Jean-Pierre Marielle (1932-2019)

Jean-Pierre Marielle au Festival de Cannes 2013

« Il faut bien partir, un jour, que diable  ! »

Votre voix, tonitruante et douce, si singulière, la malice clairement bienveillante de vos yeux sombres, votre stature puissante nous accompagnaient depuis longtemps et nous vous retrouvions toujours avec un plaisir infini. Campé solidement sur vos longues jambes,relevant la tête en parlant, la penchant un peu pour être raccord avec la vie toujours un peu bancale, vous incarniez à merveille le colosse aux pieds d’argile, l’Humanité.
Vous nous enchantiez et nous pleurons votre disparition.
Salut, Monsieur Marielle.

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Sibel de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti nous emmènent à Kusköy, le village des oiseaux, où l’on parle la langue sifflée. Ils  appellent leurs films des fictions sincères parce que  fiction et documentaire y sont intimement liés.  Sur le plan documentaire, dans le cas de Sibel, on voit de quoi il est question, les paysages montagnards de la mer noire, Küskoy, le thé, les noisettes, cette langue sifflée, cette curieuse langue. 

Puis plus sociologiques, les rituels du village,   la condition des femmes, celles qui cultivent le thé, celles qu’on marie à coups de marieuses et qui toutes jeunes se font belles pour arrêter de s’appartenir et devenir la femme de… Celle qui sert le thé, tient la maison et obéit à son homme dans le meilleur des mondes paternaliste. Et les plans séquences restituent le mouvement lent ordinaire de cette vie-là. 

Et puis il y a la fiction, un conte, disent les réalisateurs. Qu’est-ce qu’un conte ?  Un moyen de dire des choses qu’on ne dit pas par d’autres voies, ce qui ne peut pas s’entendre tel quel, ce qui est le plus souvent refoulé, ce qui des désirs humains est parfois peu avouable : Inceste, crimes, violences sociales, les contes abordent toutes ces questions et bien d’autres. (En écrivant ces lignes je pense à Catherine Deneuve chantant dans Peau d’Âne, mon enfant… On n’épouse jamais ses parents) 

Donc Sibel est un personnage de conte. Tout la distingue, elle est belle, muette, contrairement aux paysannes du village, elle ne porte pas de foulard, ses cheveux vont au vent au rythme de son pas vif. Elle va où bon lui semble et pire encore, chasseresse, elle manie le fusil que son père lui a offert.  Elle dégage une  impression, d’énergie, d’impétuosité et… de liberté. 

Cette liberté, elle lui est accordée car elle n’est pas comme les autres, sinon jamais elle ne l’obtiendrait. Mais elle a un prix, elle est ostracisée par les femmes du village. Elles ne lui parlent pas, elles ne s’assoient pas à côté d’elle, surtout si elles sont enceintes. Elle est de celles qu’on ne songerait pas à marier. Elle a le mauvais œil. 

Pourquoi la forme conte ?  Les thèmes du film sont sulfureux, un critique de journal turc l’a bien repéré. « Le scénario est parsemé de personnages et de péripéties qui tournent autour de concepts clichés comme la marginalité, l’autorité, l’étranger ou la liberté – autant de mots qu’il est de bon ton d’employer pour éblouir les jurys des festivals internationaux ». Ici, le censeur rend péjoratives et complaisantes  les vertus du film. D’autres critiques Turcs disent : Le propos du film est de s’élever contre ce modèle qu’il décrit et qui consiste, à l’échelle d’un village, d’un quartier ou d’une société entière, à réagir contre l’autre, celui qui est différent, à le contraindre, puis, avec l’avantage que procure le nombre, à l’étouffer, lui et sa différence ». Dans les deux cas le fond paternaliste du film échappe aux critiques, et c’est bien ainsi car nos deux réalisateurs l’insèrent dans un cadre plus vaste, celui de la discrimination et de  la violence mimétique. C’est-à-dire de la répétition à l’infini de la violence institutionnelle ou non,  et des choses cachées. Sibel et le loup est un moyen de parler de ces choses cachées. Les métamorphoses du loup, de Sibel à Ali, nous conduisent à un fantôme, celui de Fuat, l’amant de Narin  assassiné par les frères de Narin.

Le meurtre, cette chose cachée, que Sibel (d’une manière quasi chamanique) cherchait inconsciemment sous la forme d’un loup continue de gouverner la communauté. Et les hurlements du loup ne sont peut-être que ceux d’une mauvaise conscience collective.  

Autre particularité du film, les hommes y  sont rares, pourtant la loi, c’est  la leur, celle du paternalisme qui fonctionne sans même leur présence. Le film montre aussi que cette loi est toute aussi aliénante pour les hommes. Emin le chef du village et  père de Sibel et Fatma est tiraillé dans son rôle, entre père institutionnel, représentant de la loi des mâles, ou père affectif,  il lui faut choisir. On voit bien la différence, le premier rôle est posé de toute éternité, le second doit chaque fois s’inventer. Le premier fige, le second fait devenir. Et Emin choisi de voir le monde comme Sibel le lui proposait… avec amour.

Mais après tout, n’a-t-il pas donné à Sibel un prénom  qui vient du fond des âges une sorte de  désaveu du paternalisme ?  « Sibel est un prénom féminin d’origine turque dérivé de la déesse phrygienne. Cybèle (en « gardienne des savoirs ») adoptée par les Grecs et les Romains, personnifiant la nature sauvage. On disait qu’elle pouvait guérir des maladies (et les envoyer) et qu’elle protégeait son peuple pendant la guerre. Elle est présentée comme Déesse mère ou encore Mère des dieux. C’est l’une des plus grandes déesses de l’Antiquité au Proche-Orient ».

Le village de  Kusköy est un village monde, rien des choses humaines qui s’y déroulent ne nous est étranger. A la violence humaine  universelle, les réalisateurs opposent ceux qui lui résistent, ils pourraient sembler une minorité définitive,  c’est ce que Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti ne tiennent pas pour acquis et  c’est la raison même de Sibel. 

Sibel de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Sibel : Affiche

Présenté par Georges Joniaux
Soirée débat 16 avril 2019

Des femmes enfermées dans le regard de l’autre qui juge et condamne, qui bannit et qui tue. Comme on sait, c’est ainsi que des femmes vivent. Des hommes aussi car, pour s’être exprimé devant tous les autres dans la langue de sa fille, le père se condamne et la fin du film annonce la brutale déchéance qui attend, ce « chef de village ». En admettant qu’il finisse son mandat, pas la peine qu’il se représente !
En aucun cas, il ne s’agit de progrès ni d’espoir. Il s’agit d’obscurantisme et de désespoir.
Fatma, sa sœur, et Çiçek, la jeune mariée forcée, sont les alliées de Sibel, mais tacitement et en aucune façon ces trois jeunes femmes n’ont le pouvoir de faire changer les traditions de Kusköy, village des oiseaux.
Que peuvent ces malheureuses contre le chapelet multicolore de femmes accrochées dans le paysage ? Rien. Il ne leur reste que l’exil impossible. Ou la montagne, comme Narin, la villageoise fugitive qui continue à attendre Kuat, son amoureux massacré cinquante ans plus tôt sous ses yeux pour sauver les traditions, la condamnant, elle, à perpétuité.
Sibel aura-t-elle la même destinée ? Peut-être. Si tous les loups enragés guidés à distance par les louves serviles et furieuses, visages durs, silhouettes lourdes, retrouvent Ali et le sacrifie sur l’autel de la moralité, la plongeant, elle, dans les ténèbres de sa vie perdue. C’est toute cette horreur qu’on entend dans son cri muet assourdissant.

On aurait voulu sentir nos cœurs se révolter mais si Sibel, haletante, ride du lion activée, en permanence, enjambe du même pas décidé les obstacles de sa route, nous, on bute sur les raccourcis déblayés, le manque de nuances du récit, de l’interprétation, le simplisme, finalement, de l’intrigue.

On nous le siffle. Heureusement.

Marie-No

Les Eternels de Jia Zhangke

Les Éternels (Ash is purest white) : Affiche

Présenté par Françoise Fouillé
Soirée débat le 9 avril 2019

Comment ça se fait qu’un film aussi dense, aussi rempli, nous laisse sur notre faim ? Si c’était un met je dirais un soufflé, un soufflé bien réussi, beau, gonflé, très riche et aérien, léger en bouche, presque fuyant. Consistant inconsistant.
On est demain matin comme disent les enfants et c’est pareil qu’hier après la projection … Le sentiment qu’il manque quelque chose. Pourtant le style est indéniable, la construction solide, les personnages existent. Jia Zhangke est un virtuose.
La Chine, la vraie nous est montrée sans ambages : immense, monumentale, très peuplée. On voyage avec Qiao (Zhao Tao) et curieusement et sans doute à dessein, le grand écran est trop petit pour prendre assez ces paysages en pleine figure. Les dimensions sont tellement hors norme qu’elles ne cadrent pas avec « l’humain ». Jamais on ne pourra envisager, réaliser vraiment ce qu’est le barrage des Trois Gorges. C’est trop grand.
Les principes, les croyances restent actuels et dans le milieu de la pègre aussi. Pour preuve, le brigand, menteur comme un arracheur de dent, qui se fait tout petit quand il s’agit de jurer sur la statue d’un dieu à longue barbe, qu’on va chercher en cas de doute. S’ils sont tous comme ça, les secrets ne doivent pas être très bien gardés à Datong ! Je ne me souviens plus comment ils l’appellent … Le gouverneur ? « vas chercher le gouverneur » ? Possible. Qui est ce Dieu ? Tudigong, Dieu du sol, Esprit/Dieu d’influence locale qui veille à la façon d’un fonctionnaire sur le bien-être des habitants ? J’aurais dû poser la question à Françoise.
Chien : Principal atout : Fidélité, loyauté. Les jumeaux, qui ont massacré la rotule de Bin à coup de barre de fer, sont du signe du chien : on peut les libèrer. Ils sont en laisse, au pied, enfermés dehors, et pas très malins. Mais, quand même,  quelle drôle de question sur le signe astrologique. C’est très chinois. On imagine mal un Corleone posant la question …
Plus avant dans le film, un truand se vantera d’être du signe scorpion … contaminé par l’occident, ce que Qiao refuse d’être, même pour danser.
Qiao pourrait être du signe du Chien, fidèle et loyale envers Bin, comme si elle se l’était juré, pour la vie, et elle s’obstine, niant les marques de veulerie de son élu, mais sachant les voir pour le récupérer. Lâcheté masculine worldwide oblige, elle sait que, jamais, il ne lui dira en face qu’il la quitte. Il est à elle, il doit être à elle, à la vie, à la mort. Il se laisse aller à être à elle, il s’en remet à elle. Pas romantique mais c’est aussi ça l’amour ! Eh oui !
Avant de l’admettre, on peut, éventuellement, être perplexe sur le sentiment qui  lie ces deux-là. Perplexe et distant car quand l’amour n’est pas passionné, il ne passionne pas. Pourtant, au fur et à mesure, on envisage la situation différemment, on progresse en cours de route. Jusqu’à la scène finale des écrans de surveillance. Qiao est désemparée. Bin, là, épatant !,  est parti, seul, infirme, sans l’argent qu’elle lui octroie. Il a brisé ses chaînes et Qiao est terrassée.
Les écrans de surveillance la filment. On dirait la vidéos surveillance d’une cellule carcérale. Qiao est abandonnée par l’homme qu’elle avait décidé d’aimer et c’est toute sa vie qui se referme sur elle.

Les cendres de la Chine moderne ne recouvrent pas celles de la Chine ancienne. Elles se mélangent pour faire le nid des tragédies éternelles

Intriguée, intéressée, pas rassasiée … et 2h16 quand même !

Marie-No

PS : pour info
Zhao Tao est Dragon
Jia Zhangke est Chien 😉

Dernier amour de Benoît Jacquot

Dernier amour : Affiche

Dernier amour … Vincent Lindon …  Non ce n’est pas possible que Casanova ait été celui-là. Vincent Lindon tenait au rôle et Jacquot a dit oui. Erreur fatale de casting. Déjà par l’âge du personnage. Casanova à Londres avait 39 ans. Vincent Lindon en a 59 ans. Il y a là un écart que même lui ne peut combler. Mais le gros problème, c’est l’allure. Cet air de chien battu, ces yeux d’ami fidèle ne reflètant jamais ni perversité, ni luxure, ces épaules tombantes (mais qui a validé ces vestes molles sans épaulettes ???). Mou, morne, sans panache … On a l’impression qu’il a remis ses habits de Joseph croqué par Célestine. Jamais, jamais on ne voit Casanova, jamais on n’est à Londres, jamais on ne comprend quel effet peut bien produire cette jolie petite personne, portant certes bien la toilette, taille mannequin, mais ne dégageant aucune sensualité, n’incarnant rien..
The charme féminin, l’effet fulgurant qui met les hommes à terre. Voilà ce qu’il eût fallu voir.
Pareil que pour Lindon, la séduction, qui passe d’abord par le regard, n’existe pas, ne se lit jamais dans les yeux de Stacy Martin. Aucun des deux ne dégage le charme sulfureux, essentiel à cette histoire et donc on ne voit pas trop à quoi rime tout ça … Casanova n’arrive pas à mettre La Charpillon dans son lit et par pur instinct de chasseur, s’obstine. Normal. Banal.
Rapidement, on rit de ces indices grossiers semés sur les graviers de ces décors superléchés. Casanova qu’on nous montre épicurien, bon vivant, de bel appétit devant des mets raffinés et se jetant dans le lit des femmes (encore que la scène montre un rendez-vous sans gloire avec deux prostituées)  perd soudain et très ostensiblement l’appétit et le goût pour l’alcool , signe d’état amoureux bien sûr et on a bien compris le message mais quand, seul,  il commande un lemon juice sous la tonnelle, même table, même lumière et même costume que la scène de référence … oh, non ! Quel manque de subtilité.
On voulait voir, dans ses yeux, couler le jus de citron dans la gorge de l’aimée et sentir l’acidité du moment. 
Casanova, à peine assis dans un salon de musique, cœur attendri, adouci par l’amour, happé par la musique, regard embué de larmes … artificielles.
Là on a carrément envie de rire ! Quel poseur !
Pendant le film, un Marielle me soufflait à l’oreille, de sa voix tonitruante : « qu’ils baisent et qu’on en finisse ! »
Donc …

Marie-No

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Agnès Varda (1928-2019)

Description de cette image, également commentée ci-après

Marquée, par bonheur, à son adolescence par Sète, ses odeurs, ses couleurs, sa lumière, Agnès, à 24 ans, s’en était remis à elle pour son premier film, La Pointe courte.
Alors jeune photographe, elle devint cadreuse. Cadreuse à vie.
Aimant la Peinture, elle mit tous ses talents dans les images qui bougent et les faisait parler.
Agnès Varda filmait comme elle respirait, elle regardait et imaginait le reste, vivait dans son époque avec ses joies et ses épreuves qu’elle nous rapportait. Elle filmait les gens simples, des gens « sans importance », des pécheurs, des glaneuses, des ouvriers. Elle filmait, avec amour,  la vraie vie, disant, avec une apparente simplicité, les choses difficiles, secrètes du cœur, ses égratignures, ses tourments, ses blessures et le Bonheur aussi.

Agnès Varda était féministe naturellement, évidemment et avait dit regretter qu’on la regarde comme une femme qui réalise. Il y a seulement des films. Ceux qui les font sont hommes ou femmes, aucune différence.
Quand les gens ne sont pas contents, ils vont dans la rue et c’est dans la rue qu’elle trouvait ses idées.
Agnès Varda avait une force de création immense et embellissait tout ce qu’elle touchait. Jusqu’au bout.

En novembre 2012 sortait le coffret de 22 DVD, « Tout(e) Varda », l’ensemble de ses œuvres, certaines, comme « Oncle Yanco », un peu oubliées.
Depuis, se sont ajoutés « Visages, Villages » et « Varda par Agnès », sa révérence.
Notre dernière rétrospective lui était consacrée …
Agnès est partie.
Quelle belle vie !
Merci

Marie-No

VIII eme Week-end Jeunes Réalisateurs

Oui, Réalisateur de « jeune Réalisateur  » prend un R majuscule !
Il en faut du talent pour réaliser un film et a fortiori un premier film !
Talents d’imagination et d’écriture, talent dans le choix des acteurs, de l’equipe, capacité d’abnégation, force de persuasion  indéfectible tant le financement est un mur difficile à franchir, franchi quand même. Quelle énergie il faut pour rassembler tous les ingrédients nécessaires à l’aboutissement du projet.

Pour que la sauce prenne, tous ces ingrédients doivent être réunis avec, en plus, là, une petite part de mystère, une sorte de part des anges, quelque chose qui échappe à l’auteur, et qui comme par alchimie donne à une œuvre cinématographique réussie sa saveur à chaque fois unique.

 

Pendant ce week-end, on a eu beaucoup de chance. La chance de voir 7 films tous très différents les uns des autres. La chance de rencontrer 3 réalisateurs. 3 passionnés talentueux.

Vu 2 grands films parmi les beaux films proposé.

Les Drapeaux de papier de Nathan Ambrosioni

Obligés de penser à l’âge du réalisateur puisqu’on le connaît  mais peu importe. Ce film est un bijou. Tout est bien et l’emotion est là qui nous guette et nous submerge. Guillaume Gouix, on l’a déjà vu à l’oeuvre quelques fois et on l’a bien repéré. Là il nous livre un personnage hors du commun, hors de contrôle, bouleversant. Avec Noémie Merlant, jusqu’ici inconnue, d’une justesse et d’une  présence  étonnantes, ils nous arrachent les larmes ! Nathan Ambrosioni, à 18 ans, dirige ses acteurs de façon magistrale.

L’Epoque de Matthieu Bareyre

Mon coup de cœur de ce WEJR.

On a vu L’Epoque présenté par son réalisateur et en avant première !  Quelle chance ! Quel film !

»Je savais que tous ces jeunes existaient mais je ne savais pas qu’ils avaient tant à me dire » D., après la projection.

La sortie nationale le 17 avril ne va pas passer inaperçue.

Et, une fois de plus je me dis : Quelle chance, quel avantage, quel privilège j’ai d’être Cramée !

Marie-No

Coup d’œil sur le Week-End des Jeunes Réalisateurs.

Comme chaque fois certainement, j’ai trouvé que ces journées étaient les meilleures que j’avais vues. Mais qu’il me suffise de revenir seulement un an en arrière pour m’apercevoir de l’illusion rétrospective.  Nous présentions alors  des films tels que « jusqu’à la garde »de Xavier Legrand qui un an plus tard allait rafler tous les Césars !  Ou encore « Makala»d’Emmanuel Gras ce documentariste  qui fait une œuvre originale et superbe.

La réalité  c’est que ces journées nous donnent chaque fois l’occasion de voir des merveilles et qu’elles appartiennent aux jours de fêtes de nos vies d’amateurs de cinéma.

Voici quelques brèves (et moins brèves)  notes sur ces films. 

Samedi 14 h30-Avec les Drapeaux de Papierde Nathan Ambrosini, nous commencions bien. Ce garçon de 30 ans, (Guillaume Gouix) relâché de prison qui débarque chez sa sœur (Noémie Merlant) , avec tout ce qu’il est, son traumatisme carcéral, ses colères et violences infantiles,  et qui va bouleverser sa vie. Il y a dans ce film une tension permanente, une imprévisibilité,  on est à chaque plan en attente d’un clash. Souvent filmé de dos, boule à zéro, ce jeune homme donne l’impression d’un boxeur qui va rentrer sur un ring. Qui va de manque d’amour en amour manqué.  Mais toute la beauté du film est de montrer que cette vie qui rend malade peut être aussi une vie qui soigne. Le tandem d’acteurs est remarquable nous connaissions Guillaume Gouix et découvrions Noémie Merlant (une actrice à suivre).

Suit « l’ordre des médecins »que je n’ai pas revu mais dont beaucoup de spectateurs ont dit le plus grand bien et sûr que ce film aura un beau succès.

Puis « L’amour debout » clos cette journée, avec la présence  pour le débat de Michaël Dacheux- Très beau film et superbe débat !  Un film d’un réalisateur qui aime le réel et les gens. Et cela se traduit par son attention bienveillante portée au public comme dans le choix de ses acteurs, dans l’importance qu’il donne à la vraisemblance des personnages. C’est un film qui ausculte une société de gens cultivés,  qui vivent chichement, dans  ce qu’on a entendu appeler le « précariat contemporain ». Dont le souci n’est pas d’être riches mais de vivre de ce qu’ils aiment et de ce en quoi ils croient, pour le meilleur et le pire. Des gens modestes qu’on ne montre pas habituellement car ils ne sont symboliques de rien. Et parmi eux Martin qui veut faire du cinéma, qui est homosexuel, qui est mal de l’être. Mal parce qu’il sépare sa sexualité de ses sentiments. Et parmi eux encore Léa la guide parisienne à son compte,  qui hésite à aimer après avoir aimé Martin, mais qui aime tout de même, « un vieux » de deux fois son âge…Musicien, compositeur et qui ne peut pas faire autrement que de l’être. On pense à Marcel Proust voit bien ce qui pourrait séparer le réalisateur d’un Marcel Proust. Il y a pourtant quelques choses qui le rapprocheraient de la recherche : La question de l’effet du temps, de la séparation et des retrouvailles. Il y a aussi ce goût immodéré pour les arts et les sciences,  le 7èmeles rassemblant tous, et il ne s’en prive pas, avec une l’architecture d’un Paris peu connu, la musique de Schuman et Ravel, la qualité littéraire des dialogues, les livres etc…  

Micahël Dacheux  nous fait découvrir son univers avec finesse, par touches légères, il a la modestie et la profondeur de quelqu’un qui fait et fera une œuvre authentique et originale. 

Dimanche 11 heures,   Pearl d’Elsa Amiel, avec une actrice peu commune (Julia Föry). Le monde du Body-Building féminin, c’est-à-dire de l’auto-construction un peu monstrueuse de son corps, un corps mû par une volonté venue d’ailleurs, un coach (Peter Mullan). Cette femme  a fait un enfant à un homme, un homme joueur, un peu marginal, pas terrible. Il revient dans sa vie alors qu’elle prépare un concours crucial pour son coach par elle-même interposée. Ce film  mixe des choses vues mille fois, le renoncement à être mère, le renoncement à être soi-même pour être championne !  Mais, il y a quelque chose de troublant et de fascinant dans ce monde hors norme où l’on prend des potions magiques comme on prendrait un café. Où l’exploitation de l’homme par l’homme est réduite à sa plus simple expression et il faut bien avouer, si les thèmes sont connus, voir ces femmes étranges est assez rare.

« Un violent désir de bonheur » de Clément Schneider en présence du réalisateur, Encore un film original, ça commence par un portefaix, un colporteur qui court et annonce la nouvelle : les révolutionnaires approchent. Nous sommes en 1792 et ils réquisitionnent les bâtiments d’église. Un monastère, des moines, et l’irruption des révolutionnaires hirsutes, et parmi eux, étonnante, une femme noire, Marianne, (Grace Sery).On est rapidement captivé par ce film car un moine (Quentin Dolmaire) les questionne sur leurs fins, et son sang-froid est grand et sa langue exquise. Avec ce vent des hommes de la liberté souffle aussi celui d’une autre liberté, de l’émancipation de notre moine sous l’effet de Marianne la grace, le bonheur et la liberté souveraine dans un monde soi-disant libre. Au demeurant elle est à  l’image du réalisateur qui quitte 1792  à la fin de son film par une chanson de Marianne Faithfull. Je n’ai hélas pas entendu le réalisateur, mais je suis prêt à parier que nous le reverrons pour une autre oeuvre,  et ses acteurs  ont de l’avenir, parce qu’ils sont formidables.

PS : Nous avionsvu Grace Sery à Prades dans un court-métrage, « le bleu, blanc rouge de mes cheveux ! »

« L’époque » en présence de Matthieu Bareyre son réalisateur,un documentaire. On croit d’abord qu’on va être dans le prolongement des documentaires sociologiques dans la lignée de « Chronique d’un été » de Jean Rouch ou encore de « le Joli mai » de Chris Marker,  mais M.B ne se positionne pas en élève. Il tourne juste après le massacre de Charlie,  après « Je suis Charlie » et son unité opportuniste. Derrière cette unité il y a le  bouillonnement passionnel des jeunes. Et les mots pour le dire des jeunes qu’on peut résumer par impasse, oppression,  fureur, colère et désespérence. On est tantôt Place de la République à Paris, tantôt ailleurs, non loin. La colonne vertébrale du film c’est Rose, une jeune femme, française  et noire (avec les dicriminations d’usage !), noctambule, intellectuelle « surdiplômée »,  (il faut bien être maintenant pour inventer un tel mot !).On peut parier sur le succès de ce documentaire car il est construit comme la musique qu’il utilise : La follia de la sonate n°12 de Vivaldi par Il Giardino Armonico, musique folle et  impétueuse. Impétueuse, comme l’est cette jeunesse pour laquelle les parents n’ont pas prévu d’avenir, si ce n’est pathétiquement le leur. 

Lune de Miel d’Elise Otzenberger, le synopsis annonçait  du compliqué, conjuguer le souvenir de l’extermination des juifs de Pologne avec le désir de descendants juifs polonais de retourner sur la terre de leurs ancêtres Polonais pour une commémoration ! En faire une comédie. On suspectait que ça allait grincer. Sortant de la salle, j’ai immédiatement dit que ce film était loupé ! Et je regrette ma stupidité. Je pense que j’irai le revoir. L’humour est toujours une tentative de civilisation. Et le choix de la fiction est judicieux, faire un documentaire est une chose, montrer le regard d’un couple d’origine juive sur « le présent du passé » en est une autre ! J’ajouterai mon bon souvenir sur le kitsch de Cracovie et « les juifs » en plastique.  Ce kitsch là,  la marque des antisémites reconvertis.

Et au Total : On aurait bien aimé que la salle 4 soit toujours  comble, mais on a aussi eu le  bonheur de voir un public heureux pour cette 8èmeet superbe édition. A l’année prochaine ! 

La Favorite de Yorgos Lanthimos

La Favorite : Affiche

présenté par Henri
Soirée débat mardi 19 mars 2019

La Favorite, par sa brutalité, son parler cash, sa modernité, sa mise en scène cadencée, son rythme, sa lumière sombre, m’a emportée.
Séduite, je l’ai été aussi par ses actrices et particulièrement Rachel Weisz, le double effet Sarah.
Sarah émeut à mort. Si violente, elle subjugue par son intelligence, captive par son assurance et sa beauté. Elle est reine et surnage avec tout ce « beau monde » dans ce grand bocal d’eaux troubles, regardant  cette petite sardine prendre le risque de se jeter à l’eau, n’y prenant d’abord pas garde. Or, le petit poisson prend des forces.
L’effet bocal est rendu par le fish eye* qui, occasionnellement et opportunément nous ramène toujours dans le bocal quand, par inadvertance, on en était sorti pour prendre l’air, un air rare et dévastateur.
Par exemple pour une partie de « canard trap », un des nombreux sports où l’élève dépasse vite le maître, ou bien dans la chevauchée sauvage finissant en supplice de Sarah, empoisonnée, croupissant, pour un temps, dans un autre bocal nauséabond. Sarah si solide.
Sarah, la guerrière, manipulant consciemment et avec dextérité la reine sur le grand échiquier de ce qu’elle sait être l’Histoire, devra pourtant rendre les armes. Faite échec et mat par Abigail, sa jeune cousine incontournable.
A part d’être atteinte, en plus, du mal suprème, Abigail, ne pouvait pas à son arrivée au château se présenter plus mal, être tombée plus bas. Mais le grand coup de pieds qui fait remonter à la surface, elle saura le donner, sourdement, mais de toutes ses forces.
De sorte qu’elle pourra à son tour prendre la place de favorite auprès de Anne, reine vieillissante, passablement libidineuse et dont il faut calmer tantôt les ardeurs, tantôt les jambes putréfiées. Il faut vraiment avoir faim !
Abigail a très faim.
La reine, dans un sursaut de lucidité, un instinct de survie,  provoqués par le cri d’un de ses lapins maltraités par le petit pied chaussé de soie de sa nouvelle favorite, finira de prendre conscience de s’être fourvoyée et, dans un effort extrême, traînant son gros corps douloureux à terre jusqu’à la porte de sortie de son alcôve secrète, réussira à se remettre debout.
La faisant plier, à ses genoux, la reine appuie sur la tête de la favorite de tout le poids de ses enfants morts.

Et il y a la musique, les costumes, les décors tout ce qui fait que le film ait mérité tant de prestigieuses récompenses.
Sacré bonhomme ce Yorgos Lanthimos. Sacré film.

Marie-No

*Un objectif fisheye, ou objectif hypergone, est un objectif photographique ayant pour particularité une distance focale très courte et donc un angle de champ très grand, Il introduit par son principe même une distorsion qui courbe fortement toutes les lignes droites qui ne passent pas par le centre.

A cause des Filles? de Pascal Thomas

Pascal Thomas est une figure familière du cinéma dont la carrière débute d’une manière fulgurante avec les Zozos dans les années 70 suivi d’ une série de films à petit budget. Nous sommes en 2019, il est égal à lui-même après 24 films et séries tournées. Léger et profond.  À propos de « A cause des filles »,  Michel Ciment dit : « J’ai vu une méchante critique disant : « C’est un film désuet ».  (Thomas Sotinel) Mais Pascal Thomas a toujours été désuet ! C’est ça, sa grandeur ! C’est quelqu’un qui n’est pas de son époque. Quand Les Zozos (1973) sont sortis, ce n’était pas du tout le cinéma qu’on faisait à l’époque ! Il a une sorte de nostalgie pour un art de vivre que Pascal Thomas aime et qui est en train de disparaître ». 

Et j’ajouterai, que Pascal Thomas a de l’humour, ce qu’on ne lui pardonne pas toujours.

Selon l’art et la manière  de Pascal Thomas, le film commence vite et fort par la scène du Mariage.  Dès les premiers plans sur fond de musique austère, une femme sort de sa voiture décapotable, tourne le dos au public en s’appuyant contre la portière et regarde, caméra subjective,  travelling avant, une église. Dans l’église contraste, c’est la joie de la célébration. Puis, sortie joyeuse de l’église, baiser des mariés… Puis fuite du marié avec la jeune femme inconnue dans la voiture décapotable derrière laquelle sont accrochées quatre casseroles…Une scène folle, une scène de cinéma.  C’est Victoria Olloqui La mariée et Fréderic Beigbeder… (Le marié)  et Alexandra Stewart (la mère du marié) et c’est une mère qui apprécie son fils à sa valeur, et là aussi c’est autant une belle trouvaille du scénario qu’un numéro d’artiste.

Ensuite il faut tenir le rythme c’est toute la question, et quand on a vu ce film, on a la réponse. Enchaînements, invention, drôlerie, et en même temps quelque chose d’indicible dont nous toucherons un mot tout à l’heure.

Le synopsis dans sa discrétion dit quelque chose comme : « A cause des Filles », est un film choral un film  à sketches, où toutes les générations sont présentes. Le départ du film est cocasse,  ça se passe dans le bassin d’arcachon, une noce tourne mal. Ce qui amène tous les convives de la noce à remonter le moral de la femme abandonnée. Tous ont alors leur mot à dire sur l’inconstance, les surprises de la vie conjugale, les péripéties inattendues et les amours malheureuses… 

Cette présentation n’est que partiellement vraie, nombre d’histoires sont racontées hors de la présence de la mariée. Et c’est tout le charme des films de Pascal Thomas de vouloir aussi montrer avec humour, comment les invités cherchent à effacer l’incongruité de cette scène initiale, à demeurer ensemble, à être ce qu’ils doivent être, des convives…conviviaux. Pascal Thomas est un maître dans l’art de montrer simultannément une chose et son contraire, bref à montrer nos inclinations ce qui pulse en nous et nous pousse du bon côté. 

Le choix d’une forme chorale ne doit rien au hasard, Pascal Thomas aime les acteurs, il aime les histoires et les gens qui les racontent. Des histoires ? Il aime parfois en chercher aussi, ainsi sa réplique : « Le chasseur français est fait pour les chasseurs et les cahiers du cinéma pour les gens qui regardent des films »…Lui permet d’obtenir et de conforter( ?) le mépris des « Cahiers » pour son cinéma en général et ce dernier film…

Pour tous ceux qui se rappellent des sketches, voici un petit mémento succinct de la galerie des acteurs qui leur correspondent :

José Garcia et Valérie Decobert (un père de famille), 

Pierre Richard et Marie-Agnès Gillot (le veil homme et la mort) 

Audrey Fleurot et Louis-Do de Lancquesaing (les saucissonés)  

Rossi de Palma et François Morel (le peintre)  

Barbara Schulz et Arthur Teboul (le tatoué) … 

Irène Jacob et Laurent lucas (la veillée funèbre) 

Marie Josée Croze (Béatrice, la prof de français) 

et Victoria Lafaurie, (la chanteuse)…

Certains sketches rappellent le cinéma italien et il est sûr que Pascal Thomas aime ce cinéma depuis toujours.  Certains dialogues ceux de Woody Allen, un curieux Woody qui n’aimerait pas Freud !

…et revenons à l’ambiance générale du film, l’image est belle, chatoyante par instants, on se souvient du passage le « parfum de la femme en noir » qui rappelait  E.Hoper, les décors y participent.   La musique « A cause des Filles » qui ouvre et ferme le film, très réussie, et Victoria Lafaurie est une chanteuse à suivre. 

Et sur l’ambiance générale,  la nostalgie, le passage du temps et notre finitude,  et simultanément la gratitude,  le bonheur de vivre. Tels ceux de la mariée qui conclut le film dans un élan de résilience, de dépassement, de confiance et d’humour!