Promenade à Cracovie de Mateusz Kudla, Anna Kokoszka-Romer

Titre original : Polanski, Horowitz, Hometown

En Angleterre le film est sorti sous le titre : The wizards from the ghetto.

Ce documentaire est sorti le 5 juillet 2023 en France mais il a été boycotté avant même d’être vu. Les exploitants de salles ayant invoqué (pour une minorité) la peur des manifestations contre Polanski, beaucoup ont préféré se réfugier derrière l’argument de la faiblesse supposée du documentaire (Polanski lui-même à un moment se retournant vers les cameramen en leur reprochant de ne pas les filmer correctement).

Ce film n’est donc sorti que dans une minorité de salles, et n’a cumulé qu’une dizaine de milliers de spectateurs depuis juillet.

Ce qui est vraiment paradoxal, dans la mesure où les institutions politiques, et éducatives insistent sur la nécessité du devoir de mémoire. Alors que les survivants de la Shoah disparaissent, la censure fait, que peu de personnes peuvent écouter les souvenirs d’enfance de deux victimes de cette période aujourd’hui octogénaires qui sont deux témoins survivants, artistes et connus mondialement.

La genèse du film :

Ce sont deux jeunes réalisateurs polonais (Mateusz Kudla et Anna Kokoszka-Romer) qui sont à l’origine du film, et non pas le cinéaste.

Polanski, toujours poursuivi depuis 1977 pour l’affaire du viol sur mineure, et donc susceptible d’être extradé de nombreux pays (alors qu’il a fait de la prison, et que la victime a pardonné et demandé l’arrêt des procédures aux Etats-unis) se trouvait à Cracovie en 2015 pour venir témoigner dans le cadre d’une demande d’extradition déposée en Pologne, et il déambulait dans les rues de Cracovie où il n’avait pas remis les pieds depuis son enfance.

Au même moment un jeune cinéaste polonais, Mateusz Kudla, qui voulait réaliser un film sur Polanski, rencontre son avocat. C’est ce dernier qui souffle l’idée d’un film reposant sur l’utilisation des décors de la ville de Cracovie et la recherche des lieux de son enfance. Il réalise ce travail avec une autre cinéaste, Anna Kokosszka-Romer.

Polanski a donné son accord à condition de pouvoir associer à ses déambulations son ami du ghetto et de toujours, Ryszard Horowitz, célèbre photographe, qui lui aussi revient pour la première fois à Cracovie.

Il ne s’agit donc pas d’une biographie, mais de recherches sur les traces de vie de deux enfants juifs, qui se trouvent à partir de 1939 (occupation d’une partie de la Pologne par les Allemands) aux prises avec la politique antisémite nazie et qui découvrent l’horreur du ghetto de Cracovie et des camps d’extermination.

Pour préparer le film et découvrir les lieux (appartements, synagogues, tombes) les deux jeunes réalisateurs enquêtent pendant deux ans et aboutissent à de vraies découvertes : les anciens appartements où Horowitz et Polanski vivaient, la campagne où Roman à vécu caché chez des paysans.

Le film raconte cette expérience horrible de la guerre et de la chasse aux juifs qui vont les marquer à vie.

La mère et la grand-mère Polanski seront assassinées à Auschwitz, le père sera déporté à Mauthausen et c’est lui qui permet au jeune Romek de s’échapper du ghetto et de survivre. Son fils ne le reverra qu’à l’âge de 10 ans (belle scène quand revenant dans l’appartement, Polanski s’assied à la place qu’il occupait après la guerre face à son père). Quant à Horowitz, sa famille a survécu grâce à Schindler mais n’a pu empêcher la déportation du petit Richard, qui montre son numéro de matricule à son ami.

Le documentaire fait aussi allusion, par le souvenir de Roman Polanski de la poursuite des pogroms après la guerre en 1945 et 1946 (il raconte qu’il a aidé une personne à se cacher dans le grenier de son appartement). La Pologne fait alors partie du bloc de l’Est, est soumise au régime communiste et à l’URSS.

Un film sur la mémoire de la Shoah, à Cracovie :

Ce documentaire montre l’indéfectible amitié qui lie les deux hommes, leur complicité et les souvenirs qui les unissent.

On voit la ville de Cracovie, en noir et blanc, photos tirées d’archives pendant la guerre, avec le quartier juif (Casimir) puis des images de la persécution des juifs après 1939, la population affamée et martyrisée.

Des images en couleur accompagnent la déambulation des deux amis, aujourd’hui dans une ville rajeunie qu’ils ne reconnaissent pas toujours mais qu’ils adoptent, en partageant un repas pris sur la place principale, une bière (qui leur est offerte) et des saucisses grillées, après avoir devisé avec des Polonais et des touristes, tout en faisant la queue (comme au temps des communistes !).

Un humour constant :

D’entrée le film est marqué par un regard joyeux sur nos deux octogénaires (au moment du tournage Polanski a 88 ans et Horowitz 83) et la scène dans le taxi qui les conduit de l’aéroport à la ville, où Polanski enlève les poils du nez de son ami est emblématique de l’humour assez permanent qui se dégage de leur rencontre.

La scène où le cinéaste décrit, face à la tombe de son père, l’enterrement de ce dernier sur le mode comique où les deux protagonistes rient aux éclats, montre aussi la rage de vie de ces deux-là et leur volonté, non pas d’oublier mais de résister et de vivre.

On a vraiment du mal à imaginer, leur âge, et toutes les épreuves qu’ils ont traversées lors de leur enfance, qu’ils racontent, alors que la caméra les montre alertes, vifs, et plein d’énergie.

En tant que juifs leur famille a été arrêtées et emprisonnées dans le ghetto, où ils étaient victimes de violences, de la faim et de la peur en permanence.

Polanski, se souvient d’un garçon, voisin, un peu plus vieux que lui, qui a été arrêté. Autre image atroce, celle d’une vieille femme, qui victime d’une marche forcée, n’en peut plus et est abattue par une balle dans le dos, dont le sang jaillit tel un geyser.

La mémoire du cinéaste qui se souvient des différents lieux de vie et d’enfermement est fabuleuse et doit pouvoir être utile aux historiens.

De même lorsqu’il retrouve le petit-fils de la famille paysanne pauvre, qui l’a caché jusqu’à la fin de la guerre. Un grand moment d’émotion, quand celle-ci le submerge alors il se tait et la caméra arrête de filmer.

Horowitz, regrette la visite de l’ancien appartement familial donnant sur la place du marché, transformé au point de pouvoir effacer les souvenirs de l’époque.

Le documentaire travaille beaucoup sur ce qu’est la mémoire, sa fidélité et sa résistance au réel retrouvé mais tellement changé.

Film traversé de profondes émotions, d’images horribles et de joyeuses déambulations, de regards inoubliables et de lieux qui témoignent d’une histoire abominable.

Mais le temps efface et transforme les lieux de mémoire, Cracovie, ville devenue le lieu du tourisme de masse (Disneyland pour le réalisateur du « Pianiste ») ne protège plus la mémoire des massacres qui nous est restituée par les corps et les paroles de deux vieillards qui rendent ce film si beau et si nécessaire.

Françoise

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