Les Lueurs d’Aden, Amr Gamal

Avec Les Lueurs d’Aden, nous découvrons un film rare, sensible et beaucoup plus profond qu’il n’y paraît. Rare, car le cinéma yéménite n’a pas vraiment pignon sur rue. Mais c’est sans compter sur la détermination et la pugnacité d’un réalisateur quadragénaire, qui depuis 2005 s’efforce de faire vivre le théâtre avec la troupe qu’il a fondée (Khaleej Aden) et aussi le cinéma puisqu’en 2018 son premier long métrage, 10 Jours avant le mariage, projeté pendant 8 mois au Yémen avec une installation de fortune, a eu un énorme succès, permettant ainsi au Yémen d’être représenté aux Oscars en 2019 (une première) dans la catégorie ‘Long métrage international’.

Ce second long métrage est primé dans deux catégories au festival de Berlin, et obtient à Valence le prix du jury pour meilleur réalisateur et meilleure écriture.

Que nous raconte donc Les Lueurs d’Aden? Le coeur de l’intrigue est les démêlés d’un couple qui ne peut envisager le quatrième enfant que porte Isra’a dans la mesure où leur situation économique ne le leur permet pas. En effet, Ahmed, le mari, journaliste à TV Aden, n’a pas reçu de salaire depuis plusieurs mois et se voit contraint à faire le taxi pour faire vivre sa famille. C’est pourquoi Isra’a et Ahmed sont tous deux d’accord: une seule solution s’ouvre à eux, à savoir l’avortement. Mais comment faire dans un pays musulman, où avorter est un crime, donc interdit par la loi, autorisé à la seule condition que la mère soit en danger. L’avortement d’Isra’a va devenir leur seule et unique préoccupation, leur obsession car c’est aussi une question de temps.

L’avortement n’est certes pas un sujet nouveau. Cependant, ce sujet reste tabou dans les pays musulmans et s’y attaquer dans un film montre le courage, la détermination et l’engagement du réalisateur Amr Gamal. Nombreux sont les personnages secondaires qui expriment la voix consensuelle : un enfant est une bénédiction, un don de Dieu et par conséquent l’atteinte à sa vie n’est pas un seul instant concevable. Et pourtant….. On remarque que le cercle rapproché d’Isra’a et Ahmed essaie malgré tout de les aider sur le plan financier, car avorter ne va pas sans contrepartie financière. Une première gynécologue refusera catégoriquement. La seconde, Muna, très religieuse et elle-même enceinte de son premier enfant semble-t-il, amie de longue date d’Isra’a, sera déchirée entre sa foi et sa volonté de respecter le dogme, et son désir de venir au secours de son amie dont elle a parfaitement compris la détresse. Muna acceptera donc de pratiquer cet avortement, risquant ainsi pour elle même la sanction réservée à celles et ceux qui ne respectent pas la loi, et renonçant, pour un temps du moins, à l’amitié d’Isra’a.

Amr Gamal filme sa ville, Aden, au plus près: en plans larges, nous offrant ainsi des images qui en disent long sur la situation on ne peut plus cahotique du pays: immeubles en ruines, soldats armés fouillant les yéménites à l’entrée de certains bâtiments, ou contrôlant les passagers des voitures; cherté de la vie quotidienne, coupures de courant, difficulté d’approvisionnement en eau. Aden, ville qui veut se reconstruire, ville vivante et colorée, Aden est filmée avec soin par le réalisateur, de jour comme de nuit et de ce fait la ville devient une sorte de personnage à part entière. Peu, voire pas, de gros plans, mais la caméra s’attarde sur les visages d’Isra’a et Ahmed, visages qui souffrent et nous font ainsi partager leur désarroi et leur anxiété: à la maison dans les scènes intimes, à l’hôpital où l’attente et toutes les formalités à remplir sont autant d’obstacles et d’épreuves à surmonter. La caméra virevolte au gré de ces obstacles, nous faisant partager la vie de ce couple, à l’intérieur et à l’extérieur, tout comme Amr Gamal a sans doute partagé celle du couple d’amis dont l’histoire s’inspire.

Voici un film rempli d’humanité et de délicatesse, qui montre à quel point l’avortement est une avancée pour les pays où il est autorisé: ayons également présent à l’esprit que ce droit, acquis de haute lutte, peut être repris s’il n’est pas inscrit dans le marbre: les Etats-Unis en donnent l’exemple terrifiant.

Chantal

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