« La Villa » de Robert Guédiguian (2)

Dans le cadre du Festival Télérama

Du 25 au 30 janvier 2018Soirée débat mardi 30 janvier à 20h30
Film français (novembre 2017, 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stevenin et Yann Tregouët

Distributeur : Diaphana Distribution

Présenté par Laurence Guyon

Déçue hier. Presque fâchée ce matin
Qu’est-ce qu’il a fabriqué là , Robert ? L’impression qu’il a surfé sur sa vague et en a fait le minimum , oublié d’être Guédiguian …
Dieu sait si je l’attendais son nouveau film !
C’était plié, j’aimais tout : lui, Robert, d’abord, la belle Ariane, Anaïs, Darroussin et tous les autres. Marseille et ses calanques, la villa. Tout.
Et pschitt !
Pour qui comprend l’expression « être resté comme deux ronds de flanc », c’est à peu près l’état dans lequel je suis, et je le déplore. Evidemment, ma question est  : « Qu’est-ce que j’ai, qu’est-ce qui m’arrive ? » Blasée, vu trop de films ces temps-ci ? Certainement pas. Je trouve que Robert Guediguian a mis trop de sujets dans La Villa, qui devient comme un panier garni …
La fratrie abîmée par la vie, le temps qui passe, la perte d’un enfant, la douleur et le refus de faire son deuil, la culpabilité,la maladie, la douleur et la résignation devant la maladie d’un père si lourd, devenu absent. La transmission dans la continuité, la nouvelle donne dans le monde du travail, la peur de vieillir, l’entretien des forêts, les idées politiques d’hier, le choix de mourir et … les migrants ! C’est trop ! Ca déborde !
Tout est effleuré, mal condensé, simpliste.

Ca commence mal
Quand Angèle arrive, Joseph lui présente Bérengère, sa « trop jeune fiancée» … Et là, flop, ça ne colle pas. Elle veut le quitter, Ok, mais on se demande comment il a fait pour lui plaire et comment elle ne l’a pas déjà quitté. Elle voulait revoir le père qu’elle aime beaucoup . Alors elle le connaît bien, elle l’a vu souvent, malgré son job hyper prenant, ses business trips fréquents (dont Londres), elle est avec Joseph depuis un bail alors … Ca serait possible mais pas avec un Darroussin version veste en velours et bouc ! un bouc ! Elle ne lui a pas dit Anaïs à Robert que ça ne collait pas ?
Le personnage de Joseph est pas mal. Jeune, il a cru que les ouvriers étaient ouvriers par choix comme lui qui, bien qu’ayant fait des études, avait choisi de l’être. Un sacerdoce. Lui pouvait rendre l’habit et c’est ce qu’il a fait. Il s’est mis dans le camp des « cols blancs » et a fini par se faire virer. Il est aigri, Joseph. A la question pourquoi est-il si méchant, il répond « C’est comme ça, je le fais pas exprès » Sa meilleure réplique.
J’aurais supprimé ce rôle de fiancée trop jeune et de fils médecin pour recentrer sur la fratrie.
Le fils médecin ! Yvan ! Qui distribue les cachets à ses parents à tirelarigo. C’est pour soigner quelle pathologie ? Pas grand chose de grave puisqu’ils peuvent les stocker jusqu’à ce qu’il y en ait assez et les utliser pour se suicider… Amoureux et unis
Il l’aurait bien voulue un peu plus « cochonne » (c’est bien l’adjectif qu’il emploie juste avant sous la pluie ?) Mais ça ne s’est pas fait. Elle lui jette un regard coquin … Trop tard, donc. Ils rentrent se suicider !
Bérengère et Yvan se ressemble et s’assemble en suivant. Ca commence dès la chambre mortuaire. Aucun respect, les jeunes loups. Pressés de vivre. Le temps passe pour eux aussi.
Benjamin le jeune amant d’Angèle. Pécheur-acteur très bien ! mais pas avec ce sourire jusqu’aux oreilles (ce n’est pas une image) en permanence, cet air allumé. Au lieu de valoriser et défendre le droit à l’écart d’âge dans ce sens là, aussi, pour 3 heures, 6 mois, 10 ans … on prend peur devant ce faciès de Jack Nicholson dans « Vol au dessus d’un nid de coucou ».
Les trois petits migrants mignons, cheveux propres, mental d’acier (deux garçons, une fille comme eux). On est au pays de Candy …
Même l’humeur, l’esprit du tournage m’ont échappé

Le lot de consolation c’est
toutes les images, la Méditerranée, la calanque.
les archives du temps de Ki lo sa
Et la dernière scène des voix en écho

Marie-No

« La Villa » de Robert Guédiguian

Dans le cadre du Festival TéléramaDu 25 au 30 janvier 2018Soirée débat mardi 30 janvier à 20h30
Film français (novembre 2017, 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stevenin et Yann Tregouët
Distributeur : Diaphana Distribution
Présenté par Laurence Guyon
Synopsis : Dans une calanque près de Marseille, au creux de l’hiver, Angèle, Joseph et Armand, se rassemblent autour de leur père vieillissant. C’est le moment pour eux de mesurer ce qu’ils ont conservé de l’idéal qu’il leur a transmis, du monde de fraternité qu’il avait bâti dans ce lieu magique, autour d’un restaurant ouvrier dont Armand, le fils ainé, continue de s’occuper. Lorsque de nouveaux arrivants venus de la mer vont bouleverser leurs réflexions…
Aller voir un film de Guédiguian, c’est toujours un peu comme rendre visite à une partie de sa famille qu’on ne voit qu’une fois tous les deux trois ans. Il y a l’appréhension, aura-t-on encore quelque chose à échanger ? Il y a l’attente aussi, l’excitation des retrouvailles. Et puis le moment venu, tout le monde est là. On parle souvent de l’équipe de ses films comme d’une famille, j’avais huit ans quand je les ai rencontrés pour la première fois, au cinéma. Depuis, ce sont un peu  des grands-parents, des oncles, des cousins, bref : une famille gauchiste aussi idéale que fictive. J’ai grandi, changé, vieilli aussi un peu, et je les ai vu en faire de même à l’écran. Pourtant, les idées restaient intactes, depuis le premier jour, l’utopie qu’ensemble, on pouvait changer les choses.Pourtant aujourd’hui, – oui aujourd’hui, je raconte ma vie, hum, – la lecture de Bergson m’avait emmené si loin du quotidien, que j’en avais oublié le temps, du moins, l’heure d’aller voir La VILLA, de retrouver mes vieux copains cocos ! C’est étonnée, mais très heureuse, que je découvre donc la salle pleine, m’obligeant à me diriger vers le premier rang…Erreur, grosse erreur. Dès les premières minutes, et sans que l’impression ne me quitte pendant le film, j’étais beaucoup trop près. Et ce n’était pas juste dû à mon point de vue qui anamorphosait l’écran, mais à cette succession de très gros plan et de mouvement de caméra cherchant à se coller toujours plus proche de son sujet. Or si ça crée parfois de magnifiques temps de tension – notamment lorsque, tout au début, la main s’approche du cendrier, se crispe, se tend, se raidit, que le souffle s’éteint et ne laisse plus qu’entendre les vagues, Waouh, tout est là ! – la majorité du temps la caméra ne permet pas la distance nécessaire pour que les acteurs puissent s’épanouir, que les personnages existent, que l’histoire s’autonomise et que le spectateur oublie qu’il est spectateur. C’est une question que je me pose de plus en plus lorsque je sors du cinéma : Est-ce trop demander aux réalisateurs de nous faire oublier, pendant une heure ou deux, qu’on est devant un écran ?Mais à Guédiguian (pas aux autres,  attention…) je lui pardonne. Je lui pardonne tout.Parce que ce qu’il a à nous offrir est beaucoup plus grand que deux heures à croire en une histoire. Ce qu’il offre en pâture à ses spectateurs, c’est un idéal de vie, l’espoir que nos combats et nos idées ne sont pas vains. Et à ça, on y croit, et c’est beau. Très beau.Alors revenons au film pour essayer de comprendre comment la magie opère.On commence donc, par la scène qui présente à la fois le lieu : la calanque de Méjean, comme toujours (ou presque), et le non-personnage principal de l’intrigue. Ce personnage qui va amener tous les autres à se retrouver (soi et les autres), dit alors, dans un dernier souffle, la seule parole qu’il prononcera dans le film : «Tant pis». On ne sait pas alors l’objet du remords dont il accepte enfin de se délivrer mais il peut mourir en paix, ou presque. Il survivra à l’attaque mais restera aphasique.La deuxième séquence présente le nouveau rôle qu’interprète Ariane Ascaride pour son mari : une comédienne revenant, à cause des circonstances, là où elle n’avait plus mis les pieds depuis deux décennies. Son côté sec et prétentieux passé, on réalise qu’Angèle ne s’est pas absentée à cause de son succès, mais parce qu’il lui était impossible de faire le deuil d’une vie qu’il fallait fuir pour survivre. Faire le deuil d’une fille, sa fille, noyée alors que son père en avait la responsabilité, dans ce même lieu. Pourtant elle est là, bien que son retour lui soit invivable.On découvre par la suite ses deux frères, Armand et Joseph. Armand tient le restaurant du coin alors que tous les voisins vendent. Armand est là pour sauver l’héritage culinaire, utopiste et philosophique de son père : ne rien changer, rester les mêmes, continuer à faire des plats pas chers pour le peuple, même si le peuple n’est plus. Sa dévotion est telle qu’il est prêt à sacrifier encore une décennie ou deux pour s’occuper de celui qui lui a offert une vision du monde et des idées en lesquelles croire. Interprété par un Gérard Meylan fabuleux, son jeu instaure les rares moments de vérité du film. Il est Armand, chaque regard, chaque souffle, chaque mot sont d’une fabuleuse justesse qui le confirme. Peu de choses de l’histoire paraissent vraies, mais lui si. Au contraire de Joseph, que le jeu de Jean-Pierre Darroussin peine à convaincre, tant les émotions et les dialogues semblent forcés. Pourtant le personnage est intéressant et bien creusé. Joseph est un ancien cadre, qui a été viré du jour au lendemain, ce qu’il n’a pas supporté. Pourtant, son point de rupture n’est pas son licenciement mais, comme il le révèle à la fin, de ne pas être celui qu’il avait cru, celui qu’il aurait voulu être : un ouvrier. Dans cette lutte des classes, suivant à sa manière, lui aussi, l’héritage de l’éducation paternelle, il a fait semblant de ne pas voir qu’il n’était pas né du bon côté. Il explique la naissance de sa douleur lorsque organisant sa première grève, il avait compris que les autres étaient là parce qu’ils n’avaient pas le choix. D’un coup, la vie le séparait de son combat parce qu’il n’était pas né du bon côté de la richesse, de l’éducation et de la culture. Alors qu’habituellement les gens souffrent de leurs manques, la souffrance de Joseph aura été d’en avoir bénéficié tout petit. Quelle magnifique clairvoyance de la part du réalisateur de créer un tel personnage, incarnation fantastique du paradoxe de la foi communiste.Quelques autres personnages viennent compléter ce tableau, incarnés par d’autres habitués des films du marseillais. Anaïs Demoustier, qu’on a vue, elle aussi, grandir à l’écran, joue la bien trop jeune compagne de Joseph. Elle s’était laissée fasciner par cet homme que la foi gauchiste avait brûlé à vif, mais avait fini par se lasser de ses ressentiments, avant de tomber dans les bras d’Yvan. Yvan, un médecin brillant qui a réussi. Il apporte des médicaments régulièrement à ses parents (portés à l’écran par Geneviève Mnich et Jacques Boudet qu’on a toujours plaisir à retrouver) et veut subvenir à leurs besoins sans réaliser que leur décision est prise depuis longtemps : partir ensemble pour ne pas se voir séparer, pour ne pas voir leur calanque se transformer en plage pour millionnaires, pour ne pas voir leur vision d’un mode de vie populaire se fracasser à la réalité. Et puis il y a Benjamin, joué par un comédien d’une autre famille du cinéma, Robinson Stevenin, le pêcheur, qui est resté là, à refaire les nœuds de ses filets pour pouvoir les lancer sur l’actrice qui l’avait fasciné enfant le jour où elle reviendrait. C’est de manière étrangement surprenante qu’on apprend que bien que resté dans une vie simple et manuelle, lui aussi apprend des textes et monte sur les planches pour les partager avec les classes populaires.Il y a donc un témoignage, en creux de celui social qu’on connaît de Guédiguian, sur l’art, le fait d’être comédien ou comédienne, et sur la création. Angèle est une actrice qui a réussi, elle revient forte de son expérience et de sa célébrité, comme le dit Joseph « C’est comme ça avec les acteurs ». Si ce n’est pas le thème central, le film n’est pas sans rappeler La Mouette de Tchekhov tant les personnages en semblent proches, et par extension, le joli film en référence à la pièce : La petite Lili, de Claude Miller où Robinson Stevenin incarnait déjà un acteur amateur, dans une famille d’artistes ne croyant pas en lui. Que ce soit le presque huis clos, les dialogues, les rapports entre les personnages, la difficulté de trouver sa place et l’idéalisme qu’il soit artistique ou politique, n’est pas sans rappeler La VILLA. Pourtant, contrairement à ce film et aux scènes de Tchekhov, les séquences qui se succèdent ne prennent pas pour une raison évidente, elles sont quasiment toutes ponctuées par un début et une fin, le montage n’interrompt rien. Ce qui peut paraître logique enlève pourtant toute prise du film sur le réel. Dans la réalité, les gens ne commencent pas leurs conversations lorsque la caméra s’allume, et ne concluent pas quelques secondes avant d’entendre « Coupez ! »… Les personnages ne vivent pas entre les scènes. C’est le cas dans chaque fiction, mais habituellement, on y croit assez pour ne pas (vouloir) le voir. Pourtant entre ces débuts et ces fins très lourdes, les personnages prennent souvent une vraie profondeur, des instants de vérité qui nous tirent parfois même les larmes – je suis sûrement hypersensible, je vous l’accorde.

Mais la question centrale de ce film reste la problématique que Guédiguian déploie dans la majorité de ses films : Qu’est devenu l’idéal gauchiste avec lequel il a grandi quand le combat semble définitivement perdu ? Sans le moindre fatalisme, à la manière dont il le fait aussi dans Les neiges de Kilimandjaro, il montre que cet héritage n’a de sens aujourd’hui que dans une éthique des actes de la vie quotidienne. Comme lorsqu’à la fin des Neiges du Kilimandjaro, les personnages sacrifient un bonheur personnel pour s’occuper des frères de celui dont ils ont été victimes, dans ce film, ils acceptent comme une évidence de garder les enfants immigrés que l’armée cherche sans relâche, et ainsi panser leurs blessures pour retrouver la foi en soi, les autres et leurs combats.

« Qu’est ce qui a changé ? » Demande Ariane Ascaride au début du film. La réponse est évidente : « Nous. ». Pourtant le cinéaste nous prouve une fois de plus qu’on change sans changer, que si la société évolue, notre foi en un monde plus juste, plus éthique, plus beau ne s’éteindra jamais. Et on y croit.

Et comme preuve, il convoque un extrait d’une scène magnifique d’un de ses premiers films : Ki lo sa ? où sur la musique de Bob Dylan, on voit les trois compères : Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Daroussin s’amuser comme des gosses qu’ils étaient, déjà sous le regard filmique de Guédiguian.

Tout était là et tout est resté intact : les lieux, l’amitié qui les unit et leur désir de nous faire partager leurs rires, leurs drames et leurs combats. Rien ne changera jamais, si on y croit assez fort. Le cinéma de Guédiguian est essentiel car comme il l’est dit à la fin du film :

Fais-le parce que si tu ne le fais pas, personne ne le fera à ta place et ça se perdra dans les limbes

« Une femme douce » de Sergei Loznitsa

Pays d’origine :
France, Ukraine
Pays-Bas
Allemagne
Russie, Lituanie

2h25 dans les bas-fonds de la grande Russie. Il est conseillé, pour voir le film, « d’avoir le cœur bien accroché » …
Film délibérément sans mesure, excessif. Un banquet de trop quand même (on avait bien enregistré tous les profils. Peut-être pas nécessaire de nous les présenter à nouveau lors de ce banquet « de rêve »).
J’ai pensé en vrac à Gogol, Fellini, Victor Hugo aussi. La misère humaine frappe et on est le punching ball.
La femme douce, incarnée par Vasilina Makovceva est un tableau. Visage impassible, happant nos émotions, fascinant. Ses traits rappellent à la fois ceux de Charlotte Rampling, Elisabeth Badinter, Mélanie Thierry, Claudia Cardinale par exemple … Tour à tour. Très troublant.
Tout semble étranger à la femme douce qui déambule sans peur, ne semblant prêter attention ni aux faits divers monstrueux qu’on lui relate, ni aux scènes orgiaques qui se déroulent sous ses yeux, ni aux dangers qui la cernent. Elle flotte pour un temps au-dessus, lestée toujours de ce colis dont elle ne peut se débarrasser, comme soulevée avec lui, en errance dans cette no-go zone, précédant, sans hâte, son destin. La galerie de portraits des résidents de la ville prison nous heurte mais ne l’atteint pas. Tout est normal, elle est habituée à la violence, elle est partout dans sa vie.
Dès lors où plus aucun espoir de laisser le colis ne reste, elle suivra la monstrueuse Zinka* vers son martyr et sa perte. En conscience. Résignée.
Russie de malheur laissée en héritage au peuple dévasté par les résidents de la grande URSS ?
Sergei Loznitsa, ukrainien, vivant en Allemagne depuis 2001, traite son sujet avec maestria, brio. C’est puissant, violent. Sa peinture de ce pays nous laisse sur le carreau …

Marie-No

*Zinka c’est aussi le nom de la fille coupée en morceau, de la fille qui trouve la fille coupée en morceaux. Et, donc, aussi, de la maquerelle gigantesque.

Notes sur 2 films que je viens de voir.

Ciné Paradis, vu 3 billboards de Martin Mcdonagh, avec Frances Mc Dormand, si vous vous demandez s’il faut voir ce film, dont les radios, les journaux ont parlé tant et plus,   empruntez le Télérama du 20 au 26 janvier, il raconte tout, vous ferez des économies, c’est encore mieux que le ciné à 3€50 du même journal. J’ai vu ce film au nouveau cinéma de Fontainebleau, dans une très belle et confortable salle…ça ne saurait consoler de la lourdeur et des grosses ficelles du film et aucun fauteuil n’est assez confortable pour quelqu’un qui s’ennuie.

Alticiné, vu hier, une femme douce de Sergei Loznitsa, je vous livre un extrait de la très belle critique de Jacques Mandelbaum pour « le monde » :

« Voyage infernal et dantesque, qui voit la pauvre femme, percluse dans une incompréhension et une douleur muettes, chercher à rencontrer l’emprisonné et se heurter, de scène en scène, à l’éventail complet des rétorsions d’un système oppressif qui réduit l a société à une geôle. Le bus rempli de mégères venimeuses. Le train occupé par des patriotes obtus. Les matons sadiques. Les flics corrompus. Les matrones perverses. Les alcooliques déments. La pègre partout, et les filles qui vont avec. Le tout dans un environnement sordide où la délégation pour les droits de l’homme, tenue par deux délégués tremblants, relève de la pure bouffonnerie».

L’univers du film serait un peu celui d’un peintre tel Lucian Freud, aucun détail sordide (mais réaliste en fin de compte) ne nous est épargné. Sauf qu’ici le réalisateur a une prédilection pour le sépia et les teintes obscures. Ses intérieurs sont des cloaques, ses extérieurs sont des zones décrépites,  « crapoteuses », ou des espèces de « non-lieux ».

Trop c’est trop, serait-on tenté de dire, mais contrairement au film du dessus, le réalisateur a l’outrance lucide et volontaire. Il a quelque chose à dire. Il y a une sorte de métaphore d’un gros proxénète dit à la femme quelque chose comme «  tu veux ton mari, tu n’en retrouveras que des morceaux… Et c’est ça que tu veux ?  » Et la métaphore plus générale du film dit quoi ?

 

 

Addict et Rétro

Semaine Télérama, soirée Opéra, sorties Alticiné … passer sa vie au cinéma et puis le temps d’un jour, de plusieurs même, ne pas y aller … Ressentir le manque du Grand écran, une belle sensation assurément !

Pas pour aujourd’hui « Une femme douce », ni pour demain « La villa », pour mercredi ?
pas pour jeudi « Maria by Callas » (à 20h), et vendredi ?

Mercredi et vendredi, en profiter pour revoir, à la maison, en « petit » quelques films des frères Taviani.

Les Frères Taviani : une suggestion pour la prochaine rétrospective.
Vittorio a 88 ans et Paolo 86 ans. Il ne faudrait pas trop tarder.
Voir « Padre Padrone » sur grand écran, le rêve …
Revoir « Cesare deve morire » sur gtand écran !
Qu’en dites-vous ?

Paolo et Vittorio Taviani – Ciné-club de Caen

Marie-No

« L’Homme intègre » de Mohammad Rasoulof

 

Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2017Reprise dans le cadre du Festival du 24 au 30 janvier 2018
Mercredi 24 21h35, vendredi 26 à 18h45, dimanche 28 à 13h40, lundi 29 à 15h55 et mardi 30 à 13h40
Film iranien (vo, décembre 2017, 1h58) de Mohammad Rasoulof avec Reza Akhlaghirad, Soudabeh Beizaee et Nasim Adabi 
Titre original : Lerd
Distributeur : ARP SélectionSynopsis : Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils, mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce. Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre. Mais peut-on lutter contre la corruption sans se salir les mains ?

Entretien avec le réalisateur *** Bande annonce *** Horaires

Présenté par Eliane Bideau

 

Le film qu’on n’a pas (encore) vu.

On est donc resté sur notre faim hier soir puisque les sous-titres sont restés invisibles … Une fois, 2 fois, 3 fois, 4 fois, on a vu le début du film en « simple » farsi.
C’est comment, au fait, le farsi  ?
« Le persan moderne ou farsi est la principale langue parlée en Iran. C’est une langue indo-européenne.
Le farsi ne distingue pas de genres dans les substantifs et les adjectifs. Comme le turc et les langues sémitiques, il peut remplacer, par de simples affixes, les adjectifs possessifs. La terminaison « en » est la terminaison ordinaire du pluriel et de l’infinitif comme en allemand.
La grammaire du farsi est extrêmement simple : pas de déclinaison, ce sont des prépositions  qui marquent les cas, pas d’article défini. La conjugaison est également simplifiée, beaucoup de temps et de modes étant remplacés par des formes périphrastiques. Ainsi que le grec ou l’allemand, le farsi peut former des composés de toute espèce par la simple juxtaposition des radicaux. La prononciation du farsi est douce et harmonieuse : l’accent, placé d’ordinaire sur la dernière syllabe des mots, peut être suffisamment varié pour ne pas engendrer la monotonie. C’est une langue euphonique, pleine de figures et d’images, éminemment propre à la poésie ». (extraits Imago Mundi)

On a souvent vu des films iraniens et j’avais trouvé cette langue, c’est vrai, très harmonieuse. Mais je n’avais jamais écouté aussi attentivement des dialogues en persan, sans en comprendre le moindre mot, écoutant seulement leur musique.
Et c’est impressionnant comme on peut se faire son film en s’accrochant juste aux images et à la bande son. C’est une expérience très intéressante. A refaire.
Au lieu de ça, dès les premiers dialogues, hier soir, formatés que nous sommes, on criait presque au scandale …
Et pourtant on n’y comprenait pas rien !
Merci à Eliane, de nous avoir bien éclairés dans sa présentation.

D’abord on voit cette seringue en gros plan qui injecte un liquide incolore dans ce qui ressemble à un ventre sombre tout rond. Un pansement est délicatement posé à l’endroit de l’injection.La caméra s’éloigne et on fait connaissance avec « l’homme intègre » qui, dans une grange, a fait cette piqûre dans ce qui s ‘avère être une pastèque. Des bruits de moteur lui font accélérer ses mouvements : il place la pastèque à côté de plusieurs autres et avec le matériel médical dans une cachette sous le plancher. Il replace la planche, recouvre le tout, prend un bidon vide près de la porte et sort.
On est à la campagne, dans une cour de ferme. Deux hommes (des policiers, des miliciens ?) sont arrivés qui fouillent bientôt la grange, soupèsent les pastèques laissées visibles, cherchent dans la maison, l’un des deux renifle des bouteilles. Ils cherchent un liquide interdit. On pense à l’alcool. Découvrant un fusil dans une armoire, le plus sec des deux qui paraît être aussi le plus hargneux, réclame le permis de port d’armes que l’homme intègre fournit. Son arme lui est quand même confisquée et on voit les deux compères et le fusil s’eloigner  sur une vieille mobylette.
On respire : l’homme intègre, Reza, s’en sort bien.
La scène suivante est une scène d’intérieur : Reza, sa femme et leur fils prennent leur repas et discutent. On voudrait bien sûr savoir ce qu’ils se disent … On en saisit peut-être l’essentiel : l’harmonie du couple, l’harmonie familiale, la vigilance du père protecteur.
Reza part ensuite à la ville rencontrer un ami qui, pour être à l’abri des regards, monte dans sa camionnette pour une brève conversation qu’on devine être d’une importance capitale.  A l’extérieur, tout autour du véhicule, l’atmosphère est plombée …

J’ai finalement regretté de ne pas avoir vu, hier, le film en entier en farsi sans sous-titres …
(avant de retourner le revoir avec les sous titres, ce soir ou vendredi donc)

Ca a l’air vraiment bien !

Seul et grand regret : il n’y aura pas le débat préparé par Eliane.

Marie-No

PS : j’aime beaucoup l’affiche.

Ciné d’ailleurs, vu par Marie

LES GARDIENNES

Une banale histoire d’amour pour soutenir le film ; pas d’intrigue compliquée, mais une précision de reportage pour décrire la vie des fermières que la guerre prive des époux et des fils. Absence doublée de l’inquiétude permanente de voir arriver la Maire porteur de la terrible nouvelle. Nous savons tout cela, pourtant l’intérêt ne mollit pas durant les deux heures trentedu film. De la lenteur, des silences (peu de musique de fond) ; calqués sur les attitudes de ces ruraux courageux, sans artifices. Une qualité d’image exceptionnelle qui nous emmène dans des scènes que Millet pourrait envier.

Nathalie Baye est presque méconnaissable mais excellente dans ce rôle de fermière et de matriarche attentive à la défense (jusqu’à l’injustice) des siens et de son exploitation.

 

LES CONQUERANTES

On apprend avec surprise que les femmes suisses ne votaient pas encore jusqu’à la moitié du XXème siècle. Le film est à ce titre autant un documentaire qu’une fiction.

La conquête du droit au vote est d’autant plus aventureux dans le milieu rural où se déroule le film. Aucun féminisme exacerbé pour autant ; beaucoup d’humour pour traiter de la volonté d’une poignée de femmes décidées à gagner l’égalité tout en gardant, voire en épanouissant leur féminité. L’héroïne est touchante dans sa détermination non dénuée de naïveté ; de sensibilité et de fidélité à son mari. C’est aussi pour lui qu’elle se bat…

 

12 JOURS

Á apprécier et à méditer, la citation de Nietzsche en exergue du film.

Un patient interné sous contrainte en H.P. dit au juge des libertés : « Á quoi vous servez ? » Réponse du juge : « Á rien ! »

En effet, ce film documentaire souligne à la perfection l’inanité d’une procédure où les jeux sont faits d’avance, où la parole du patient n’a aucun poids (certains, il est vrai, sont totalement dénués de raison.) La procédure n’aurait-elle pour seul but de donner bonne conscience à l’administration ? Je suis tentée de le croire, mais peut-être n’ai-je pas tout compris.

 

« En attendant les hirondelles » (2)

7 nominations au Festival de Cannes 2017Du 11 au 16 janvier 2018Soirée débat mardi 16 janvier à 20h30
Film franco-algérien (vo, novembre 2017, 1h53) de Karim Moussaoui avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou et Mehdi Ramdani

Distributeur : Ad Vitam

 

«  – il est bon le café, ici
– il est bon parce que tu le bois avec moi »

L’amour de Djalil et Aïcha est condamné, leur vie ensemble ne commencera jamais.
C’est cette scène de la deuxième partie qui me vient en premier en repensant à ce film sensible, aérien, si délicat.
Comme posés sur un large tapis roulant, les personnages glissent, marchent, courent parfois ou se figent, tombent, se dépassent, à la fois mobiles et immobiles, empêchés, dans l’attente d’un futur, regardant ou le sol ou le ciel, guettant les hirondelles qui n’en finissent pas d’arriver.

Trois parties, trois générations, trois lieux.

Alger
Dans la première partie on entre chez Lila qui incarne la femme algérienne mûre moderne, active, éduquée, divorcée mais toujours proche de Mourad et mère de leur fils. Ils ont peur de l’avenir, peur pour ce fils unique qui, après cinq ans d’études, a perdu l’envie d’être médecin . Il est ailleurs. Lila ne craint plus rien pour elle. Plus que deux mois à travailler, alors au lieu d’aller faire cours, elle va faire son marché et y emmène Mourad qu’elle continue à sermonner « c’est toi le père, c’est à toi de remettre notre fils dans le droit chemin ». Au marché il y a la scène des pommes de terre, elle tend un billet pour payer mais le vendeur n’a pas de monnaie alors Lila reprend l’argent et emporte la marchandise. Elle reviendra payer après. Continuer, avancer, garder le contact, être en compte. Et forcer la confiance.
La nuit est tombée sur Alger et sur le chemin de retour,  Mourad traverse par hasard un quartier en construction, inachevé, avec ces immeubles vides percés de grandes lucarnes noires. Dévié par la case courage, Mourad passe son tour. Sa conscience viendra lui rappeler ce choix. C’est à Lila, son épouse d’avant qu’il se confiera. Pour son épouse actuelle, Alger n’est pas adaptée. N’arrivant pas à y trouver sa place, elle renonce. L’histoire de Rasha et Mourad est finie et on peine à croire, maintenant que les hirondelles se sont absentées, qu’elle ait pu, un jour, commencer …

Le désert
Aïcha se marie et c’est Djalil qui la conduit vers l’autre. Une tragédie.
Cette deuxième partie, sombre, est baignée de lumière, de musique et de chants, de danse, de jeunesse. La route descend inexorablement vers le malheur. Mais cette parenthèse de plusieurs centaines de kilomètres et la providence de l’éloignement momentané du père va leur permettre de vivre ce qui restera probablement un des, sinon le plus beau(x) moment(s) de leurs vies. La scène du café. La scène des grenades, le père et le fils, la terre qui ne peut « appartenir » à personne. La scène de la danse dans ce cabaret improbable nimbé de leur amour. Aïcha danse et l’appelle. Djalil résiste. Pas longtemps, bien sûr. C’est très fort. Karim Moussaoui réussit à nous fait ressentir les sentiments de ses personnages tout au long de son film. A noter, dans cette scène la « gueule » du bassiste ! C’est un vrai vieux musicos sorti de derrière les fagots. La musique d’hier et d’aujourd’hui. La tradition qui vieillit quand même. Le lendemain de leur nuit d’amour, des jeunes chantant et dansant, dehors, libres sous le soleil, les invitent à la danse. Mais Aïcha , pourtant à cet instant échappée, ne se mêlera pas à eux et repartira vers la famille et la tradition.

Le bidonville
Dahman n’a pas eu le courage alors de secourir la femme qui se faisait violer .Mais il a croisé son regard et elle est, depuis, restée plongée dans le sien. Plus tard,abandonnée, elle a sû que cet homme était son salut. Elle l’a cherché et retrouvé pour faire exister l’enfant que les tortionnaires avaient fait grossir dans son ventre et qui, bien que né, vivant, n’avait pas de nom. Dahman commence par le déni, le refus, la proposition d’un accord … rejeté ! La graine est plantée dans la conscience de Dahman et elle va germer.
Au lendemain de sa nuit de noces (avec sa cousine), Dahman retourne au bidonville voir la femme. On ne connaît pas son nom. Elle est la femme universelle, abusée, abîmée, rejetée après la torture, gommée pour sauver l’honneur de la famille. Pas tout le temps, on l’a dit, Dahman est pourtant un homme courageux. Il laisse sa jeune épouse et retourne au bidonville voir la femme et apprivoiser cet enfant à qui il a décidé de donner son nom. Toute sa faute impardonnable lui sera, par cette action, pardonnée. Le frère de la femme, son seul soutien jusqu’à ce jour, rassemble ses affaires et embrasse sa sœur qui, après s’être caché le visage dans ses mains dans un dernier geste de peur et de doute, relève la tête vers son futur.

La dernière image montre ce frère qui, ayant passé le relais, une fois sorti du bidonville et passant les faubourgs d’Alger,  marche d’un pas décidé, vers le bout du désert.

Un très beau film, paisible et bouillonnant

Marie-No

PS : très belle affiche !

Ich habe genug : j’(en) ai assez, je suis comblé

« En attendant les Hirondelles » de Karim Massaoui

 

7 nominations au Festival de Cannes 2017
Du 11 au 16 janvier 2018
Soirée débat mardi 16 janvier à 20h30

Film franco-algérien (vo, novembre 2017, 1h53) de Karim Moussaoui avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou et Mehdi Ramdani

Distributeur : Ad Vitam

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Aujourd’hui, en Algérie. Passé et présent s’entrechoquent dans les vies d’un riche promoteur immobilier, d’un neurologue ambitieux rattrapé par son passé, et d’une jeune femme tiraillée entre la voie de la raison et ses sentiments. Trois histoires qui nous plongent dans l’âme humaine de la société arabe contemporaine.

Hier, avec « En attendant les Hirondelles », nous avons vu du très bon cinéma.  Un film promesse, qui nous invite à voir le prochain film de Karim Massaoui, un film qui  donne également envie de voir d’autres films algériens.

Les cinéphiles comme les lecteurs, les amateurs d’art, de vin, ou que sais-je, sont avisés lorsqu’ils regardent ce qui se fait dans le monde. Nous avons cette chance aux Cramés de la Bobine d’avoir cette fenêtre ouverte. Et l’Algérie d’hier soir nous semblait comme un village, à la fois proche et lointain, nous avions l’impression de connaître ces gens. Lors du débat, il me semble que nous avons remarqué  l’intervention de Laurence sur la forme du film, qui expose sa manière d’avancer par touches légères, celle d’Henri sur cette faiblesse, défaillance des hommes dans l’histoire, argument repris par Françoise qui l’interprète comme l’instabilité, l’absence de fiabilité des institutions qui laisserait ces hommes seuls face à eux-mêmes.

C’est sur ce thème que je souhaite mettre mon grain de sel. Regardons ces hommes.

Regardons d’abord Mourad (Mohammed Djouhri), ce beau personnage naviguant entre son ex-femme, son fiston encore un peu immature, et sa jeune et belle ex-future femme. Vous avez vu le casting, Karim Massaoui a choisi un homme d’aspect solide et vieillissant. Un entrepreneur qui évoluait naguère dans une corruption ordinaire qui brutalement change de braquet et le dépasse. Tout va bien pour lui jusqu’à l’incident : Il fait nuit, on est dans un quartier neuf d’Alger, on entend un bruit sourd, comme un râle, en fait il y a derrière un mur, sur une place déserte, deux hommes qui en rossent un troisième. Mourad se cache, son téléphone sonne, il se cache davantage, il a peur. Sans doute ce bruit fait fuir les agresseurs. (Cette scène au moment  où la voiture des agresseurs démarre, fait penser à une scène de guerre).Alors Mourad s’approche à distance respectueuse, au sol, un homme git et râle. Comme dans la chute de Camus, il reprend son chemin. Ne pas voir va ensuite lui causer des soucis concrets, d’abord avec sa vieille femme puis sa jeune maîtresse et comme on le verra la séquence 3, sa  cataracte commence à lui poser question. Ne pas voir quand il le faut, lui trouble la vue… et le cerveau… qu’il pense cancéreux. La remarque de Françoise prend toute sa pertinence, à qui se fier ? Mais pas seulement. Revenons à cette fameuse séquence, il y a un plan où il boit un verre à côté d’un homme médecin neurologue Dahman, (Assan Kachach). Qu’est-ce qui unit ces deux hommes, pas grand-chose, une coïncidence . On sait à ce moment du film que Dahman a été concerné de près par le terrorisme. Ces deux hommes ont l’âge d’avoir pris de front la période des années 90. La question de Mourad, c’est que sa lâcheté du moment est composée d’une matière complexe, de mauvaises anticipations comme le  signale Françoise, et tout autant d’un passé où il a bien dû se cacher, avoir peur, refusé de voir. La « lâcheté de Mourad »semble construite plus qu’instinctive, la prudence et la peur reprennent la place d’autrefois, vous voyez, un peu comme quand on a fait une boule avec du papier cellophane de chez la fleuriste, qu’on la presse dans la main et qu’on la relâche.

Alors un mot sur Dahman, (Assan Kachach) le neurologue. Là encore, quel casting. Dommage, quand je vais le revoir, je ne me rappellerai plus son nom et je vais me dire, tiens ! C’est le neurologue ! Cet homme de belle allure est amené à se rendre dans un bidonville, dans les conditions que vous connaissez. Il y retrouve une petite dame réprouvée, au regard pénétrant, à l’allure résolue, en d’autres circonstances, elle aurait pu être à sa place. Elle lui propose de se souvenir d’elle. Ce qu’il refuse d’abord, par déni sans doute. Mais il devra admettre que dans le passé,  lui,  le médecin, otage d’un moment, l’a vue au moment ou les terroristes l’ont emmenée dans une cabane pour la violer. Et qu’il n’a rien fait.  Dahman n’est pas coupable, que pouvait-il ? Pas coupable mais concerné. Du moins, il aurait dû l’être. Mais tout dans sa vie autorisait la résilience. Ce passage montre que cet homme n’est aucunement résilient. Il a construit sa réussite sur une sorte de scotomisation*(1)  du passé(quelque chose qui est là mais qu’on ne voit pas) , et sa réussite sociale est comme une gomme à effacer. Mais à son tour cette réussite s’efface devant un passé à partager. Et l’occasion lui est donnée d’avoir à réparer quelque chose. Est-ce à lui de le faire, pas plus qu’il lui revenait de voir un viol. Mais on sent qu’il va le faire parce que ce passé est aussi   une possibilité de  partage. De faire un présent (aux deux sens du terme) acceptable après un passé qui ne l’était pas.

Du coup,  il nous reste Djalil (Mehdi Ramdani). Le jeune homme qui ne rit pas -Intense le garçon, vous avez vu? – Lui porte une liberté, il est comme cette musique du film, il est à la fois la musique de Rina Raï et parfois comme Mourad,  celle plus sombre plus résignée d’une messe de Bach interprétée par Alfred Deller. Peut-être est-il aussi  une promesse, celle du groupe musical « Kusturicien » qui clôt la 2ème partie. L’espoir et la résignation. À lui on peut dédier cet extrait d’une interview de Karim Massaoui : « En Algérie, les ancêtres sont encore sacralisés, ils sont très présents, avec leur base morale, leurs codes de conduite, ils sont là, ils nous surveillent et ils exercent une sorte de chantage occulte qui se rappelle sans cesse à nous : si on trahit leur mémoire, on sera bannis ».

Et terminer ce commentaire sur ce film rhizome par cet extrait musical.

Raina Rai, Ya Zina Diri Latay – راينا راي , يازينة – YouTube

 

 

*(1)Scotome : Le terme scotome désigne une lacune immobile dans le champ visuel (étendue perçue par le regard quand celui-ci reste immobile) due à l’absence de perception dans une zone de la rétine.

PS (et « repentir ») : Jamais musique de film n’est innocente. La prochaine fois je ferais très  attention, ici elle vaudrait à elle seule un article , et surtout aurait du être  davantage soulignée lors de la présentation du film, le choix de  la musique Raï doit nous rappeler que les extrémistes  religieux ont aussi assassiné  cet élan de création culturel universel, une musique de toute beauté… et physiquement, certains de ses représentants. Le choix de cette musique dans le film n’est donc pas innocent. Il faudrait-alors ré-écouter toute la bande musicale. 

 

« 12 jours » Raymond Depardon (3)

C’est dommage, Marie-No que tu n’aies pas assisté à la présentation du film par Georges et entendu les différentes réactions à la projection de ce film. Evidemment, nous n’avons pas quitté la salle avec des certitudes mais avec la connaissance d’un dispositif que pour ma part, j’ignorais et une grande perplexité devant la position de tous les protagonistes : malades, soignants et juges.
Je pense qu’il faut préciser le rôle du juge de la liberté et de la détention (JLD). Il est là pour contrôler que le maintien en hôpital psychiatrique sous contrainte se fait conformément à la loi, que l’évaluation de l’état de santé du patient a bien été effectuée par l’équipe médicale, que ce maintien n’est pas reconduit mécaniquement. Il ne prend pas position sur la maladie elle-même, il n’est pas soignant. Cela ne veut pas dire que, parallèlement, la situation du patient ne peut pas être étudiée par d’autres juridictions. Tu parles de la personne employée chez Orange : la situation de ces salariées a été portée devant les prudhommes, certains malades en burn-out ont été reconnus en maladie professionnelle avec tous les droits que cela leur procure mais cela ne relève pas du JLD. Mais, je ne suis pas vraiment apte à parler de cela de manière suffisamment éclairée. J’ai trouvé un article de Rue 89 qui a interrogé des JLD de l’USM (principal syndicat des magistrats) qui répond mieux que moi à nos interrogations.

Psychiatrie : dans la tête des juges qui décident d’interner sous … – L’Obs