La Zone d’Intérêt de Jonathan Glazer (3)

 » Le nazisme est un mal qui donne à penser »

 » La zone d’intérêt est un film exemplaire pour la réflexion historique ».

Yohann Chapoutot, historien spécialiste d’histoire contemporaine du nazisme et de l’Allemagne.

Dans un premier temps, le film ne m’a pas laissé une grande impression, avec ses grands écrans noir puis rouge, j’ai pensé à un esthétisme peut être déplacé ?

Mais peu à peu le malaise s’est installé, ainsi qu’une grande concentration sur les images et davantage les sons.

Au final, j’ai ressenti ce film comme éprouvant, difficile, m’enfermant dans cette condition humaine de spectatrice, désirant comprendre le pourquoi du film.

Je crois qu’il ne s’agit pas seulement de décrire un bourreau nazi, quoique peu ordinaire vu sa place dans la hiérarchie, mais aussi de nous faire réfléchir sur nous, aujourd’hui, à ce que nous comprenons et supportons de l’histoire présente.

La fin du film qui nous ramène au Musée D’Auschwitz, nous rappelle le  » devoir de mémoire » et ce que l’on peut penser 80 ans après la destruction des Juifs d’Europe.

Ce film sert à nous poser des questions.

Rudolf Höss est-il un monstre ? un assassin ? un raté de l’humanité ?

Le film répond , qu’il est un être humain masculin de 42 ans, père aimant de cinq enfants ( un peu moins aimant de sa femme et réciproquement ) qu’il joue avec ses enfants, fait du sport avec eux ( cheval, baignade) qu’il aime les animaux, chien mais surtout cheval ( cf sa jument qui est aussi son moyen de transport pour le travail, à laquelle il fait une déclaration d’amour  » je t’aime » et des bisous avant de quitter le camp d’Auschwitz !!) scène qui en dit long sur le commandant Höss.

A la toute fin du film, alors que la réunion des officiers nazis, est terminée et que le sort des centaines de milliers de Juifs hongrois ( plus de 400.000) vient d’être réglé ( ils seront exterminés entre mai et juillet 1944) H¨oss, solitaire descend un escalier et semble pris d’une envie de vomir. Sursaut d’une conscience, d’une petite parcelle d’humanité ??

Mais le film montre que ce même homme est aussi un horrible tortionnaire officier de la SS ( Obersturbannführer) le commandant du centre de mise à mort d’Auschwitz. Et que cet homme qui avait dirigé plusieurs camps de concentration, a tout fait pour perfectionner la machine de mort du camp, sans état d’âme ( il assistait à l’arrivée des déportés, à l’atroce spectacle des fours crématoires, et tuait lui même des prisonniers). Il avait donc une pleine conscience des actes qu’il commettait et des ordres de mises à mort.

Ce parfait officier SS désire appliquer les ordres de ses chefs surtout d’Himmler, Reichsführer, dont il fait une sorte d’idole.

On peut penser que cet homme est le  » produit » du système nazi au sens global.

Après une enfance et adolescence difficiles et sans amour , il se précipite dans sa nouvelle famille SS qui le construit.

Ici, on ne peut s’empêcher de penser au film  » Le ruban blanc » de M. Haneke.

Le père de Höss qui le voulait croyant et prêtre a échoué et a entraîné son adhésion à l’ idéologie nazie, qui régnait dans toute la société allemande jusqu’à la fin de sa vie ( cf ses  » Mémoires ») il parle de la  » juiverie » et est convaincu qu’il faut faire disparaître tous les ennemis du Reich ( Juifs, résistants, handicapés..) pour que l’homme nouveau qui régnera Mille ans puisse naître.

Il n’y a pas de place pour le doute, l’esprit critique dans ce système, ce qui compte ce sont les actes ( construire le camp, tuer les déportés, dominer l’Europe ). Il ne peut pas penser ses actes autrement que par sa construction mentale nazie.

La force du film, c’est qu’il décrit Höss, comme un cadre de haut niveau dans un système économique rationnel et performant, puissance économique de l’Allemagne, avec une industrie chimique ( Bayer) à l’oeuvre pour donner la mort depuis la première guerre. Le film cite les noms des principaux trusts industriels impliqués dans la Shoah, lors de la réunion des officiers.

Les historiens ont démontré que le crime de masse a été possible grâce à une industrie basée sur des méthodes d’organisation et de logistique, lesquelles ont permis la faisabilité de ce projet insensé. Le système nazi utilise les méthodes de management mises au point par la République de Weimar ( théorie et pratiques).

C’est donc tout ce système qui permet la création de ce genre d’assassin et J. Glazer veut nous dire que d’autres systèmes après 1945 ont produit d’autre bourreau/assassin.

Il y a la responsabilité de l’individu mais aussi celle de la société dans laquelle on vit l’individu.

Le film nous parle de la destruction des Juifs il y a 80 ans et nous dit à voix basse aujourd’hui que pensons -nous et que faisons-nous ???

Françoise

Promenade à Cracovie de Mateusz Kudla, Anna Kokoszka-Romer

Titre original : Polanski, Horowitz, Hometown

En Angleterre le film est sorti sous le titre : The wizards from the ghetto.

Ce documentaire est sorti le 5 juillet 2023 en France mais il a été boycotté avant même d’être vu. Les exploitants de salles ayant invoqué (pour une minorité) la peur des manifestations contre Polanski, beaucoup ont préféré se réfugier derrière l’argument de la faiblesse supposée du documentaire (Polanski lui-même à un moment se retournant vers les cameramen en leur reprochant de ne pas les filmer correctement).

Ce film n’est donc sorti que dans une minorité de salles, et n’a cumulé qu’une dizaine de milliers de spectateurs depuis juillet.

Ce qui est vraiment paradoxal, dans la mesure où les institutions politiques, et éducatives insistent sur la nécessité du devoir de mémoire. Alors que les survivants de la Shoah disparaissent, la censure fait, que peu de personnes peuvent écouter les souvenirs d’enfance de deux victimes de cette période aujourd’hui octogénaires qui sont deux témoins survivants, artistes et connus mondialement.

La genèse du film :

Ce sont deux jeunes réalisateurs polonais (Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer) qui sont à l’origine du film, et non pas le cinéaste.

Polanski, toujours poursuivi depuis 1977 pour l’affaire du viol sur mineure, et donc susceptible d’être extradé de nombreux pays (alors qu’il a fait de la prison, et que la victime a pardonné et demandé l’arrêt des procédures aux Etats-unis) se trouvait à Cracovie en 2015 pour venir témoigner dans le cadre d’une demande d’extradition déposée en Pologne, et il déambulait dans les rues de Cracovie où il n’avait pas remis les pieds depuis son enfance.

Au même moment un jeune cinéaste polonais, Mateusz Kudla, qui voulait réaliser un film sur Polanski, rencontre son avocat. C’est ce dernier qui souffle l’idée d’un film reposant sur l’utilisation des décors de la ville de Cracovie et la recherche des lieux de son enfance. Il réalise ce travail avec une autre cinéaste, Anna Kokosszka-Romer.

Polanski a donné son accord à condition de pouvoir associer à ses déambulations son ami du ghetto et de toujours, Ryszard Horowitz, célèbre photographe, qui lui aussi revient pour la première fois à Cracovie.

Il ne s’agit donc pas d’une biographie, mais de recherches sur les traces de vie de deux enfants juifs, qui se trouvent à partir de 1939 (occupation d’une partie de la Pologne par les Allemands) aux prises avec la politique antisémite nazie et qui découvrent l’horreur du ghetto de Cracovie et des camps d’extermination.

Pour préparer le film et découvrir les lieux (appartements, synagogues, tombes) les deux jeunes réalisateurs enquêtent pendant deux ans et aboutissent à de vraies découvertes : les anciens appartements où Horowitz et Polanski vivaient, la campagne où Roman à vécu caché chez des paysans.

Le film raconte cette expérience horrible de la guerre et de la chasse aux juifs qui vont les marquer à vie.

La mère et la grand-mère Polanski seront assassinées à Auschwitz, le père sera déporté à Mauthausen et c’est lui qui permet au jeune Romek de s’échapper du ghetto et de survivre. Son fils ne le reverra qu’à l’âge de 10 ans (belle scène quand revenant dans l’appartement, Polanski s’assied à la place qu’il occupait après la guerre face à son père). Quant à Horowitz, sa famille a survécu grâce à Schindler mais n’a pu empêcher la déportation du petit Richard, qui montre son numéro de matricule à son ami.

Le documentaire fait aussi allusion, par le souvenir de Roman Polanski de la poursuite des pogroms après la guerre en 1945 et 1946 (il raconte qu’il a aidé une personne à se cacher dans le grenier de son appartement). La Pologne fait alors partie du bloc de l’Est, est soumise au régime communiste et à l’URSS.

Un film sur la mémoire de la Shoah, à Cracovie :

Ce documentaire montre l’indéfectible amitié qui lie les deux hommes, leur complicité et les souvenirs qui les unissent.

On voit la ville de Cracovie, en noir et blanc, photos tirées d’archives pendant la guerre, avec le quartier juif (Casimir) puis des images de la persécution des juifs après 1939, la population affamée et martyrisée.

Des images en couleur accompagnent la déambulation des deux amis, aujourd’hui dans une ville rajeunie qu’ils ne reconnaissent pas toujours mais qu’ils adoptent, en partageant un repas pris sur la place principale, une bière (qui leur est offerte) et des saucisses grillées, après avoir devisé avec des Polonais et des touristes, tout en faisant la queue (comme au temps des communistes !).

Un humour constant :

D’entrée le film est marqué par un regard joyeux sur nos deux octogénaires (au moment du tournage Polanski a 88 ans et Horowitz 83) et la scène dans le taxi qui les conduit de l’aéroport à la ville, où Polanski enlève les poils du nez de son ami est emblématique de l’humour assez permanent qui se dégage de leur rencontre.

La scène où le cinéaste décrit, face à la tombe de son père, l’enterrement de ce dernier sur le mode comique où les deux protagonistes rient aux éclats, montre aussi la rage de vie de ces deux-là et leur volonté, non pas d’oublier mais de résister et de vivre.

On a vraiment du mal à imaginer, leur âge, et toutes les épreuves qu’ils ont traversées lors de leur enfance, qu’ils racontent, alors que la caméra les montre alertes, vifs, et plein d’énergie.

En tant que juifs leur famille a été arrêtées et emprisonnées dans le ghetto, où ils étaient victimes de violences, de la faim et de la peur en permanence.

Polanski, se souvient d’un garçon, voisin, un peu plus vieux que lui, qui a été arrêté. Autre image atroce, celle d’une vieille femme, qui victime d’une marche forcée, n’en peut plus et est abattue par une balle dans le dos, dont le sang jaillit tel un geyser.

La mémoire du cinéaste qui se souvient des différents lieux de vie et d’enfermement est fabuleuse et doit pouvoir être utile aux historiens.

De même lorsqu’il retrouve le petit-fils de la famille paysanne pauvre, qui l’a caché jusqu’à la fin de la guerre. Un grand moment d’émotion, quand celle-ci le submerge alors il se tait et la caméra arrête de filmer.

Horowitz, regrette la visite de l’ancien appartement familial donnant sur la place du marché, transformé au point de pouvoir effacer les souvenirs de l’époque.

Le documentaire travaille beaucoup sur ce qu’est la mémoire, sa fidélité et sa résistance au réel retrouvé mais tellement changé.

Film traversé de profondes émotions, d’images horribles et de joyeuses déambulations, de regards inoubliables et de lieux qui témoignent d’une histoire abominable.

Mais le temps efface et transforme les lieux de mémoire, Cracovie, ville devenue le lieu du tourisme de masse (Disneyland pour le réalisateur du « Pianiste ») ne protège plus la mémoire des massacres qui nous est restituée par les corps et les paroles de deux vieillards qui rendent ce film si beau et si nécessaire.

Françoise

Le nom des gens – Michel Leclerc-Prades 2023

Une cuvée très drôle, comique et humaniste. (Ça fait du bien !)

 » Le nom des gens » est sorti en novembre 2010 et beaucoup d’entre nous en avait de bons souvenirs mais lointains. Le revoir fut un vrai délice et une franche rigolade mais pas que.

Il s’agit du second long-métrage du couple Baya Kasmi et Michel Leclerc, les scénarios étant écrits à quatre mains et en général, leur vraie vie est à la source de leurs histoires filmées.

Leurs films sont ouvertement politiques et de gauche. Pour eux  » l’objectivité c’est la conscience du parti pris », d’où la présence de Lionel Jospin, ancien Premier ministre socialiste qui joue dans le film et prononce ses propres paroles tandis que la France est dirigée par Jacques Chirac (à l’époque la droite c’est l’UMP). Cette apparition de Jospin (justifiée par le fait que le personnage masculin, Arthur Martin interprété par Jacques Gamblin est fan de Jospin et c’est son cadeau d’anniversaire). Séquence surprenante et très drôle qui vaudra à L. Jospin de fouler le tapis rouge de Cannes.

C’est l’histoire d’une jeune femme, la trentaine, extravertie, interprétée par l’extraordinaire Sara Forestier (M. Leclerc nous expliquera que le rôle avait été proposé à Leila Bekhti et Maïwenn, qui avaient refusé car il y avait des scènes à poil). Elle s’appelle Bahia Benmahmoud et tout le monde pense qu’elle est brésilienne alors qu’en fait sa mère est une bobo française et son père un immigré algérien. Lui, c’est Arthur Martin comme l’électroménager, superbement interprété par Jacques Gamblin et dont le père dans le film est l’acteur Jacques Boudet (reconnu grâce à ses rôles chez Guédiguian).

Elle est vraiment de gauche et pense que  » tous les mecs de droite sont des fachos » alors pour que la gauche l’emporte elle décide de coucher avec le maximum de mecs de droite pour les convertir aux idées de gauche. Et c’est là que sa route croise celle d’Arthur Martin. Elle pense qu’il est de droite, en fait il est vaguement d’origine juive, partisan acharné du principe de précaution (c’est un scientifique spécialiste de la grippe aviaire) et politiquement il aime Jospin…

Une comédie politique, qui fonctionne aussi bien dix ans après. Oui car ce n’est pas un film militant mais avec un humour constant, une belle histoire d’amour, un rythme effréné, des acteurs au top dont la formidable Sara Forestier qui en 2011 décrochera le César de la meilleure actrice. Sous des dehors un peu foufous et un foisonnement de scènes se révèle des sujets graves ; l’identité, l’histoire familiale et celle de la France, la colonisation, le communautarisme, l’intégrisme religieux, la laïcité.

Les références cinématographiques de M. Leclerc sont ici celles de Woody Allen et de R. Guédiguian. L’image incorpore le « 8 mm » et le « 16 mm » sur la vidéo HD, tandis que la musique originale mêle le romantisme aux rythmes orientaux, toujours le mélange. Mélange des espaces, des temps, des idées.

Le couple improbable du film ressemble finalement à tous les couples français et le film se termine par une naissance et l’élection de N. Sarkozy. Le bébé crie tandis que M. Mathieu braille La Marseillaise… Arthur et Bahia avec leur bébé se promènent main dans la main, tandis que la voix off pose une question le film :  » de qui nos enfants seront-ils les étrangers ? » Donc l’espoir reste on peut construire un monde pour tous les êtres humains.

Merci à Michel Leclerc pour sa sincérité, son franc-parler, son humanité et son humour indéfectible.

Françoise

Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles- Chantal Akerman

Gestes de l’enfermement d’une femme pendant trois jours ou l’enfermement d’une femme ?

Sur la genèse du film :

Selon Chantal Akerman, voici la genèse du film « Une nuit j’étais dans mon lit en train de somnoler et tout à coup, j’ai vu le film, Juste une serviette-éponge posée sur un lit, des billets déposés dans une soupière… Mais ça a suffit pour que le film m’apparaisse » Elle a eu la vision d’un film unique, inimaginable, immense alors qu’elle a tout juste 25 ans et qui, comme la Maman et la putain de Jean Eustache, va excéder toute son œuvre.

Sur la durée de son film Chantal Akerman dit :

« Vous savez quand la plupart des gens vont au cinéma, le compliment ultime, pour eux, c’est de dire : « On n’a pas vu le temps passer. Avec moi, « tu vois le temps passer », vous sentez aussi que c’est le moment qui mène à la mort. Il y a de ça, je pense. Et c’est pourquoi il y a tant de résistance. J’ai pris trois heures de la vie de quelqu’un ».

Sur son intention :

Raconter ce qui s’est passé pour Jeanne Dielman du mardi 17 heures au jeudi 18 heures de la même semaine. Elle voulait le dédicacer à sa mère mais elle en a repoussé l’idée par pudeur ou autocensure. Elle dit aussi qui si elle n’avait pas connu sa mère elle n’aurait pas fait ce film, qui pourtant n’est pas le portrait de sa mère.

Sur le réalisme ou le non-réalisme du film ?

Chantal Akerman : « Tout le monde pensait que « Jeanne Dielman » était tourné en temps réel, mais le temps est totalement recomposé pour donner l’impression d’un temps réel ».

J’étais là avec Delphine et je lui disais « Quand tu poses les wiener schnitzels comme ça, fais-le plus lentement. Lorsque tu prends le sucre, avance plus rapidement. Quand elle demandait pourquoi ? Je répondais « Fais-le,  et tu verras pourquoi plus tard. Je ne voulais pas la manipuler. Je lui ai montré par la suite et lui ai dit : Tu vois, je ne veux pas que ça ait l’air réel, je ne veux pas que ça ait l’air naturel, mais je veux que les gens ressentent le temps que ça prend, ce qui n’est pas le temps que cela prend vraiment »

« Mais ça, je ne l’ai vu que pendant que Delphine faisait les gestes. Je n’y avais pas pensé avant ».

Certains critiques pensent que le film est anti-réaliste et pour prouver cette thèse opposent deux stratégies à l’oeuvre dans le film :

La première qui consiste à mimer le réalisme par un travail de l’excès ; l’œuvre en fait trop, elle est trop construite trop élaborée pour être crédible « c’est trop beau pour être vrai ».

Montrer le jeu des acteurs avec une actrice très distanciée bien coiffée aux gestes impeccables, répétés, les symétries qui organisent le récit et les images.

La deuxième stratégie est fondée sur le manque ; Le récit s’organise autour d’un point vide, d’une faille, qui polarise le regard et casse le réalisme en défaisant l’apparente continuité narrative.

Dans le film ce qui est montré en temps réel ne s’applique pas de façon uniforme à tous les moments du film. Ce qui est montré est réservé à certaines séquences qui s’articulent à tout ce qui n’est pas montré. (Par exemple, les scènes de prostitution, la porte est fermée). Les fameuses scènes en temps réel – épluchages et vaisselle – ne sont compréhensibles que si on les rapporte à toutes les ellipses du film, d’où provient leur pouvoir de fascination.

Jeanne Dielman est un film de gestes

Chantal Akerman n’est ni une intellectuelle ni une théoricienne, elle travaille avec ses sensations. Elle a fait ce film pour donner une existence cinématographique aux gestes. On observe deux programmes dissociés des gestes dans la journée : Les gestes ménagers, mettre la table, la vaisselle, le nettoyage et celui de la prostitution. Dans une continuité, sans mémoire pour les unifier.

Cela est possible grâce au génie de l’actrice Delphine Seyrig. Elle a une technicité dans son jeu, une perfection inhumaine. Aucun de ses déplacements n’est inutile, aucun de ses gestes superflus. Tous les gestes sont décomposés en micro-gestes. Delphine Seyrig ne met pas la table, elle effectue les dix gestes dont la succession a pour effet que la table soit mise. C’est une mère-machine, une mère-automate avec une dimension robotique. C’est aussi une belle femme bien coiffée, avec un beau port de tête, car les hommes s’imaginent toujours que les femmes qui sont dans leur maison sont laides !

Chantal Akerman ne voulait pas « utiliser » Delphine Seyrig comme une star ( Ce qu’elle était depuis de début des années 60 avec  les films d’Alain Resnais ) mais comme une humble interprète de la femme que Chantal Akerman avait dans la tête c’est à dire d’une femme ordinaire prisonnière de son enfermement.

Sur l’interprétation du film à partir d’éléments biographiques de Chantal Akerman :

Jusqu’à l’âge de 8-9 ans, elle vit avec ses parents et son grand-père qui ne parlait pas français, tous très religieux et qui vivent comme en Europe de l’Est avec des rituels juifs.

Elle dit que les rituels du film remplaçaient le rituel juif où chaque geste de la journée est ritualisé. Les gestes sont restés qui apportent une sorte de paix qui chasse l’angoisse.

Mais c’est d’abord une Histoire de femme à cause de sa mère adorée et parce qu’elle a vécu toute sa jeunesse avec les trois tantes de sa mère et les trois sœurs de son père (Père avec lequel elle ne s’entendait pas ne l’a revu que quelques années avant sa mort).

Sur la bande-son

Les ingénieurs du son ont fait un second tournage uniquement sonore en reproduisant et en enregistrant chaque son de façon isolée ; les portes qui grincent, l’interrupteur, le bruit de la vaisselle. Au mixage cela donne un niveau sonore plus élevé que d’habitude accentuant l’hyperréalisme du film.

De la même façon que l’image rendait visible des gestes invisibles du quotidien, la bande-son devait rendre audible des sons qu’on n’entend pas d’habitude.

Un film féministe ?

Selon le Monde à la sortie du film en 1976 :  » Premier chef-d’œuvre au féminin de l’Histoire du cinéma ». Pour la première fois 80 % de l’équipe technique est féminine, y compris pour le chef opérateur et pour le montage réservés d’habitude aux hommes.

La femme est au centre du film et dénonce l’aliénation dont sont victimes toutes les femmes de la part de la société et des hommes qui la dirigent.

Mais ce n’est pas un film militant. Jeanne Dielman n’est pas un moyen c’est une fin, ce film ne sert aucune cause. Il sert son existence propre, elle est cinématographique.

Françoise

Sous les Figues-Erige SEHIRI

PORTRAIT DE JEUNES FILLES EN LIBERTÉ

Film de Erige SEHIRI, tourné pendant l’été, en 2020 et 2021, dans le nord-ouest de la Tunisie. Il s’agit de son premier long-métrage de fiction, après un premier long documentaire « La voie normale » réalisé en 2018 sur les cheminots tunisiens.

L’universalité du désir d’émancipation des jeunes femmes.

Le film très sensible et fin, combat nombre de clichés sur la mentalité des jeunes filles vivant dans des régions reculées, pauvres et rurales. Ici les environs de Kesra, située à 170 km de Tunis, connue intimement par la réalisatrice puisque c’est la région natale de sa famille.

Alors qu’avec notre mentalité occidentale, nous pouvons imaginer les jeunes salariées agricoles, non qualifiées et précaires, comme vivant dans la dépendance de la tradition, Érige Sehiri, nous montre au contraire, des jeunes modernes et connectées (elles font des selfies, échangent sur Facebook, Instagram et Whatsapp).

De nombreux plans du film, mettent en scène ces jeunes (garçons ou filles consultant leur portable). Les réseaux sociaux ne sont pas l’apanage des pays dits développés et la modernité mondialisée souffle des idées nouvelles sur ces jeunes générations.

Ce qui permet de mettre en valeur la fracture générationnelle, entre le groupe des femmes plus âgées (dont Leila) et les jeunes. Le choix ayant été fait de ne pas montrer les générations intermédiaires.

Déjà la division du travail agricole (entre les jeunes garçons et filles qui cueillent les figues) et les plus âgées, assises, qui les calibrent et les rangent délicatement dans les cagettes, accentue, l’écart entre ces femmes.

Alors que les conversations des jeunes filles (si belles.) entre elles ou avec les garçons (Abdou ou Firas) portent surtout sur les relations amoureuses, les expériences passées ou présentes et même sur les relations sexuelles (discussion entre Firars et le patron) les femmes âgées se plaignent des maux de leur corps, de leur passé amoureux douloureux et de l’impossibilité qu’elles ont eus de choisir et de vivre leur amour (sublime chanson nostalgique de Leila).

La modernité de Fidé, Melek, Sana et d’autres éclate par leur liberté de ton , entre elles, vis-à-vis des garçons avec qui elles travaillent et surtout avec leur patron.

Lors de la scène de la paye où ce dernier distribue ses dinars avec une parcimonie thénardienne, les femmes osent critiquer et réclamer leur dû avec véhémence voir violence.

Leila qui fait remarquer sa fidélité à la famille du patron, la qualité de son travail et surtout sa surveillance et dénonciation des chapardeurs ou feignants (bel héritage de la dictature).

Melek dont le chef veut acheter le silence, après l’avoir agressée, par un royal billet de 20 dinars, qu’elle refuse en le traitant de « connard ».

Plus généralement ces jeunes tunisiennes savent dire NON aux avances des hommes et ont appris à refuser, ce qui est un espoir énorme.

Le port du voile ou du foulard qui est diversement montré dans le film est un autre indice de cette modernité. Beaucoup portent le hidjab, mais aussi le foulard, de façon décontractée comme Fidé dont le foulard laisse voir la chevelure, et qui tombe régulièrement sur ses épaules, jusqu’à disparaître dans la scène finale du retour dans le camion où les cheveux de Melek et de Fidé flottent au vent, beau symbole de liberté.

Les traditions subsistent ainsi que les crises politique et économique.

La révolution de 2011, a apporté beaucoup d’espoir et de changement au niveau des mentalités, et des prises de conscience mais l’Histoire depuis a reculé, les difficultés économiques persistent.

Ces travailleurs saisonniers, payés une misère, travaillant 10 heures par jour, sans contrat de travail, sans Sécurité sociale, soumis au bon vouloir du patron qui peut les renvoyer du jour au lendemain et qui vivent dans une grande précarité (voir la scène où Abdou orphelin demande sa paie du jour).

Si le film a été tourné dans un verger sous les feuilles, donnant l’impression d’un huis clos c’est pour souligner l’enfermement de ces jeunes dans un système, un pays où la nature est prodigue mais pas le contexte politico-économique qui leur laisse peu de marges.

Et dont le travail peut présenter des dangers. Dans les transports quotidiens avec de vieilles camionnettes qui sont de vraies bétaillères, difficiles d’accès pour les femmes âgées, où sont ballottés les travailleurs. Sans parler des accidents fréquents (vu l’état des routes) qui font des morts et de nombreux blessés.

Persistance du patriarcat et des mentalités machistes chez certains hommes, dont Melek est victime dans le verger lorsque le patron l’agresse.

Il y aurait dans le milieu agricole de nombreuses agressions sexuelles et même viols, que la réalisatrice a refusé de trop montrer pour ne pas diaboliser les hommes qui dit-elle sont aussi les victimes du système, des traditions.

Au-delà de ces remarques générales nous retiendrons, la joie, la beauté de ces visages filmés en plans serrés, cette sensualité qui se dégage des corps, des gestes graciles qui cueillent ces fruits gorgés de sucre, cette sororité lors des échanges , du repas partagé, des regards, des corps qui se touchent, se frôlent, se parlent.

Et ces scènes finales si belles, avec le maquillage des saisonnières agricoles qui se muent en jolies jeunes filles souriantes, vers leur vie et qui chantent toutes ensemble lors du soleil, couchant. L’avenir est devant elles et il peut être beau.

Erige, nous attendons avec impatience votre deuxième film…

Françoise

Municipale- Thomas Paulot…

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

MUNICIPALE : Quand la fiction est fracassée par le réel.

Les réalisateurs scénaristes sont trois amis depuis le lycée ; Thomas Paulot, Ferdinand Flame et Milan Alfonsi. Le déclic est venu pour ces trois amis, lors des élections présidentielles . Il s’agit donc d’un travail collectif, dont l’écriture a commencé en 2018 lorsque Thomas Paulot a terminé ses études d’Art dans des écoles en Suisse. Au départ, il voulait tourner un film dans le village de son grand-père ( comme Sylvain Desclous pour  » La campagne de France » tourné à Preuilly -sur-Claise ) localisé dans les Ardennes . Mais le village ne comptant que 60 âmes, l’échantillon était trop restreint c’est là que Revin ( cité ex- industrielle ) 7.000 habitants s’est imposée.

L’idée clé de départ se résume en une phrase, tel un mantra :  » Se servir de la fiction pour générer un documentaire ». A partir de là, ils découvrent une littérature liée au municipalisme, à l’autogestion et à la crise du système représentatif. Concrètement, l’idée du film ( originale ) mais risquée, réside dans l’engagement d’un acteur professionnel ici Laurent Papot ( donc fictionnel et engagé par un contrat de travail comme il le répète à plusieurs reprises ) pour monter une liste composée de vrais citoyens de Revin, à laquelle il se présente comme tête de liste pour être élu maire. Mais il l’affirme, s’il est élu, comme il est acteur et non homme politique il démissionnera pour laisser la place aux citoyens de Revin ( idée de mise en pratique de l’autogestion ).

Pendant presque un an les trois réalisateurs ont sillonné les rues de Revin cherchant à développer des liens avec les habitants et leur expliquant leur projet de film et de politique . Il s’agit d’un projet de cinéma expérimental, qui rapidement est mis à mal par la confrontation au réel.

Le film débute par l’arrivée de l’acteur/ futur maire dans le scénario, Laurent Papot, sous la pluie et le froid, dans ces beaux paysages de forêts ardennaises traversées par les méandres de la Meuse ( mais si , mais si c’est beau ! ). Assez rapidement s’installe un des rares dispositifs du film qui marchera ; le local de campagne, lieu neutre de rencontres entre les Revinois et l’acteur et les techniciens ( la décision a été prise par les réalisateurs de ne jamais montrer le matériel, caméra, perche)

Mais les lignes sont brouillées entre le vrai et le faux, et le spectateur se retrouve inévitablement en proie au doute tout comme les habitants de Revin, quant à la sincérité du candidat, dont le programme électoral réside dans l’unique idée de donner la direction de la ville aux habitants. Le candidat /acteur, Laurent Papot, lui-même est dérouté et le film s’éloigne de plus en plus du scénario d’origine. L’hypothèse de départ est sans cesse bousculée et beaucoup de Revinois ont lâché l’affaire assez vite, la campagne tournant sur les problèmes de représentativité plus que sur les contenus politiques. Un groupe (d’hommes surtout ) croit au projet, comme Karim, ce sont des syndicalistes, militants de gauche, déçus et intéressés par l’idée de réinventer le politique;

L’acteur lui-même doit rectifier le tir, surtout après l’échec de la formation de la liste, il apparaît déçu, fatigué mais a su faire de ses difficultés des idées de mises en scène et de relance du film. Le réel pourtant s’invite de manière à la fois politique et cinématographique, avec la scène tournée dans la fonderie, les paroles de la jeune Jenifer, qui crie son désespoir devant l’inaction du politique ou l’intervention du leader des gilets jaunes.

Le réalisateur explique que dans son film il n’est pas question de vrai ou faux mais de croyance. Croyance à la fiction, au cinéma et à la politique. Ce film a produit beaucoup de fiction mais n’a pas eu d’action sur le réel ( quelques amitiés entre l’équipe du film et des militants tels Karim). Le film est devenu davantage un documentaire sur un comédien en train de jouer..

D’où un très long travail de montage, d’août 2020 à mars 2021, il y avait 200 heures de rush et 900 heures de déruschage ont été nécessaires !

Au final, le projet ayant été conçu par des cinéastes urbains et parisiens, le résultat n’est pas étonnant mais Revinois et cinéastes s’accordent pour reconnaître qu’il faut refonder notre vie démocratique.

Françoise

La campagne de France-Sylvain Desclous

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

En passant par la Touraine, les Ardennnes …et le politique.

La Campagne de France de Sylvain Desclous, un film plus poétique que politique, burlesque et humaniste.

Il s’agit du deuxième long métrage de Sylvain Desclous, qui a déjà posé plusieurs fois sa caméra dans le village de ses ancêtres et où il a passé ses vacances. Preuilly-sur-Claise, commune rurale de mille habitants, située au sud de la Touraine, loin de l’attraction des villes.

Fin 2019, le réalisateur qui sillonne le village depuis des mois, pense tenir son sujet, avec l’approche des élections municipales.

S’il nous fait vivre la campagne électorale avec ses grands classiques : distribution de tracts, réunions, discussions, il dresse surtout le portrait de son village et de certains habitants.

Jacky ( déjà figure de précédents films de l’auteur ) apparaît au début du film, fracassé par une vie dure et arrosée, mais s’exprimant avec sagesse :  » Je ne vote pas toujours pour celui qui passe, mais je vote toujours bien « !.

Mais l’image et le son priorisent le couple de la troisième liste formé par Mathieu et Guy . Mathieu 38 ans, est revenu vivre au village depuis deux ans dans la maison familiale. C’est un normalien, consultant en intelligence artificielle. Il a des atouts, il défend sa vision et ses idées au travers de sa liste :  » Vivre et agir pour Preuilly » sans étiquette politique même s’il dit en aparté qu’il est  » plus gilet jaune que macroniste ».

Ses parents sont du village-, le père malade ( émouvantes scènes entre lui et son fils à l’EPADH ) est l’ancien photographe du village et sa mère était la directrice d’école. Il nous apparaît sympathique avec ses longs cheveux flottant au gré de sa démarche un peu hésitante, et son manteau un peu large, sa voix douce et sa tranquille détermination.

Il est tout neuf en politique, il y croît, et nous embarque dans le rêve du futur habitant de Preuilly, qui télétravaille, trouve des places à l’école pour ses gamins, se nourrit de produits sains ( voire bio ) en circuit court, tels ces beaux fromages de chèvre à 4 euros , alors qu’à Paris les mêmes valent 12 euros, sans parler des champignons qui tendent leurs pieds aux cueilleurs. Son vrai problème c’est que les gens de Preuilly ne le connaissent pas ( il a quitté le village depuis le CM2 ).

D’où son colistier Guy 74 ans, un natif de Preuilly, grande gueule et plutôt de gauche qui rêve de politique et de mairie, tout étant le mal aimé du village. Le réalisateur le connaît depuis toujours et pense qu’il sera un bon acteur devant la caméra. Personnage attachant, bon vivant, parlant fort, jouant du cor, dansant , roulant dans un coupé Mercedes, bref une figure locale et une vraie figure de cinéma.

Et c’est dans le portrait de ce couple que Sylvain Desclous tient son film. Avec un mélange de relation père/fils, maître et disciple ( toutes ces discussions chez Guy ). Il y a beaucoup de tendresse dans ces visages, ces regards, et dans les larmes versées à la fin par Guy qui en font un beau moment de cinéma.

On peut se souvenir aussi de l’humour, ( lorsque les électeurs pressent un candidat de parler de son programme et que ce dernier ( Patrick ) leur renvoie la question, ce sont aux électeurs de proposer des idées ) ou la scène improbable avec le journaliste,

Mais il n’y a jamais de moquerie ou d’ironie, mais de l’empathie. Le cinéaste parle de son village en le filmant avec amour et lucidité, il restitue un petit morceau d’histoire et un beau regard sur les hommes de ce village.

Françoise

Quel est votre film préféré? Aujourd’hui : Les vacances de Monsieur Hulot

«  LES VACANCES DE Mr HULOT »

de Jacques Tatischeff dit Tati.

Auteur, scénariste, réalisateur, acteur.

Comédie sortie en 1953, qui a connu trois versions. Durée 1h28

Tati est un humaniste drôle, une personne bienveillante, qui veut nous faire rire, mais n’est jamais cynique ou méprisant. C’est un artiste qui croit en l’Homme ( forte dimension sociale dans son œuvre). Le film est en noir et blanc.

Pourquoi penser aux «  Vacances de Mr Hulot » comme l’un de ses films préférés ?

La réponse est en partie dans le titre du film.

 Le premier mot «  vacances «  tout un symbole pour nous.

 C’est l’été, il fait beau, et ce sont des vacances à la mer, plus exactement près de St Nazaire sur la plage de Saint –Marc – sur – Mer. La plage dans notre imaginaire ouvre immédiatement plein d’images, d’odeurs, ( l’ambre solaire ) de bruits ( les vagues, les enfants, le vent) de souvenirs, plus ou moins lointains ( l’enfance , l’adolescence ). C’est un moment à la fois intime, la vie amoureuse, les copains, copines, et collectif ( le mois d’août tout s’arrête) .

Le deuxième terme «  Mr Hulot » ce personnage unique, le double de l’auteur, mutique, il prononce peu de mots et quand il parle on ne comprend pas ce qu’il dit ( voir la scène où il arrive à l’hôtel et doit prononcer son nom, avec la pipe dans la bouche ! oulo, ulo, il doit s’y reprendre à je ne sais combien de fois pour que l’hôtelier le comprenne. C’est un monsieur au visage assez ingrat, qu’on ne voit pas vraiment en très gros plan ( mais on voit sa pipe ) dont le corps longiligne et maladroit traverse tous les plans du film .

Il n’est pas comme les autres vacanciers, c’est une sorte d’exclu, il marche vite, à grandes enjambées,  le corps incliné, la pipe au bec.

Il est amoureux de la jolie vacancière qui habite en face de l’hôtel ( Martine ) mais toutes ses tentatives amoureuses échouent et quand il arrive à danser avec elle, c’est lors d’ un bal masqué ( son déguisement le protège).

Les lieux sont presque uniques : l’hôtel et la plage.

Le temps : un mois, le temps des vacances .

Les gags à la base du film. Il y en a plein, ils sont fondés sur la répétition le plus souvent tournés en plan séquences et requièrent la participation du spectateur. ( comique burlesque inspiré du muet avec des bruits).

Les personnages

Ils sont bien cernés, ce sont les vacanciers ; qui reviennent tous les étés à l’hôtel, se connaissent. Ce qui permet au réalisateur de critiquer une certaine mentalité petite bourgeoise, la vie est ritualisée et hiérarchisée. La cloche sonne l’heure des repas, ces derniers sont pris dans la salle à manger, elle aussi rythmée par les regroupements de table, les vêtements choisis par les vacanciers, les occupations diverses ( cartes, lectures, coups de fil répétés à Mr Smutte qui suit tous les jours les cours de la bourse).

Certains personnages sont assez antipathiques, tel le commandant empêtré dans ses souvenirs de guerre, Mr Smutte le financier.

D’autres sont sympathiques, surtout la dame anglaise qui aime bien Hulot ( elle aime sa fantaisie ).

Dans cet ensemble bien réglé, Hulot vient tout désorganiser ..il déboule comme un dingue dans l’hôtel, salit le sol, réveille tout le monde la nuit avec le feu d’artifice, a une voiture qui pétarade .

Il dérange l’ordre et le calme des vacanciers, et il ne fait rien comme tout le monde ( ne fait que des bêtises comme les enfants).

Justement, on peut beaucoup aimer ce film par la présence des enfants, leurs cris, jeux ( à la plage avec une loupe qui grille la peau d’un touriste endormi).

Leur innocence, leur poésie ( ce petit garçon qui monte les escaliers avec une glace dans chaque main est une merveille).

Et ces enfants qui jouent, s’interpellent, leurs babils forment l’un des atouts et charmes essentiels du film : la bande sonore.

Il y a peu, très peu de dialogues dans ce film, ce sont les bruits et la musique qui forment l’essentiel de la bande – son et de la texture du film. Tati disait qu’il préférait le bruit aux paroles..

La musique est d’Alain Roman ( ?) elle est célèbre et nous pouvons l’écouter sur France Culture tous les jours dans l’émission «  Les chemins de la philosophie » d’Adèle Van Reeth.

Musique, enivrante, joyeuse, dynamique, poétique, tout à l’image de ce merveilleux film.

A voir et revoir…

Françoise

It Must Be Heaven-Elia Suleiman(2)

Elia Suleiman, merci pour votre si beau regard triste et malicieux mais implacable sur le monde des Hommes .

En introduction au dossier de presse de « It must be heaven » Elia Suleiman a inscrit un vers du poète palestinien Mahmoud Darwich :

« Où s’envolent les oiseaux après le dernier ciel »

Ces mots résument bien la quête qui sous-tend le film, celle qui déchire un réalisateur qui est né en 1960 à Nazareth et qui se revendique palestinien de Palestine, comme l’affirme l’acteur Gael Garcia Bernal, présentant son ami Elia à une productrice américaine. Au fil des années, il a vécu dans sa ville natale Nazareth, à New-York, à Jérusalem et à Paris. Bien que n’ayant réalisé que quatre longs métrages en 23 ans, tous ses films ont été salués par la critique et projetés dans les plus grands festivals.

Son originalité artistique tient au fait que dans tous ses films c’est lui, son corps ( avec ce si beau regard !!) son beau visage, sa ville natale Nazareth et même sa maison avec la terrasse et son jardin planté de citronniers, ses parents, qu’il filme inlassablement comme s’il avait peur que cette réalité s’évanouisse ? D’ailleurs le temps est à l’oeuvre puisque après avoir vu les parents et leur fils Elia en 1996 dans  » Chronique d’une disparition » puis la maladie du père ainsi que son décès on voit dans  » Le temps qu’il reste » 2009 la maladie de la mère et dix ans plus tard nous voyons Elia trier les affaires de sa mère dans sa chambre, avec la Vierge sur la table de nuit, allusion à sa famille chrétienne et non musulmane et finalement se débarrasser du déambulateur et des affaires de la défunte mère.

Une page est donc tournée, il ne reste que la maison familiale qui ouvre et clôt le film, 23 ans ont passé, le cinéaste a bien tenté de résister à l’occupation toujours plus forte d’Israël, par ses images non violentes mais le constat est là, sa ville natale est arabe israélienne et le temps n’a fait apparaître aucune solution.

Reste le ciel, l’espace où l’on peut s’envoler vers un monde qu’il imagine plus paisible et humain loin des violences et de l’armée qui caractérisent le conflit israélo-palestinien. A Paris d’abord où il vit depuis quelques années et New-York où il a vécu plus de dix ans.

C’est ainsi que munit d’une paire d’ailes ( cf l’affiche du film de Floch) une série de saynètes aux images centrées sur la figure de clown-triste E.S nous promène de Paris à New-York. Ce personnage qui est le double de l’auteur et qui s’appelle E.S est interprété par le réalisateur. » Je ne peux pas envisager de ne pas jouer dans mes films. Car j’y mets toutes les facettes de ma personnalité : ma vision de réalisateur bien sûr, mais aussi mon jeu d’acteur, mon aspect tragique, mon côté comique et mon goût pour la rêverie. Je veux tout à la fois réaliser et jouer car je garde un réel espoir sur le pouvoir du cinéma ».

Pourquoi ce personnage est-il muet ? ( il ne prononce que les mots Nazareth et palestinien dans un taxi ce qui permet le jeu de mots sur Karafat/Arafat ). Muet car c’est l’expression d’un refoulement, d’un interdit de la parole, de la difficulté de s’exprimer ancrée dans son enfance ( par exemple l’occupation de la Palestine est un sujet tabou).

…Et dans tout son film les SONS remplacent les MOTS .

E.S est un observateur mutique, un témoin pensif avec son chapeau ( il en a toute une collection ) ses yeux écarquillés, rieurs, réprobateurs , ses sourcils levés etc.. quel visage et quel regard ( comparé souvent à Tati, Keaton) . Ses méthodes de travail et façons de filmer n’ont pas changé. Tout part de l’observation minutieuse du réel qu’il note dans des carnets. Ses films sont construits par une succession de tableaux de la vie quotidienne, le plus souvent en longs plans fixes, garnis de gags répétitifs ( ici les poursuites avec les policiers dans tous les lieux qui évoquent bien sûr l’occupation son pays, la présence récurrente des armes sous toutes ses formes et lieux, du cheval de la garde à Paris au bazooka new-yorkais..les chorégraphies).

Ses films sont caractérisés par l’ABSURDE. Le sens de l’absurde permet d’échapper au tragique, au pessimisme . Il utilise aussi la durée et la fixité des plans ainsi que la discontinuité de la narration. Par exemple, pour la mesure de la terrasse de café à Paris par les policiers la scène est coupée puis reprise. Idem à New-york pour la poursuite de l’ange Femen avec le drapeau peint et l’inscription  » Free Palestine « .

Sur l’HUMOUR qui est une règle mais surtout une ARME. Quant il claque la porte sur le pilote  » bienvenue à Paris » la scène avec le Samu 75 et le SDF  » Alors monsieur pour le déssert panacota ou tiramitsu au chocolat » ?. Et lorsqu’il quitte l’Amérique avant de rejoindre Nazareth, la trop drôle scène ( virtuelle ) du contrôle à l’aéroport où E.S confisque l’appareil de sécurité et nous donne des images de twirling. Mais c’est une référence à  » Intervention divine » où il se moque des checks points israéliens. Souvent il y a un deuxième degré de lisibilité du film ..

Elia Suleiman est vraiment un formidable cinéaste qui nous dit que le monde se palestinise ( mauvaise nouvelle ) que la Palestine n’existera pas de son vivant ( ce pourquoi les palestiniens boivent pour se souvenir) mais il nous dit aussi à la fin de son film, où de jeunes filles et garçons dansent avec énergie et enthousiasme sur le tube  » Arabi ana, Je suis arabe, moi » que l’espoir existe et que la vie continue… ( bonne nouvelle finale ).

Françoise

P.S : et…Merci à Marie-Odile pour son beau texte, ci-dessous, dans le Blog des Cramés de la Bobine.

 » Les oiseaux de passage »de Ciro Guerra et Cristina Gallego

Film ethnique, thriller, drame antique et contemporain ?

Une première vision dimanche soir, un peu décevante, j’avais trouvé le film un peu long, un peu inégal et pas toujours clair sur la description certes brillante de cette ethnie mais aussi sur le rôle de l’ultra violence, tous ces morts, cette vengeance qui semble contredire les principes d’existence de la communauté.

La deuxième vision, mardi soir, m’a paru plus claire et cohérente, le drame prenait sens. Le début du film est très séduisant avec ces belles femmes habillées de superbes robes aux couleurs vives. Cet environnement attractif pour nous autres occidentaux, cette nature ( pas toujours facile ) ces beaux objets  » ethniques » que les touristes aiment tant rapporter de leur voyage (sans parler des photos !) et cette superbe introduction en forme de cérémonie pré-nuptiale, un vrai régal. Tout va bien jusqu’au meutre de Moisé par Rapayet son  » frère » et meilleur ami. Le crime a été commis créant la déchirure, la souillure et ne sera « compensé » que par d’autres meurtres.

L’apogée du clan est bien dépeinte pendant la période de prospérité financière ( l’argent de la drogue ) surtout matérielle ( belle maison incongrue en plein désert, camions à foison, alcool à flot et montres bling bling, pistes d’atterrissage, et flingues avec port d’armes ! ). Les deux derniers chapitres ne se remplissent plus que des meurtres, de sang, de détonations et de descente aux enfers pour la famille. Les cadavres jonchent les plans, la maison explose, les sentiments se réduisent à la vengeance et la mort physique mais aussi culturelle, civilisationnelle plane sur tout le film. Rapayer dit avant de mourir  » de toute façon, nous sommes déjà morts » et sa femme Rahia rappelle à sa mère  » qu’il ne sert à rien de vivre en Wajùu si l’on meurt ».

On peut avoir en mémoire les plans de début du film; colorés, joyeux, bavards, le bonheur arrive. Et les derniers où un chant nous raconte cette triste histoire et dans l’image on voit Indira petite fille perdue au milieu du désert avec trois chèvres ! la perte du paradis et la porte de l’enfer..

Sur le sens chacun y verra que la tribu des Wajùus est mortelle comme la Colombie et peut être l’Humanité ?

Pour le cinéma on retiendra des images splendides de femmes, d’hommes d’enfants, d’animaux de paysages, tout ce qui fait la beauté du monde et en lien permanent avec une musique formidable qui comme avec les percussions se fond avec l’image. C’est du grand cinéma.