Histoire de ma Femme- Ildiko Enyedi 

Voici un film dont le début de l’histoire est curieux. Un homme, Jakob,(Gibs Naber) loup de mer, capitaine au long cours assis dans un café en face d’un autre, fait le pari qu’il épousera la première femme qui entrera dans le café.

Se prépare à entrer dans le café une vieille dame, mais finalement, elle s’éloigne laissant la place à une autre. Elle s’assied et nous tourne le dos, Jakob s’en approche, miracle elle est jolie, il la demande en Mariage. Nous faisons connaissance de Lizzy (Léa Seydoux) pas le moins du monde étonnée de la situation, mais regardant curieusement ce bel homme, de grande taille, qui ne doute de rien. Elle accepte.

« Un film classique sublime, un chef-d’œuvre où tout est constamment suggéré, mais où rien n’est dit. C’est un film très fort sur les rapports entre les hommes et les femmes, sans jamais être simpliste. La réalisatrice montre la faiblesse de cet homme, ce capitaine de vaisseau qui voit sa volonté de tout contrôler, comme sur son bateau, voler en éclat face à cette femme ». Nous dit Jérôme Garcin.

Et durant le débat animé par Chantal, les cramés de la Bobine remarquaient avec elle, que cet homme ne contrôlait pas grand-chose quand il était sur terre. Ils remarquaient aussi que ce n’était pas l’histoire de sa femme. Nous ne la voyons qu’en creux, selon son point de vue. Et là, son point de vue n’est pas celui de ce marin capable de reflexion et de décisions courageuses, qui sait où sont les nuages qui éteindront un incendie sur le bateau de croisière qu’il dirige.

Car sur terre, il oscille entre l’affirmation de sa puissance virile et le ridicule — Nous le verrons mal négocier, mal choisir ses amis, se laisser séduire par un vil escroc, être discrètement gauche et décalé dans des réunions mondaines.

Il porte les stigmates du gars qui s’est fait tout seul. Toujours balançant entre sa rigueur de marin et sa naïveté essentielle. Entre les mots et les coups de poings que sa supériorité physique autorise – Entre le passage à l’acte et l’impossibilité de comprendre les situations, leurs conventions, leurs signes. D’ailleurs, sa demande en mariage, n’est-elle pas un passage à l’acte, une manière de se jeter à l’eau, qui substitue l’action à la connaissance, s’en remettant à une hypothétique et infantile bonne étoile ?

Sur terre, il est, la poésie en moins, un peu comme l’albatros de Baudelaire.

Et Lizzy voit immédiatement ce que cette situation a de ludique et s’en amuse et elle va être sa femme mystérieuse, inattendue, indiscernable, jolie, séduisante, aimante ou rejetante, sincère où cachottière, sujette à de profondes tristesses comme à des joies mondaines, avec leurs cortèges de marivaudages, fatuités, dépenses inconsidérées. Mais surtout elle est libre. Son mariage est un jeu qu’elle prend d’abord au sérieux, puis plus.

Lizzy, il ne la connaît pas plus que nous ne la connaitrons. Elle lui échappe. Et lui, pour une fois, habitué à ne pas comprendre veut la saisir. On ne sait pas s’il l’a aimé et même s’il en aurait été capable, mais ce dont il est capable, c’est d’être jaloux. Sa jalousie va être à la manière de celle de Swann, un prisme excitant et douloureux de la connaissance et du désir. Un jour, elle va fuir avec Dedin, son amant (Louis Garrel) et tenter de lui dérober un portefeuille d’actions. (au demeurant mal acquises par Jakob). Ce sera la fin de ce mariage.

On ne connaîtra pas Lizzy, elle n’est ici rien de plus que l’histoire de Jakob lui-même.  Et c’est une particularité et une beauté du jeu des acteurs, ils expriment peu d’émotions tendres, c’est un peu comme si cette histoire se déroulait en dehors d’eux mêmes.  

Et de Jakob qu’une seule chose rachète, ne pas avoir profité de la faiblesse de la toute jeune Grete, une amoureuse sincère qui aurait exigé d’être sincère, on ne connaîtra guère plus. Jakob le marin, ni meilleur ni pire qu’un autre, a tout simplement oublié comme dit Sénèque, « qu’il n’y a pas de vents favorables pour celui qui ne sait pas où il va ».

Georges

Amis Cramés de la Bobine et fidèles lecteurs Bonjour,
Surprise! le Site des Cramés de la Bobine nous annonçait ceci :

La parution de cet ouvrage de Monica, membre et présentatrice des Cramés de la Bobine, et voici qu’un second est en préparation, elle nous offre en avant première, ci-dessous, ce poème faussement simple et vraiment beau.
Nous vous en souhaitons bonne lecture.

Libres Pensées sous Licence Poétique -Monica Jornet

LE CINEMA (Double fatras)

J’aime le cinéma, nous y voilà.
La séance commence, c’est magique !

J’aime le cinéma, nous y voilà.
Nos places réservées, on les a déjà,             
les glaces à l’entracte, c’est préhistorique 
mais le pot de popcorn nous tend les bras.          
Pour les sièges, on va faire notre choix, 
plutôt ci plutôt ça, soyons logiques. 
Et d’où verra-t-on mieux le générique ?  
On y est. Il n’y a pas meilleur endroit, 
on laisse défiler les annonces, stoïques, 
prêts pour l’émoi, on oublie nos tracas.  
La séance commence, c’est magique ! 

La séance commence, c’est magique.
J’aime le cinéma, nous y voilà !

Ça commence, c’est magique. 
La lumière s’éteint. C’est le déclic. 
On est tout ouïe, on jubile à mi-voix, 
c’est la bande sonore, c’est la musique, 
et ces répliques qui coupent la chique.   
Sur l’écran, le malfrat sème l’effroi        
et nous, nous sommes dans tous nos états, 
dans la vraie vie, le plus antipathique 
gagnerait. Mais là ? Il y aura débat 
autour d’une pizza, bravos et critiques.
J’aime le cinéma, nous y voilà !

Monica Jornet

Libres pensées sous licence poétique. 
Les Editions Libertaires. 

En librairie le 26 août 2022 

Volume 2 à paraître en mars 2023. 

 

 Sous le ciel de Koutaïssi-Alexandre Koberitze

« À propos de Let the summer never comme again » premier film long métrage de Koberidze, présenté à Marseille, un certain JPR a écrit : « ce premier film sidère par sa propension à fabriquer à flot continu du merveilleux, de l’enchantement, et ne cesse de laisser la fiction élémentaire être nourrie de réalités documentaires glanées lors du tournage  » et pourquoi pas le second ?

« Tout s’explique, il suffit de ne pas chercher à comprendre » disait Gébé. Voici une sentence qui conviendrait plutôt bien à Alexandre Koberidze, il nous montre une Ville bien mystérieuse, une ville dont il se demande : qui suis-je pour filmer Koutaïssi ?

Avec ses cadrages insolites mais tellement justes, l’intelligence et la beauté de la bande-son : les créations musicales de Giorgi son frère, les chants grégoriens, une chanson de la superbe Gianna Nannini ou encore Claude Debussy, les chants des merles et rossignols. Et puis il y a ces plans qui se succèdent souvent d’une manière déconcertante, précise et gracieuse. (souvenons-nous des arbres).

Voici un réalisateur qui associe selon son goût le 16 mm, le numérique et les effets spéciaux, qui fait évoluer tous ses personnages semblant échappés d’un film muet et respirant l’humanité aussi facilement que l’air de Koutaïssi, il y a aussi ces décors qui sentent bon la vie…celle qu’on aime.

Car ce film est bien un hymne à la vie, il en exprime ce qu’elle a de meilleure. Cette bonne vie qui exige si peu et beaucoup à la fois, mais à qui ceux qui se satisfont de bonnes flâneries et d’heureuses rencontres, celles du hasard qui se déploie, créatif et chaque fois singulier, donne beaucoup. Au fond, elle n’exige qu’une chose, c’est qu’on la reconnaisse et qu’on l’aime. Et dans cette bonne ville, il y a des gens qui lui font confiance. (J’ai lu dans internet, un récit de voyage à Koutaïssi, le voyageur y est surpris que l’hôtelier soit incapable de lui fournir la clé de la chambre et constate que les voitures stationnent, portières non verrouillées, clés de contact sur le démarreur.)

Pour en rendre compte, Alexandre Koberidze filme souvent des enfants et des chiens, quoi de plus beau que les enfants et les chiens ? Dit-il. Pour les enfants, nous qui avons vu ce match de foot avec cette petite fille dribblant, sur fond musical de Gianni Nannini, nous avons certainement vu l’une des plus belles scènes du film et du cinéma en général. Mais ces enfants si joyeux ont parfois des regards inquiets, nous y reviendrons.

Et puis, il y a les chiens qu’on prétend errants dans Koutaïssi, ce n’est pas une lubie de cinéaste, c’est un état réel. Dans cette ville, les chiens sont ce qu’on appelle corniauds ou bâtards, ils évoluent sans colliers ni laisses, mais ils n’errent pas, (contrairement à ce que dit la critique) ils vont se promener, rencontrent des congénères, font un bout de route avec eux, puis rentrent à la maison, à moins qu’ils ne préfèrent se mêler aux humains pour regarder un match de foot, où encore, comme les badauds dans les bistrots, tout simplement voir du monde et humer le vent. Une ville où le régime de vie des chiens n’est pas dicté par celles des transports et des voitures, par l’utilité, où ils coexistent à part entière-traits d’union entre la nature animale et nous, pauvres dualistes que nous sommes-

Mais Koutaïssi est aussi ville de sortilèges, où un mauvais sort change le physique et la mémoire des amoureux qui viennent de se rencontrer, de sorte qu’ils ne peuvent plus se reconnaître l’une, l’autre. Ce qui n’inquiète pas outre mesure, car les habitants savent (et ce n’est pas du cinéma) que croire à la magie, au prodigieux les a préservés des pires idéologies, (vous savez celles qui, comme le disait François Revel, « pensent à notre place »).

Alors tout est-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Il y a dans l’air de sourdes inquiètudes qui traversent les yeux des enfants. La catastrophe écologique qui vient, celle qui déjà brûle des millions d’hectares de forêts et tue les millions animaux qui y vivent, la neige qui ne tombe plus, et les meurtres de masse, figurés par une allégorie sur une barre de traction. Bref, il y a la force de l’entropie qui pourrait être comme le « rendez-vous à Samarcande » de l’espèce humaine. Et les enfants nous regardent, font ce qu’il y a de mieux pour nous et s’inquiètent de ce que nous faisons d’eux. Nous les spectateurs, à notre tour, nous les regardons.

Mais revenons au film, nous étions 22 pour le voir et quelques dizaines sans doute les autres jours de passage. Bien sûr, a-t-il laissé dubitatifs des spectateurs et d’autres l’ont admiré, comme pour chaque film en somme. J’ai le sentiment quant à moi d’avoir vu un film fabuleux. Qui suis-je pour filmer Koutaïssi ? Demandait Alexandre Koberidze, on pourrait répondre, celui qui sait montrer poétiquement que l’univers est comme replié dans des petites histoires, telles celles de Koutaïssi.

Avec sous le ciel… nous rencontrons pour la première fois Alexandre Kobertize, il nous montre un cinéma poétique où chaque moment est une surprise et c’est un ravissement. Donc à suivre….

Vous ne désirez que moi- Claire Simon

Pour les Cramés de la Bobine Claire Simon est  sur la photo, auprès de toutes les autres grandes réalisatrices que nous aimons ; photo sur laquelle figurerait également Marguerite Duras.

Claire Simon a certainement été séduite par ce texte « Je voudrais vous parler de Duras », texte recopié par Pascale Lemée à partir d’une cassette qu’on lui avait confiée deux ans après la mort de son frère Yann. Yann rebaptisé Yann Andréa Steiner par Marguerite Duras.

Avec l’écoute de Michèle Manceaux, journaliste, amie et voisine de Marguerite, Yann produit un discours lucide, pénétrant, d’une grande beauté littéraire sur un sujet rare : Amoureux et captif, il y fait l’aveu de sa situation de faiblesse… l’imagine sans rémission possible.

Claire Simon a voulu en faire un film, sans doute cette idée lui est venue  dès la lecture du texte,  son sujet, la forme qu’il pourrait prendre. Ça se passe dans la maison de Duras à Neauphle-le-Château, cette maison de campagne où elle habite quand elle n’est pas rue Saint Benoit à Paris ou aux Roches Noires à Trouville. L’interview qui a lieu au premier étage de la maison se déroule en deux jours. Le 2 et 3 décembre 1982.

Le dispositif est simple minimaliste, un dialogue à deux, filmé en plans séquences, et de délicats mouvements de caméra pour aller d’un personnage à l’autre. A minima, des dessins érotiques de Judith Fraggi, (qui paradoxalement paraissent pudiques) quelques extraits de film… et en hors-champ visuel,  Marguerite ! Toutefois, elle se manifeste bien dans le champ sonore,  l’appelle au téléphone, marche bruyamment, s’impatiente comme une enfant.

Les plans sont presque toujours de profil et quatre cinquième face parce que les acteurs ont des oreillettes. On en connaît les avantages, elles libèrent les acteurs de la tension mnésique et laissent libre cours à  l’expression des émotions. Le choix de filmer en longs plans séquences nous les font vivre. Claire Simon utilise des moyens artistiques minimalistes que Marguerite Duras aurait certainement fait siens, et c’est là un chaleureux hommage qu’elle lui rend.

Pour l’interprétation avec Swann Arlaud et Emmanuelle Devos,  on ne pouvait choisir mieux.

Dans l’émission de Marie Richeux ,  «  Les temps qui courent » sur France Culture, voici le  sens principal que Claire Simon donne à son film « Ce film est un film meetoo, la figure inversée de l’oppression homme/femme ».
Souvent, l’histoire est au service du présent, elle est réinterprétée utilisée en fonction des préoccupations actuelles. Mais faut-il prendre au premier degré le discours de Yann ?  Sortons un instant du film pour situer le moment  de l’inteview :

Bien curieuse cette histoire en effet, ce texte est daté des 2 et 3 décembre 82. Yann parle de Marguerite Duras, comme si rien ne leur était arrivé.  Or quelques jours plus tôt, comme en témoigne  Yann dans son livre « MD », Marguerite terminait un séjour à l’hôpital américain ou elle venait d’être soignée de sa maladie alcoolique : deux mois à se débattre contre la mort par cyrrhose, un de plus pour sortir d’un état oniroïde persistant.  Chaque instant durant cette épreuve Yann était près d’elle. Bien que malade encore, elle terminait fin novembre ou début décembre,  la rédaction de  son livre « la maladie de la mort » avec l’aide vigilante de Yann (au clavier) . 

Leur couple a des interactions tellement symétriques, qui pour le cas peuvent être considérées toxiques, mais qui révèle surtout que tout comme Yann, Marguerite est en grande souffrance. Chacun des deux semble en proie à l’anticipation d’un abandon, ne sait par où ça va lâcher et teste l’autre aussi loin qu’il le peut, repoussant chaque fois les limites de l’épreuve. Nous sommes devant une relation  addictive. Ils ont tellement peur que leur relation prenne fin  qu’ils sont toujours à la recherche d’une terrifiante limite,  pourtant sans cesse repoussée.  

Sans doute Yann a-t-il déjà à l’esprit cette image pathétique : « Oui, un jour cela arrivera, un jour où il vous viendra le regret abominable de cela que vous qualifiez « d’invivable », c’est à dire de ce qui a été tenté par vous et moi pendant cet été 80 de pluie et  de vent ».  Si bien formulé par Marguerite en 1993 dans « Yann Andréa Steiner ».  

Yann et Marguerite forment un couple radical et sublime. Leur amour est une œuvre d’art, un peu comme ces œuvres baroques qui conjuguent dans un même élan l’amour et la mort.  

Claire Simon nous dit qu’elle a voulu démontrer qu’une conversation filmée, c’est aussi du cinéma. C’est intense, c’est beau, c’est de l’art cinématographique, en effet!

Georges

Introduction-Hong Sang-Soo

On est en droit de se demander, après avoir vu le très beau film de Hong Sang-Soo, Introduction, quel est précisément le sens du mot introduction. Le mot évoque la composition même d’une œuvre, dans une mise en abîme du travail artistique de l’auteur. Et si cette introduction était en réalité une sorte de manifeste artistique, une introduction à l’art même du cinéaste ? D’ailleurs, le film se décompose quasi formellement en quatre chapitres numérotés. Il s’agit de quatre tableaux.

Le premier se déroule autour du cabinet d’un médecin, le père du héros, le deuxième à Berlin, où la petite amie du héros est venue faire ses études, le troisième autour d’un restaurant, où le jeune héros rencontre un dramaturge/cinéaste renommé, qui est aussi l’amant de sa mère, autre mise en abîme artistique. Enfin, le dernier tableau se passe dans une station balnéaire.

Le scénario du film est très elliptique, le film est essentiellement visuel, presque sensuel, baigné par une délicate poésie des sentiments, renforcée par le noir et blanc. L’introduction dont il s’agit n’est donc pas une initiation. Le spectateur est sans cesse confronté à des questions pour reconstituer le fil ténu de l’histoire. L’important n’est pas la dramaturgie, c’est la peinture des sentiments amoureux. Cette peinture renvoie à un autre manifeste artistique.

Le mot Introduction renvoie au mot Impression, celle du soleil couchant, de Manet. Les sentiments ne sont pas décrits, chez Hong sang-Soo, à la faveur d’un récit romanesque. La peinture des sentiments se fait par une succession de petites touches impressionnistes. Il faut le travail actif du spectateur pour reconstituer, à sa façon, la globalité du tableau final à travers les impressions qu’il ressent. Le film se laisse deviner, au fil des sentiments qu’il dépeint. Il est aussi truffé de citations artistiques. À l’instar du tableau de Manet, on a bien affaire à un manifeste de l’art de Hong Sang-Soo. Le premier tableau dépeint le désarroi d’un père qui regrette d’être passé à côté de sa propre histoire. Il a rendez-vous avec son fils, mais on n’assistera pas à ce rendez-vous. L’histoire du père est celle d’un rendez-vous manqué. Son fils est dans la salle d’attente de son cabinet, le père accorde un rendez-vous au cinéaste célèbre qui est aussi l’amant de sa femme, et qui est passé à l’improviste au cabinet. Peut-être espère-t-il que ce cinéaste redonnera à son fils le goût d’une carrière que ce dernier a avortée, apprendra-t-on plus tard dans le film.

Il est question d’un conflit de générations. L’idylle qui se noue entre le héros et sa petite amie se heurte, tout au long du film, à la confusion des sentiments : la génération du père a échoué, elle est incapable de servir de modèle aux deux jeunes gens dans leur cheminement amoureux. Au restaurant, le cinéaste célèbre, convoqué par la mère du héros pour donner des conseils à son fils, donne une leçon qui se retourne contre lui. Il se fâche, sous l’effet de l’ivresse, alors qu’il a lui-même mis en garde le jeune homme contre les effets de la boisson qui est servie au repas. Quelle est la leçon de la vieille génération ? Les sentiments mimés au cinéma sont aussi authentiques que les sentiments de la vraie vie. Quand on veut devenir acteur, il faut accepter cette forme de duplicité et de tricherie. Ce que le jeune homme ne se résout pas à faire. Pour la vieille génération, l’amour n’est qu’une comédie. L’art ne peut pas sauver les sentiments.

Le dernier tableau, dans la station balnéaire, est une citation de Visconti, Mort à Venise. Le héros de Hong Sang-Soo symbolise la beauté, comme il est dépeint explicitement tout au long du film. L’art ultime, dit Platon, réconcilie l’amour et la beauté. Idéal artistique de Visconti, sous les traits du jeune Tadzio, l’éphèbe de Venise, est l’ombre du héros de Hong Sang-Soo. La scène sur la plage, dans le dernier chapitre du film coréen, est une citation à peine masquée de la dernière scène de Mort à Venise.

Cette introduction de Hong Sang-Soo est réalité une pédagogie, au sens à peine voilé des banquets de Platon, auxquels renvoie la scène du restaurant dans le film. Un manifeste artistique où Hong Sang-Soo cite l’héritage de l’art occidental, qu’il faut surmonter, pour mieux le détourner à son profit. A l’art bavard du dialogue platonicien, Hong Sang-Soo préfère la poésie discrète des sentiments et des tableaux, toute nimbée de la douceur orientale. Dans les œuvres de Mozart, dit-on, le silence qui suit est encore de Mozart. C’est dans ses silences que se construit l’œuvre de Hong Sang-Soo.

Patrick

Michel Bouquet (1925-2022)



Michel Bouquet est mort hier le 13 avril 2022
Pendant ces jours-ci donc …

Michel Bouquet : 93 printemps en compagnie des grands auteurs

Sa vie a été belle, il a tant joué, tant aidé à jouer ceux qui ont eu la chance de l’avoir un jour comme professeur et ceux qui ont eu le bonheur de lui donner la réplique au théâtre et au cinéma. Il inspirait le respect et témoignait du sien à ceux qui l’entouraient.
Chacun se souvient de tel film où il était formidable ou de tel autre où il était extraordinaire.
Pour ma part, c’est dans un Chabrol que je l’ai rencontré.
Dans La Femme infidèle (1969) avec Stéphane Audran et Maurice Ronet.
Je l’ai regardé et vu. Vu son sourire doux nimbant la violence de son regard d’acier.
Il m’a impressionnée et, depuis, toujours continué à me fasciner.
Je repense aussi à lui, magnétique, serpentaire, dans Le Promeneur du Champs de Mars (2005) de Guédiguian.
Et puis j’entends sa voix … Calme, toujours. Terriblement calme.
Adieu Michel Bouquet. Reposez en paix

Pattes blanches Jean Grémillon 1949

Marie-No

Municipale- Thomas Paulot…

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

MUNICIPALE : Quand la fiction est fracassée par le réel.

Les réalisateurs scénaristes sont trois amis depuis le lycée ; Thomas Paulot, Ferdinand Flame et Milan Alfonsi. Le déclic est venu pour ces trois amis, lors des élections présidentielles . Il s’agit donc d’un travail collectif, dont l’écriture a commencé en 2018 lorsque Thomas Paulot a terminé ses études d’Art dans des écoles en Suisse. Au départ, il voulait tourner un film dans le village de son grand-père ( comme Sylvain Desclous pour  » La campagne de France » tourné à Preuilly -sur-Claise ) localisé dans les Ardennes . Mais le village ne comptant que 60 âmes, l’échantillon était trop restreint c’est là que Revin ( cité ex- industrielle ) 7.000 habitants s’est imposée.

L’idée clé de départ se résume en une phrase, tel un mantra :  » Se servir de la fiction pour générer un documentaire ». A partir de là, ils découvrent une littérature liée au municipalisme, à l’autogestion et à la crise du système représentatif. Concrètement, l’idée du film ( originale ) mais risquée, réside dans l’engagement d’un acteur professionnel ici Laurent Papot ( donc fictionnel et engagé par un contrat de travail comme il le répète à plusieurs reprises ) pour monter une liste composée de vrais citoyens de Revin, à laquelle il se présente comme tête de liste pour être élu maire. Mais il l’affirme, s’il est élu, comme il est acteur et non homme politique il démissionnera pour laisser la place aux citoyens de Revin ( idée de mise en pratique de l’autogestion ).

Pendant presque un an les trois réalisateurs ont sillonné les rues de Revin cherchant à développer des liens avec les habitants et leur expliquant leur projet de film et de politique . Il s’agit d’un projet de cinéma expérimental, qui rapidement est mis à mal par la confrontation au réel.

Le film débute par l’arrivée de l’acteur/ futur maire dans le scénario, Laurent Papot, sous la pluie et le froid, dans ces beaux paysages de forêts ardennaises traversées par les méandres de la Meuse ( mais si , mais si c’est beau ! ). Assez rapidement s’installe un des rares dispositifs du film qui marchera ; le local de campagne, lieu neutre de rencontres entre les Revinois et l’acteur et les techniciens ( la décision a été prise par les réalisateurs de ne jamais montrer le matériel, caméra, perche)

Mais les lignes sont brouillées entre le vrai et le faux, et le spectateur se retrouve inévitablement en proie au doute tout comme les habitants de Revin, quant à la sincérité du candidat, dont le programme électoral réside dans l’unique idée de donner la direction de la ville aux habitants. Le candidat /acteur, Laurent Papot, lui-même est dérouté et le film s’éloigne de plus en plus du scénario d’origine. L’hypothèse de départ est sans cesse bousculée et beaucoup de Revinois ont lâché l’affaire assez vite, la campagne tournant sur les problèmes de représentativité plus que sur les contenus politiques. Un groupe (d’hommes surtout ) croit au projet, comme Karim, ce sont des syndicalistes, militants de gauche, déçus et intéressés par l’idée de réinventer le politique;

L’acteur lui-même doit rectifier le tir, surtout après l’échec de la formation de la liste, il apparaît déçu, fatigué mais a su faire de ses difficultés des idées de mises en scène et de relance du film. Le réel pourtant s’invite de manière à la fois politique et cinématographique, avec la scène tournée dans la fonderie, les paroles de la jeune Jenifer, qui crie son désespoir devant l’inaction du politique ou l’intervention du leader des gilets jaunes.

Le réalisateur explique que dans son film il n’est pas question de vrai ou faux mais de croyance. Croyance à la fiction, au cinéma et à la politique. Ce film a produit beaucoup de fiction mais n’a pas eu d’action sur le réel ( quelques amitiés entre l’équipe du film et des militants tels Karim). Le film est devenu davantage un documentaire sur un comédien en train de jouer..

D’où un très long travail de montage, d’août 2020 à mars 2021, il y avait 200 heures de rush et 900 heures de déruschage ont été nécessaires !

Au final, le projet ayant été conçu par des cinéastes urbains et parisiens, le résultat n’est pas étonnant mais Revinois et cinéastes s’accordent pour reconnaître qu’il faut refonder notre vie démocratique.

Françoise

La campagne de France-Sylvain Desclous

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

En passant par la Touraine, les Ardennnes …et le politique.

La Campagne de France de Sylvain Desclous, un film plus poétique que politique, burlesque et humaniste.

Il s’agit du deuxième long métrage de Sylvain Desclous, qui a déjà posé plusieurs fois sa caméra dans le village de ses ancêtres et où il a passé ses vacances. Preuilly-sur-Claise, commune rurale de mille habitants, située au sud de la Touraine, loin de l’attraction des villes.

Fin 2019, le réalisateur qui sillonne le village depuis des mois, pense tenir son sujet, avec l’approche des élections municipales.

S’il nous fait vivre la campagne électorale avec ses grands classiques : distribution de tracts, réunions, discussions, il dresse surtout le portrait de son village et de certains habitants.

Jacky ( déjà figure de précédents films de l’auteur ) apparaît au début du film, fracassé par une vie dure et arrosée, mais s’exprimant avec sagesse :  » Je ne vote pas toujours pour celui qui passe, mais je vote toujours bien « !.

Mais l’image et le son priorisent le couple de la troisième liste formé par Mathieu et Guy . Mathieu 38 ans, est revenu vivre au village depuis deux ans dans la maison familiale. C’est un normalien, consultant en intelligence artificielle. Il a des atouts, il défend sa vision et ses idées au travers de sa liste :  » Vivre et agir pour Preuilly » sans étiquette politique même s’il dit en aparté qu’il est  » plus gilet jaune que macroniste ».

Ses parents sont du village-, le père malade ( émouvantes scènes entre lui et son fils à l’EPADH ) est l’ancien photographe du village et sa mère était la directrice d’école. Il nous apparaît sympathique avec ses longs cheveux flottant au gré de sa démarche un peu hésitante, et son manteau un peu large, sa voix douce et sa tranquille détermination.

Il est tout neuf en politique, il y croît, et nous embarque dans le rêve du futur habitant de Preuilly, qui télétravaille, trouve des places à l’école pour ses gamins, se nourrit de produits sains ( voire bio ) en circuit court, tels ces beaux fromages de chèvre à 4 euros , alors qu’à Paris les mêmes valent 12 euros, sans parler des champignons qui tendent leurs pieds aux cueilleurs. Son vrai problème c’est que les gens de Preuilly ne le connaissent pas ( il a quitté le village depuis le CM2 ).

D’où son colistier Guy 74 ans, un natif de Preuilly, grande gueule et plutôt de gauche qui rêve de politique et de mairie, tout étant le mal aimé du village. Le réalisateur le connaît depuis toujours et pense qu’il sera un bon acteur devant la caméra. Personnage attachant, bon vivant, parlant fort, jouant du cor, dansant , roulant dans un coupé Mercedes, bref une figure locale et une vraie figure de cinéma.

Et c’est dans le portrait de ce couple que Sylvain Desclous tient son film. Avec un mélange de relation père/fils, maître et disciple ( toutes ces discussions chez Guy ). Il y a beaucoup de tendresse dans ces visages, ces regards, et dans les larmes versées à la fin par Guy qui en font un beau moment de cinéma.

On peut se souvenir aussi de l’humour, ( lorsque les électeurs pressent un candidat de parler de son programme et que ce dernier ( Patrick ) leur renvoie la question, ce sont aux électeurs de proposer des idées ) ou la scène improbable avec le journaliste,

Mais il n’y a jamais de moquerie ou d’ironie, mais de l’empathie. Le cinéaste parle de son village en le filmant avec amour et lucidité, il restitue un petit morceau d’histoire et un beau regard sur les hommes de ce village.

Françoise

Vers la bataille de Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Vers La Bataille
Prix Louis Delluc Premier Film 2021

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

Premier film du week-end, un pur moment de cinéma, la douce imprégnation d’une histoire fascinante dans l’écrin des images superbes du chef opérateur : David Mabille (France de Bruno Dumont)
Dans les années 60 (1860), Louis, photographe français célèbre qui s’ennuie à Paris, réussit à se faire envoyer au Mexique pour prendre des clichés de la guerre coloniale qui oppose français et mexicains et devenir en quelque sorte le premier reporter de guerre. Conflit sanglant, « l’expédition du Mexique », eut bel et bien lieu de 1861 à 1867, sous la direction de Napoléon III.
Seul et ignorant, Louis se perd dans ce territoire et passe son temps à chercher désespérément le lieu des combats, et à survivre. Le film réussit à faire passer les ressentis de Louis : on a faim, on a mal, on a peur. Comme lui. Bientôt accompagné par Pinto (Cosme Castro), un campesino mexicain qui lui a sauvé la vie, on assiste à la naissance d’une amitié entre ces deux-là qui ne parlent pas la même langue et ne peuvent communiquer que par les bonnes ondes qu’ils s’envoient.
Louis lui ayant transmis son art, Pinto partira photographier ses vivants.
C’est fort, subtil, délicat. On sillonne avec eux la sierra avec un petit passage poétique comme un rêve dans la selva nimbée de lucioles, âmes légères …
Passant par une formidable scène de guerre, fake news XXL, véritable mise en scène, allant jusqu’à échanger les vêtements des soldats, pour composer un « cadre » et rapporter leurs images « bankable » !
On s’achemine vers le cœur de l’histoire, la marche éperdue de Louis vers son enfant, vers la folle recherche du cliché inexistant, inaccessible, impossible. Les kilos de matériel dont il se charge illustre l’encombrement qui est le sien et qu’il porte vers la bataille, l’ultime bataille, son chemin de croix vers sa délivrance. Comme il doit souffrir, persévérer pour atteindre son fantôme !
Le rôle de Louis devait, au départ, être tenu par Bouli Lanners qui n’était pas libre et on peut juste imaginer qu’avec Bouli Lanners, ça aurait été une autre version de cette histoire, un autre film donc.
Pour l’heure, Malik Zidi est formidable dans le rôle et son physique très jeune le mène à se confondre avec l’absent, nous mène à l’assimiler à ce fils disparu qu’il finit enfin par rejoindre.

Vers la bataille est un long métrage bouleversant et sensoriel, rempli d’idées de cinéma et si bien accompagné par la musique bluesie de Stuart Staples
Aurélien Vernhes-Lermusiaux ne puise pas son sujet dans son vécu, ce n’est pas autobiographique et c’est à souligner car assez exceptionnel pour un premier film.

Un premier film en costumes qui impressionne par son ampleur, par le sujet, les décors … Un premier film audacieux et ambitieux.

Un premier film demande une grande foi et beaucoup d’abnégation.
Aurélien Vernes-Lermusiaux, venu nous parler du sien, nous dira qu’il lui aura fallu 7 ans … 7 ans pour faire aboutir son projet !
La foi, Aurélien Vernhes-Lermusiaux l’a, sans aucun doute.
Il est habité par le cinéma. Le cinéma existe, il l’a rencontré !

Ce Week-End Jeunes réalisateurs a pour ambition de faire découvrir les nouveaux réalisateurs, ceux qui prendront la suite.
Aurélien Vernhes-Lermusiaux promet de venir présenter son second long métrage aux Cramés de la bobine.
Début de tournage janvier 2023, rendez-vous donc en 2024.

Marie-No