Voici un film dont le début de l’histoire est curieux. Un homme, Jakob,(Gibs Naber) loup de mer, capitaine au long cours assis dans un café en face d’un autre, fait le pari qu’il épousera la première femme qui entrera dans le café.
Se prépare à entrer dans le café une vieille dame, mais finalement, elle s’éloigne laissant la place à une autre. Elle s’assied et nous tourne le dos, Jakob s’en approche, miracle elle est jolie, il la demande en Mariage. Nous faisons connaissance de Lizzy (Léa Seydoux) pas le moins du monde étonnée de la situation, mais regardant curieusement ce bel homme, de grande taille, qui ne doute de rien. Elle accepte.
« Un film classique sublime, un chef-d’œuvre où tout est constamment suggéré, mais où rien n’est dit. C’est un film très fort sur les rapports entre les hommes et les femmes, sans jamais être simpliste. La réalisatrice montre la faiblesse de cet homme, ce capitaine de vaisseau qui voit sa volonté de tout contrôler, comme sur son bateau, voler en éclat face à cette femme ». Nous dit Jérôme Garcin.
Et durant le débat animé par Chantal, les cramés de la Bobine remarquaient avec elle, que cet homme ne contrôlait pas grand-chose quand il était sur terre. Ils remarquaient aussi que ce n’était pas l’histoire de sa femme. Nous ne la voyons qu’en creux, selon son point de vue. Et là, son point de vue n’est pas celui de ce marin capable de reflexion et de décisions courageuses, qui sait où sont les nuages qui éteindront un incendie sur le bateau de croisière qu’il dirige.
Car sur terre, il oscille entre l’affirmation de sa puissance virile et le ridicule — Nous le verrons mal négocier, mal choisir ses amis, se laisser séduire par un vil escroc, être discrètement gauche et décalé dans des réunions mondaines.
Il porte les stigmates du gars qui s’est fait tout seul. Toujours balançant entre sa rigueur de marin et sa naïveté essentielle. Entre les mots et les coups de poings que sa supériorité physique autorise – Entre le passage à l’acte et l’impossibilité de comprendre les situations, leurs conventions, leurs signes. D’ailleurs, sa demande en mariage, n’est-elle pas un passage à l’acte, une manière de se jeter à l’eau, qui substitue l’action à la connaissance, s’en remettant à une hypothétique et infantile bonne étoile ?
Sur terre, il est, la poésie en moins, un peu comme l’albatros de Baudelaire.
Et Lizzy voit immédiatement ce que cette situation a de ludique et s’en amuse et elle va être sa femme mystérieuse, inattendue, indiscernable, jolie, séduisante, aimante ou rejetante, sincère où cachottière, sujette à de profondes tristesses comme à des joies mondaines, avec leurs cortèges de marivaudages, fatuités, dépenses inconsidérées. Mais surtout elle est libre. Son mariage est un jeu qu’elle prend d’abord au sérieux, puis plus.
Lizzy, il ne la connaît pas plus que nous ne la connaitrons. Elle lui échappe. Et lui, pour une fois, habitué à ne pas comprendre veut la saisir. On ne sait pas s’il l’a aimé et même s’il en aurait été capable, mais ce dont il est capable, c’est d’être jaloux. Sa jalousie va être à la manière de celle de Swann, un prisme excitant et douloureux de la connaissance et du désir. Un jour, elle va fuir avec Dedin, son amant (Louis Garrel) et tenter de lui dérober un portefeuille d’actions. (au demeurant mal acquises par Jakob). Ce sera la fin de ce mariage.
On ne connaîtra pas Lizzy, elle n’est ici rien de plus que l’histoire de Jakob lui-même. Et c’est une particularité et une beauté du jeu des acteurs, ils expriment peu d’émotions tendres, c’est un peu comme si cette histoire se déroulait en dehors d’eux mêmes.
Et de Jakob qu’une seule chose rachète, ne pas avoir profité de la faiblesse de la toute jeune Grete, une amoureuse sincère qui aurait exigé d’être sincère, on ne connaîtra guère plus. Jakob le marin, ni meilleur ni pire qu’un autre, a tout simplement oublié comme dit Sénèque, « qu’il n’y a pas de vents favorables pour celui qui ne sait pas où il va ».
Georges