« En attendant les hirondelles » (2)

7 nominations au Festival de Cannes 2017Du 11 au 16 janvier 2018Soirée débat mardi 16 janvier à 20h30
Film franco-algérien (vo, novembre 2017, 1h53) de Karim Moussaoui avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou et Mehdi Ramdani

Distributeur : Ad Vitam

 

«  – il est bon le café, ici
– il est bon parce que tu le bois avec moi »

L’amour de Djalil et Aïcha est condamné, leur vie ensemble ne commencera jamais.
C’est cette scène de la deuxième partie qui me vient en premier en repensant à ce film sensible, aérien, si délicat.
Comme posés sur un large tapis roulant, les personnages glissent, marchent, courent parfois ou se figent, tombent, se dépassent, à la fois mobiles et immobiles, empêchés, dans l’attente d’un futur, regardant ou le sol ou le ciel, guettant les hirondelles qui n’en finissent pas d’arriver.

Trois parties, trois générations, trois lieux.

Alger
Dans la première partie on entre chez Lila qui incarne la femme algérienne mûre moderne, active, éduquée, divorcée mais toujours proche de Mourad et mère de leur fils. Ils ont peur de l’avenir, peur pour ce fils unique qui, après cinq ans d’études, a perdu l’envie d’être médecin . Il est ailleurs. Lila ne craint plus rien pour elle. Plus que deux mois à travailler, alors au lieu d’aller faire cours, elle va faire son marché et y emmène Mourad qu’elle continue à sermonner « c’est toi le père, c’est à toi de remettre notre fils dans le droit chemin ». Au marché il y a la scène des pommes de terre, elle tend un billet pour payer mais le vendeur n’a pas de monnaie alors Lila reprend l’argent et emporte la marchandise. Elle reviendra payer après. Continuer, avancer, garder le contact, être en compte. Et forcer la confiance.
La nuit est tombée sur Alger et sur le chemin de retour,  Mourad traverse par hasard un quartier en construction, inachevé, avec ces immeubles vides percés de grandes lucarnes noires. Dévié par la case courage, Mourad passe son tour. Sa conscience viendra lui rappeler ce choix. C’est à Lila, son épouse d’avant qu’il se confiera. Pour son épouse actuelle, Alger n’est pas adaptée. N’arrivant pas à y trouver sa place, elle renonce. L’histoire de Rasha et Mourad est finie et on peine à croire, maintenant que les hirondelles se sont absentées, qu’elle ait pu, un jour, commencer …

Le désert
Aïcha se marie et c’est Djalil qui la conduit vers l’autre. Une tragédie.
Cette deuxième partie, sombre, est baignée de lumière, de musique et de chants, de danse, de jeunesse. La route descend inexorablement vers le malheur. Mais cette parenthèse de plusieurs centaines de kilomètres et la providence de l’éloignement momentané du père va leur permettre de vivre ce qui restera probablement un des, sinon le plus beau(x) moment(s) de leurs vies. La scène du café. La scène des grenades, le père et le fils, la terre qui ne peut « appartenir » à personne. La scène de la danse dans ce cabaret improbable nimbé de leur amour. Aïcha danse et l’appelle. Djalil résiste. Pas longtemps, bien sûr. C’est très fort. Karim Moussaoui réussit à nous fait ressentir les sentiments de ses personnages tout au long de son film. A noter, dans cette scène la « gueule » du bassiste ! C’est un vrai vieux musicos sorti de derrière les fagots. La musique d’hier et d’aujourd’hui. La tradition qui vieillit quand même. Le lendemain de leur nuit d’amour, des jeunes chantant et dansant, dehors, libres sous le soleil, les invitent à la danse. Mais Aïcha , pourtant à cet instant échappée, ne se mêlera pas à eux et repartira vers la famille et la tradition.

Le bidonville
Dahman n’a pas eu le courage alors de secourir la femme qui se faisait violer .Mais il a croisé son regard et elle est, depuis, restée plongée dans le sien. Plus tard,abandonnée, elle a sû que cet homme était son salut. Elle l’a cherché et retrouvé pour faire exister l’enfant que les tortionnaires avaient fait grossir dans son ventre et qui, bien que né, vivant, n’avait pas de nom. Dahman commence par le déni, le refus, la proposition d’un accord … rejeté ! La graine est plantée dans la conscience de Dahman et elle va germer.
Au lendemain de sa nuit de noces (avec sa cousine), Dahman retourne au bidonville voir la femme. On ne connaît pas son nom. Elle est la femme universelle, abusée, abîmée, rejetée après la torture, gommée pour sauver l’honneur de la famille. Pas tout le temps, on l’a dit, Dahman est pourtant un homme courageux. Il laisse sa jeune épouse et retourne au bidonville voir la femme et apprivoiser cet enfant à qui il a décidé de donner son nom. Toute sa faute impardonnable lui sera, par cette action, pardonnée. Le frère de la femme, son seul soutien jusqu’à ce jour, rassemble ses affaires et embrasse sa sœur qui, après s’être caché le visage dans ses mains dans un dernier geste de peur et de doute, relève la tête vers son futur.

La dernière image montre ce frère qui, ayant passé le relais, une fois sorti du bidonville et passant les faubourgs d’Alger,  marche d’un pas décidé, vers le bout du désert.

Un très beau film, paisible et bouillonnant

Marie-No

PS : très belle affiche !

Ich habe genug : j’(en) ai assez, je suis comblé

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