SOFIA – de Meryem Benm’Barek

Valois du scénario au Festival du film francophone d’Angoulême 2018 

Prix du scénario au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard

Du 25 au 30 octobre 2018Soirée débat mardi 30 à 20h30Présenté par Marie-Annick Laperle

 

Film marocain (vo, septembre 2018, 1h25) de Meryem Benm’Barek avec Maha Alemi et Lubna Azabal, Sarah Perles

Distributeur : Memento Films

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Sofia, 20 ans, vit avec ses parents à Casablanca. Suite à un déni de grossesse, elle se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage. L’hôpital lui laisse 24h pour fournir les papiers du père de l’enfant avant d’alerter les autorités…

Article de Marie-Annick *** Dossier de presse *** Bande annonce *** Horaires

Avant que le film ne commence, un article du code pénal marocain stipulant que les relations sexuelles hors mariage sont punies d’emprisonnement, s’affiche à l’écran. Aussitôt après, nous découvrons Sofia, le personnage principal, au cours d’un repas familial qui se tient dans le modeste appartement de ses parents. Dans la cuisine, sa cousine Léna constate avec effroi que Sofia fait un déni de grossesse et est sur le point d’accoucher.A travers l’histoire de cette jeune marocaine, la réalisatrice Meyriem Benm’Barek dénonce la condition des femmes dans son pays et plus particulièrement le cauchemar que vivent les 150 femmes qui accouchent chaque jour dans l’illégalité. Peu à peu, le film dévoile la pression exercée par les coutumes et les conventions, sur les destinées mais aussi et surtout la fracture sociale béante qui sépare la haute bourgeoisie et les milieux populaires.Car pour la réalisatrice, la condition féminine est le reflet d’un contexte social et économique. Pour illustrer son propos, Meyriem Benm’Barek situe l’action dans la ville de Casablanca , capitale économique où convergent tous ceux qui cherchent du travail ou une amélioration de leur situation. C’est aussi la ville la plus représentative du fossé qui sépare les riches et les pauvres. Nous suivons Sofia accompagnée de Léna et du nouveau-né, dans son parcours angoissant à la recherche du père, à travers le quartier populaire et malfamé de Derb Sultan. Rues encombrées, sombres, sans ciel visible, portes fermées, peintures écaillées ; tout contribue à créer une atmosphère plombée et des conditions de vie peu reluisantes. « Comment as-tu pu atterrir dans un tel quartier ? » Cette question posée par la mère de Sofia traduit tout le mépris et l’anéantissement qui envahit la famille entière. Comment affronter une telle honte ? Mais surtout comment sortir d’une situation qui va faire tomber à l’eau un projet financier qui permettrait à la famille de sa tante de devenir encore plus riche et à ses parents de sortir de la gène ? Le face à face entre la famille d’Omar ( le père présumé qui nie farouchement être le géniteur) et celle de Sofia qui vient demander réparation révèle un jeu de pouvoir subtil et pernicieux. Pour la tante, porteuse du projet financier, sa sœur, son beau-frère et sa nièce lui sont redevables. Elle dicte sa décision : seul le mariage entre Omar et Sofia et la dissimulation de l’enfant qui vient de naître peut les sauver. Le père de Sofia donne à Omar soit le choix de reconnaître l’enfant et d’accepter le mariage, soit d’être accusé de viol. Il pourrait demander un test de paternité mais il ne le fait pas car sa propre mère lui fait comprendre tout le bénéfice que la famille peut tirer d’une telle union : un travail qui permettra à son fils de subvenir aux besoin de la famille privée de revenus après le décès du père..

 Quand Omar et Sofia signent  officiellement leur union , une larme coule sur la joue du jeune homme et son visage donne à lire tout son désespoir et sa rage contenue.Il vient de renoncer à ses aspirations pour répondre aux attentes de sa mère : devenir un homme c’est s’oublier soi et tout faire  pour ses parents.

 Et le délit ? Un pot de vin octroyé à l’officier de justice par la riche tante en effacera toutes les traces. Car au Maroc la liberté s’achète et plus vos moyens sont importants, plus votre liberté est grande. La réalisatrice parvient  ainsi à traiter un problème à la fois marocain et universel : la liberté est réservée aux riches qui peuvent outrepasser toutes les lois ou presque.

  A ce stade du récit, le spectateur dont l’intérêt n’a pas molli, n’est pourtant pas au bout de ses surprises. Les protagonistes se rendent dans la luxueuse villa de la tante et la caméra traverse le quartier huppé d’Anfar . On se croirait en Californie : larges avenues plantées de palmiers, villas somptueuses avec terrasses sur la mer baignées dans la lumière. C’est dans ce lieu ouvert que la vérité sera révélée pour être aussitôt enterrée. Le véritable père de l’enfant de Sofia, c’est Ahmet, homme marié, ami e la famille et réalisateur du projet financier ; mais Sofia refuse d’être une victime et se range du côté des conservateurs de l’ordre établi et des conventions socio-culturelles. Le film s’achève sur son mariage  avec Omar ; un mariage clinquant avec une mariée souriante aux allures .de poupée fardée, affublée de dentelles et de bijoux. Qui pourrait deviner derrière ses yeux brillants et ses sourires, la Sofia  désemparée du début du récit ? A ses côtés, un homme vidé de sa substance, un mari qui n’en sera jamais un. Image symbolique de l’hypocrisie d’une société toute entière qui prive sa jeunesse de ses aspirations profondes en instituant la dictature du paraître.

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