Sous les Figues-Erige SEHIRI

PORTRAIT DE JEUNES FILLES EN LIBERTÉ

Film de Erige SEHIRI, tourné pendant l’été, en 2020 et 2021, dans le nord-ouest de la Tunisie. Il s’agit de son premier long-métrage de fiction, après un premier long documentaire « La voie normale » réalisé en 2018 sur les cheminots tunisiens.

L’universalité du désir d’émancipation des jeunes femmes.

Le film très sensible et fin, combat nombre de clichés sur la mentalité des jeunes filles vivant dans des régions reculées, pauvres et rurales. Ici les environs de Kesra, située à 170 km de Tunis, connue intimement par la réalisatrice puisque c’est la région natale de sa famille.

Alors qu’avec notre mentalité occidentale, nous pouvons imaginer les jeunes salariées agricoles, non qualifiées et précaires, comme vivant dans la dépendance de la tradition, Érige Sehiri, nous montre au contraire, des jeunes modernes et connectées (elles font des selfies, échangent sur Facebook, Instagram et Whatsapp).

De nombreux plans du film, mettent en scène ces jeunes (garçons ou filles consultant leur portable). Les réseaux sociaux ne sont pas l’apanage des pays dits développés et la modernité mondialisée souffle des idées nouvelles sur ces jeunes générations.

Ce qui permet de mettre en valeur la fracture générationnelle, entre le groupe des femmes plus âgées (dont Leila) et les jeunes. Le choix ayant été fait de ne pas montrer les générations intermédiaires.

Déjà la division du travail agricole (entre les jeunes garçons et filles qui cueillent les figues) et les plus âgées, assises, qui les calibrent et les rangent délicatement dans les cagettes, accentue, l’écart entre ces femmes.

Alors que les conversations des jeunes filles (si belles.) entre elles ou avec les garçons (Abdou ou Firas) portent surtout sur les relations amoureuses, les expériences passées ou présentes et même sur les relations sexuelles (discussion entre Firars et le patron) les femmes âgées se plaignent des maux de leur corps, de leur passé amoureux douloureux et de l’impossibilité qu’elles ont eus de choisir et de vivre leur amour (sublime chanson nostalgique de Leila).

La modernité de Fidé, Melek, Sana et d’autres éclate par leur liberté de ton , entre elles, vis-à-vis des garçons avec qui elles travaillent et surtout avec leur patron.

Lors de la scène de la paye où ce dernier distribue ses dinars avec une parcimonie thénardienne, les femmes osent critiquer et réclamer leur dû avec véhémence voir violence.

Leila qui fait remarquer sa fidélité à la famille du patron, la qualité de son travail et surtout sa surveillance et dénonciation des chapardeurs ou feignants (bel héritage de la dictature).

Melek dont le chef veut acheter le silence, après l’avoir agressée, par un royal billet de 20 dinars, qu’elle refuse en le traitant de « connard ».

Plus généralement ces jeunes tunisiennes savent dire NON aux avances des hommes et ont appris à refuser, ce qui est un espoir énorme.

Le port du voile ou du foulard qui est diversement montré dans le film est un autre indice de cette modernité. Beaucoup portent le hidjab, mais aussi le foulard, de façon décontractée comme Fidé dont le foulard laisse voir la chevelure, et qui tombe régulièrement sur ses épaules, jusqu’à disparaître dans la scène finale du retour dans le camion où les cheveux de Melek et de Fidé flottent au vent, beau symbole de liberté.

Les traditions subsistent ainsi que les crises politique et économique.

La révolution de 2011, a apporté beaucoup d’espoir et de changement au niveau des mentalités, et des prises de conscience mais l’Histoire depuis a reculé, les difficultés économiques persistent.

Ces travailleurs saisonniers, payés une misère, travaillant 10 heures par jour, sans contrat de travail, sans Sécurité sociale, soumis au bon vouloir du patron qui peut les renvoyer du jour au lendemain et qui vivent dans une grande précarité (voir la scène où Abdou orphelin demande sa paie du jour).

Si le film a été tourné dans un verger sous les feuilles, donnant l’impression d’un huis clos c’est pour souligner l’enfermement de ces jeunes dans un système, un pays où la nature est prodigue mais pas le contexte politico-économique qui leur laisse peu de marges.

Et dont le travail peut présenter des dangers. Dans les transports quotidiens avec de vieilles camionnettes qui sont de vraies bétaillères, difficiles d’accès pour les femmes âgées, où sont ballottés les travailleurs. Sans parler des accidents fréquents (vu l’état des routes) qui font des morts et de nombreux blessés.

Persistance du patriarcat et des mentalités machistes chez certains hommes, dont Melek est victime dans le verger lorsque le patron l’agresse.

Il y aurait dans le milieu agricole de nombreuses agressions sexuelles et même viols, que la réalisatrice a refusé de trop montrer pour ne pas diaboliser les hommes qui dit-elle sont aussi les victimes du système, des traditions.

Au-delà de ces remarques générales nous retiendrons, la joie, la beauté de ces visages filmés en plans serrés, cette sensualité qui se dégage des corps, des gestes graciles qui cueillent ces fruits gorgés de sucre, cette sororité lors des échanges , du repas partagé, des regards, des corps qui se touchent, se frôlent, se parlent.

Et ces scènes finales si belles, avec le maquillage des saisonnières agricoles qui se muent en jolies jeunes filles souriantes, vers leur vie et qui chantent toutes ensemble lors du soleil, couchant. L’avenir est devant elles et il peut être beau.

Erige, nous attendons avec impatience votre deuxième film…

Françoise

Municipale- Thomas Paulot…

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

MUNICIPALE : Quand la fiction est fracassée par le réel.

Les réalisateurs scénaristes sont trois amis depuis le lycée ; Thomas Paulot, Ferdinand Flame et Milan Alfonsi. Le déclic est venu pour ces trois amis, lors des élections présidentielles . Il s’agit donc d’un travail collectif, dont l’écriture a commencé en 2018 lorsque Thomas Paulot a terminé ses études d’Art dans des écoles en Suisse. Au départ, il voulait tourner un film dans le village de son grand-père ( comme Sylvain Desclous pour  » La campagne de France » tourné à Preuilly -sur-Claise ) localisé dans les Ardennes . Mais le village ne comptant que 60 âmes, l’échantillon était trop restreint c’est là que Revin ( cité ex- industrielle ) 7.000 habitants s’est imposée.

L’idée clé de départ se résume en une phrase, tel un mantra :  » Se servir de la fiction pour générer un documentaire ». A partir de là, ils découvrent une littérature liée au municipalisme, à l’autogestion et à la crise du système représentatif. Concrètement, l’idée du film ( originale ) mais risquée, réside dans l’engagement d’un acteur professionnel ici Laurent Papot ( donc fictionnel et engagé par un contrat de travail comme il le répète à plusieurs reprises ) pour monter une liste composée de vrais citoyens de Revin, à laquelle il se présente comme tête de liste pour être élu maire. Mais il l’affirme, s’il est élu, comme il est acteur et non homme politique il démissionnera pour laisser la place aux citoyens de Revin ( idée de mise en pratique de l’autogestion ).

Pendant presque un an les trois réalisateurs ont sillonné les rues de Revin cherchant à développer des liens avec les habitants et leur expliquant leur projet de film et de politique . Il s’agit d’un projet de cinéma expérimental, qui rapidement est mis à mal par la confrontation au réel.

Le film débute par l’arrivée de l’acteur/ futur maire dans le scénario, Laurent Papot, sous la pluie et le froid, dans ces beaux paysages de forêts ardennaises traversées par les méandres de la Meuse ( mais si , mais si c’est beau ! ). Assez rapidement s’installe un des rares dispositifs du film qui marchera ; le local de campagne, lieu neutre de rencontres entre les Revinois et l’acteur et les techniciens ( la décision a été prise par les réalisateurs de ne jamais montrer le matériel, caméra, perche)

Mais les lignes sont brouillées entre le vrai et le faux, et le spectateur se retrouve inévitablement en proie au doute tout comme les habitants de Revin, quant à la sincérité du candidat, dont le programme électoral réside dans l’unique idée de donner la direction de la ville aux habitants. Le candidat /acteur, Laurent Papot, lui-même est dérouté et le film s’éloigne de plus en plus du scénario d’origine. L’hypothèse de départ est sans cesse bousculée et beaucoup de Revinois ont lâché l’affaire assez vite, la campagne tournant sur les problèmes de représentativité plus que sur les contenus politiques. Un groupe (d’hommes surtout ) croit au projet, comme Karim, ce sont des syndicalistes, militants de gauche, déçus et intéressés par l’idée de réinventer le politique;

L’acteur lui-même doit rectifier le tir, surtout après l’échec de la formation de la liste, il apparaît déçu, fatigué mais a su faire de ses difficultés des idées de mises en scène et de relance du film. Le réel pourtant s’invite de manière à la fois politique et cinématographique, avec la scène tournée dans la fonderie, les paroles de la jeune Jenifer, qui crie son désespoir devant l’inaction du politique ou l’intervention du leader des gilets jaunes.

Le réalisateur explique que dans son film il n’est pas question de vrai ou faux mais de croyance. Croyance à la fiction, au cinéma et à la politique. Ce film a produit beaucoup de fiction mais n’a pas eu d’action sur le réel ( quelques amitiés entre l’équipe du film et des militants tels Karim). Le film est devenu davantage un documentaire sur un comédien en train de jouer..

D’où un très long travail de montage, d’août 2020 à mars 2021, il y avait 200 heures de rush et 900 heures de déruschage ont été nécessaires !

Au final, le projet ayant été conçu par des cinéastes urbains et parisiens, le résultat n’est pas étonnant mais Revinois et cinéastes s’accordent pour reconnaître qu’il faut refonder notre vie démocratique.

Françoise

La campagne de France-Sylvain Desclous

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

En passant par la Touraine, les Ardennnes …et le politique.

La Campagne de France de Sylvain Desclous, un film plus poétique que politique, burlesque et humaniste.

Il s’agit du deuxième long métrage de Sylvain Desclous, qui a déjà posé plusieurs fois sa caméra dans le village de ses ancêtres et où il a passé ses vacances. Preuilly-sur-Claise, commune rurale de mille habitants, située au sud de la Touraine, loin de l’attraction des villes.

Fin 2019, le réalisateur qui sillonne le village depuis des mois, pense tenir son sujet, avec l’approche des élections municipales.

S’il nous fait vivre la campagne électorale avec ses grands classiques : distribution de tracts, réunions, discussions, il dresse surtout le portrait de son village et de certains habitants.

Jacky ( déjà figure de précédents films de l’auteur ) apparaît au début du film, fracassé par une vie dure et arrosée, mais s’exprimant avec sagesse :  » Je ne vote pas toujours pour celui qui passe, mais je vote toujours bien « !.

Mais l’image et le son priorisent le couple de la troisième liste formé par Mathieu et Guy . Mathieu 38 ans, est revenu vivre au village depuis deux ans dans la maison familiale. C’est un normalien, consultant en intelligence artificielle. Il a des atouts, il défend sa vision et ses idées au travers de sa liste :  » Vivre et agir pour Preuilly » sans étiquette politique même s’il dit en aparté qu’il est  » plus gilet jaune que macroniste ».

Ses parents sont du village-, le père malade ( émouvantes scènes entre lui et son fils à l’EPADH ) est l’ancien photographe du village et sa mère était la directrice d’école. Il nous apparaît sympathique avec ses longs cheveux flottant au gré de sa démarche un peu hésitante, et son manteau un peu large, sa voix douce et sa tranquille détermination.

Il est tout neuf en politique, il y croît, et nous embarque dans le rêve du futur habitant de Preuilly, qui télétravaille, trouve des places à l’école pour ses gamins, se nourrit de produits sains ( voire bio ) en circuit court, tels ces beaux fromages de chèvre à 4 euros , alors qu’à Paris les mêmes valent 12 euros, sans parler des champignons qui tendent leurs pieds aux cueilleurs. Son vrai problème c’est que les gens de Preuilly ne le connaissent pas ( il a quitté le village depuis le CM2 ).

D’où son colistier Guy 74 ans, un natif de Preuilly, grande gueule et plutôt de gauche qui rêve de politique et de mairie, tout étant le mal aimé du village. Le réalisateur le connaît depuis toujours et pense qu’il sera un bon acteur devant la caméra. Personnage attachant, bon vivant, parlant fort, jouant du cor, dansant , roulant dans un coupé Mercedes, bref une figure locale et une vraie figure de cinéma.

Et c’est dans le portrait de ce couple que Sylvain Desclous tient son film. Avec un mélange de relation père/fils, maître et disciple ( toutes ces discussions chez Guy ). Il y a beaucoup de tendresse dans ces visages, ces regards, et dans les larmes versées à la fin par Guy qui en font un beau moment de cinéma.

On peut se souvenir aussi de l’humour, ( lorsque les électeurs pressent un candidat de parler de son programme et que ce dernier ( Patrick ) leur renvoie la question, ce sont aux électeurs de proposer des idées ) ou la scène improbable avec le journaliste,

Mais il n’y a jamais de moquerie ou d’ironie, mais de l’empathie. Le cinéaste parle de son village en le filmant avec amour et lucidité, il restitue un petit morceau d’histoire et un beau regard sur les hommes de ce village.

Françoise

Quel est votre film préféré? Aujourd’hui : Les vacances de Monsieur Hulot

«  LES VACANCES DE Mr HULOT »

de Jacques Tatischeff dit Tati.

Auteur, scénariste, réalisateur, acteur.

Comédie sortie en 1953, qui a connu trois versions. Durée 1h28

Tati est un humaniste drôle, une personne bienveillante, qui veut nous faire rire, mais n’est jamais cynique ou méprisant. C’est un artiste qui croit en l’Homme ( forte dimension sociale dans son œuvre). Le film est en noir et blanc.

Pourquoi penser aux «  Vacances de Mr Hulot » comme l’un de ses films préférés ?

La réponse est en partie dans le titre du film.

 Le premier mot «  vacances «  tout un symbole pour nous.

 C’est l’été, il fait beau, et ce sont des vacances à la mer, plus exactement près de St Nazaire sur la plage de Saint –Marc – sur – Mer. La plage dans notre imaginaire ouvre immédiatement plein d’images, d’odeurs, ( l’ambre solaire ) de bruits ( les vagues, les enfants, le vent) de souvenirs, plus ou moins lointains ( l’enfance , l’adolescence ). C’est un moment à la fois intime, la vie amoureuse, les copains, copines, et collectif ( le mois d’août tout s’arrête) .

Le deuxième terme «  Mr Hulot » ce personnage unique, le double de l’auteur, mutique, il prononce peu de mots et quand il parle on ne comprend pas ce qu’il dit ( voir la scène où il arrive à l’hôtel et doit prononcer son nom, avec la pipe dans la bouche ! oulo, ulo, il doit s’y reprendre à je ne sais combien de fois pour que l’hôtelier le comprenne. C’est un monsieur au visage assez ingrat, qu’on ne voit pas vraiment en très gros plan ( mais on voit sa pipe ) dont le corps longiligne et maladroit traverse tous les plans du film .

Il n’est pas comme les autres vacanciers, c’est une sorte d’exclu, il marche vite, à grandes enjambées,  le corps incliné, la pipe au bec.

Il est amoureux de la jolie vacancière qui habite en face de l’hôtel ( Martine ) mais toutes ses tentatives amoureuses échouent et quand il arrive à danser avec elle, c’est lors d’ un bal masqué ( son déguisement le protège).

Les lieux sont presque uniques : l’hôtel et la plage.

Le temps : un mois, le temps des vacances .

Les gags à la base du film. Il y en a plein, ils sont fondés sur la répétition le plus souvent tournés en plan séquences et requièrent la participation du spectateur. ( comique burlesque inspiré du muet avec des bruits).

Les personnages

Ils sont bien cernés, ce sont les vacanciers ; qui reviennent tous les étés à l’hôtel, se connaissent. Ce qui permet au réalisateur de critiquer une certaine mentalité petite bourgeoise, la vie est ritualisée et hiérarchisée. La cloche sonne l’heure des repas, ces derniers sont pris dans la salle à manger, elle aussi rythmée par les regroupements de table, les vêtements choisis par les vacanciers, les occupations diverses ( cartes, lectures, coups de fil répétés à Mr Smutte qui suit tous les jours les cours de la bourse).

Certains personnages sont assez antipathiques, tel le commandant empêtré dans ses souvenirs de guerre, Mr Smutte le financier.

D’autres sont sympathiques, surtout la dame anglaise qui aime bien Hulot ( elle aime sa fantaisie ).

Dans cet ensemble bien réglé, Hulot vient tout désorganiser ..il déboule comme un dingue dans l’hôtel, salit le sol, réveille tout le monde la nuit avec le feu d’artifice, a une voiture qui pétarade .

Il dérange l’ordre et le calme des vacanciers, et il ne fait rien comme tout le monde ( ne fait que des bêtises comme les enfants).

Justement, on peut beaucoup aimer ce film par la présence des enfants, leurs cris, jeux ( à la plage avec une loupe qui grille la peau d’un touriste endormi).

Leur innocence, leur poésie ( ce petit garçon qui monte les escaliers avec une glace dans chaque main est une merveille).

Et ces enfants qui jouent, s’interpellent, leurs babils forment l’un des atouts et charmes essentiels du film : la bande sonore.

Il y a peu, très peu de dialogues dans ce film, ce sont les bruits et la musique qui forment l’essentiel de la bande – son et de la texture du film. Tati disait qu’il préférait le bruit aux paroles..

La musique est d’Alain Roman ( ?) elle est célèbre et nous pouvons l’écouter sur France Culture tous les jours dans l’émission «  Les chemins de la philosophie » d’Adèle Van Reeth.

Musique, enivrante, joyeuse, dynamique, poétique, tout à l’image de ce merveilleux film.

A voir et revoir…

Françoise

It Must Be Heaven-Elia Suleiman(2)

Elia Suleiman, merci pour votre si beau regard triste et malicieux mais implacable sur le monde des Hommes .

En introduction au dossier de presse de « It must be heaven » Elia Suleiman a inscrit un vers du poète palestinien Mahmoud Darwich :

« Où s’envolent les oiseaux après le dernier ciel »

Ces mots résument bien la quête qui sous-tend le film, celle qui déchire un réalisateur qui est né en 1960 à Nazareth et qui se revendique palestinien de Palestine, comme l’affirme l’acteur Gael Garcia Bernal, présentant son ami Elia à une productrice américaine. Au fil des années, il a vécu dans sa ville natale Nazareth, à New-York, à Jérusalem et à Paris. Bien que n’ayant réalisé que quatre longs métrages en 23 ans, tous ses films ont été salués par la critique et projetés dans les plus grands festivals.

Son originalité artistique tient au fait que dans tous ses films c’est lui, son corps ( avec ce si beau regard !!) son beau visage, sa ville natale Nazareth et même sa maison avec la terrasse et son jardin planté de citronniers, ses parents, qu’il filme inlassablement comme s’il avait peur que cette réalité s’évanouisse ? D’ailleurs le temps est à l’oeuvre puisque après avoir vu les parents et leur fils Elia en 1996 dans  » Chronique d’une disparition » puis la maladie du père ainsi que son décès on voit dans  » Le temps qu’il reste » 2009 la maladie de la mère et dix ans plus tard nous voyons Elia trier les affaires de sa mère dans sa chambre, avec la Vierge sur la table de nuit, allusion à sa famille chrétienne et non musulmane et finalement se débarrasser du déambulateur et des affaires de la défunte mère.

Une page est donc tournée, il ne reste que la maison familiale qui ouvre et clôt le film, 23 ans ont passé, le cinéaste a bien tenté de résister à l’occupation toujours plus forte d’Israël, par ses images non violentes mais le constat est là, sa ville natale est arabe israélienne et le temps n’a fait apparaître aucune solution.

Reste le ciel, l’espace où l’on peut s’envoler vers un monde qu’il imagine plus paisible et humain loin des violences et de l’armée qui caractérisent le conflit israélo-palestinien. A Paris d’abord où il vit depuis quelques années et New-York où il a vécu plus de dix ans.

C’est ainsi que munit d’une paire d’ailes ( cf l’affiche du film de Floch) une série de saynètes aux images centrées sur la figure de clown-triste E.S nous promène de Paris à New-York. Ce personnage qui est le double de l’auteur et qui s’appelle E.S est interprété par le réalisateur. » Je ne peux pas envisager de ne pas jouer dans mes films. Car j’y mets toutes les facettes de ma personnalité : ma vision de réalisateur bien sûr, mais aussi mon jeu d’acteur, mon aspect tragique, mon côté comique et mon goût pour la rêverie. Je veux tout à la fois réaliser et jouer car je garde un réel espoir sur le pouvoir du cinéma ».

Pourquoi ce personnage est-il muet ? ( il ne prononce que les mots Nazareth et palestinien dans un taxi ce qui permet le jeu de mots sur Karafat/Arafat ). Muet car c’est l’expression d’un refoulement, d’un interdit de la parole, de la difficulté de s’exprimer ancrée dans son enfance ( par exemple l’occupation de la Palestine est un sujet tabou).

…Et dans tout son film les SONS remplacent les MOTS .

E.S est un observateur mutique, un témoin pensif avec son chapeau ( il en a toute une collection ) ses yeux écarquillés, rieurs, réprobateurs , ses sourcils levés etc.. quel visage et quel regard ( comparé souvent à Tati, Keaton) . Ses méthodes de travail et façons de filmer n’ont pas changé. Tout part de l’observation minutieuse du réel qu’il note dans des carnets. Ses films sont construits par une succession de tableaux de la vie quotidienne, le plus souvent en longs plans fixes, garnis de gags répétitifs ( ici les poursuites avec les policiers dans tous les lieux qui évoquent bien sûr l’occupation son pays, la présence récurrente des armes sous toutes ses formes et lieux, du cheval de la garde à Paris au bazooka new-yorkais..les chorégraphies).

Ses films sont caractérisés par l’ABSURDE. Le sens de l’absurde permet d’échapper au tragique, au pessimisme . Il utilise aussi la durée et la fixité des plans ainsi que la discontinuité de la narration. Par exemple, pour la mesure de la terrasse de café à Paris par les policiers la scène est coupée puis reprise. Idem à New-york pour la poursuite de l’ange Femen avec le drapeau peint et l’inscription  » Free Palestine « .

Sur l’HUMOUR qui est une règle mais surtout une ARME. Quant il claque la porte sur le pilote  » bienvenue à Paris » la scène avec le Samu 75 et le SDF  » Alors monsieur pour le déssert panacota ou tiramitsu au chocolat » ?. Et lorsqu’il quitte l’Amérique avant de rejoindre Nazareth, la trop drôle scène ( virtuelle ) du contrôle à l’aéroport où E.S confisque l’appareil de sécurité et nous donne des images de twirling. Mais c’est une référence à  » Intervention divine » où il se moque des checks points israéliens. Souvent il y a un deuxième degré de lisibilité du film ..

Elia Suleiman est vraiment un formidable cinéaste qui nous dit que le monde se palestinise ( mauvaise nouvelle ) que la Palestine n’existera pas de son vivant ( ce pourquoi les palestiniens boivent pour se souvenir) mais il nous dit aussi à la fin de son film, où de jeunes filles et garçons dansent avec énergie et enthousiasme sur le tube  » Arabi ana, Je suis arabe, moi » que l’espoir existe et que la vie continue… ( bonne nouvelle finale ).

Françoise

P.S : et…Merci à Marie-Odile pour son beau texte, ci-dessous, dans le Blog des Cramés de la Bobine.

 » Les oiseaux de passage »de Ciro Guerra et Cristina Gallego

Film ethnique, thriller, drame antique et contemporain ?

Une première vision dimanche soir, un peu décevante, j’avais trouvé le film un peu long, un peu inégal et pas toujours clair sur la description certes brillante de cette ethnie mais aussi sur le rôle de l’ultra violence, tous ces morts, cette vengeance qui semble contredire les principes d’existence de la communauté.

La deuxième vision, mardi soir, m’a paru plus claire et cohérente, le drame prenait sens. Le début du film est très séduisant avec ces belles femmes habillées de superbes robes aux couleurs vives. Cet environnement attractif pour nous autres occidentaux, cette nature ( pas toujours facile ) ces beaux objets  » ethniques » que les touristes aiment tant rapporter de leur voyage (sans parler des photos !) et cette superbe introduction en forme de cérémonie pré-nuptiale, un vrai régal. Tout va bien jusqu’au meutre de Moisé par Rapayet son  » frère » et meilleur ami. Le crime a été commis créant la déchirure, la souillure et ne sera « compensé » que par d’autres meurtres.

L’apogée du clan est bien dépeinte pendant la période de prospérité financière ( l’argent de la drogue ) surtout matérielle ( belle maison incongrue en plein désert, camions à foison, alcool à flot et montres bling bling, pistes d’atterrissage, et flingues avec port d’armes ! ). Les deux derniers chapitres ne se remplissent plus que des meurtres, de sang, de détonations et de descente aux enfers pour la famille. Les cadavres jonchent les plans, la maison explose, les sentiments se réduisent à la vengeance et la mort physique mais aussi culturelle, civilisationnelle plane sur tout le film. Rapayer dit avant de mourir  » de toute façon, nous sommes déjà morts » et sa femme Rahia rappelle à sa mère  » qu’il ne sert à rien de vivre en Wajùu si l’on meurt ».

On peut avoir en mémoire les plans de début du film; colorés, joyeux, bavards, le bonheur arrive. Et les derniers où un chant nous raconte cette triste histoire et dans l’image on voit Indira petite fille perdue au milieu du désert avec trois chèvres ! la perte du paradis et la porte de l’enfer..

Sur le sens chacun y verra que la tribu des Wajùus est mortelle comme la Colombie et peut être l’Humanité ?

Pour le cinéma on retiendra des images splendides de femmes, d’hommes d’enfants, d’animaux de paysages, tout ce qui fait la beauté du monde et en lien permanent avec une musique formidable qui comme avec les percussions se fond avec l’image. C’est du grand cinéma.

AGA- Milko Lazarov

 

Grand Prix au Festival du film de Cabourg

Du 24 au 29 janvier 2019

Soirée débat mardi 29 à 20h30
Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi
Film bulgare (vo, novembre 2018, 1h37) de Milko Lazarov aAvec Mikhail Aprosimov, Feodosia Ivanova et Galina Tikhonova

Distributeur : Arizona Distribution

Présenté par Mireille Lhormoy avec Émilie Maj spécialiste de la Yakoutie

Synopsis : La cinquantaine, Nanouk et Sedna vivent harmonieusement le quotidien traditionnel d’un couple du Grand Nord. Jour après jour, le rythme séculaire qui ordonnait leur vie et celle de leurs ancêtres vacille.
Nanouk et Sedna vont devoir se confronter à un nouveau monde qui leur est inconnu.

un homme et une femme seuls dans l’immensité de l’hiver yakoute. Une leçon de vie.

C’est un très beau film, rare, une pépite dans l’océan de productions cinématographiques ordinaires.
Film tourné en Iakoutie région de la Fédération de Russie située au nord-est, non loin du cercle polaire ( Sakha de leur nom d’origine). Film interprété par des acteurs professionnels Iakoutes, dans ce véritable désert glacé par des températures descendant jusqu’à moins 40 degrés. Mais l’histoire racontée n’est pas celle de véritables Iakoutes qui sont traditionnellement des éleveurs de chevaux ou de rennes, mais celle d’Inuits ( peuples vivant dans les régions polaires du nord ).

Et les images de ce film évoquent tout de suite l’admirable film tourné en 1922 par l’explorateur Robert Flaherty  » Nanouk l’Esquimau » qui fictionnait la vie réelle des Inuits canadiens ( un chef – d’oeuvre ).
Aga, se situe dans cette lignée de films d’exception qui révèlent l’Homme face à son destin, face à la nature, face à lui-même.
Tout est silence, blancheur des paysages glacés de l’hiver, une neige profonde et un peu chaotique, s’offre au regard, une ligne d’horizon qui se dérobe entre ciel et terre.

Cet univers silencieux et blanc est dépeint avec de larges plans-séquences, la caméra fixe enregistrant les quelques mouvements de vie, traîneau, animal, qui entrent dans la cadre, traversent le plan, et ressortent à l’autre bord du cadre. Enregistrement de la lenteur et de la rareté de la vie dans cet univers.

Au milieu de ce nulle part, se dresse une yourte artisanale, construite de perches de bois et de peaux de bêtes. Habitat traditionnel de ces peuples éleveurs nomades, qui se révèle fragile lorsque la tempête se déchaîne.
Un homme, une femme et leur chien habitent cette yourte et leur intimité nous est révélée avec de nombreux gros plans de leur visage, de leur repas frugaux, de leur corps ensommeillés, habillés encore de peaux et nous écoutons le bruit de leur respiration.

Nous suivons avec précision et lenteur la vie de ce couple dans leur vie ou survie quotidienne, la pêche et la chasse aléatoires, les parcours en traîneau, les poissons et les peaux qui sèchent dehors, leurs difficultés de tous les jours.

Mais aussi leur sérénité, calme, tendresse rentrée l’un vis à vis de l’autre, leur nécessaire solidarité. Tout est montré avec beaucoup de pudeur et de retenue. La violence est celle de la nature mais les hommes ont une grande maîtrise d’eux-mêmes.

Voir les quelques plans qui nous montrent la femme malade et la progression de la maladie jusqu’à sa mort quasi inattendue.
Ce plan presque furtif où l’on voit le corps de la femme allongée, les yeux clos, et contre-champ sur les yeux rougis et en pleurs de son compagnon.
Ici tout n’est pas expliqué, pourquoi Aga à-t-elle quitté ses parents ( photo du bonheur perdu avec leur fille) que leur a-t-elle fait de mal ? La visite du fils qui vient apporter le bois et l’essence.
Enfin il faut parler de la bande-son, magistrale, qui pendant une grande partie du film ne comprend que quelques échanges rares du couple et à l’unisson de la nature elle aussi discrète et quasi silencieuse.

Ce désert blanc et sonore est cependant de temps à autre perturbé par les bruits propres à la  » civilisation urbaine et matérialiste  » ceux des réacteurs des avions et de leurs lignes blanches tracées dans le ciel, le passage d’un hélicoptère ou le bruit de la moto-neige du fils.
Deux mondes co-existent, celui du film Aga, qui est celui du rêve, de la fable et d’une réalité humaine et culturelle disparue et celui de notre monde moderne. Que l’Inuit du film découvre peu à peu en allant à la recherche de sa fille qui habite bien loin et travaille dans une mine de diamant.
Plan fabuleux à la fin qui montre ce père dans ses habits de peaux avec son visage buriné isolé, minuscule, désemparé au milieu d’une énorme mine traversé de machines découvrant le monde mécanisé, minéral, urbain, dans lequel vit sa fille.
Mais sa fille pleure, elle reconnaît son père.  En même temps que les retrouvailles et le pardon,  elle discerne  en lui,  l’époux qui  annonce la mort de l’épouse, qui par sa simple présence silencieuse lui dit :  » tu n’as plus de  mère » « et moi, je ne peux plus être là bas, je suis déraciné, mais maintenant je suis près de toi ». Tandis que nous, nous voyons  l’humanité qui parcourt tous les êtres humains de tous les temps et tous les espaces.

 

Avec nos remerciements à Emilie Maj notre présentatrice  pour sa sympathie, sa générosité et sa science durant cette belle soirée

 

Amanda – Miakhaël Hers

Prix Jean renoir des lycéens 2018/2019
Du 3 au 8 janvier 2019
Soirée débat mardi 8 à 20h30
Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et lundi après-midi
Film français (novembre 2018, 1h47) de Mikhaël Hers avec Vincent Lacoste, Isaure Multrier, Stacy Martin et Ophélia Kolb

Distributeur : Pyramide

 

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis : Paris, de nos jours. David, 24 ans, vit au présent. Il jongle entre différents petits boulots et recule, pour un temps encore, l’heure des choix plus engageants. Le cours tranquille des choses vole en éclats quand sa sœur aînée meurt brutalement. Il se retrouve alors en charge de sa nièce de 7 ans, Amanda.

Pourquoi on peut aimer ou pas Amanda ?

– Pour le beau couple de cinéma formé par David et Amanda. David, adolescent prolongé, un peu timide, poli, insouciant, souriant, vivant au jour le jour et vivant de l’élagage des arbres parisiens ainsi que de la gestion de studios pour Airbnb.
Un gentil garçon, toujours pressé et en retard à ses rendez-vous. Un corps jeune, filmé marchant et vélocipédant ( néologisme !!) dans les rues parisiennes.
Amanda, petite blondinette aux beaux yeux bleus expressifs, aux rondeurs nourries par les Paris-brest, nièce de David.
Ils sont de nombreux plans, côte à côte, de dos, de profil, de face.
Montrer leur visage en gros plans, filmer leurs pleurs, grimaces est-ce du sentimentalisme comme le dit Michel Ciment ?
je ne sais pas ? C’est pourquoi on s’attache à eux parce qu’on les voit de près, on touche leur souffrance, ça sert à ça le gros plan. Et les filmer ensemble puisqu’ils sont unis dans leur deuil et se renforcent, s’épaulent mutuellement.

– Pour le beau Paris ( certes très personnel de M.Hers) filmé l’été, avec plein de verdure, de feuilles. Paris vu d’un vélo, reconnaître les monuments ( effet visite touristique ). En tout cas, les images traduisent un sentiment de liberté, de respiration, de vie.

-Pour la mise en scène  » sans aspérité, sans force » selon Michel Ciment, mais elle est délicate, lisse, étale parce que justement elle refuse le spectaculaire, le trop visible, l’extériorisation et fait le choix de l’intérieur ( au propre et figuré) des émotions.
D’où le refus de mouvements de caméra trop appuyés, pas de plans séquence, pas de brusquerie, d’effets.
Le réalisateur (je crois, hypothèse ) préfère montrer les sentiments de ses personnages par l’humanité de leur visage ( ceux des assassins sont invisibles ).
Il y a quelque chose de feutré, d’ordinaire, de banal mais justement comme la vie l’est, M. Hers ne filme pas des héros mais des gens comme vous et moi, ordinaires, mais dont la vie bascule du jour au lendemain.

-Pour le réalisme à l’oeuvre dans tout le film et la justesse du ton. Que ce soit par la description de la vie quotidienne, des objets, meubles, dans les appartements de Sandrine ou de Maud. Il y a beaucoup de détails, des gestes et parcours précis ( par exemple la salle de bain de Sandrine ).

-Pour la fin du film, poétique, la référence à Rohmer  » le rayon vert », pour la phrase dite par Amanda  » Elvis has left the building » .

Ce que l’on peut moins ou pas du tout aimer..

– Certaines scènes assez surjouées par les deux protagonistes ( lors du match de foot avec son copain Alex )

– Le Paris montré, dénué de tout bruit, pollution, voitures klaxonnant, enfin moi quand je vais dans le XII° c’est pas tout à fait pareil !!
C’est plus déréalisé et sublimé..que réel, pas mal d’onirisme.

– La première partie, trop heureuse, dansante et chantante.

– Les violons un peu trop présents par moments.

J’ai moins d’arguments pour cette partie ..

Finalement on peut conclure en disant que c’est un beau film, sensible, mettant en scène de belles personnes ( comme on dit ! ) à voir et qui a le mérite de susciter le débat.

Girl-Lukas Dhont (2)

Du 14 au 20 novembre 2018
Soirée débat mardi 20 à 20h30
Autres séances le jeudi, dimanche et mardi après-midi


Film belge (octobre 2018, 1h45) de Lukas Dhont avec Victor Polster, Arieh Worthalter et Oliver Bodart 

Distributeur : Diaphana

Présenté par Françoise Fouillé

( Petit) retour sur Girl

Lukas Dont est un très jeune réalisateur ( 26 ans ) lorsque il réalise le film, visiblement doté d’une sensibilité hors du commun. Le sujet est dans l’air du temps mais pour le moins très délicat à traiter.
Comment un jeune garçon de 15 ans, ne peut désirer qu’une chose dans la vie, perdre cette identité masculine pour se transformer en fille et atteindre son rêve, danseuse étoile !
Le défi semble inhumain et irréaliste, alors que cet adolescent a tout pour lui, une famille aimante ( en tout cas son père à défaut de mère ) un petit frère très proche, une sécurité matérielle, des amis, bref tout mais…l’ âge de l’adolescence est bien celui de tous les périls.
Ce que la critique et les spectateurs semblent avoir apprécié dans ce premier film c’est la délicatesse, la justesse, la sensibilité à fleur de peau qui se dégage de ces images.
Lukas Dont doit avoir une grande maturité et richesse intérieure pour diriger le très jeune Victor Poster, et arriver à nous faire sentir le corps de l’acteur ( qui est formidable) ses gestes, sa chair. Cette palette d’émotions qui surgit de cet être meurtri, isolé et prisonnier de son corps masculin maudit dont personne n’arrive à le délivrer.
Ce qui n’est pas à la portée du premier venu. Il lui a fallu presque dix ans pour mûrir ce projet et trois ans pour écrire le scénario et tourner le film.
Si l’on compare ce film à la production moyenne, on voit quand même que l’on est dans un véritable cinéma d’auteur qui sait porter en images et sons son monde intérieur.

Françoise

Jeune femme de Léonor Serraille (2)

De la solitude contemporaine dans une grande ville

Sous-titre : métamorphose d’une jeune fille en jeune femme, d’un statut d’objet à celui de sujet.

C’est l’histoire de Paula ( magistralement interprétée par Laetitia Dosch ) trentenaire qui vient d’être larguée par son compagnon Joaquim Deloche ( photographe à la cinquantaine célèbre ) après dix années passées au Mexique et alors qu’ils sont revenus dans la ville – lumière.
Plan d’ouverture : Paula au fond d’un couloir gueule  » ouvre-moi  » et tambourine de toutes ses forces avec ses poings puis son front qu’elle blesse ( une jolie cicatrice témoigne de ces tragiques instants).
Résultat, une suite de plans aux urgences face à un médecin psy qui pour lui remonter le moral lui balance:  » vous êtes une jeune femme libre  » phrase qui déclenche un nouvel élan de violente colère ( elle casse une vitre). Mais d’où vient cette violence ? de Paula ou de son ex qui l’a jetée comme un kleenex ? elle explique au médecin que sa vulnérabilité est banale, normale, issue des violences ( familiales, masculines ) qu’elle a subies.
Ensuite nous assistons à la déambulation de Paula ( et du chat persan/chinchilla blanc aux trois milliards de poils qu’elle a volé sciemment à Joaquim) à travers un Paris hivernal, venteux et peu accueillant à ceux qui n’ont ni gîte ni couvert !
Paula, grande rousse élancée, énergique, qui parle vite et de façon heurtée. Paula c’est une silhouette solitaire, vêtue d’un imper brique, son sac à l’épaule et le chat persan dans les bras.
Paula déambule, dort dans de minables chambres d’hôtel et rencontre plein de gens. Mais chaque nouvelle rencontre débouche invariablement sur un plan où Paula se retrouve à la rue avec imper, sac et chat.
Paula n’est pas une victime, elle se bat, elle apprend de ses rencontres, elle se corrige et se construit au gré de ses erreurs. Paula est généreuse, sincère, et pleine d’empathie pour les humains qu’elle croise.
Elle s’interroge sur elle-même et sur les autres, certes de façon peu conventionnelle, cherche-t-on à connaître les états d’âme de sa gynécologue ? à voir ce qui se cache derrière la peau noire du vigile ( ils sont tous noirs les vigiles ) qui se révèle super-diplômé et authentique.
Toutes ces rencontres révèlent la solitude de Paula mais aussi ce qu’elle est ou pas.
Ainsi lorsqu’elle garde Lilas, la petite fille d’une bourgeoise qui vit dans un appartement cossu ( qu’elle aime davantage que le père de l’enfant ) Paula se rend compte sincèrement qu’elle ne répond pas aux attentes normées de la mère ( moins de bonbons et de sorties et plus de travail scolaire ).
Sa sincérité et son attachement aux autres éclate quand elle demande à Lilas pourquoi elle ne l’aime pas ou quand elle joue avec ses cheveux pour cacher son désarroi lorsque Lilas lui dit que sa mère cherche une nouvelle baby-sitter.
Paula veut rompre avec sa solitude, elle s’engouffre dans toutes les brèches qui s’ouvrent, une jeune inconnue croisée dans le métro, la rampe d’escalier chez sa mère ( scène très forte entre la fille et la mère ) elle s’accroche au chat..qui ne la quitte plus.
Mais peu à peu elle apprend à se connaître, à s’estimer elle qui prétendait être  » limitée intellectuellement « .
Dans le dernier tiers du film Paula s’affirme, se construit, sans violence.
Quand l’amie rencontrée dans le métro qui l’a hébergée découvre que Paula n’est pas son amie d’enfance, Paula répond à sa colère par des gestes doux, elle passe sa main dans les cheveux de son amie pour découvrir sous la perruque ses cheveux crépus.
Elle devient capable de résister à son ex compagnon, alors qu’elle est enceinte de lui, et d’affronter son passé de façon critique.  » Dix ans et tu ne me connais pas »  » tu aurais pu m’apprendre quelque chose en dix ans au lieu de me photographier ».
Paula prend la décision d’avorter et de tourner la page avec Joaquim qui lui s’accroche..
Elle devient ce qu’elle est, sans accepter les normes des autres ( normes qui imposent un bon travail, un bon couple, une bonne relation de famille ).
Paula est vivante sous nos yeux et peut maintenant vivre sa vie à elle.

Françoise