NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS, un film de Eliza Hittman

Film américain (vostf, août 2020, 1h42) de Eliza Hittman avec Sidney Flanigan, Talia Ryder et Théodore Pellerin 

Synopsis : Deux adolescentes, Autumn et sa cousine Skylar, résident au sein d’une zone rurale de Pennsylvanie. Autumn doit faire face à une grossesse non désirée. Ne bénéficiant d’aucun soutien de la part de sa famille et de la communauté locale, les deux jeunes femmes se lancent dans un périple semé d’embûches jusqu’à New York.

Présenté par Chantal Levy

Une salle plutôt clairsemée pour ce troisième film d’Eliza Hittman : vacances de toussaint, changement d’horaire pour cause de couvre-feu ? Le film étant disponible sur plateforme VOD  ̶  volonté de la réalisatrice dont le film n’a pas pu sortir en salle comme prévu aux Etats-Unis pour cause de Covid  ̶  certains pourront se rattraper. 

Douloureux, délicat, tel est ce film à mes yeux, et « utile » pour reprendre l’adjectif d’Eliza Hittman. Ce film qu’elle a voulu « utile » l’est sans conteste.

Il raconte le périple d’Autumn Callahan et de sa cousine Skylar, un voyage odyssée qui mène les deux adolescentes de 17 ans d’une petite ville de Pennsylvanie, à New York City où Autumn, enceinte, pourra avorter malgré une grossesse de 18 semaines et cela sans autorisation parentale.  

Ce film n’a rien d’un réquisitoire, mais il déroule de façon quasi documentaire les difficultés auxquelles Autumn va devoir se confronter : les centres de planning familial, les cliniques d’aide aux femme en détresse, Autumn allant de l’un à l’autre, obligée de remplir à chaque fois le même formulaire, répondre aux questions quasi similaires, refaire des examens médicaux déjà faits, Autumn n’ayant d’autre choix que celui d’accepter ce processus qui alourdit son fardeau pour pouvoir finaliser son choix, celui de mettre fin à une grossesse non désirée, expliquant qu’elle ne « se sent pas prête à être mère« . 

Voilà une jeune fille qui a fait son choix, sans agressivité aucune : lorsque la doctoresse, qui l’a auscultée au centre familial de sa petite ville natale, lui téléphone afin de fixer un rendez-vous de suivi médical, Autumn, qui est dans le bus roulant vers New York, décline poliment le rendez-vous et dit simplement qu’elle la recontactera.   

Bien sûr, le film se concentre sur Autumn : d’une part le fardeau qu’elle porte, l’enfant non désiré, mais aussi l’unique valise emportée par Skylar comme métaphore du fardeau  et d’autre part le regard qu’elle porte sur ce qui l’entoure : les hommes, que ce soit dans la famille ou au travail, car comme beaucoup de jeunes aux Etats-Unis, Autumn et Skylar travaillent dans un supermarché après l’école, les hommes croisés durant le périple, dans le bus, le jeune Jasper, autre personnage important du film, ou dans le métro ; la ville avec son rythme effréné et effrayant, ses bruits, ses mouvements, ses lumières, ses transports, la grande ville où le mode de vie est à des années lumières de celui de Pennsylvanie ; enfin Autumn et son regard perdu, à certains moments, un regard d’incompréhension lorsque qu’on lui parle des différentes étapes qui mèneront à l’avortement, son regard inquiet toujours empreint d’incompréhension lorsqu’à proximité de la clinique qui va la prendre en charge elle voit une foule de manifestants pro-life, son regard écœuré qu’elle détourne lorsque la travailleuse sociale de centre familial de Hillsboro, sa ville natale, ayant compris qu’Autumn souhaite avorter,  lui montre une vidéo anti-avortement qui martèle le fait qu’avorter c’est tuer un être vivant. On veut culpabiliser la jeune fille, après l’avoir trompée sur le nombre de semaine de sa grossesse. Tous ces regards ne sont-ils pas aussi nos propres regards de spectateurs ? 

En effet, la réalisatrice décide de filmer en 16mm, de filmer au plus près, de filmer souvent en gros plan, nous rapprochant ainsi de ces deux adolescentes que l’on sent à peine sorties de l’enfance et découvrant un monde qui leur est étranger et que l’on aimerait aider. L’argent, autre facteur important, elles en ont volé un peu à leur employeur pour payer le trajet et essayer de survivre pendant 24h qui se transformeront en 48, l’argent nécessaire pour payer un avortement, pour se loger et se nourrir, cet argent qu’Autumn et Skylar n’ont finalement pas en quantité suffisante et qui va pousser Skylar à se sacrifier en acceptant les avances de Jasper connu pendant le trajet : un gros plan magnifique sur la main tendue d’Autumn cherchant celle de Skylar qui, adossée à un pilier dans une gare routière subit le long baiser de Jasper en échange d’argent.

Et comment ne pas être submergé de douleur, d’émotion et d’empathie lors de la scène clé qui donne au film son titre, Never Rarely Sometimes Always, réponses à un QCM posé par la travailleuse sociale Kelly Chapman, jouant son propre rôle, devant le visage d’Autumn qui se crispe à certaines questions, et se défait à d’autres ?

Ces deux adolescentes, ces deux jeunes femmes dont c’est le premier film en tant qu’actrices nous livrent une performance époustouflante : notons que Talia Ryder, Skylar, était mineure au moment du tournage ce qui posait des problèmes à la réalisatrice car elle ne pouvait pas la faire tourner à n’importe quand. 

L’avortement, sujet tabou, dans un pays où les états tentent par des lois qui leur sont propres de restreindre le droit à l’avortement autorisé par la Cour Suprême, loi fédérale, en 1973 et réaffirmé en 2016 par cette même cour, sujet sensible dans d’autres pays, l’Irlande par exemple dont la loi ne date que de janvier 2019 et qui depuis essaie aussi de la restreindre, en Pologne où les femmes manifestent aujourd’hui pour ce droit remis en cause, sujet sensible donc choisi par Eliza Hittman qui a mis plusieurs années à faire le film et qui en a parfois tu le thème de peur d’essuyer des refus de tournage. 

Autumn et Skylar sont à la fois matures et innocentes, solides et fragiles ; elles sont deux mais elles n’en sont pas moins seules, une solitude accentuée par certains plans de foule, par un entourage familial qui n’écouterait pas et ne comprendrait pas ; elles pourraient être nos filles, elles incarnent tout simplement l’adolescence meurtrie, blessée qui doit payer le prix fort pour renaître.      

Chantal

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