Le Bonheur d’Agnès Varda

 

Ours d’Argent au Festival de Berlin 1965 – Prix Louis Delluc 1965 – David O’ Selznick Award 1966 – Visa pour Varda à la Cinémathèque de Moscou 1995

Présenté par Brigitte Rollet, universitaire
Dimanche 25 novembre 2018 à 10h30
Film en version restaurée (1965, 1h19) Avec Jean-Claude et Claire Drouot et leurs enfants Sandrine et Olivier et Marie-Françoise Boyer

Distributeur : Ciné-Tamaris

Synopsis : Un menuisier aime sa femme, ses enfants et la nature. Ensuite il rencontre une autre femme, une postière, qui ajoute du bonheur à son bonheur. Toujours très amoureux de sa femme, il ne veut pas se priver, ni se cacher, ni mentir. Un jour de pique-nique en Ile-de-France, le drame va se mêler aux délices : l’épouse se noie dans un étang. Le menuisier et la postière vivront ensemble et élèveront les enfants. Ils iront en pique-nique, mais c’est l’automne. 

« Tout bonheur commence par un petit déjeuner tranquille » William Somerset Maugham et Ricoré.

Le bonheur, c’est simple.
François et Thérèse sont heureux avec leurs deux enfants, calmes et joyeux. Leur amour se reflète dans leurs yeux sages et rieurs et le bonheur coule de source, un bonheur sans nuages, coloré, plein de fleurs. Un bonheur vert tendre et jaune tournesol. Des instants simples, complets, parfaits.
« Paix et tranquillité, voilà le bonheur » Proverbe chinois

Ils s’aiment, ils aiment leur vie, ne pensent pas à autre chose, autrement. Les jours heureux s’enchainent, raisonnables. Gisou, l’aînée de leurs enfants  a dans les 3 ans, eux deux ça fait au moins 4 ans, donc.
François, qui ne cherche rien rencontre Emilie qui, elle, cherche.
Elle le regarde, elle le capte , elle l’attrape.
Et lui, ben, un homme, c’est fragile … Emilie, c’est pour lui comme une soif de plein été qu’on étanche et qui revient pour qu’on l’étanche encore en goûtant pleinement la fraîcheur de l’eau. Un bonheur bleu azur comme les yeux d’Emilie. L’orangeade, pour la soif ordinaire, quotidienne, est délicieuse, aussi. Où serait le mal puisque cela ne nuit à personne ? Et Emilie fait si bien l’amour. Thérése est plus sage.
« Le bonheur, c’est le plaisir sans remords » Socrate

« On peut allumer des dizaines de bougies à partir d’une seule sans en abréger la vie. On ne diminue pas le bonheur en le partageant » Bouddha
François parle de pommiers, de verger clos, d’arbre en-dehors, tous pleins de fruits savoureux. Thérèse comprend en quelques secondes que sa vie vient de basculer. En quelques secondes, lui qu’elle aime tant l’a précipitée dans le vide, elle se voit tomber, c’est vertigineux. Il était le seul but de son existence, l’entière occupation de sa pensée. Vivre avec lui, longtemps, toujours, se consacrer à lui était son projet.Elle ne veut pas voir la mélancolie étendre sa toile grise sur les lieux de leur bonheur perdu. La douleur serait insupportable et elle n’essaie pas de lutter. Elle coule et se noie. « Le bonheur est un cristal qui se brise au moment de son plus grand éclat » Proverbe Turc

François retrouvera les bras d’Emilie qui les tend en plus à ses enfants. Ils sont en harmonie, en accord avec la saison et la vie continue. Le bonheur a pris des couleurs d’automne.

Depuis les années 60, l’idée du bonheur, du couple, du travail n’ont pas beaucoup changé et comme dans les années 60 la réalité de la vie, c’est autre chose !
Je repense à un jeune couple, l’incarnation des « Amoureux de Peynet ». Ils étaient si heureux ! Une stagiaire qui passait par là a fait voler leur famille en éclat. Un vrai gâchis !

« Le secret du bonheur en amour, ce n’est pas d’être aveugle mais de savoir fermer les yeux quand il le faut » Simone Signoret 
Essayer, au moins. Une fois.

Un très beau film, libre et poétique qui fait réfléchir et invente l’impressionnisme pop !

Marie-No

Girl-Lukas Dhont (2)

Du 14 au 20 novembre 2018
Soirée débat mardi 20 à 20h30
Autres séances le jeudi, dimanche et mardi après-midi


Film belge (octobre 2018, 1h45) de Lukas Dhont avec Victor Polster, Arieh Worthalter et Oliver Bodart 

Distributeur : Diaphana

Présenté par Françoise Fouillé

( Petit) retour sur Girl

Lukas Dont est un très jeune réalisateur ( 26 ans ) lorsque il réalise le film, visiblement doté d’une sensibilité hors du commun. Le sujet est dans l’air du temps mais pour le moins très délicat à traiter.
Comment un jeune garçon de 15 ans, ne peut désirer qu’une chose dans la vie, perdre cette identité masculine pour se transformer en fille et atteindre son rêve, danseuse étoile !
Le défi semble inhumain et irréaliste, alors que cet adolescent a tout pour lui, une famille aimante ( en tout cas son père à défaut de mère ) un petit frère très proche, une sécurité matérielle, des amis, bref tout mais…l’ âge de l’adolescence est bien celui de tous les périls.
Ce que la critique et les spectateurs semblent avoir apprécié dans ce premier film c’est la délicatesse, la justesse, la sensibilité à fleur de peau qui se dégage de ces images.
Lukas Dont doit avoir une grande maturité et richesse intérieure pour diriger le très jeune Victor Poster, et arriver à nous faire sentir le corps de l’acteur ( qui est formidable) ses gestes, sa chair. Cette palette d’émotions qui surgit de cet être meurtri, isolé et prisonnier de son corps masculin maudit dont personne n’arrive à le délivrer.
Ce qui n’est pas à la portée du premier venu. Il lui a fallu presque dix ans pour mûrir ce projet et trois ans pour écrire le scénario et tourner le film.
Si l’on compare ce film à la production moyenne, on voit quand même que l’on est dans un véritable cinéma d’auteur qui sait porter en images et sons son monde intérieur.

Françoise

GIRL- Luckas Dhont

Du 14 au 20 novembre 2018

Soirée débat mardi 20 à 20h30

Film belge (octobre 2018, 1h45) de Lukas Dhont avec Victor Polster, Arieh Worthalter et Oliver Bodart

Distributeur :Diaphana

 

 

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis :Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.

 

Lukas Dhont met en scène un jeune homme de 14 ans, dans le rôle de Victor devenu Lara, une jeune fille qui veut devenir danseuse étoile.

Tout se passe bien dans la vie de Lara, son père est un homme sincère, aimant, dévoué et compréhensif, son petit frère l’aime autant qu’elle l’aime.  Ce petit frère taquin un jour  l’appelle Victor, mais c’est un tout petit nuage dans un monde sans nuage.  Elle a intégré une prestigieuse école de  danse, elle veut devenir danseuse étoile, son père n’a pas hésité à changer de ville pour ce projet. Elle est immédiatement admise par les jeunes filles élèves comme elle de cette école. Elle y sera une fille parmi les filles. Elle doit remplir une période d’essai. Elle travaille d’arrache-pied (c’est le moins qu’on puisse dire). Et somme toute, tout se passe bien. Elle est admise.

La caméra nous la montre souvent à  son travail, on se familiarise avec les positions et les figures, port de bras, jeté, pas de bourrée etc. La caméra est comme aimantée par Lara. Elle filme son charmant visage et son corps gracile et musculeux au travail. Apprendre à danser est une torture, parfois Lara pleure, mais reprend très vite son sourire ineffable qui ne sourit que des lèvres. Nous avons l’impression qu’il n’y a pas de sourire intérieur chez elle, seulement la tristesse et la détermination. À force de travail, elle gagne rapidement l’estime de sa professeure qui sait à la fois être exigeante et tendre.

Lara est suivie par une équipe médico-psychologique, là encore tout va bien car ces professionnels l’accompagnent attentivement dans son projet, le psychologue, la chirurgienne. On débute un traitement hormonal, mais les résultats se font attendre. Lara veut des seins comme toutes les femmes, elle veut un sexe de femme aussi. Mais tout cela va bien trop lentement pour Lara, elle s’impatiente. Elle veut être femme, apparaître telle une  femme sans ambiguïté. (Si l’on peut dire).Elle veut être une danseuse étoile, comme toutes les danseuses étoile.

Elle en veut un peu à tout le monde pour ça, à l’équipe, à son père, elle devient taciturne, secrète, tourmentée.

Elle n’a pas de vie amoureuse, les garçons et les filles ne l’intéresse pas, elle le dit à son thérapeute. Pourtant, elle va faire une tentative sans conviction. De sa fenêtre, elle aperçoit un jeune homme qui enlasse une jeune femme, ce sera lui le cobaye. Elle s’arrange pour faire sa connaissance (épisode de la lettre subtilisée) ensuite pour qu’il la fasse entrer chez lui. Il y aura un flirt, suivi d’une fellation, qui est pour elle une manière de se protéger de caresses exploratrices indiscrètes du jeune homme.

Il faut attendre longtemps pour que la scène dramatique s’installe. Il y a d’abord les prémisses le long du film, les scènes de douche ou l’on voit Lara  bien ennuyée avec sa non-conformité,  son sexe entre les jambes qu’elle aplatit avec des bandages, et surtout  cette absence de seins qu’elle essaie de cacher de ses mains. Mais un jour dans une réunion entre fille, l’une d’elles, pour le groupe, exige de Lara qu’elle montre son  sexe… Tu vois bien les nôtres lui dit-elle !

…Ce bizutage, dans le contexte d’attente et d’absence de métamorphose de Lara,  va sceller l’engrenage vers le drame et son  automutilation qui forcera son destin.

L’auto-émasculation devrait-on dire,  comme point d’orgue du film ! C’est vendeur. On remarque que les ressorts psychologiques de cet adolescent si peu exposés deviennent alors  explicites pour ce passage à l’acte. Pourquoi  Lara se coupe le sexe ?  Parce qu’on la fait trop attendre et qu’elle a été humiliée par ses collègues. (Avec cette relation cause/effet on est censé ne  plus avoir  de questions à se poser !)

Dernière image, traveling, on est quelque temps plus tard,  on voit Lara marcher à pas vif son éternel sourire qui ne sourit pas, « elle est une femme ».

Ce que j’en pense : Le film convient parfaitement au discours dominant contemporain, soit : Il y a des femmes qui naissent dans des corps d’hommes et inversement. Pourquoi, nul ne le sait mais c’est ainsi. La psychogenèse est disqualifiée, par exemple : quid du désir du père, de l’absence de la mère ? Simple contingence, question de spectateur.Ce qu’on nous montre de la demande pressante de Lara est moins signifiant d’une souffrance morale que du besoin d’agir au bon tempo face à son désir symbolique de tuer Victor pour devenir Lara. Pourquoi ? Parce qu’après plus de problème. D’autant que la chirurgie sait faire. Cette idéologie est exprimée par la marche résolue  et fière de Lara à la fin du film.

Dans la vraie vie,  le taux de suicide des jeunes transgenres est très significativement plus élevé que la moyenne (avant comme après l’intervention). Dans la vraie vie, la société marchande sait transformer nos désirs et nos nécessités en besoins. En besoins solvables. Elle sait les nommer, ici ça s’appelle  :  « réattribution sexuelle ! »

Mais ne divaguons pas Lukas Dhont voudrait simplement nous transmettre une histoire vraie qui est avant tout est celle d’une danseuse !

N’empêche, je ne peux m’empêcher de penser que Lukas Dhont avec cette caméra fascinée par ce jeune éphèbe de 14 ans(*1),  travesti en femme pour jouer le rôle d’un transsexuel met en scène autre chose que ce qu’il nous donne à voir, quelque chose qui concerne d’abord ses propres fantasmes et son propre voyeurisme. Il a trouvé son Tadzio, il est Gustav von Aschenbach. (*2).

(*1) Je ne pense pas que le tournage et la projection de  ce film  soit neutre pour Victor Polster. 

(*2) Mort à Venise de Luchino Visconti.

PS 1 :  Est-il crédible qu’un enfant de 14 ans soit soumis à un programme de « réattribution sexuelle »? et si oui, où et à quelles conditions ?  Pouvez-vous me donner des précisions si vous en disposez?

PS 2 : je me demande si le réalisateur a été interviewé sur ses motivations, pas seulement sur les habituelles questions sur la danse et de l’identité, où il est dans sa zone de confort, mais aussi sur son rapport à cet enfant et aux enfants en général.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AMIN – Philippe Faucon

Film français (octobre 2018, 1h31) de Philippe Faucon avec Moustapha Mbengue, Emmanuelle Devos, Marème N’Diaye

 

 

 

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Amin est venu du Sénégal pour travailler en France, il y a neuf ans. Il a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants. En France, Amin n’a d’autre vie que son travail, d’autres amis que les hommes qui résident au foyer.
Un jour, en France, Amin rencontre Gabrielle et une liaison se noue. Au début, Amin est très retenu. Il y a le problème de la langue, de la pudeur. Jusque-là, séparé de sa femme, il menait une vie consacrée au devoir et savait qu’il fallait rester vigilant.

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Pour Philippe Faucon dont 6 films sur 9 commencent par des prénoms, le titre des films signifie qu’il veut parler de Personnes et que ces personnes sont aussi emblématiques. Il y a des Amin, des Fatima, Grégoire, Sabine etc. Tout comme il y a des « Bovary,  ou Rastignac » sauf qu’ici il ne s’agit pas d’évoquer une personnalité mais une condition.  Et l’on peut voir à la moitié du film Amin au bureau de poste envoyant de l’argent au pays et Fatima (Sonia Zeroual, dans Fatima)  qui est au guichet pour le même acte dans la file d’à côté.

Amin film éponyme, commence et se termine comme une parenthèse, sur un même plan,  un chantier de démolition,  un bull tel un monstre mécanique, dont les mâchoires de la cisaille broient et coupent, arrachent,  tandis qu’au sol, sans doute dans le bruit,  comme des fantassins, les ouvriers s’affairent.  Parmi eux, Amin casque sur la tête.

En somme,  ces images sont comme une porte qui s’ouvre et se referme sur une histoire, un épisode pudiquement filmé de la vie d’Amin, une tranche de vie dont on nous montre ce qu’elle fut,  un moment partagé, avant que cette vie ne retourne à son mystère.

Comme souvent dans les films de Philippe Faucon, les personnages principaux  sont dans un entre-deux, à un moment ou leur vie tangue.

Amin est un immigré, exilé, écartelé entre deux mondes, celui du Sénégal  où vivent  sa femme, ses trois enfants, ses frères…et la France où il y a son travail, un foyer de travailleurs, et l’amitié des gens de sa condition. Des gens de peu dont on voit  en suivant Amin de quoi est fait leur quotidien. Marqués par la pauvreté et l’exil qui colore la vie des immigrés de ses teintes les plus sombres : le travail au noir de l’un, la sexualité tarifée de l’autre.

Pour Amin, Philippe Faucon a choisi Mustapha Mbengue, un bel homme, plutôt athlétique,  qui dans sa vie  d’avant le film vivait en Italie, portait des dreadlocks, était un artiste, homme de spectacle, musicien multi-instrumentiste et aussi militant de la cause des immigrés, bref un homme extraverti.

Dans son rôle, il est à la fois  Amin du Sénégal, l’homme providentiel qui arrive les cadeaux plein les bras, qui fait vivre dignement sa femme et ses trois enfants, qui organise en France dans son foyer, une quête pour l’école, qui aide ses frères à s’installer. Un homme qui est aimé,  admiré par ses enfants. Une belle et bonne présence et quand il n’est pas là, une lourde absence. Nous en voyons quelques manifestations : le frère qui s’institue gardien d’Aïcha femme d’Amin, le fils maltraité par ses camarades de classe, le voilement de la fille par la mère d’Amin, ce qu’Amin découvre sur une photo.

Il est aussi Amin de France, un homme solitaire qui porte les stigmates de sa condition. Cet Amin-là  s’exprime au mieux  lorsqu’il est avec Gabrielle, il parle à voix basse,  avec gentillesse et  hésitation, il est un peu timide et  emprunté, il est délicat. Il indique par son comportement à la fois son statut  d’immigré, de travailleur pauvre en situation d’infériorité, et en même temps une culture où les signes d’humilité, de respect ou de déférence sont aussi ceux-là. Et enfin il exprime de l’affection et pas seulement à Gabrielle, à chacun.

C’est un rôle particulièrement complexe d’être en permanence sur  deux registres et de donner une unité au personnage, de laisser les teintes de l’exil et de l’écartèlement colorer l’ensemble. On imagine  les ressources intérieures de l’acteur,  la complexité et la finesse de la direction d’acteur.

Et on imagine aussi,  que dans la vraie vie,  pour un homme de sa condition ce qu’il en coûte de tenir debout. Il est bien possible que l’acteur n’ait pas eu à chercher très loin pour jouer ce personnage.

La femme d’Amin c’est Aïcha,  interptétée par Marème N’Diaye, elle est un personnage important du film, elle est emblématique de toutes ces femmes qui demeurent  au pays et qui comme le dit Philippe Faucon « se marient, ont des enfants en sachant qu’elles ne reverront jamais leur conjoint ». Dans cette tranche de vie qui nous est montrée, elle subit sa belle famille, le frère d’Amin qui estime légitime de lui assigner sa place. Mais Aïcha est une femme  combative et c’est aussi la nature de l’actrice,  Philippe Faucon dit d’elle : « Dans les essais préparatoires que nous avons faits, elle avait une gestuelle innée dans les scènes de colère, que je trouvais très belle »

Avec l’exil, on mesure confusément le poids de ce que l’on laisse derrière soi. Avec l’exil,  on éprouve d’abord la solitude et l’abandon. Sur la route d’Amin, une autre solitude, celle de Gabrielle  (Emmanuelle Devos). Elle est infirmière, divorcée d’avec un homme intrusif et querelleur, (Samuel Churin )  vit avec sa fille, adolescente renfrognée, dans un pavillon.

La texture de la solitude de Gabrielle n’est pas de même nature.  Gabrielle ne le sait pas encore,  mais elle a besoin d’aimer. Il lui faut sortir du jeu mesquin, visqueux, dégradant de son ex-mari. Ce sera Amin.

Déracinement de l’un, besoin d’aimer de l’autre.  Au moins leur solitude constitue-t-elle un trait d’union. Ils se découvrent, sans autre projet que de vivre l’instant, avec tendresse et bienveillance, en voulant se donner le meilleur d’eux-mêmes.

Emmanuelle Devos est une actrice parfaite pour ce genre de rôle, nous nous souvenons du magnifique « le temps de l’aventure de  Jérôme Bonell ». Mais ici, ce n’est pas exactement une aventure, c’est à la fois le comblement d’un désir et une sorte d’offrande, et tout l’art de Gabrielle est de rendre égale une situation qui ne l’est pas et banale les vexations quotidiennes d’Amin : « ils te contrôlent sans cesse parce que tu es beau », d’isoler le racisme. Et toute la force d’Amin c’est de savoir recevoir et donner tout en résistant aux sirènes de cet ailleurs possible.

Philippe Faucon prend dans ce qui est l’habituel, le quotidien de la vie  des immigrés sur un chantier, (y a-t-on vu d’autres qu’eux ?)la matière de son film. Quel est son mobile ? Peut-être nous montrer la dignité de cette minorité, et aussi le prix qu’elle paie  pour sa présence sur notre sol : une souffrance qui s’habille de tous les noms, usure physique et morale,  solitude, isolement, écartèlement, dans un milieu fortement hostile. Ce que Christophe Kantcheff nomme  « L’étranger universel » Dans Amin, Philippe Faucon met en scène un travailleur immigré sénégalais qui, entre la France et son pays, ne peut avoir d’existence pleine nulle part ».On ne peut pas dire plus juste… du coup, pour Amin,  être avec Gabrielle, ne pas l’être, telle est la question.

Une des originalités du film est de tenir à juste distance le racisme, l’ostracisme dont les immigrés sont victimes, et qui ne sont qu’extériorité, toile de fond si l’on peut dire,  pour nous montrer l’intériorité d’Amin. Elle est faite d’une affectivité tiraillée où la tristesse vient forcément après la joie, car seule compte sa voie.  (Ce que montre sa séparation d’avec Gabrielle). Intériorité qui aurait été encore plus déchirée s’ils avaient choisi de rester ensemble.  Souvenons-nous du corps de Fatima et songeons à  l’âme d’Amin. Des critiques remarquent que  Philippe Faucon est moins proche de Pialat que de Bresson. Bresson  et « ses modèles pris dans la vie ».

D’ailleurs les critiques parlent de  P.Faucon dans les mêmes termes que ceux qui en son temps, parlaient de Bresson (1).

Philippe Faucon fait appel à notre capacité de prendre conscience : Les immigrés pauvres sont des sacrifiés, et ils le savent et leurs proches le savent aussi, même s’ils se le cachent. Et nous, voulons nous le savoir ?

Georges

 

(1) se reporter aux belles critiques de Jacques Mandelbaum du Monde et de Mathieu Macheret pour la rétrospective P.Faucon à la cinémathèque.

…Et puisque le prénom d’Amin  a été trouvé lors par les scénaristes, Philippe Faucon, Yasmina Nini-Faucon, Mustapha Kharmoudi, à l’occasion de l’écoute de la chanson Amin Amin de Baly Othmani, voici cliquez sur ce lien  si le coeur vous en dit :

Baly Othmani – Amin Amin – YouTube

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Le grand bain » de Gilles Lellouche

Le Grand Bain : Affiche

Une fable sur les possibilités des genres, un miroir à facettes du masculin, du féminin. Les hommes peuvent avoir envie d’être Muriel Hermine et les femmes Philippe Lucas. C’est très bien. On applaudit.
Une fable sur la vie et ses embûches.
J’aime bien Gille Lellouche, acteur.
Et il y a quelque chose dans son oeil qui me dit que le mec Gilles Lellouche est sympa, rigolo, bon copain. Séducteur.
Mais p… c’est quoi cette promo de ouf ! Ces critiques dithyrambiques ? Sans blague, c’est pas un peu disproportionné quand même ? On pourrait peut-être remettre les pendules à l’heure parce que « Le grand bain », sans dec c’est quand même pas le film de l’année.
Le film, il faut le voir ! on nous l’a assez rabâché et la promo a été vraiment top. Les (petites) salles de l’Alticiné sont pleines à toutes heures. Le film attire tout le monde. Les Cramés y sont certainement presque tous allés.
Moi, je m’y suis précipitée et je ne peux pas dire que je le regrette mais je ne peux pas dire non plus que je me sois régalée …

Il manque la magie, il manque l’étincelle.

Là où il fait fort, Gilles Lellouche c’est de nous servir cette brochette d’acteurs mais, et c’est le problème sans doute, trop dans leur jus. On les connaît, on les reconnaît, on se dit eh ! eh ! t’as vu Poelvoorde ! Ben, justement c’est peut-être ça qui au final cloche un peu, beaucoup . Chacun leur tour, ils nous font leur numéro, le numéro qu’on connaît, leur show . Poolvoerde prend le devant de la scène, Amalric  écarquille  les yeux , Canet n’a pas un poil qui dépasse, Virginie Effira est à tomber, maquillée, pas maquillée, Leila Bekti, regard profond, belle voix cassée, Philippe Katherine  « over-perché » ah ! ah ! etc…
Les pas connus, circulez !

Attention ! : je les aime tous ! Et ils font tous le job  mention spéciale à Anglade qui crée vraiment un personnage et c’est Simon qu’on voit !
Gilles Lellouche a une belle énergie, il a fait son boulot sérieusement, il a imaginé un scénario original, il a écrit ses dialogues …
Scénariste, dialoguiste, des métiers …
C’est peut-être aussi en direction d’acteurs qu’il est un peu « just ».
Trop laissé la bride sur le cou. Ils bouffent le film.

Pour dire que j’ai marché dans la combine, mais, si j’ai pris le premier départ pour « Le grand bain », j’en suis sortie, pas médusée, mais avec l’impression de m’être faite un peu avoir.
Pas sûr que je le revois à la télé, ça va me faire trop.

Marie-No

SOFIA – de Meryem Benm’Barek

Valois du scénario au Festival du film francophone d’Angoulême 2018 

Prix du scénario au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard

Du 25 au 30 octobre 2018Soirée débat mardi 30 à 20h30Présenté par Marie-Annick Laperle

 

Film marocain (vo, septembre 2018, 1h25) de Meryem Benm’Barek avec Maha Alemi et Lubna Azabal, Sarah Perles

Distributeur : Memento Films

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Sofia, 20 ans, vit avec ses parents à Casablanca. Suite à un déni de grossesse, elle se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage. L’hôpital lui laisse 24h pour fournir les papiers du père de l’enfant avant d’alerter les autorités…

Article de Marie-Annick *** Dossier de presse *** Bande annonce *** Horaires

Avant que le film ne commence, un article du code pénal marocain stipulant que les relations sexuelles hors mariage sont punies d’emprisonnement, s’affiche à l’écran. Aussitôt après, nous découvrons Sofia, le personnage principal, au cours d’un repas familial qui se tient dans le modeste appartement de ses parents. Dans la cuisine, sa cousine Léna constate avec effroi que Sofia fait un déni de grossesse et est sur le point d’accoucher.A travers l’histoire de cette jeune marocaine, la réalisatrice Meyriem Benm’Barek dénonce la condition des femmes dans son pays et plus particulièrement le cauchemar que vivent les 150 femmes qui accouchent chaque jour dans l’illégalité. Peu à peu, le film dévoile la pression exercée par les coutumes et les conventions, sur les destinées mais aussi et surtout la fracture sociale béante qui sépare la haute bourgeoisie et les milieux populaires.Car pour la réalisatrice, la condition féminine est le reflet d’un contexte social et économique. Pour illustrer son propos, Meyriem Benm’Barek situe l’action dans la ville de Casablanca , capitale économique où convergent tous ceux qui cherchent du travail ou une amélioration de leur situation. C’est aussi la ville la plus représentative du fossé qui sépare les riches et les pauvres. Nous suivons Sofia accompagnée de Léna et du nouveau-né, dans son parcours angoissant à la recherche du père, à travers le quartier populaire et malfamé de Derb Sultan. Rues encombrées, sombres, sans ciel visible, portes fermées, peintures écaillées ; tout contribue à créer une atmosphère plombée et des conditions de vie peu reluisantes. « Comment as-tu pu atterrir dans un tel quartier ? » Cette question posée par la mère de Sofia traduit tout le mépris et l’anéantissement qui envahit la famille entière. Comment affronter une telle honte ? Mais surtout comment sortir d’une situation qui va faire tomber à l’eau un projet financier qui permettrait à la famille de sa tante de devenir encore plus riche et à ses parents de sortir de la gène ? Le face à face entre la famille d’Omar ( le père présumé qui nie farouchement être le géniteur) et celle de Sofia qui vient demander réparation révèle un jeu de pouvoir subtil et pernicieux. Pour la tante, porteuse du projet financier, sa sœur, son beau-frère et sa nièce lui sont redevables. Elle dicte sa décision : seul le mariage entre Omar et Sofia et la dissimulation de l’enfant qui vient de naître peut les sauver. Le père de Sofia donne à Omar soit le choix de reconnaître l’enfant et d’accepter le mariage, soit d’être accusé de viol. Il pourrait demander un test de paternité mais il ne le fait pas car sa propre mère lui fait comprendre tout le bénéfice que la famille peut tirer d’une telle union : un travail qui permettra à son fils de subvenir aux besoin de la famille privée de revenus après le décès du père..

 Quand Omar et Sofia signent  officiellement leur union , une larme coule sur la joue du jeune homme et son visage donne à lire tout son désespoir et sa rage contenue.Il vient de renoncer à ses aspirations pour répondre aux attentes de sa mère : devenir un homme c’est s’oublier soi et tout faire  pour ses parents.

 Et le délit ? Un pot de vin octroyé à l’officier de justice par la riche tante en effacera toutes les traces. Car au Maroc la liberté s’achète et plus vos moyens sont importants, plus votre liberté est grande. La réalisatrice parvient  ainsi à traiter un problème à la fois marocain et universel : la liberté est réservée aux riches qui peuvent outrepasser toutes les lois ou presque.

  A ce stade du récit, le spectateur dont l’intérêt n’a pas molli, n’est pourtant pas au bout de ses surprises. Les protagonistes se rendent dans la luxueuse villa de la tante et la caméra traverse le quartier huppé d’Anfar . On se croirait en Californie : larges avenues plantées de palmiers, villas somptueuses avec terrasses sur la mer baignées dans la lumière. C’est dans ce lieu ouvert que la vérité sera révélée pour être aussitôt enterrée. Le véritable père de l’enfant de Sofia, c’est Ahmet, homme marié, ami e la famille et réalisateur du projet financier ; mais Sofia refuse d’être une victime et se range du côté des conservateurs de l’ordre établi et des conventions socio-culturelles. Le film s’achève sur son mariage  avec Omar ; un mariage clinquant avec une mariée souriante aux allures .de poupée fardée, affublée de dentelles et de bijoux. Qui pourrait deviner derrière ses yeux brillants et ses sourires, la Sofia  désemparée du début du récit ? A ses côtés, un homme vidé de sa substance, un mari qui n’en sera jamais un. Image symbolique de l’hypocrisie d’une société toute entière qui prive sa jeunesse de ses aspirations profondes en instituant la dictature du paraître.