Juste sous vos yeux de Hong Sang-Soo

Vingt-quatre heures dans une vie, quand le temps est venu d’alléger le temps, de revisiter son enfance, de dire ses erreurs, d’affronter ses rêves envolés.
Lorsque le temps presse de « rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer »
San-gok qui fut actrice, étoile filante dans une autre vie que la sienne, une vie presque oubliée, est revenue pour quelques jours dans sa Corée du Sud natale.
Elle s’applique à goûter ce qui est là en face d’elle, à apprécier les plaisirs simples d’un beau paysage où les couleurs saturées lui sautent forcément aux yeux, d’une tasse de café, d’une cigarette, même si elle se recache pour fumer.


Réflexion sur le temps qui passe, sur la mort, Juste sous vos yeux est une invitation à profiter de la vie, fragile, si précieuse quand on sait les jours comptés.
Par petites touches Hong Sang-soo nous met sur la piste du secret de cette femme que l’âge a rattrapée.
Dire avant tout que San-gok est interprétée par la magnifique actrice Lee Hye-young qui donne au personnage sa grâce, sa délicatesse, son élégance et son charme infinis.
Une journée dans la vie d’une femme, qui retrouve sa soeur et les lieux de son enfance avant de se rendre à un rendez-vous, élément déclencheur de sa venue à Séoul. Dans une épure soutenue de bout en bout du film, les scènes se succèdent et nous emmènent dans les dédales du récit admirable d’un parcours de vie dense et détaillé, suite de scènes gracieuses d’intimité familiale remplies de non-dits.
Ca déborde de partout, inondant les conversations avec sa soeur d’une gêne certaine, recouvrant la rencontre avec son neveu, reportée et déplacée dans la rue, d’un flux de tendresse, emportant la visite de la maison de son enfance, où vit toujours la petite fille qu’elle fut, dans une vague de mélancolie.
Comme les souvenirs sont lourds …
Et maintenant ?
Lors d’un tête-à-tête au fond d’un bar désert dont il a les clés, Jae-Won, le réalisateur propose un rôle à San-gok qui le refuse aussitôt et, entre crevettes frites et porc aigre-doux (chopés par le jeune assistant au restau chinois du coin), et surtout entre deux rasades d’alcool fort (chinois aussi), c’est la fin du secret.
La vérité a éclaté, brutale, embarrassant tant le réalisateur que, l’alcool aidant, il verse quelques larmes … On fait du cinéma ou on n’en fait pas !
San-gok, elle, parle, beaucoup et voilà que c’est elle qui le réconforte ! Un comble !
Ils se rapprochent, ont quelques gestes, elle lui fait dire sans mal ce qu’elle veut entendre : qu’il veut coucher avec elle, qu’ils partiront demain et qu’il la filmera. Pourquoi ne pas rêver une dernière fois à la vie, à l’amour, au cinéma ?
Un magnifique plan silencieux , deux silhouettes de dos, sous la pluie avec du bleu, à attendre, et pour elle, les derniers moments d’illusion …
Un message le lendemain matin sur le répondeur de San-gok la fait redescendre sur terre et, à la deuxième écoute, elle se réfugie encore dans ce rire étrange, incongru, cruel sur elle-même et sur les hommes, s’efforçant de mettre le tragique à distance. Un rire prolongé par des sanglots, dès qu’elle tourne le dos.
« Tu fais un rêve? » On sait que sa sœur ne lui racontera son rêve qu’après midi.
Elle ignore encore que les heures sont comptées.

Juste sous vos yeux, est un régal, du concentré de Hong Sang-soo : économie de plans sur une partition virtuose.
Des voix qui se succèdent, se répondent, se toisent, s’affrontent, s’ignorent, se séduisent, comme dans un opéra racontant à merveille ce qui se voit et ce qui ne se voit pas.
Avec pour ce film une tonalité dramatique, tragique, inhabituelle chez Hong Sang-Soo … qui peut inquiéter.

Mais il semblerait que ce soit un moment de flip passager : vu le film suivant La romancière, le film et le heureux hasard et … c’est une autre histoire !


Marie-No

Un Beau Matin-Mia Hansen Love(2)

« Un beau Matin » au Masque et la Plume, « Un beau matin » à L’Alticiné

Pour préparer la présentation du mardi soir, j’ai écouté le Masque et la Plume. Voici quelques bribes de leurs commentaires que je souhaite à mon tour commenter. 

Michel Ciment, « C’est un peu le même problème que le précédent film de Mia… c’est qu’il y a deux récits, le rapport de cette femme avec son père handicapé, (qui rappelle F.Ozon) et l’épisode de l’amant qui est d’une banalité, d’une platitude… Elle a essayé de mixer, elle ne veut pas risquer trop, elle a eu peur d’être trop triste, donc elle fait des scènes d’amour physique, de copulation »…

Eric Neuhoff « c’est un robinet d’eau tiède, comme d’habitude, même l’histoire avec le père est exsangue, c’est d’une platitude… Et tous ces intellectuels… c’est un film sincère mais inutile… Une palme d’Or « péa »

Camille Nevers : « C’est un film qui évite de se poser la question de la mort » « véracité qui manque de vérité ».

Mia Hansen Love, si l’on excepte « l’Avenir » Ours d’Argent avec près de 300 000 entrées, voisine pour ses sept autres films  les 70 000 entrées, elle fait un cinéma dont on peut dire  pour l’instant, qu’il est confidentiel. On peut alors s’étonner que ces critiques présentent ce film juste pour le démolir. Ça n’exige aucun courage, ils n’ont pas Pialat en face d’eux. C’est donc facile.

Entre un premier critique péremptoire et expéditif ; un deuxième tout heureux de s’offrir un bon mot ; et une troisième qui donne l’impression qu’elle n’a même pas vu le film dont elle parle, on pourrait dire que ces gens au lieu de servir le cinéma d’auteur trouvent jubilatoire de prédater des films. (Tout en se satisfaisant d’en vivre !) 

Le Cinéma de Mia Hansen Love

À ce jour, le cinéma de Mia Hansen comporte 8 longs-métrages qui ont la propriété de se répondre, de s’éclairer les uns par rapport aux autres, si chaque film est une œuvre, son ensemble forme une Œuvre cohérente en tous points. Ces films ont pour matière des événements, situations de sa propre vie, mais ils sont transposés, réinventés. Il n’y a pas plus d’égotisme dans cette démarche que celle d’un peintre qui fait son autoportrait. Pour poursuivre cette analogie avec la peinture, il y a chez elle une démarche impressionniste, elle travaille par touches légères. « La vie est plus grande que le cinéma » dit-elle, et donc elle bannit les effets de caméra, le spectateur doit l’oublier. Plans et enchainements sont soignés et bien rythmés. Il y a un rythme et une harmonie d’ensemble et un style qui lui est propre.

Deux mots sur « Un beau Matin »

D’abord, il y a le casting, tous les acteurs sont justes, on pourrait dire mille choses sur chacun, je m’arrêterai sur Léa Seydoux (Sandra) sincère, sensible et humble.(Voir le billet de Pierre). Son visage se lit comme un livre. Dans un autre registre, elle investit son rôle à l’égal d’Isabelle Huppert dans l’Avenir. Autant de talent, autant de classe.

Sur le sujet du film et pour revenir aux critiques du Masque, nous savons tous que les films sur l’alzheimer, sur les maladies graves et fatales ne manquent pas, on pourrait citer « Amour » et plus près de nous « The Father ». Mia Hansen Love voulait-elle ajouter un film aux films ? Bien sûr que non, elle voulait parler d’une femme. Le sujet, c’est : il était une fois une femme dans une situation de vie deux fois éprouvante. L’une dont l’issue est certaine, celle du père, Georg (Pascal Gregorry) qui se conjugue à une autre dont l’issu est incertaine, vivre avec Clément  (Melvil Poupaud), l’homme qu’elle a choisi d’aimer. Et donc ce que Mia Hansen Love nous montre,  c’est le combat d’une femme pour résister à des tensions angoissantes, les pires, celles où se joue la séparation. Et ce qu’on voit aussi, c’est sa volonté, son risque, de construire tout de même. Bref, une vie, une femme !

On peut aussi remarquer la qualité de présence de Sandra auprès de son père et de son amant, on peut alors voir comment les dialogues, les attitudes, les expressions de visage sont marqués, nimbés par l’interpénétration des situations dans son esprit. Elles déteignent. Tous les films de Mia Hansen Love restituent la complexité de la vie, pas moins celui-ci.

Enfin, tout comme Rohmer, elle laisse à ses personnages leur chance. Elle cite volontiers « Conte d’Hiver ». La dernière image délicate, celle de l’affiche, montre Sandra, Clément et Linn (Camille Leban) la fille de Sandra, en haut de la Butte Montmartre regardant Paris : « ta maison, c’est tout droit »… La naissance d’une famille, la force de la vie.

Sans Filtre (3)

C’était sûr que Ruben Östlund nous (re)ferait grincer des dents !
Un film d’auteur virtuose qui bouscule. On aime ça !
Avec en vrac : le milieu de la mode, de la pub, le monde des « influenceurs », des « bloggeurs », la beauté, LA valeur marchande qui permet de monter dans l’ascenseur social GV, la lutte des classes qui prend l’eau, la société sans repères, en apnée, les hocquets du grand mâle blanc, les rapports de genres … Il passe tout ça à la moulinette et au final ça donne une histoire ébouriffante en 3 parties.
1- Parenthèse.
Portraits de Carl et Yaya, jeunes, beaux, riches, le vent en poupe et complètement conscients d’être sur le fil : bientôt, le carrosse redeviendra citrouille.
L’humour grinçant, anticonformiste frappe d’entrée de jeu avec la scène du casting où les jeunes mâles gracieux sont scrutés, manipulés. Sourire pour le bon marché, dédain pour le luxe.
Le compagnon de Ruben Östlund est photographe de mode, il connaît bien le sujet.
C’est le seul secteur d’activité où les hommes sont trois fois moins bien payés que les femmes. Ca peut rendre nerveux et Carl est nerveux. Déjà marqué au mitan de ses vingt ans par la ride de la tristesse appelée ailleurs ride du souci, il dépend du regard de tout le monde et en particulier de celui de Yaya. Sur lui et aussi sur la note de restaurant qu’elle ne s’abaisse pas à faire entrer dans son champ de vision, qu’elle refuse de voir, jouant au bonneteau avec ses nerfs comme avec son pauvre billet de 50 euros qu’elle fait disparaître sous ses yeux le laissant désemparé, au bout de sa vie. Elle décide, elle jubile. Elle compte bien profiter comme elle l’entend des avantages du seul secteur où les femmes gagnent beaucoup d’argent, trois fois plus que les hommes.
Elle a l’argent et le luxe de ne pas en parler, de ne pas s’en occuper, pour conjurer le sort, continuer et atteindre son but : devenir trophée.
Carl a un objectif : assujettir Yaya, se l’annexer, assurer ses arrières. Profiter.
Un partout, balle au centre.
2- Tempête
Yaya est invitée sur une croisière de luxe. Elle demande à Carl de l’accompagner, un Carl aux abois qui veille et n’entend se faire souffler Yaya par personne et pas par ce beau matelot, simple membre de l’équipage, un pauvre quoi, que Yaya a regardé et à qui elle a même parlé ! Il le fait virer et, ironie du sort, le sauve probablement !
Pour alimenter son blog et ses pages, Yaya, est en mode selfie non stop, concentrée sur elle-même. Elle évolue flanquée de Carl, parmi les passagers, oligarques russes, couple de britanniques âgés amoureux et tranquilles enrichis sans vergogne, une paraplégique ultra riche hors sol (l’argent ne peut pas tout) … aucun état d’âme pour personne, tous couvés par un équipage briefé pour servir, répondre oui à tout et n’importe quoi. La prime suivra.
Pendant ce temps-là, le commandant boit. Il a baissé pavillon, s’est renié, a perdu son idéal, s’est abimé et il boit sa honte jusqu’à la lie seul ou avec l’ennemi. A vomir, cette vie, à ch… ces passagers.
Il faudrait une tempête, un déluge pour mélanger tout ça, redistribuer les cartes. Bingo.
3 -La possibilité d’une île
Certains ont échoué sur un rivage. Abigail, ex-responsable des toilettes sur le yacht, occupe de droit la place essentielle à la survie des naufragés. Elle sait pêcher à la main et faire du feu : c’est le nouveau capitaine. On assiste à une inversion du pouvoir, détenu jusqu’alors par un homme, blanc et capitaliste, encore et toujours prêt à abattre le plus faible, à faire passer de simples braiements pour de terribles menaces.
Le pouvoir passe à une personne jusqu’ici triplement exploitée : femme, migrante et sous-payée. Carl n’hésite pas à surfer sur la vague et joue tranquillement sa carte de beau gosse, parfumé, qui plus est. De gigolo. Comme avant.
Le pouvoir restitué au travailleur ! c’est arrivé, donc !
Calmos, pas si vite. Le monstre est là tapi dans la nuit, il gronde sur l’île perdue cernée par les corps de ceux qui n’ont pas survécu flottants dans les eaux troubles, s’échouant sur le sable. Ouf ! dire que cette bagouse, ce collier de diamants auraient pu couler sans la vigilance du gros russe, pietà pleurant de soulagement d’avoir pu, just in time, récupérer ses billes !
Yaya n’a rien à faire, plus de connexion et a l’idée de partir à la découverte de cette île, pour voir de l’autre côté. Sans Carl mais avec Abigail. Yaya, jeune et préservée, court les sentiers escarpés comme une chèvre. Abigail, mature et usée par le labeur, peine, trébuche, s’essouffle. Un chemin de croix.
De l’autre côté de l’île, l’ascenseur est là, les portes s’ouvrent, Abigail se fige, terrassée de désespoir. Yaya respire, tout va être comme avant, elle va pouvoir reprendre son atout en main, jouir et faire jouir de sa beauté. Offrant à Abigail un poste d’« assistante personnelle», elle déclenche son courroux, fracasse son espoir.
Carl a senti le vent tourner, il accourt. Et saura retomber sur ses pattes.


Le monde des apparences, de l’argent roi, de l’aliénation humaine, tel qu’il nous dégoûte. C’est à se tatouer un Triangle of sadness permanent !
Un cinéma amer, cocasse, un film en montagnes russes.
Ruben Östlund nous trimbale.
C’est épatant, décidemment.

Marie-No

Amis du blog, bonsoir

Ces jours-ci sont plutôt « Sans Filtre », Monica, Pierre, Henri, Georges : autant de commentaires et par chance, autant de points de vue. Qu’à cela ne tienne, à toutes ces réactions, un point commun, le plaisir d’être au cinéma, de voir des films, de laisser leur aura nous accompagner. Les films comme les rêves sont tellement mieux mis en mots. Lisez, écrivez dans ce blog.

Un beau Matin-Mia Hansen Love

Léa Seydoux dans un rôle de femme simple, un peu à contremploi des rôles qu’on lui connaît, encaissant toute la charge psychique d’une vie que la réalisatrice cadre (en 35mm argentique, mazette) en captant l’air du temps de celles qui n’ont pas beaucoup de temps pour elles. Son père en fin de vie qu’il faut accompagner entre hôpitaux et Ehpad qu’on ne voudrait pas pour soi, éducation de sa fille en mère isolée… et le grand amour d’un vieil ami marié, qui demande des « aménagements », les hauts et les bas d’une passion enflammée avec la crainte (ou même l’angoisse) de voir l’être aimé se perdre dans l’adultère. C’est un film qui pose justement les questions de notre temps, sur fond de dispute entre Éros et Thanatos dans un Paris magiquement filmé.  J’y ai retrouvé des visions de Doillon, Klapisch… et même  Rohmer. Un film à voir.

Pierre

Sans Filtre- Ruben Östlund (2)

Huit jours après je découvre encore de nombreuses scènes dont l’importance et la signification ne m’étaient pas toutes apparues au moment de la projection.

La scène finale quand Abigail extrait de la falaise une grosse pierre avec laquelle elle s’apprête à fracasser le crâne de Yaya : Va-t-elle le faire ?

Yaya vient de lui dire que lorsque tout sera redevenu comment avant elle la prendra…. disons le clairement comme servante, ce qu’elle a toujours été dans le monde d’avant. Pourtant la terre ferme est lointaine, pourtant l’hôtel de luxe dont on voit les restes sur la plage est désert signes que le monde est entrain de changer, Yaya a l’espoir de retrouver le monde d’avant et Abigail veut écraser cet espoir, cette possibilité – comme l’ont fait les révolutionnaires français de 1789 et russes de 1917 en faisant régner la terreur dans les années qui ont suivi.

Abigail vient de prendre le pouvoir (dictature du prolétariat ?) et tous les attributs qui vont avec. Elle va pouvoir choisir l’homme qui partagera sa couche, Carl semble finalement l’accepter : lâcheté ? Peut-être, mais dans le monde d’avant c’était aussi ceux qui avaient le pouvoir (les hommes) qui pouvaient choisir leur partenaire (des femmes).

Cette métamorphose de Carl va même plus loin quand il fouille dans les tonnes de détritus (là aussi le monde d’avant a failli) il s’intéresse à un flacon de parfum, à quelque chose de futile alors qu’il faut trouver du bois pour le feu. Est-ce pour cette scène que certains spectateurs ont parlé de misogynie, ce comportement étant supposé être celui des femmes dans le monde d’avant ?

Le rapport homme/femme avait été aussi abordé dans la première partie au moment où la note du repas est présentée, je crois qu’elle est déposée au milieu de la table. Souvent c’était aux hommes de payer (ils avaient le pouvoir et économique) mais maintenant que les mannequins femmes gagnent trois fois plus que les hommes Carl demande à Yaya de payer. Les réalités matérielles peuvent changer mais les mentalités évoluent beaucoup plus lentement et Yaya continue de penser que c’est aux hommes de payer.

Autre scène qui ne prend pas immédiatement sa signification : des hommes et des femmes à quatre pattes en train de nettoyer le pont, on retrouvera cette scène à la fin du « repas du commandant », après cette orgie de nourriture et de boisson.

Sur ce bateau, chacun est à sa place, Paula et Darius essayent d’assurer le déroulement de la croisière, pendant ce temps le milliardaire russe propriétaire du bateau se dispute avec le capitaine communiste américain et cela malgré la tempête qui survient (les dirigeants du monde, américains et chinois ; européens et russes se disputent et pourtant la catastrophe climatique annoncée est à nos portes).

Est-ce la tempête (le dérèglement climatique) ou une bombe nucléaire qui a mis fin à la croisière ?

Henri

Un hélicoptère débarque en urgence un colis de Nutella, on nous explique que pour faire la promotion d’un produit bas de gamme on peut sourire et qu’il faut par contre être sérieux pour un produit haut de gamme, on se dispute pour savoir qui de l’homme ou de la femme doit payer le repas, la jalousie (ou la connerie) entraine le licenciement d’un matelot, une explosion inattendue et d’origine inconnue détruit un paquebot (non cela ne peut pas être une simple grenade même défensive), une cliente oblige tout le personnel de bord à prendre un bain, un homme s’intéresse à un flacon de parfum trouvé parmi de nombreux déchets alors qu’il y a urgence à trouver de la nourriture.et du bois pour survivre, un hôtel de luxe est déserté sa plage est pourtant bien garnie de mobilier de plein air, le commandant du bateau laisse son navire dériver dans la tempête, une femme brandit une pierre pour fracasser le crane d’une autre qui pourtant ne lui veut aucun mal. On est témoin d’une discussion absurde entre le capitaine et le propriétaire du paquebot de croisière …..
Le réalisateur enfonce-t-il des portes ouvertes?
est-ce du déjà vu sans intérêt ? Si oui alors n’allez plus au cinéma.
Suffit-il de montrer une femme mannequin, avec toutes ses contradictions pour dire qu’il s’agit d’un film misogyne ? Alors il y beaucoup de travail pour les censeurs dans beaucoup de films et dans les oeuvres artistiques en général.

Henri (01.12.22)

Notes Intempestives sur « Sans Filtre » aux cramés de la bobine



Souvent  je me sens l’esprit lent et je suis incapable de réagir à chaud devant certains films. Si bien que le blog me va bien, il permet un débat après le débat, aussi je m’autorise cette petite digression sur « Sans Filtre » ce mardi aux cramés de la Bobine et j’espère que je ne serai pas le seul à réagir.

Je commencerai par dire tout le bien que je pense de la présentation de Marie-Annick, qui comme d’habitude sans notes (ça m’épatera toujours) produit un commentaire riche et d’une grande clarté. Particulièrement, j’ai aimé sa présentation éclairante du cinéma de Ruben Östlund.

Ensuite, je dirai qu’un tel film a tout ce qu’il faut d’inconfort y compris pour les spectateurs confortablement assis que nous étions.

Au moment du débat, bien documenté par Marie-Annick, très rapidement, les commentaires dans la salle ont fusé sur la qualité du film : « Mal filmé, du déjà-vu, enfonçant des portes ouvertes, misogyne etc.. »

Oui, ce film a quelque chose de déjà-vu à commencer par son style et son rythme qui est celui de Ruben  Östlund lui-même, « Sans filtre » ressemble à « The Square ». Il y a aussi des ressemblances avec d’autres films par exemple, le sujet de la seconde et troisième partie du film, Ruben Östlund cite : « Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été » de Lina Wertmüller 1974, la relation entre riches capitalistes et un matelot communiste sur un yacht, puis sur une île.

Il y a tout de même quelque chose d’unique dans ce film, c’est son genre d’humour. Sur La marchandisation des corps, le casting puis le défilé des mannequins entre Balenciaga et H&M est parfaitement vu et illustratif, (bien que ce sujet du corps marchandise ait été traité d’une manière un peu différente dans « L’homme qui a vendu sa peau » de Kaouther ben Ania 2019)

En première partie, le rapport du couple de mannequins à l’argent est original particulièrement lorsqu’on considère la situation de leur discussion (ce qu’ils vendent, comment ils gagnent leur vie, et cette tentative d’éthique égalitaire un peu décalée). En Seconde partie, il y a cette galerie des personnages, du salaud vendeur de « merdes phytosanitaires » au couple marchand de mines et de grenades etc. Le repas par temps de tempête est aussi un grand moment de cinéma qui évoque, vu de loin, « la grande bouffe » de Marco Ferreri, avec la fulgurance en plus. Le jeu des citations entre le capitaine alcoolique et marxiste et un oligarque Russe lui-même alcoolique qui cite Nixon (dans le texte) est un régal et enfin après l’explosion du bateau sous le feu de terroristes, la troisième partie : aucun ne cherche à savoir où il se trouve et il y a la prise de pouvoir d’Abigail femme de ménage (et femme aux Bretzels ) qui inverse le rapport dominant/dominé en montrant qui sont les vrais assistés (changement de jungle!). L’humour est le plus habile et le plus joyeux raccourci pour dire les choses. Tout cela est jubilatoire, plein d’idées fulgurantes, drôles dans une période où l’humour devient de jour en jour, on ne peut que le remarquer, la chose au monde la moins bien partagée.

Mais sur le fond :

« A gauche, on présente les gens riches comme égoïstes et superficiels, et les gens pauvres comme généreux et authentiques, le film essaie d’ébranler cette conception simpliste de l’être humain en soulignant que notre position dans la structure dépend aussi de la façon dont nous agissons » dit le réalisateur.

Tout de même, le film montre des riches implacables qui exigent des choses insensées et placent le personnel sous les fourches caudines : « je veux que tout le personnel se baigne ». En regard de ça, le réalisateur cherche à démontrer que c’est la situation qui détermine le rôle, autrement dit : Un pauvre placé dans la situation du riche, reproduit immédiatement les mêmes rapports de domination. Il montre que ce nouveau dominant, comme l’ancien, est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir (la pierre d’Abigail au dessus de la tête de Yaya). À cette « sociologie » pauvre et lapidaire, je n’adhère aucunement, il y a ce risque qu’elle justifie voire légitime l’existant et… avec complaisance !

Une chose me semble sûre, si ce ne sont pas  les démonstrations sociologico-politiques de Ruben Östlund qui me séduisent,  je les trouve confuses et ambigues, il demeure que son film est allègre, satirique, original (quoi qu’on en dise) et drôle que j’aurais regretté de ne pas l’avoir vu. J’espère que nous sommes nombreux dans ce cas…Au plaisir de vous lire!

Georges

AYA-Simon Coulibaly Gillard

Que dire de ce film ? Qu’il m’a envoûté et j’espère qu’il a envoûté les spectateurs de l’Alticiné autant que je l’ai été.

Ce premier long-métrage de Simon Coulibaly Gillard, qui a été présenté par l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) au festival de Cannes 2021, narre à la fois l’histoire d’une jeune fille qui veut protéger son paradis en Côte d’Ivoire et les problèmes rencontrés par les habitants de ce paradis à cause du réchauffement climatique et de la topologie des côtes de l’Afrique de l’Ouest.

Tourné en Côte d’Ivoire, à Lahou, un village de pêcheurs victime de l’érosion due au dérèglement climatique, le film suit Aya, une jeune fille à l’aube de l’adolescence qui n’a jamais connu que cette bande de sable située à 150 km à l’ouest d’Abidjan. Pourtant, elle devra bientôt partir et faire l’apprentissage d’un ailleurs, loin de sa culture et de ses croyances. Si le cinéaste témoigne de ce phénomène tragique, injectant du réel à sa fiction, il s’intéresse moins à la question politique qu’à la trajectoire intime de son héroïne.

Le réalisateur est tombé par hasard sur cet endroit, ce village, qui lui a paru paradisiaque au début, avec ses palmiers, sa longue plage de sable fin, mais c’est la découverte du cimetière et de l’impossibilité pour les habitants de réenterrer leurs morts, face à l’urgence de la montée des eaux, qui l’a fait rester un an au total.

Il lui a fallu s’affranchir de son approche européenne, scientifique et logique des choses. À travers un regard occidental, la raison de la montée des eaux dans ce village va être naturellement associée au réchauffement climatique. Or, une société n’ayant aucune histoire industrielle ne peut pas envisager ce discours. Il a donc mis de côté son raisonnement pour absorber la vision des habitants. Ils sont positifs et s’en remettent à Dieu, sans avoir besoin de plus d’explications. Le public occidental peut les trouver fatalistes. Mais non, il y a beaucoup de naturalité dans tout ça. Ils ne sont pas aigris face à ce qui leur arrive.

Sur l’île, il n’y a pas d’électricité. Cela suppose une logistique importante. Par ailleurs, Simon Copulibaly Gillard a dû avoir recours à un traducteur, car les habitants parlent le dioula. Les scènes de dialogues entre Aya jouée par Marie-Josée Degny Kokora, et sa maman interprétée par Patricia Egnabayou ont été construites grâce à une écriture mémorielle, du quotidien. Pendant le tournage, les histoires partagées par les villageois ont été mises dans la bouche d’Aya, qui est devenue une sorte de porte-parole de tout le village. C’est de cette manière que la fiction se tisse. La mère et sa fille connaissaient les thèmes du scénario, puis se livraient à l’improvisation. Entre-temps, il a fallu déterminer une action. La maman est poissonnière, quant à Aya, c’est une ado. Ce qui compte pour elle, c’est de manger et de dormir. Il fallait dramatiser cette action.

Ce qui intéressait le réalisateur dans cette histoire, c’était la petite histoire car les relations humaines n’étaient pas toujours évidentes. Pendant un an, ils ont le temps de mal se comprendre, mais aussi de se rabibocher.

En effet pour Simon Coulibaly Gillard, il était important de montrer ce qui se passe quand on a 15 ans et que l’on n’a plus de trace de son enfance. C’est cet aspect mémoriel qui l’intéressait. La grande histoire écologique et environnementale, ce village qui disparait, est une manière de souligner cette disparition de l’enfance.

Ce film nous permet de suivre l’évolution d’une jeune fille qui commence à devenir une ado, qui regarde les garçons et qui prend ses références culturelles pour acquises, sa langue, sa façon de se nourrir ou de se vêtir, et qui se fait surprendre par le monde qui l’entoure en finissant par embrasser une modernité qui l’étonne elle-même.

Est-ce que ce ne serait pas le sens de la vie ??

Marie-Christine

Spécial Amis

Notre amie Sylvie Braibant contributrice du Blog des Cramés de la Bobine a publié ce très beau livre :

« Journaliste indépendante, après 40 ans de carrière dans l’audiovisuel public – TF1, jusqu’à sa privatisation, puis TV5MONDE jusqu’en 2019, et aussi au Monde Diplomatique… Sylvie Braibant est la fille du juriste communiste Guy Braibant » « Voilà quelques années, alors que je lisais la notice du Maitron, le Dictionnaire biographique du mouvement social, consacrée à la biographie de Guy,

j’ai été stupéfaite par une absence, celle de Michla, qui fut sa femme durant près de 40 ans, sa compagne de lutte, une résistante, la mère de ses enfants. Nulle trace de cette histoire d’amour et de désamour, de victoires et de défaites, dans laquelle se lisent aussi les aléas de l’engagement politique, et l’effacement des femmes du récit historique », écrit Sylvie Braibant.

Aussi son livre rend-il justice à ses deux parents militants hors pair chacun dans son genre.

Les Promesses d’Hasan-Semih Kaplanoglu (2)

J’ai beaucoup aimé les Promesses d’Hasan. Formidable film, construit comme un long travelling à facettes multiples, tant au plan esthétique qu’aux réflexions auxquelles nous invite Semih Kaplanoglu dans ses superbes paysages…

La question du progrès de l’agriculture, des techniques de plus en plus productives qui entrainent l’entrée de jeunes exploitants dans un capitalisme qui se veut sans faille et oblige à des ruses, des arnaques et des compromissions, finissent par déposséder les travailleurs de la terre de toute moralité. Mais le système est ainsi fait que pour gagner des marchés (ceux de l’UE en l’occurence), il faudra toujours faire plus, traiter davantage quitte à empoisonner… Pourtant que d’humanité dans le traitement des personnages, et quel grand rôle que celui d’Hasan se démêlant de sa propre adversité, celle construite au fil d’une vie jalonnée de renoncements et de trahisons.

Alors vient le temps du pardon obligé mais qui s’avère (finalement) impossible vers les plus proches. Le vent chaud dessèche tout. L’image est soignée. Les plans fixes comme des photos (j’ai pensé aux plans d’ouvertures de séquences qu’avait choisis A.Varda dans « Sans toit ni loi”). Portraits, silhouettes, paysages et gros plans sur la nature sont remarquablement soignés ; l’image est magique… et ajoute encore par des effets spéciaux faisant surgir le rêve à l’écran.

Bref, c’est un superbe long long métrage que je recommanderai volontiers.

Pierre Oudiot

….et bienvenu à Pierre, nouveau contributeur