Les poings desserrés – Kira Kovalenko

avec Milana Aguzarova, Alik Karaev, Soslan Khugaev

Lors de la sortie de Sofitchka (Софичка, 2016), son film précédent, une journaliste d’un site russe de cinéma  a demandé à Kira Kovalenko de se définir : « Ce qui est étrange, c’est que je serai toujours une étrangère à Naltchik, car je me considère comme une Russe, mais en Russie, je suis toujours originaire du Caucase. Et oui, il y a dans le film des échos de traumatismes collectifs et d’une vie difficile dans le Caucase. » La cinéaste de 32 ans aurait pu employer exactement les mêmes mots pour aborder « Les poings desserrés » (Разжимая кулаки), son deuxième long métrage de fiction sorti en France le 23 février 2022. . Mais avec l’entrée des blindés russes en Ukraine le 24 février, « demain c’était la guerre », pour reprendre le titre de l’un des plus jolis films réalisé par Iouri Kara, né à… Donietsk (Stalino en 1954), aux temps la « perestroïka ». 

Alexandre Rodnianski, Milana Aguzarova, Kira Kovalenko

L’engagement de Kira Kovalenko est allée au-delà d’un message vidéo posté le 27 février sur la chaîne youtube du critique russe de cinéma Vladimir Dolin, en compagnie de 13 autres professionnels du cinéma dont Kantemir Balagov, son condisciple aux « ateliers Sokourov de Naltchik » en Kabardino-Balkarie, et aujourd’hui son compagnon. Elle avoue avoir regretté cette sortie dans une déclaration publiée par l’Humanité le 17 mars : « Tous les efforts se résument maintenant à rester humain et faire quelque chose d’utile. Mon film les Poings desserrés est sorti en salles, en France, la veille de la guerre. La guerre que mon pays a déclenchée. J’en porte la responsabilité, comme chaque citoyen russe. Je voulais stopper la sortie de mon film, mais, pour des raisons techniques, cela s’est avéré impossible, ce n’était pas en mon pouvoir. » 

Ne pas pouvoir regarder son film aurait été fort dommage, surtout en ce moment. 

La biographie de Kira Kovalenko, 32 ans, pourrait à elle seule résumer l’incompréhensible. Elle porte un nom aux sonorités ukrainiennes, elle est née à Naltchik, capitale de la Kabardino-Balkarie, petite république autonome du Caucase, entre la Russie au Nord, la Tchétchénie à l’Est et au Sud l’Ossétie du Nord. La cinéaste est recensée dans la communauté russe, la moitié de la population de cette ville de 240 000 habitants. Au coeur de ce Caucase rarement en paix…

750 km séparent Naltchik de l’Est de l’Ukraine.
Tandis que 1 662 km séparent Moscou de Naltchik. 

   Les films de Kira Kovalenko, comme ceux de Kantemir Balagov, sont produits par Alexandre Rodnianski, né à Kiev, proche de Volodymyr Zelensky (l’ancien comédien devenu président), mais aussi et surtout producteur prolifique du cinéma russe, à la tête du festival de Kinotavr, considéré comme le festival national cinématographique de Russie… 

À la demande de Rodnianski qui craignait que leur engagement public contre la guerre ne les mène en prison, Kira Kovalenko et Kantemir Balagov se sont exilés en Géorgie. Le producteur lui même parti à Paris aimerait les faire venir en France. 

Kira Kovalenko a tourné ses deux films dans le Caucase russe, « Sofitchka » en Abkhazie, une région disputée par la Russie et la Géorgie, tandis que « Les poings desserrés » ont pour cadre l’Ossétie du Nord, dont les frontières avec l’Ossétie du Sud et la Tchétchénie ne sont jamais tranquilles. Les deux œuvres ont également été tournées en langue originale, abkhaze et ossète, deux langues que ne parle pas Kira Kovalenko, avec des acteurs non professionnels, à l’exception des rôles titres. Le quotidien russe Literatournaya Gazeta (Le journal littéraire) écrit à propos de ce choix linguistique : « On a ainsi l’impression d’un film étranger, comme si l’action se déroulait non pas en Russie mais dans une ville abandonnée d’Iran ou du Kurdistan. » (Il faut dire que l’auteur de la critique, Alexander Kondrashov, n’a pas vraiment apprécié cette œuvre cinématographique, trop féministe à son goût et trop malveillante, selon lui, pour l’Ossétie du Nord…). 

  

Mizur

Ada (interprétée par la remarquable Milana Aguzarova) vit à Mizur dans une cité minière (mines de plomb et de zinc) entourée de falaises desséchées, à l’opposé des montagnes verdoyantes du Caucase. Située à 65 km au sud-ouest de Vladikavkaz, la capitale ossète, c’est l’une des villes les plus étroites de Russie, coincée (elle aussi) entre une route et des pentes abruptes. Une parabole de l’histoire de Ada. L’héroïne de ces « poings desserrés » est une jeune femme, une presque adolescente encore dont le corps a été abimé par les éclats d’une bombe. Et même si ce n’est pas précisé, tout le monde en Ossétie (et en Russie) comprend que cela renvoie à la prise d’otages par des combattants tchétchènes dans une école d’une autre ville ossète, Beslan en 2004 – 304 morts dont 188 enfants. Ada est prisonnière d’elle-même, d’une famille dysfonctionnelle, d’une culture machiste et d’une géographie. Et veux desserrer les poings, au propre et au figuré, qui l’enprisonnent. Kira Kovalenko aime à citer une phrase tiré de Sartoris de William Faulkner : « Peu de personnes peuvent supporter l’esclavage, mais aucune ne peut supporter la liberté. »

Le meilleur commentaire est celui de Pavel Pougatchev sur le site seance.ru : « Le film semble très effrayant, voire choquant, mais c’est l’imagination du spectateur qui nous donne la chair de poule. Ce que nous voyons dans le film, c’est la vie à nos confins du sud et pour ceux qui n’y sont jamais allés et n’ont pas l’intention d’y aller un jour, au contraire, Kira Kovalenko adoucit autant que possible les angles et les optiques, en remplissant tout de beige, de rouge et de bleu. Dans ce monde hostile, Kovalenko guide le spectateur en lui tenant la main avec douceur et assurance, sans la lâcher une seule minute. C’est un film magistral, rebelle. Une bonne partie du film est construite en plans-séquences, à l’aide d’une caméra sensible et valsante. Il y a des moments de pure poésie : une scène vertigineuse (littéralement) à l’intérieur d’une camionnette qui tourne autour du sable et de la poussière et un final ingénieux dans lequel l’image se désintègre en pixels en même temps que les espoirs d’Ada qui s’en vont. » Même si d’autres spectateurs/spectatrices ont préféré y voir, au contraire, un avenir qui s’ouvre… 

Le film a été couronné par le Grand prix de la section « Un certain regard » du festival de Cannes en juillet 2021, par le grand prix du Festival du cinéma russe de Honfleur en novembre 2021, et par L’éléphant blanc 2021, prix de la critique russe…

Sylvie

Prochainement….

Chers et Fidèles lecteurs du Blog des Cramés de la Bobine, Bonjour,
A paraître prochainement deux articles, de Françoise pour « Municipale et Campagne de France », suivi de Sylvie pour « les poings desserrés »(Ou l’inverse) …Et si vous avez vu « Vers la Bataille » vos impressions ici-mêmes seront bienvenues!
Et n’oublions pas, plusieurs articles pour un même film, c’est idéal!

Ils sont vivants-Jeremie Elkaïm

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

Ils sont vivants est un titre déconcertant, qui est vivant ? Nous sommes à Calais où vivent en effet tant bien que mal des êtres humains, déracinés, migrants, exilés, parias modernes qui en dépit de leur invisibilisation sont vivants. Effectivement.

Et les premières images sont elles aussi déconcertantes. Nous assistons à l’enterrement d’un policier, il y a les amis de la brigade qui préparent leur discours, et incongru, le cercueil ne veut pas rentrer dans le caveau, il va être nécessaire de taper la bordure de béton. Et les bruits de frappe couvrent l’éloge du collègue du défunt. « On finira à la maison » lâche Béatrice, la veuve (Marina Foïs). Avec cette séquence nous faisons connaissance de Béatrice, de Béatrice et du rapport qu’elle entretenait avec son défunt mari.

Béatrice, c’est une aide-soignante en gériatrie, son mari était un policier, alcoolique et frappeur. Elle vit avec sa mère et son fils dans un univers un peu clos qu’égayent parfois les fêtes des amis policiers du couple. Les habitudes.

Un soir sortant du travail, elle va être amenée à être en contact, à son corps défendant, avec ce qui était là sous ses yeux et qui ne la concernait pas, des réfugiés soudanais. Malencontreusement, elle bouscule l’un d’eux avec sa voiture. Elle décide de le raccompagner sur son lieu d’habitation, c’est la « jungle ». Là, elle voit. Béatrice a besoin du contact avec les choses pour les ressentir, il lui faut éprouver pour comprendre, et nous le verrons les éprouver encore.

Les morts vont vite et certains plus que d’autres, elle se défait des vêtements de son mari en les donnant aux bénévoles de la jungle. Et c’est ainsi que cette femme si peu concernée va de fil en aiguille s’impliquer dans la cause de l’aide aux réfugiés.

Le film est aussi une belle histoire de rencontre et d’amour. Une belle histoire d’amour transgressive, Mokhtar le réfugié Iranien au regard si doux (Seear Kohi) deviendra son amant. Comme tous ceux de Calais, il veut se rendre en Angleterre. Et dans cette histoire où la violence institutionnelle tient lieu de toile de fond, il y a une lutte de libération, « Ils sont vivants » se présente comme le plus trompeur des titres, Mokhtar appartient à ceux qui ont survécu en traversant la manche pour l’Angleterre sur un rafiot acheté par Béatrice. Mais sur l’autre berge d’autres vivent et espèrent.

Cette histoire de rencontre entre deux êtres que rien ne destinait à se rencontrer est authentique, c’est aussi l’histoire d’une femme qui sans se le formuler clairement, finit par s’engager et devenir à sa manière une resistante, avec l’héroïsme qu’il faut pour ça. Et on comprend, à quel point en toutes circonstances, la rareté de la démarche. Il faut  trouver la force d’agir, assez d’abnégation pour risquer la prison. Le prix du courage ! 

PS : Sur la réalisation du film lire Marie-No sur le site des Cramés de la Bobine

LYNX, documentaire de Laurent Geslin

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

Tourné dans le Jura, côté suisse.

Enfant, Laurent Geslin apprend que le lynx a été réintroduit dans son milieu naturel. Il n’aura de cesse d’aller à sa rencontre pour le filmer.

Sa réintroduction a pour but d’installer à nouveau ce prédateur en haut de la chaîne alimentaire, et de réensauvager la forêt. La biodiversité s’avère nécessaire à l’équilibre de l’écosystème.

Dès les premières images ont voit sortir d’une cage un lynx, qui va découvrir à toute vitesse son nouvel élément naturel enneigé. L’homme est intervenu pour le déplacer pour éviter une consanguinité néfaste à l’espèce.

Les images sont superbes. On est immergé dans la vie d’un couple. Trois petits naissent de cette union. 

On se demande par quelle prouesse le réalisateur a pu filmer ces animaux réputés très farouches. Pourtant, deux randonneurs tombent presque nez à nez avec un lynx en plein repas !

La chasse joue un rôle important. Mais dans la forêt les diverses espèces animales s’allient pour donner l’alerte et mettre en déroute le plus grand félin d’Europe, qui n’hésite pas à convoiter et dévorer un chamois, bien plus gros que lui.

J’avoue avoir pensé plus d’une fois au dessin animé Bambi, en voyant filmés de façon si admirable chouettes, faons, chamois. On apprend qu’un chaton est tué par un braconnier. Un autre se fera écraser par un automobiliste.

Les hommes ne sont jamais très loin. Pourtant, le lynx a besoin d’un immense territoire pour survivre.

C’est peut-être le cri d’alarme du réalisateur et son message : en filmant ces lynx dans leur milieu naturel, en interaction avec les autres animaux, il fait preuve de pédagogie par l’émerveillement.

Plus qu’un long discours, à l’aide de sublimes images, il développe l’importance des parcs naturels dans nos sociétés.

Pour moi, comment oublier ce face-à-face avec un bouquetin, vieux mâle solitaire dans le Vercors, avec ses énormes cornes ? Ou ce chamois avec son petit qui ne détale pas, ce qui me surprend, jusqu’à ce que je comprenne qu’il est aveugle !

Un film qui me touche car c’est une rencontre avec la  vie sauvage, la vraie .

Gérard

Mes frères et Moi-Yohan Manca

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022 
7 films, 7 mondes 

Le bouquet final ? Une fin en apothéose ? Comment qualifier Mes frères et moi, le dernier film de notre week-end Jeunes Réalisateurs ? Il nous a tellement émus avec sa fratrie incroyable autour de la mère mourante. Et pourtant aucune mièvrerie dans ce très beau film de Yohan Manca, une histoire romanesque et captivante qui se passe en banlieue.

Tout d’abord les frères. Abel, l’aîné, interprété par Dali Benssalah, qui semble bourré de certitudes pour que la famille tienne debout mais sous ses airs rudes, nous voyons tout son amour pour ses frères et sa mère. La scène de la mort de cette dernière est poignante et révèle  la vulnérabilité et la grande sensibilité d’Abel. Mo, le fanfaron aux airs d’Aldo Maccione amuse la galerie mais est-il si joyeux ou veut-il le paraître ? Hedi, l’incontrôlable, voleur, violent, drogué. C’est le  premier rôle de Moncef Farfar au cinéma, incroyable, non ? Et Nour, Maël Rouin-Berrandou qui crève l’écran. Le réalisateur a hésité : qui choisir ? Un chanteur qui jouerait la comédie ou un acteur qui serait doublé pour le chant ? Ce sera un acteur et il saura chanter. Maël Rouin-Berrandou n’a pas voulu être doublé, il a pris des cours de chant avec un professeur pendant trois mois et s’est révélé capable de chanter et très bon comédien. Il faut dire qu’avec l’actrice et chanteuse Judith Chemla, tout semble possible tant elle aussi est magnifique sur ce film et emporte l’enthousiasme de tous dans son sillage.

Et l’oncle ? Manu ? Quand il est apparu, j’ai eu l’impression de déjà le connaître. Mais oui, bien sûr ! Il est même venu à l’Alticiné pour un précédent week-end des jeunes réalisateurs en 2016. Olivier Lousteau,  réalisateur du film La fille du patrondans lequel il a le premier rôle au côté de Christa Théret.

Mes frères et moi a enchanté tous nos spectateurs et nous aurons tous de nouvelles images en tête en écoutant la Traviata ou Una furtiva Lagrima. Il est donc possible de faire un feel-good movie avec une histoire qui se passe en banlieue, il suffit d’avoir du talent, de la générosité, d’excellents acteurs et aussi un très bon directeur de la photographie, Marco Graziaplena, qui a déjà filmé la ville de Sète pour les deux  Mektoub, My Love d’Abdellatif Kechiche.

Laurence

L’été l’éternité de Emilie Aussel

Week-End Jeunes Réalisateurs 26 et 27 mars 2022
7 films, 7 mondes

L'Été l’éternité

L’été, l’éternité
Commencer par celui-là, évidemment.
L’histoire d’un groupe de jeunes entre l’adolescence et l’âge adulte, à la période charnière de l’après bac, qui s’apprêtent à prendre leur envol, se lancer (enfin!) dans la vraie vie, partir peut-être, se voir moins souvent, s’oublier un peu, pas trop …

Mais toi qui connais tous mes secrets, jamais je ne te quitterai ! Comment pourrais-je vivre sans toi ?
Ils rient, et dansent, se frôlent et s’embrassent. Il y a le ciel, le soleil et la mer …
Ils ont 18 ans et ils sont immortels

Quand la mort s’impose dans leur paysage, c’est sidérant.
Les coeurs sont chavirés à jamais. Cette douleur, c’est comme la vague d’une tempête qui les submerge, Lise en première ligne, Malo et puis les autres, qui les asphyxie, leur coupe le souffle.
Eux qui respiraient si bien dans la série interminable de leurs journées de vacances, sont, soudain, frappés d’hypoxie, devenus tout petits et inconsolables …
Les eaux bénies de leur enfance se sont refermées sur eux. Comment comprendre l’incompréhensible, accepter l’inacceptable ? Comment trouver le chemin vers son histoire ré-écrite, trouver l’impulse pour remonter au soleil de la jeunesse abandonnée et trouver quand même belle la surface de l’eau, troublée pourtant, désormais, par un clapotis incessant, entêtant, inquiétant, laissé là pour la vie, abandonné par cette lame de fond.
Apprendre alors à respirer autrement, à voir ce qu’on ne voyait pas, à sentir ce qu’on ne sentait pas et retrouver dans l’air, dans la musique, dans les autres le goût de vivre et accueillir sereinement l’empreinte floue de ceux qui sont morts.
Dans L’Été l’éternité, son premier long métrage, Émilie Aussel nous invite à réfléchir en douceur à la violence particulière d’un deuil vécu à l’âge tendre de l’insouciance.

Le drame fait de la mer un des personnages principaux de l’histoire. Un ennemi, un animal sauvage que les protagonistes tentent, chacun à leur manière d’approcher à nouveau, de ré-apprivoiser, un mystère où ils décideront, par instinct, un jour, de re-plonger pour renaitre.
Leurs visages, souvent filmés en gros plan, expriment les tourments de leurs âmes, aucun mot ne saurait occuper les silences de leur sidération

Les jeunes acteurs sont tous épatants, Agathe Talrich, Lise, toute en réserve, incarne parfaitement l’absence ponctuelle et nécessaire de soi-même, Marcia Guedj-Feugeas, Lola, pétillante croquant la vie comme un bonbon acidulé, Matthieu Lucci, (L’Atelier de Laurent Cantet) en Malo devenu opaque.
Et Nina Villanosa en Rita, (quelle présence !) en Rita re-née et Idir Azougli (Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin) en Marlon. Ils crèvent l’écran.

L’Été l’éternité se savoure, sans hâte, comme l’adolescence.

L’Été l’éternité, c’est l’histoire de cet été-là où la mort s’est invitée dans la vie, greffée pour l’éternité.

Marie-No

En bref sur « Nos Âmes d’Enfants de Mike Mills

Film américain (vo, janvier 2022, 1h48) de Mike Mills avec Joaquin Phoenix, Gaby Hoffmann, Woody Norman
Titre original C’mon C’mon

Autant le film a été bien présenté et remarquablement défendu, par Marie-Annick dont le retour est une joie pour nous tous, autant, certains d’entre nous ont vertement critiqué ce « Nos âmes d’enfants ».

C’est typiquement le genre de film qui suscite des réactions vives qui s’appuient pour nombre spectateurs sur leur expérience professionnelle ou familiale de l’éducation des enfants.

En début de débat, Laurence souligne d’une manière nuancée ses réserves quant aux techniques de développement personnel et en fin de débat Henri remarque la pauvreté de la construction du film. Je regrette de ne pas avoir noté les critiques remarquables des spectateurs, (notamment les objections sur la question de l’apprentissage de la frustration) de sorte qu’il ne me reste plus que mon opinion sur le film, elle n’est pas bien bonne :

Ce film nous dit changeons notre mentalité et tout devient possible. Aidons-nous les uns les autres à en changer. Et l’enfant Jesse apprend à son oncle à  être présent à l’autre, à se relaxer, il l’invite à être plus résilient etc.  On imagine la plasticité mimétique de l’enfant à se plier à tous les fantasmes éducatifs des parents et éducateurs, à reprendre leurs termes tout en pensant qu’il le fait librement.

Et c’est un joli paradoxe, dans la vraie vie, Jesse s’appelle Woody, et il joue, le rôle d’un enfant qui doit saisir et faire siens les « codes libérateurs de son oncle et de sa mère ». Et il le fait dans le cadre très contraint du cinéma où il n’y a que peu de place pour la liberté.

En fin de compte, je trouve  étonnant que l’Amérique ne produise pas davantage de films de ce tonneau-là, qui évince les déterminants sociaux, politiques et économiques etc. et particularise tout. 

Ce film appartient à une idéologie dont l’objectif est de nous expliquer par quelle méthode on doit se connaître- À trouver en soi-même,  sa vérité – Celle de l’individu, début, centre et fin  de tout  et qui en dernier ressort, quand ça ne fonctionne pas,   peut  se dire : « Je n’ai qu’à m’en  prendre qu’à moi-même ! » 

Viva Il Cinema de Tours 9ème edition (2)

L’Agnello de Mario Piredda 2019, a obtenu le Prix du Jury de Tours comme il l’avait obtenu à Annecy ou l’accueil chaleureux de Villerupt. Le réalisateur était là, idéalement habillé comme un soldat nordiste de la guerre de sécession.

En Sardaigne des habitants décèdent suite à des cancers provoqués par de la radioactivité. Mario Piredda le réalisateur et enfant du pays montre du doigt un fait réel et négligé, la Sardaigne n’est pas seulement un magnifique site touristique, c’est aussi une base militaire, et les essais de missiles, fusées ont dispersé pendant des années des produits toxiques et cancérigènes dans l’atmosphère. Voilà pour le décor.

Jacopo un modeste berger, veuf, il vit avec sa fille Anita. Ils s’aiment et sont très complices, Anita est à la fois facécieuse et résolue, c’est un poème ! Jacopo est malade, très, Anita veut l’aider. Mais écoutons ci-dessous Mario Piredda parler de son film. 

Mario Piredda nous a livré diverses anecdotes de tournage, mais la plus belle, c’est l’histoire entre Nora Stassi (Anita) et Luciano Curreli (Jacopo). Dans leur vraie vie, Nora n’a pas de père et Luciano n’a pas d’enfants. Assez vite Nora a appelé Luciano papa. Après le film, elle a continué. Entre la fin du tournage et maintenant, Nora a eu un enfant et Luciano dit : je suis grand-père.Qu’ajouter ? Mario Piredda est un réalisateur à garder en mémoire. Quant à son film il faut le voir dès que possible.

Avec Californie de Casey Kauffman et Alessandro Cassigoli Voici un film à la limite du documentaire, nous suivons Khadija une jeune fille qui n’arrive pas trop bien à s’intégrer et qui cherche le chemin pour le faire, et comme elle le démontre, bien qu’à peine adolescente, sait se débrouiller dans la vie et chercher son chemin. C’est une belle tranche de vie d’une jeune qui sait ce qu’elle ne veut pas, mais qui veut naïvement. Quelle énergie chez cette gamine !

A Chiara de Jonas Carpiniano sort au mois d’avril en France, voici son synopsis : Chiara, 16 ans, vit dans une petite ville de Calabre. Claudio, son père, part sans laisser de trace. Elle décide alors de mener l’enquête pour le retrouver. Mais plus elle s’approche de la vérité qui entoure le mystère de cette disparition, plus son propre destin se dessine. Et voici un film de facture classique sur le sujet de la mafia ou de la camorra…et dont les conclusions sont dans la lignée de celle de Léonardo Sciascia. (écrivain Sicilien 1921-1989)

Punta Sacra de Francesca Mazzoleni en sa présence. Ce documentaire, sur les traces de Pasolini à Naples est un chef-d’œuvre. Pasolini n’y apparaît pas… Mais la réalisatrice se pose dans la zone où il a séjourné et été assassiné. En revanche, il est question des habitants, des pauvres et des projets qu’on forme pour eux (ailleurs !). Aux habitants qui visionnaient ce film et le commentaient en disant : Ce film n’est pas politique ! Elle répondit : il le sera ! Quant à Pasolini il y est en filigramme, on y retrouve son engagement et sa démarche et son esthétisme. Avec l’enthousiasme d’un ami italien de Pasolini, David Grieco présent dans la salle.

(David Grieco à réalisé entre autres, Notarangelo : ladro di anime, (voleur d’âmes) un magnifique documentaire).

Viva Il Cinéma de Tours 2022 (9ème édition)

Nous voici donc dans cette belle ville de Tours pour sa 9e édition du Festival Viva Il Cinema, un événement national. Joyeux d’y assister de nouveau, dehors il y a un air de Printemps, nous sommes un peu en Italie.

Nous ne voulions pas louper la soirée d’ouverture, et c’était « Tornare » en présence de Christina Comencini, le dernier film de sa longue liste de réalisations, un film trop longtemps privé de salle pour cause de Covid. Et c’est ainsi que nous avons retrouvé la salle Thélème. Cette salle immense vient d’être entièrement rénovée, car elle était inconfortable, elle l’est demeurée. Le mieux serait d’avoir des jambes amovibles. « Tornare » c’est film qui a eu la malheur de couvrir toute la période COVID, C.Comencini fait le pari impossible qui consiste à faire vivre et dialoguer l’enfant, l’adolescente et l’adulte d’un même personnage, au même moment, dans une même situation. Tout cela ponctué d’une musique tenace et lancinante. Je ne suis pas amateur de cette forme de film.

Le lendemain succède « Il Legionaro » de Hlep Papou en présence de Germano Gentile c’est l’acteur principal il a le physique de l’emploi et le talent en plus. Nous sommes conviés à partager la vie d’un CRS, l’esprit de corps CRS, la fraternité CRS, tout se passe pour le mieux dans les meilleurs des mondes matraqueurs possibles, jusqu’au jour où survient un conflit de loyauté ! Ce film est bien vu, il a du rythme, mais ce n’est sans doute pas le meilleur de la sélection.

Palazzo di giustizia (palais de justice) de Chiara Bellosi, oui Cristina était à l’honneur, mais avouons que les femmes dans le cinéma italien ne sont pas majoritaires. La réalisatrice était là pour parler de son film. Alors peut-on encore faire un film original sur un palais de justice ? Essayons de taper la requête « procès ou film au tribunal » sur notre clavier, et nous allons rapidement être débordés. Mais Chiara Bellosi a su contourner tout cela avec maestria. Qu’est-ce qu’un procès, c’est d’abord un lieu d’attente mais que se passe-t-il dans cet entre-deux ? La caméra va de la salle du tribunal à la salle d’attente. Dans l’une et l’autre salle, nous voyons par touches légères se produire des choses essentielles. Je ne vais pas vous raconter le film, mon désir serait que ce film soit diffusé en France. Vous allez aimer ce film !

Piccolo corpo (petit corps) un film de Laura Samani, ce film est actuellement distribué en France, il passe en ce moment, et les cramés de la bobine l’ont déjà sélectionné pour le mois d’avril. Dépaysement garanti, l’actrice Celeste Cescuti tout à fait étonnante, les paysages sont étrangement beaux. Et le jury des jeunes spectateurs de Tours lui a décerné son prix…

Aria ferma Leonardo di Costanzo (prison). Tout comme « Palazzo di giustizia » le thème de la prison est courant. Mais là encore le réalisateur arrive à faire du neuf. Une prison au milieu d’un vaste somptueux décor ferme ses portes. Pour des raisons qu’on ignore, douze prisonniers doivent attendre leur transfert. Une aile de la prison demeure en fonction et une brigade de gardien est requise sous la responsabilité du plus ancien d’entre eux. Un homme qui n’avait jamais eu de responsabilité de commandement. Toni Servillo, Silvio Orlando sont les deux principaux personnages.

Il nous reste qu’à espérer que ces films seront distribués en France, et que nous pourrons les visionner ici-même à l’Alticiné aux Cramés de la Bobine.

A suivre…

Vu à l’Alticiné : Maigret de Patrice Leconte

Inhabituel format du commissaire Jules Maigret qui n’a jamais aussi mal porté son nom et qui ressemble davantage au détective Néro Wolfe de Rex Stout. Les deux sont psychologues, mais autant Néro est visuel que Maigret auditif. Comment procédez-vous pour enquêter ? J’écoute ! dit le commissaire. Sans doute Jean Gabin était plus fidèle au physique, mais Patrice Leconte ne peut pas faire d’erreur. Souvenons nous de son Monsieur Hire. Gérard Depardieu saisi l’essence même du personnage. C’est son géni. Le personnage de Maigret décrit par Simenon, c’est un costaud musculeux et plein d’aisance qui en impose. Mais qui écrit ? C’est Simenon.

Et Simenon en dépit de ses bonnes intentions, dès qu’il a une feuille de papier devant lui est saisi par la « glauquitude » des choses. Celle des lieux, celle des passions humaines souvent tristes. Il y a les décors d’après guerre, ceux luxueux aux relents de marché noir ou de collaboration, et la pauvreté qui affleure partout ailleurs, les pavés mouillés, les quartiers perdus qui sont des personnages à part entière tant ils reflètent les gens qui y vivent. Et puis, il y a la fatigue d’un vieux commissaire qui va devoir décrocher, et qui sait ce que signifie décrocher. Et dans tout cela sa compassion pour les filles perdues ou en train de se perdre, fragiles, évanescentes…les proies. Je ferais toutefois un reproche à Patrice Leconte, il va désormais m’être difficile d’imaginer Maigret autrement qu’en Depardieu