie ?

L’aveugle, qu’incarne une Joan Allen que j’associe trop à des rôles de victime (Volte/Face et aussi Blow out, mais là je me trompe d’Allen, chez Brian de Palma c’est Nancy).

Et Hannibal Lecter (cependant, désolée, je ne peux m’empêcher d’avoir en tête Anthony Hopkins). 

LA FEMME DES STEPPES, LE FLIC ET L’OEUF de Wang QUANAN

Synopsis : Le corps d’une femme est retrouvé au milieu de la steppe mongole. Un policier novice est désigné pour monter la garde sur les lieux du crime. Dans cette région sauvage, une jeune bergère, malicieuse et indépendante, vient l’aider à se protéger du froid et des loups. Le lendemain matin, l’enquête suit son cours, la bergère retourne à sa vie libre mais quelque chose aura changé.

Présentation Marie Annick Laperle

                                                            

 Peu de monde dans la salle pour ce film tourné en Mongolie, par le réalisateur chinois Wang Quanan. Mais les spectateurs présents n’oublieront pas les ciels indigo et les bandes de terre mongole embrassant la totalité de l’écran, s’étirant à l’infini. Pour ma part, je n’oublierai pas les scènes en apparence simples, que le cinéaste filme comme des scènes universelles dont la beauté vient de l’intérieur, en dehors de la volonté de produire « la belle image » : le corps nu d’une femme morte dans les hautes herbes de la steppe, les couleurs du ciel changeant avec les heures de la journée, la mise à mort d’un mouton ou le vêlage d’une vache, un arrêt de bus  perdu quelque part sur une piste et sorti tout droit d’un tableau de Hopper, un flic qui danse autour du cadavre maintenant recouvert d’un drap, sur une chanson d’Elvis Presley « Love me tender », sans oublier les deux magnifiques scènes d’amour, éclairées à la lumière d’un feu ou de lampes frontales.

Six ans après avoir subi toutes les indélicatesses de la censure chinoise pour son sixième film «  Au pays du cerf blanc », Wang Quanan choisit la Mongolie Extérieue, pays indépendant, pour filmer librement et nous livre un film lent, plutôt contemplatif qui donne le sentiment qu’il ne se passe pas beaucoup de choses. Pourtant, mon attention n’a cessé d’être mobilisée par la beauté des  levers et des couchers de soleil, par la simplicité des scènes de vie quotidienne, par la mise en scène et par le portrait étonnant de cette femme des steppes insolite.

                A partir d’un dispositif minimaliste, le cinéaste parvient à nous faire ressentir l’infinitude du temps et de l’espace, à resituer l’homme dans son rapport avec la nature et à engager une réflexion sur la vie et sur la mort. Les premières images donnent le ton : une voiture de police avance dans le noir, braquant ses phares sur une steppe jaune et déserte, soudainement traversée par des chevaux libres. Un des occupants du véhicule, des chasseurs parlant de chasse, dit : « ce que l’homme voit n’est pas toujours la réalité ». Deux tour de roue plus loin, le cadavre d’une femme surgit dans les phares. On ne saura rien de l’enquête et le meurtrier sera tout de suite retrouvé car le propos est ailleurs. Derrière ce cadavre, les policiers verront un drame passionnel avec souffrance et sentiments violents. La femme des steppes y verra le cycle de la vie. Le corps aurait pu se décomposer, l’herbe y aurait proliféré, les moutons s’en seraient nourris, l’homme aurait mangé le mouton. Et la femme morte aurait éventuellement pu se réincarner. Pas de quoi en faire un drame. Le regard que l’homme porte sur ce qu’il voit, créé sa réalité.

  Le fait de filmer en plan large et de donner la priorité au ciel qui peut occuper quatre-vingts pour cent de l’écran, donne à voir des personnages dont la taille est réduite par rapport aux éléments naturels. Ce dispositif permet de voir l’histoire comme une scène de théâtre où les personnages ont des interactions mais avec une sorte de distance et de détachement. Nous aussi, spectateurs, nous avons un détachement, une sorte de recul sur les événements que nous voyons à l’écran. Ce recul permet des moments d’humour et une acceptation de notre dérisoire condition humaine.

                 Mais venons en à l’histoire de la femme des steppes et du jeune flic. On l’appelle Dinosaure, elle vit seule avec son troupeau et envoie paître son ami qui lui propose ses services d’étalon ou lui conseille de vite en trouver un autre que lui. Cette femme-là est une guerrière qui sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Elle s’est affranchie de bien des carcans liés à sa condition pour exprimer sa puissance sans faire d’histoires. Elle va d’abord endosser le statut de femme protectrice de la vie en venant protéger le jeune policier inexpérimenté, du froid et de l’attaque d’une louve. Maniant le fusil sans l’ombre d’une émotion, même après un coït inattendu avec le jeune homme, elle abat l’animal au troisième tir avec son intuition de femme qui sait sans avoir vu. Dans la scène d’amour mémorable qui précède, sous le regard bienveillant et la toison chaude d’un chameau de bactriane, à travers les flammes d’un feu bienfaisant et sous l’effet libérateur de la vodka, notre femme des steppes devient l’initiatrice à l’amour, malicieuse et décomplexée. Le jeune flic utilisé comme étalon de reproduction s’en verra transformé en homme capable de séduire la jeune policière stagiaire qui retourne à Oulan Bator. Mais pas avant d’avoir goûté l’ivresse d’une chevauchée  nocturne à moto, illuminée de pétards lancés dans le ciel indigo. Quant à la femme des steppes, dont le rôle est tenu par une véritable bergère nomade, quelque chose a également changé pour elle. Elle a un œuf en elle. Elle est enceinte. Sa vache également qui va bientôt mettre bas. C’est le moment d’appeler Orgil pour qu’il l’aide. La scène se déroule dans un clair obscur digne d’un tableau de maître flamand, à la lueur des lampes frontales des deux protagonistes. Après la scène de la mise à mort du mouton, c’est celle de la naissance, de l’accueil d’une nouvelle vie. C’est le moment  de dire à Orgil, toujours amoureux et qui vient de lui offrir un œuf de dinosaure fossilisé, qu’elle aussi a un œuf dans le ventre. S’en suit une scène d’amour à la fois réaliste et magique, filmée également à la seule lumière des lampes frontales des deux personnages et dont les halos s’agitent dans le noir, comme si  leurs deux âmes dansaient dans la nuit.

  Le film s’ouvrait sur une scène de mort, il s’achève sur une promesse de vie. Entre les deux il y a l’amour. Il y a la vie. La femme est celle qui en assure la continuité, qui la perpétue.     Objet de trafic par cupidité, l’oeuf de dinosaure est ici le symbole d’une origine antédiluvienne et d’un monde disparu. Il rappelle la menace de disparition qui pèse sur le mode de vie des nomades mongoles. Dans ce monde traditionnel, la technologie a fait irruption avec la moto, le portable, les tests de grossesse et la pilule avortive. Un avion qui traverse le ciel et  au loin la cheminée qui fume d’une usine  viennent signaler que le monde fourmillant des villes et de l’agitation n’est pas loin. L’oeuf, présent dans bien des civilisations anciennes est aussi le symbole de la naissance du monde. Il est le symbole universel qui représente la vie à venir et qui en éclot. C’est la naissance et la régénération du cycle de la vie. Par sa forme ovale, il suggère l’infini.

                                                                                             Marie Annick

Week-End du Cinéma Italien 10 et 11.10.2020

Beau succès pour ce Week-End italien, avec sa sélection variée et la prestation sympathique et savante de Jean-Claude Mirabella. Mais ce succès, c’est aussi la présence chaleureuse du public, avec bien sûr les cramés de la bobine et d’une manière générale, tous les amateurs de cinéma, de cinéma italien, de bon cinéma.

Avec « Il campione » de Leonardo D’Agostini,  le week-end commence par un film qui semble facile, qui nous parle d’un cheminement, où l’on voit un jeune homme doué pour le foot, un peu caractériel et fragile pris dans le star-system, saisir l’opportunité d’une rencontre forcée avec un professeur, pour se construire, et quitter progressivement le Pinocchio qui est en lui. Voyant ce film, je repensais au « Maître Ignorant, un ouvrage philosophique de Jacques Rancière » qui montre que le maître a moins besoin d’un savoir académique que de son désir d’enseigner et que ce désir rencontre un désir d’apprendre. Et dans le film le maître trouve la clé. Si « Il campione » n’est certainement pas du grand cinéma, il y a des séquences sensibles et émouvantes soutenues par deux acteurs remarquables et un scénario qui en font un bon film. 

Una promessa (Titre original Spaccapietre (Brise-pierre)de Gianluca et Massimiliano De Serio a suscité de vives réactions. Parfois hostiles, à l’image de celle de R. dont je me souviens un peu du commentaire : Qu’est-ce que ce film qui en rajoute des couches ? Qui mobilise tous les clichés émotionnels, de qui se moque-t-on, le chien, un noir, etc… Où ils vont ? Que veulent-ils dire ? Oui, ce film ne laisse guère de temps de respiration. Ce n’est pas faux. Mais aujourd’hui je tombe sur cet article : « « Dans la nuit du 22 au 23 octobre 2019, 39 Vietnamiens meurent étouffés dans un camion frigorifique qui les fait passer clandestinement de Belgique en Angleterre. Un an après, les diverses enquêtes lancées aident à reconstituer ce drame et à mesurer l’ampleur des réseaux ». La réalité ne s’embarrasse pas toujours de subtilités et le cinéma n’est pas là pour nous caresser dans le sens du poil. J’appartiens à ceux qui ont aimé ce film et tout autant les acteurs du film.

Maternal, Film italien argentin de Maura Delpero en quasi-huis clos, dans les tons de bleu. La toile de fond sociale du film n’est pas dite, la violence qui s’exerce sur ces femmes, nous la ressentons petit à petit, comme sous l’effet d’un goutte-à-goutte. Et le hors-champ du film est immense. Il ne nous est pas permis de savoir ce que pense notre prochain, il faut qu’il nous le dise. Paola, cette jeune future Sœur affiche un sourire ineffable, elle nous montre que non seulement on ne sait pas ce qu’elle pense, mais qu’en outre, rien ne nous permet de nous en douter. Dans cet univers féminin où vivent des mères célibataires, avec ses Consœurs, Paola est là, patiente, disponible, et douce. Ce qui se joue secrètement en elle, c’est le désir d’être mère, mère de substitution, mais mère. Ce thème je me souviens l’avoir vu dans « l’institutrice » de Nadav Lapid. Si dans ce dernier tout est narcissique, dans Maternal, l’altruisme habille plus subtilement cette volonté, Paola désire réparer. Troublant et fascinant.

De Michel-Ange Film somptueux de Andrey Konchalolovsky, le synopsis nous dit « Michel Ange à travers les moments d’angoisse et d’extase de son génie créatif, tandis que deux familles nobles rivales se disputent sa loyauté ». Nous ne savons si les traits de personnalité de ce Michel Ange sont exacts, si c’est un personnage du 16ème ou du 21ème siécle. Pour le décrire on risque très vite de déborder d’adjectifs pour parler de lui : frénétique, exalté, intense, bouillonnant, passionné, tourmenté. On ne voit pas l’homme travailler la pierre mais l’homme imaginant, le patron, parfois roublard et injuste ; le génie. Le format du film, ses couleurs, les décors, les personnages tout y est parfait, un peu comme si le réalisateur s’était dit, pour parler d’un des plus génial artiste, il faut donner au cinéma ce qu’il peut de mieux. Et en effet ce Michel-Ange mériterait bien un Donatello.🙂 

Sole de Carlo Sironi avec Sandra Drzymalska, a eu le moins de spectateurs, sur le plan formel, il n’est comparable à aucun de cette série, mouvements de caméra réduits au possible — Parti pris de sobriété absolue — Avec ses personnages tristes, sans avenir, sans espoir, ce film fait écho à « Maternal » par cette question du désir de maternité et à « una promessa » pour la violence de l’exploitation de l’homme par l’homme, qui n’est pas banale, c’est celle de riches. Une femme de mafieux désire un enfant, elle ne peut pas en avoir. Qu’à cela ne tienne, un enfant ça s’achète, s’il n’y a que ça ! Il est là, dans le ventre d’une femme, une pauvre jeune polonaise, il n’y a qu’à attendre et la faire garder par un neveu bon à rien pour que tout se passe bien. Le rapport de ce jeune homme à cette jeune femme tient en une phrase qui arrivera aux deux tiers du film, elle est une manifestation d’identification, d’amour et d’impuissance en même temps…mais peut-être d’autre chose. Avec ce thème de l’exclusion, de la réification du tiers, la mère porteuse, nous entrons dans le stade ultime de la société marchande, un sujet actuel. 

Citoyens du Monde de  Gianni Di Gregorio  est la note joyeuse et pour reprendre Jean-Claude Mirabella, une manière de parler légèrement de choses graves, par touches légères, avec une sorte de pudeur exquise. Et en effet on retrouve dans ce film l’humour, la convivialité, et le plaisir de vivre généreusement, de bon vin, d’amitié et…de pastèques. S’il y a un film qui me donne un désir d’Italie, c’est bien lui. Aucun film n’aurait mieux fini ce week-end qui nous l’espérons a pu donner aux spectateurs une source raffraichissante de plaisir esthétique. Celle que procurent les films originaux et beaux, et par ces temps désolés, bien du bonheur. 

Merci aux cramés de la bobine, à tous les spectateurs qui font vivre ces films en même temps qu’ils les vivent, merci à Jean-Claude Mirabella, c’était un grand cru ! 

Et Viva Italia!