Rétrospective Ethan et Joel Coen

Même si on espérait une fréquentation plus forte, ce WE a été une réussite et on remercie particulièrement Thomas Sotinel et sa « personnal assistant » Françoise et tous ceux qui ont organisé cet événement et y ont participé.
Ces 6 films ont permis à ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas bien le cinéma des Frères Coen, de s’en faire une idée plus précise.
Faut quand même se cramponner et on a un petit travail sur soi, après, pour re-positiver…

Si on me demandait mon palmarès, je dirais
1. The big Lebowski              régalant
2. Burn after reading           désopilant
3. A serious man                    plombant

« Inside Llewyn Davis », je l’avais bien aimé à sa sortie … Question musique, la folk, ça n’a jamais été trop mon truc mais, dans les années 60-70, tous les chemins passaient par la folk. Et même quand cette musique plait, ce qui tue l’amour, c’est la traduction des textes ! Le producteur voit tout de go que la reine morte en couches n’est pas vendeur. Tu m’étonnes ! Il ne faudrait pas avoir les traductions. Je continue à trouver formidable  la peinture de la grande époque  de Greenwich par les Coen. Cette époque où l’avenir restait  grand ouvert et où on pouvait se payer le luxe de choisir la misère.
Llewyn continue à me fasciner par sa volonté, son entêtement à créer, son urgence quotidienne à survivre, son dénuement, son abnégation. Son choix. Pour autant, c’est son égocentrisme qui est le plus fascinant. Il ne s’encombre jamais longtemps de problèmes posés sur sa route. Le chat en est l’illustration : ce n’est pas Ulysse donc pas le chat des Goldfein où il y a de la moussaka et où il fait bien chaud, à l’occasion, donc bye bye le chat, abandonné avec l’impotent dans la voiture, sous la neige. Il est comme ça Llewyn, il trace sa route et tant pis pour les dégâts collatéraux. De tous les personnages des Coen, on finit, tôt ou tard, par voir les travers et le côté suffisant, odieux de Llewyn surgit aussi quand il tacle la femme, plus très jeune, qui chante « sa ballade » comme au temps des ménestrels en s’accompagnant d’une cithare, ou autre instrument « in » de l’époque. Ca le fait hurler, « notre » Llewyn. Elle n’a, selon lui, pas sa place dans le « vaste monde de la création » qu’il réduit en quelques mots à son « petit monde de la création ». Lui crée, pas elle. Ou bien il ne veut pas se regarder en face ? Un p’tit moment de doute alcoolisé et hargneux qui lui vaudra, après un grand tour de piste, revenu au point de depart, une bonne raclée.

30 ans plus tard, le folk a fini par accoucher du rap. On évolue et maintenant entre un beau texte de rap ou une complainte folk, je choisis le rap. Qui l’eut cru ?

Est-ce que je me fais aujourd’hui, comme prévu, un after avec O’Brother, emprunté à la Médiathèque ? Je vais voir …

Je me regarderais bien une bonne comédie italienne, aujourd’hui, moi …

Marie-Noel

« L’Atelier » de Laurent Cantet

 

 

Du 22 au 28 novembre 2017Soirée débat mardi 28 à 20h30
Film français (octobre 2017, 1h53) de Laurent Cantet avec Marina Foïs, Matthieu Lucci, Warda Rammach et Mélissa Guilbert

Distributeur : Diaphana

Présenté par Jean-Pierre Robert

Synopsis : La Ciotat, été 2016. Antoine a accepté de suivre un atelier d’écriture où quelques jeunes en insertion doivent écrire un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière connue. Le travail d’écriture va faire resurgir le passé ouvrier de la ville, son chantier naval fermé depuis 25 ans, toute une nostalgie qui n’intéresse pas Antoine. Davantage connecté à l’anxiété du monde actuel, il va s’opposer rapidement au groupe et à Olivia, que la violence du jeune homme va alarmer autant que séduire

Ils sont huit. Sept + une. Une + sept : une femme écrivaine reconnue, en vogue, qui bouge un cil et son éditeur accourt, et sept jeunes en devenir, personne ne sait encore de quoi. Sept individus ayant pour seules richesses leurs talents encore partiellement ou totalement ignorés et leur jeunesse. Ils ont en commun d’être sur les chemins de traverses fréquentés à leur âge, rallongés encore pour s’adapter à cette époque, et d’être déjà peu ou prou tous résignés. Ce portrait de groupe est très réussi. On se place avec eux et on les regarde se « risquer » à l’écriture. Rien ne leur est moins naturel que de parler, d’inventer, de raconter, de se raconter, d’exister, d’écrire, tout ça devant Olivia, cette écrivaine bobo, branchée, impeccable en toutes circonstances et ce n’est pas la chaleur de l’été à la Ciotat qui pourra la faire transpirer. Les deux jeunes filles, Malika et Lola, sont les plus spontanées, elles y vont quoi ! Puisqu’elles sont là, elles participent. Pas inhibées, pas soumises, elles se placent au soleil du regard d’Olivia et ça fait plaisir à voir. Les cinq garçons, eux, choisissent l’ombre, a priori, la passivité, rejettent plus ou moins ouvertement l’idée de participer à ce projet d’écriture de ouf. On les a mis là, c’est tout. Ils ont l’intention d’attendre que ça se passe. Fadi, Etienne, Benjamin et Bouba qui prévient d’entrée de jeu qu’il fait même des fautes d’orthographe quand il parle, alors écrire !
Et puis il y a Antoine. Le film zoome sur Antoine et on apprend son visage changeant, son esprit manipulé, son humanité endormie, sa force bouillonnante camouflée. C’est un beau jeune homme, Antoine. Tout se passe comme s’il se forçait  à ne pas réfléchir, comme s’il s’évertuait à être un autre. Il cherche sa place et trouve sur son ordinateur, ceux qui le rassurent sur l’avenir, ceux qui veulent le  guider vers un futur encadré où on n’a pas peur, où les armes se montrent, où la haine se cultive. L’atelier et surtout la puissance, l’énergie  tranquille et diffuse d’Olivia vont l’imprégner et le pousser à regarder  au-delà de ses murs, en dehors de chez son cousin, deux étages plus bas. Il va observer et chercher à comprendre ce qu’Olivia opère en lui, chercher à effacer ses traces pour finir par, enfin, commencer à lâcher prise. L’Atelier amorce son rétablissement. Quand il vient à la fin du film lire son texte, il a changé. Il va partir, s’ouvrir à l’ailleurs. En cela pour lui et sur d’autres plans, l’Atelier aura eu une résonance essentielle. Pour tous les sept, plus ou moins, on est convaincu qu’il y aura, dans leurs têtes, dans leurs vies, un avant et un après l’Atelier. Un avant et un après Olivia.

Olivia, magnifiquement interprétée par Marina Foïs, est vraiment touchante justement parce qu’elle dégage à la fois une grande force, une autorité naturelle et une grande fragilité. Peut-être que c’est, égoïstement, pour se mettre en situation de rupture avec ses habitudes et retrouver l’inspiration, qu’elle a accepté de piloter cet atelier à La Ciotat où elle n’avait jamais mis les pieds. Oui, peut-être. Elle a participé à la sélection des stagiaires et la voilà maintenant en face de ces sept jeunes personnes qu’elle découvre en même temps que nous. Elle avance sur la pointe des pied tout en fixant clairement les objectifs et les limites. Elle obtient d’eux, peu à peu, ce qu’elle cherche : la création littéraire. Peu à peu, ils lui offrent leur reconnaissance. Sans tambour ni trompette. Bienveillante, elle l’est toujours, compréhensive aussi dans le respect mutuel. Elle veut les faire réfléchir et y parvient. Un par un, jusqu’à Etienne, si récalcitrant au départ, ils prennent tous leurs cahiers et leurs stylos,ou leurs tablettes et écrivent. Bien, moins bien …  L’important ce n’est pas de bien écrire, c’est d’écrire, et d’avoir envie de raconter et d’apprendre. Tout comme l’important n’est pas de savoir chanter, mais de chanter. Olivia leur donne envie d’exprimer leurs pensées à l’oral et de les formaliser par écrit. Pour ça, elle est admirable. On voit, parfois, surtout son côté « écrivaine parisienne ». Lorsque, par exemple, elle est en grande conversation sur skype avec son éditeur et qu’elle lui parle de ses difficultés avec un jeune en particulier, on pense qu’elle parle d’Antoine. Mais non, elle parle du personnage du roman quelle essaie d’écrire et sur lequel elle bute. Ah, d’accord ! Quand elle invite Antoine à lui parler de lui, de ses journées, de ses occupations, c’est certainement aussi pour nourrir ce personnage de fiction mais pourtant, très vite, c’est elle qui déborde, qui sort de son cadre écran pour entrer dans le sien et elle le pousse dans ses retranchements. Rien ne l’obligeait à aller le repêcher chez lui, à le faire entrer chez elle. Quand il la menace de son arme et la force à l’accompagner à travers les calanques jusqu’au bord de sa corniche puis enfin l’autorise à partir, elle part, bien évidemment et court même jusqu’en haut de la côte où elle s’arrête pourtant, se retourne et à l’abri du clair de Lune, hors d’atteinte elle aussi, l’observe, en alerte, prête à agir, peut-être. Enfin, quand il arrive dans la classe d’écriture pour lire ce qu’il a rédigé, sa seule question est « c’est long ? » parce qu’elle encadre les autres et ne lui donnera pas à lui du temps pris sur celui des autres, elle ne contraindra pas les autres non plus à l’écouter. Il lit son texte apaisé et repart. Alors elle se rassied, dos tourné, et on perçoit son émotion. Antoine a avancé, s’est débloqué. Elle a réussi quelque chose. Peut-être.
La suite nous montre Antoine embarqué sur un cargo avec pour camarade d’équipage un étranger pour lequel il fait l’effort de rassembler ses quelques mots d’anglais. Et leurs rires fusent.
On entend le rire d’Antoine comme si on l’avait guetté, espéré. Antoine rit !

Vraiment un très beau film avec Marina Foïs, magnifique et ces deux jeunes actrices, ces cinq  jeunes acteurs, tous les sept amateurs, tous les sept impressionnants de naturel.
Une mention spéciale pour, dans le rôle d’Antoine, Matthieu Lucci, qui m’a immédiatement fait penser à Adèle Exarchopoulos. Va savoir …

Marie-No

« Un beau soleil intérieur » de Claire Denis

 

Prix SACD à la Quinzaine des Réalisateurs 2017Du 16 au 21 novembre 2017Soirée débat mardi 21 à 20h30Film français (septembre 2017, 1h34) de Claire Denis
Avec Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Philippe Katerine, Gérard Depardieu, Josiane Balasko Alex Descas et Sandrine Dumas

Distributeur : Ad Vitam

Présenté par Marie-Noël Vilain

Synopsis :Isabelle, divorcée, un enfant, cherche un amour. Enfin un vrai amour.

«L’amour, c’est se jeter dans le vide vers quelqu’un» Claire Denis lors d’une présentation en Avant Première du film au Gaumont Opéra (propos rapporté par Jean-Claude qui a eu la chance d’y assister)
Isabelle a cinquante ans et veut encore se jeter dans le vide vers quelqu’un qui va la rattraper et lui faire passer l’envie, le besoin de recommencer, qui va la laisser rayonner tout en lui procurant le bonheur d’excercer sa séduction sur lui seul. C’est ça qu’elle recherche. Vivre pleinement et aimer un homme qui lui donne envie de vivre pleinement sa vie.
Isabelle est pressée, elle n’a pas le temps de tourner en rond, d’attendre que celui-ci libère ses jours et ses nuits pour elle, que celui-là trouve tout seul et dise les mots qu’elle attend, que cet autre redevienne à l’identique, au geste près, celui qu’elle a aimé, qu’un autre encore se décide à la mêler intimement à sa vie, à son quotidien, à ses amis, que Marc revienne de vacances …
Qu’est-ce qu’ils ont tous à ne pas être « son amour » ?
Elle se coltine une série d’hommes impossibles ! « Le film est comme une complainte de jazz : à chaque couplet, il y a un soliste qui vient donner sa partition, au début elle est harmonieuse mais elle finit toujours par une espèce de dissonance » dixit un critique.
Le fait est qu’à chaque chapître, à chaque rencontre, Isabelle s’envole et retombe sans personne pour la rattraper. Elle se remet debout, chaque fois un peu moins droite.
Le film traduit formidablement bien les tourments, les états d’âme de cette femme seule de 50 ans, son spleen, sa peur. Isabelle est merveilleusement interprétée par Juliette Binoche qui doit, pour le coup, faire en sorte de cacher un peu de son soleil intérieur, tant elle est naturellement rayonnante, comme éclairée de l’intérieur.
La séquence finale d’anthologie (de 16mn) entre Gérard Depardieu et Juliette Binoche nous enchante !
Tournée en une seule prise, avec deux caméras, une sur chacun, elle a été montée en champ contre champ. Les acteurs n’avaient pour dialogues qu’une trame, un fil conducteur. Gérard Depardieu commence à broder et Juliette Binoche le suit, lui colle aux mots et c’est un grand moment. Le charme opère. Une rencontre a lieu et on voit progressivement s’éclairer le corps et le visage d’Isabelle. David va s’employer à lui faire retrouver son beau soleil intérieur. La veinarde !

Tous les autres acteurs sont excellents  dans leurs rôles, Xavier Beauvois, Nicolas Duvauchelle, Josyane Balasko, Denis Podalydès etc …
Dirigés.

J’ai aimé ce film,
mais … le bémol, c’est Christine Angot. Gros bémol quand même car si on ne prend garde, ses mots (comme on les reconnaît ses mots !) nous cacheraient presque le beau soleil intérieur de Claire Denis.

Marie-Noël

PS : Je vais renseigner sur l’artiste, américaine semble-t-il à l’accent, qui expose et explique son œuvre que je trouve sublime, une juxtaposition de cieux, à Marc/Alex Descas.

« Faute d’amour » de Andrei Zvyagintsev

Prix du Jury au Festival de Cannes 2017Du 9 au 14 novembre 2017Soirée débat mardi 14 à 20h30
Présenté par Sylvie Braibant 
Film russe (septembre 2017, 2h08) de Andrey Zvyagintsev avec Alexey Rozin, Maryana Spivak et Marina Vasilyeva

Titre original Nelyubov
Distributeur : Pyramide Distribution

Synopsis :Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Genia fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser… Aucun des deux ne semble avoir d’intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu’à ce qu’il disparaisse.

La musique, dans ma tête, raisonne encore comme un battement de cœur métallique.

Le film raconte comment un couple en plein violent divorce est obligé de faire cause commune pour rechercher leur fils de 12 ans, disparu.

Le film raconte comment une mère reporte sa hargne d’enfant mal-aimée sur son enfant. Comment cette part sombre a étouffé sa fibre maternelle, qui, quand elle est forcée à regarder le désastre en face, dans cette pièce sordide de la morgue, resurgit, la submerge. Cette mère qui ne se préoccupe jamais de cet enfant qui l’encombre, ne connaît rien de lui,  soudainement, brutalement, à la morgue, en voyant un jeune corps mutilé, hurle de douleur « Ce n’est pas lui, je n’aurais jamais laissée personne l’approcher !» . A ce moment là on se dit que, oui, tout aurait dû se passer autrement, si  Genia avait été aimée.
Le père est pire que tout dans sa représentation, passif, égoïste, irresponsable, ne se souciant que de lui-même, chargeant sa femme du fardeau « c’est quand même toi la mère ! ». Oui, c’est elle la mère. La mère qui ne voulait pas être mère. Qu’il a convaincue à le devenir.  On ne connaît pas de « raisons valables » à ce père pour l’être si peu.  Voulait-il seulement s’aliéner la jeune Génia en l’épousant enceinte de leur enfant ? Il va s’empresser, une fois cette histoire saccagée, de recommencer et faire naître d’une autre femme, un autre enfant blond. Pour le broyer. Mais il nous revient, au détour d’une remarque de Génia qu’il est un orphelin. Alors, condamné à abandonner comme il a été lui-même abandonné ?

Ce film raconte un pays, une société qui n’aime plus ses enfants et les abandonne. Un monde connecté en permanence sur un ailleurs effaçable en un clic, où on est emporté dans une fuite en avant, une course effrénée sur piste fermée où l’héritage religieux, ici un barbu orthodoxe, finit d’aliéner les compétiteurs. Personne ne « gagne ». Le seul challenge est de continuer à courir dans le même sens que les autres, en se délestant du poids superflu.

Le monde divague.

Ce film raconte aussi l’immigration dont on parle beaucoup dans les médias.
On voit plusieurs fois un homme, seul, qui passe.
La première fois quand Aliosha le croise rentrant de l’école par la forêt, trouvant ce ruban sensé marquer une limite à ne pas franchir qu’il lance et fait s’accrocher en haut d’un arbre où on le retrouve deux ans plus tard, voletant toujours dans le paysage redevenu hivernal.
La deuxième fois quand les parents réunis malgré eux dans une voiture, pour trois heures x 2 interminables, sortent de la ville en direction de la maison de la grand-mère. Le véhicule vient vers nous et sur le trottoir, à gauche, s’éloignant à pied de nous, marche cet homme seul. Comme pour nous pour avertir que les parents , à contre-sens, font fausse route.
La troisième fois, la nuit tombe, les recherches s’arrêtent au bord d’une route. A gauche, toujours, l’homme seul entre dans le bois sombre de son même pas décidé.
La quatrième fois on est devant un abribus, où une affichette montrant la photo de l’enfant recherché, a été collée sur la vitre latérale. On voit arriver cet homme qui s’arrête derrière la vitre regardant vers la droite où le regard d’Aliosha est, lui aussi, tourné.
La dernière fois, on le voit, ouvrier parmi d’autres ouvriers manifestement immigrés. La caméra nous montre d’abord notre homme fixant sur le mur, à droite, une barre servant à poser une étagère puis mouvement de caméra, à gauche, dans la même pièce, un ouvrier arrachant des lambeaux de papier peint … L’un détruit, l’autre batît. Dans cet ordre.
L’étranger, bientôt désigné comme le voleur d’enfant, le responsable de la perte d’identité nationale ? Ou bien désigné comme messager porteur d’espoir, de renouveau, de renaissance ?

Tous les bâtiments dans ce film m’ont fascinée. Les récents, comme l’appartement comme déjà abandonné et la chambre où Aliosha concentre son existence et que sa mère lui ordonne de ranger pour la vendre à un autre, comme si c’était possible, la cuisine ouverte sur  le séjour, où ses parents se déchirent et où l’enfant n’arrive plus à manger, ou aussi comme la magnifique maison de l’amant de Génia, moderne, épurée, ouvrant largement sur la forêt, habitée par la forêt avec cet arbre décoratif planté dans le salon. Comme la maison de la grand-mère, toute une histoire, cette maison ! remplie de haine et de venin, barricadée, impénétrable. Ou aussi comme le centre commercial vivant, le centre culturel mort, la cantine du travail du père filmée du dessus, terrifiante, les immeubles pleins de fenêtres aux vitres multicolores éclairées de l’intérieur etc, etc …

Je suis sortie du film muette devant ce monument à lui tout seul, souffle coupé, bouleversée par la beauté de ces images désespérées.

Marie-No

« Jalouse » de David et Stéphane Foenkinos

 

Synopsis :Nathalie Pêcheux, professeure de lettres divorcée, passe quasiment du jour au lendemain de mère attentionnée à jalouse maladive. Si sa première cible est sa ravissante fille de 18 ans, Mathilde, danseuse classique, son champ d’action s’étend bientôt à ses amis, ses collègues, voire son voisinage… Entre comédie grinçante et suspense psychologique, la bascule inattendue d’une femme

 

 

Jalouse, moi ? C’est la dernière réplique du film et on comprend, a posteriori pour moi, que là n’est pas le problème.
Nathalie est, à ce moment là de sa vie, foncièrement malheureuse et le malheur rend jaloux, méchant, fou. Elle a perdu le fil de sa vie, petit à petit sans le voir venir : son mari l’a quittée, sa fille s’est métamorphosée en une jeune fille superbe. Nathalie aborde la ménopause dans le déni, elle voit arriver dans le lycée chic où elle est prof,  une jeune femme qui va enseigner les mêmes classes qu’elle !  Et, patatras, un jour, commence son égarement …
C’était comment juste avant, un peu avant ? Son mari était parti, oui, bon, ils ne s’aimaient plus et t’as vu sa nouvelle femme, jeune mais quelle conne !, sa fille Mathilde, elle, suit sa lubie, la danse … ma fille, une danseuse ! elle n’en parle même pas … seuls les métiers de l’esprit sont dignes de sa considération.

Nathalie a cinquante ans, et elle n’a pas réalisé qu’elle avait changé, que son corps changeait, que dans « son » lycée où elle règne en khâgne, la suite, jeune et brillante arriverait forcément et serait accueillie à bras ouverts ! Que sa fille était devenue une jeune femme magnifique et qu’elle serait regardée de plus en plus et elle, femme devenue « mûre » le serait moins, de moins en moins.
Un jour, elle se réveille, et c’est tout son monde qui semble avoir changé. Son ressenti est d’une puissance telle qu’elle perd pied,  «disjoncte » . Elle va commencer sa défense , pour survivre, et s’en prendre à la terre entière, à ceux qui l’entourent en particulier. Ça va être d’une grande violence et elle va mettre sa seule énergie dans son acharnement à faire du mal aux autres. Elle va se perdre et aller très loin.
En sortant de la projection, je trouvais que c’était pousser un peu loin pour qu’au final tout redevienne bien lisse …
En y repensant, je vois Nathalie comme une métaphore de la fragilité féminine à cet âge de la vie et des tourments concomitants. Et c’est réjouissant que ce thème soit proposé et,  tout compte fait, si justement traité par des hommes. Certains âges  de la vie peuvent être des cataclysmes. Ils l’ont bien cerné. Savoir marcher sur des œufs pour répondre à une ruée dans les brancards. C’est la grande sagesse de l’ex mari et de sa jeune femme, qui toute « conne » qu’elle est, est d’une bienveillance à toute épreuve, de son amie Sophie et de son mari. Ils l’accompagnent pour l’aider à se remettre debout.
La fin qui semble un peu optimiste, ne l’est pas tant que ça. Nathalie s’est occupée des autres dans sa vie, de son mari, de sa fille, de ses amis, de son amie Sophie,  de ses élèves. Maintenant elle a franchi un cap. Elle va continuer sa route mais elle aura changée. Elle cherchera à élargir son cercle, à se préoccuper des autres, à les voir tout simplement, comme la vieille dame de la piscine, elle essayera de rattraper l’amoureux potentiel vertement econduit, de « reconquérir » sa fille, surtout.  Mais fragile elle restera.

Alors attention, danger. Nathalie est forte mais fragile. C’est ça qu’elle vient de crier. Très fort.

Marie-No

PS : Nathalie est considéré comme le deuxième prénom féminin le plus porté en France. Hier, aujourd’hui, demain … on sent (presque) toutes, un jour, un peu de Nathalie en nous, non ?

« Demain et tous les autres jours » de Noémie Lvosky (2)

Continuons la conversation, bien volontiers.
Pour tout dire, je partais avec un a priori, n’ayant déjà pas aimé « Camille redouble » (que je préfère quand même maintenant à « Demain et tous les autres jours » )
J’ai vu, avec quelque distance,  Mathilde, cette enfant d’une dizaine d’années qui vit seule avec sa mère malade mentale. Aimante, oui, entre deux crises. Parce que, dans ces cas là, elle n’est plus en état d’aimer ni sa fille, ni personne. En crise, elle part. Au sens propre et au sens figuré. Et la petite reste, se ronge les sangs, absorbe tous ces soucis, se posent les questions qui ne sont pas de son âge, qu’elle ne devrait pas devoir se poser, suit des intuitions qu’on n’a, habituellement, qu’une fois adulte …
Mathilde trouve le moyen d’évacuer tout ça en le faisant exprimer par sa chouette. C’est la trouvaille du film mais Noémie Lvosky en use  et abuse un peu cf. la séquence où la chouette vient prévenir l’enfant du départ de ses parents vers l’hôpital psychiatrique. Ce n’est visuellement pas très bien fait. De plus inutile car Mathilde est déjà au courant, son père lui a dit, de visu.
C’est criminel ce qu’on lui fait porter comme fardeau à cette petite !
Mathilde aime sa mère. Mais est-ce qu’on est bouleversé par cet amour ? Non, car il n’a rien d’exceptionnel. Tout enfant aime ses parents, fussent-ils les pires bourreaux.
Elle aime son père aussi et le protège aussi -c’est un comble !- par exemple en ne le dérangeant pas quand il est 21h30 et que sa mère n’est toujours pas rentrée. Il a été dit, au débat, que son père est bien là, qu’il ne l’a pas lâchée ! Et qu’il l’a laissée parce qu’elle est un remède pour sa mère ! Elle, surtout elle, ne soignera jamais sa mère, ça, c’est certain. Et, selon moi, le père l’a bel et bien abandonnée, chevillée au sort de sa mère, son ex-femme. Lui, en attendant, s’est bien fixé ses oeillères et tant que ça tient, ça tient … Il l’a laissée seule avec cette mère-là. Comment pourra-elle lui pardonner ses jeunes années plombées.
Il la skype !!! Il ne vit pas son quotidien. Mathilde lui signifie clairement le manque de lui qu’elle éprouve : elle s’allonge sur son lit avec l’ordi et lui dit, sur skype, qu’elle va s’endormir. Et que comme ça, il la verra dormir … Mais lui quand il arrête Skype, il la zappe. Il retourne à ses patients (je le crois psychiatre).
On peut parler de la caricature d’institutrice, de son enseignement bien clair, de sa compétence qui fait que tous les enfants participent, récitent en mettant le ton comme des acteurs, chantent en ar-ti-cu-lant à s’en déboîter les mâchoires ! Parler de la maîtresse qui repousse, elle aussi, la balle dans le camp de Mathilde quand il s’agit de sortir la mère du spectacle de l’école où elle se donne en spectacle.
On pourrait discuter de toutes les scènes avec Mathilde petite que j’ai trouvées toutes très douloureuses. Mais mon problème est que je n’ai pas été émue par cette relation mère-fille, pourtant épouvantable. Aliénante.
SORTEZ CETTE ENFANT DE LA ! A la place des parents de Luce Rodriguez, je l’aurais éloignée de toute cette psychose. Luce Rodriguez, qu’on imagine hyper sensible, a dû prendre tout ça de plein fouet et si tous les nuages qui passent, pour de faux, dans ses beaux yeux si vifs, avaient fini par assombrir, pour de vrai, ses journées et ses nuits de petite Luce ?
Noémie Lvosky est effrayante et pour ma part je n’ai pas vu la tendresse d’une mère dans les scènes où on est sensé constater combien elle aime sa fille, comme elles s’aiment toutes les deux. Elle ne diffuse  pas de tendresse. C’est comme ça.
Il aurait été souhaitable, à mon avis,  de confier le rôle de la mère à une actrice « extérieure ». Georges dit que Valéria Bruni-Tedeschi avait été envisagée. Elle aurait été parfaite si … elle n’avait pas déjà tiré presque toutes ses cartouches dans ce genre de rôle.
Et puis pourquoi, toujours, Mathieu Amalric ? On peut, peut-être, un peu, renouveler le paysage, non ?
Dans la vraie vie on ne comprend pas souvent l’alchimie qui a fait que tel et telle se rencontrent, s’aiment, mais là on ne comprend rien à ce couple, même défait ! Au cinéma, on a besoin de croire aux personnages, sinon à l’histoire.
Et puis la partie finale avec Anaïs Demoustiers (magnifique actrice au demeurant. Elle aura rendu service …) ! C’est pas possible !!!
On a enfermé la mère depuis des années, Mathilde a fini de grandir loin d’elle, a passé son adolescence sans elle, même si, comme suggéré lors du débat, rien ne nous dit qu’elle n’a pas continué à la voir . A venir la voir à l’HP. Oui, sûrement. Est ce que ça a été bénéfique ? Les grands moments de lucidité chez les adultes, c’est finalement la mère qui les a : dans la première partie, quand elle pleure et  dit plusieurs fois à sa fille d’appeler son père, elle est consciente du désastre et que toutes les occasions de demander pardon à son enfant se multiplient et quand à l’arrivée en HP , elle dit qu’elle  ne retournera jamais dans son appartement, qu’elle le sait.
Et la fin ? parlons en …
Quand Mathilde et sa mère dansent en mimétisme comme des folles, selon l’expression consacrée, sous une pluie diluvienne, avec des violons (image un p’tit peu usée), l’une devant l’autre, comme séparée par une vitre invisible et que Mathilde arrive à sortir sa mère de cette transe, elles se retrouvent, courent, se sèchent et fabriquent un poème. Le poème ! Tout un poème … Enregistré. Pas de copie pour moi, merci.
Et, enfin, sous le clair de lune,  Ondine sort de l’eau, lavée, ruisselante de son pur avenir !
Il était temps que ça s’arrête.
Finalement, je me dis que Noémie Lvosky aurait dû jouer les deux rôles, la mère et la fille.
C’aurait été parfaitement auto-centré. Parfait pour faire la ronde.

Marie-No

« Une vie violente » de T. de Peretti

Du 26 au 31 octobre 2017
Soirée débat mardi 31 à 20h30
Film français (août 2017, 1h53) de Thierry de Peretti avec Jean Michelangeli, Henry-Noël Tabary et Cédric Appietto
Distributeur : Pyramide Distribution

Présenté par Georges Joniaux

 

Synopsis :Malgré la menace de mort qui pèse sur sa tête, Stéphane décide de retourner en Corse pour assister à l’enterrement de Christophe, son ami d’enfance et compagnon de lutte, assassiné la veille. C’est l’occasion pour lui de se rappeler les évènements qui l’ont vu passer, petit bourgeois cultivé de Bastia, de la délinquance au radicalisme politique et du radicalisme politique à la clandestinité.

Les histoires des groupes armés corses me dépassent très largement … La trame du film est fondée sur des faits réels qui sont passés aux infos et auxquels je n’ai compris, déjà, sur le moment, ni les tenants ni les aboutissants … pourquoi tout ça ? Une énigme.
Ce film, je l’ai pourtant bien aimé.
Dans ces histoires là aussi il y a des purs, des idéalistes à l’image de Stéphane et de certains de sa bande d’Indépendantistes qui luttent pour leur peuple. On comprend bien leur cause anti-colonialiste et protectionniste et ça m’a plu de voir la situation du point de vue de Stéphane qui perdra sa cause et devra, fatalement, jeter les armes.
Ce jeune idéaliste (pléonasme ?), s’est chargé d’une mission impossible, sur-dimensionnée et il finit par comprendre qu’il n’avait pas droit à l’erreur, que personne ne lui donnera une deuxième chance, que tout ça c’était « pour de vrai ».
Certaines scènes sont particulièrement marquantes comme celle où Christophe dans la cabine téléphonique annonce à Stéphane qu’il va mourir. Il va aller au RdV avec « les autres » qui ont pris son cousin en otage. En conscience, il ne peut pas faire autrement. Y aller et se faire descendre. En tout honneur.
Sur le machisme ambiant, on pourrait souligner les paroles comme la scène dans la voiture avec le futur marié « en pleine forme », mais il y a aussi la scène de la visite en prison où la copine de Stéphane lui dit clairement qu’elle a quelqu’un d’autre. Je me suis dit « Ouh là, on est en Corse ça va pas se passer comme ça ! » Et non parce que, contrairement aux idées reçues, tous les corses ne punissent pas leurs femme infidèle d’un coup de carabine.
Stéphane a des relations courtoises avec les femmes même si c’est un peu caché. Il est bien élevé en toute circonstance.
Il s’entoure de gars qu’il connait bien, en qui il a placé sa confiance depuis son enfance, quand il voyait déjà des hommes tomber. Il fait l’autruche sur certaines de leurs pratiques. Eux doivent gagner leur vie. Pas lui. C’est  plus simple d’être idéaliste quand on n’a ni faim, ni froid.
La scène du repas entre femmes, entre mères, est édifiante. Elles communiquent, partagent, s’écoutent, se comprennent. Ces mères vivent un calvaire et finissent de trembler seulement quand leurs fils sont morts. Avant de recommencer à trembler pour leurs petits fils.
Quand Stéphane, à la maternité prend sa filleule dans les bras, son cœur chavire. La pièce est remplie de jeunes femmes, celles qui restent et resteront quand leurs hommes seront tombés. Il est devenu adulte et s’éloigne pour pleurer. Il a baissé les armes. Son gilet pare-balles restera là où il l’a caché en arrivant. De toutes façons ils tirent dans la tête.
Ce film nous montre ces femmes qui ne « parleront » jamais . C’est tellement évident que les hommes exposent leurs plans en toute liberté devant celles qui « n’entendent » pas.
J’ai bien aimé le film pour sa construction presque géométrique. Tout est carré, bien ordonné, aucune scène n’est superflue.
Un bel équilibrage avec le sujet qui, lui, est tentaculaire.

Marie-Noël

 

Barbara

 Film français (septembre 2017, 1h37) de Mathieu Amalric avec Jeanne Balibar, Mathieu Amalric, Vincent Peirani et Aurore Clément 
Distributeur : Les Films du Losange

Présenté par Marie-Noëlle Vilain

Synopsis : Une actrice va jouer Barbara, le tournage va commencer bientôt. Elle travaille son personnage, la voix, les chansons, les partitions, les gestes, le tricot, les scènes à apprendre, ça va, ça avance, ça grandit, ça l’envahit même. Le réalisateur aussi travaille, par ses rencontres, par les archives, la musique, il se laisse submerger, envahir comme elle, par elle.

C‘est Barbara, celle qu’on aime, que Mathieu Amalric nous raconte dans ce très beau film.
Ce n’est pas tant la biographie de Barbara qui intéresse Amalric que l’esprit de la chanteuse, ses vertiges, ses sensations, ses émotions et les émotions qu’elle diffuse à ceux qui l’écoutent. Il s’est servi principalement de deux documents : le livre de Jacques Tournier Barbara ou les parenthèses (1968) et le documentaire de Gérard Vergez sur la tournée de 1972. On y voit Barbara en voiture, en train de tricoter, de divaguer ou de roucouler. Amalric refait jouer cette scène à l’identique par Jeanne Balibar et il mixe le tout si bien qu’on ne sait plus très bien laquelle est vraie, laquelle est fiction. Les images se superposent. On hésite parfois pour distinguer Barbara de Balibar. Notre regard est dédoublé : sur Barbara et sur Brigitte qui cherche à appréhender Barbara, à la comprendre.
Ce que filme Amalric c’est le point de rencontre de ces deux femmes. Par imprégnation.
On capte en sourdine, délicatement, son enfance de petite fille juive, la guerre, le père incestueux, la mère envahissante, comme on les capte en sourdine aussi dans ses chansons. Amalric y fait allusion sans jamais forcer le trait.
Il réussit très bien à nous montrer la Barbara fantasque, accro aux médocs, croqueuse d’hommes, capricieuse, tendre, autoritaire, drôle, dyslexique, fuyant la routine, généreuse …
Il réussit à rendre les soupirs, les silences, le murmure, tout ce dont le chant de Barbara est aussi constitué, les respirations, les profondes expirations proches de l’asphyxie suivies de grandes bouffées d’air jubilatoires.
Il joue lui même le metteur en scène, transis d’admiration, pétrifié par son sujet, qui se lève entre dans le champ de sa caméra. On perçoit sa fascination pour Barbara. Et pour Jeanne Balibar
Barbara exerce sur lui comme un sortilège qui nous enveloppe aussi.
Mathieu Amalric nous donne un film magnifique qui enchante tous ceux qui, comme moi, ont grandi, mûri, vieilli avec les chansons de Barbara.
Sans forcément l’écouter régulièrement, l’oubliant même un peu, parfois. Et soudain elle réapparaît ici ou là, de près ou de loin et alors on reprend le fil de ses chansons, on les ré-écoute certaines plus que d’autres, certaines même en boucle comme pour rattraper le temps où on en a été privé, on les murmure, l’émotion est intacte, quasi viscérale.

Voilà, c’est, aussi, ça le plus fort : le film de Mathieu Amalric, à l’unisson, nous renvoie toutes nos émotions. Intactes.

Marie-Noël

« Djam » de Tony Gatlif

Film français (août 2017, 1h37) de Tony Gatlif avec Daphne Patakia, Simon Abkarian et Maryne Cayon

Du 12 au 17 octobre 2017
Soirée débat mardi 17 à 20h30
Présenté ar Françoise Fouillé

 

Synopsis : Djam, une jeune femme grecque, est envoyée à Istanbul par son oncle Kakourgos, un ancien marin passionné de Rébétiko, pour trouver la pièce rare qui réparera leur bateau. Elle y rencontre Avril, une française de dix-neuf ans, seule et sans argent, venue en Turquie pour être bénévole auprès des réfugiés. Djam, généreuse, insolente, imprévisible et libre la prend alors sous son aile sur le chemin vers Mytilène. Un voyage fait de rencontres, de musique, de partage et d’espoir.

 

Djam/Daphné Patakia chante et danse comme personne, elle éblouit et charme jusqu’à l’envoûtement, sourit et rit. Dans ses yeux se lit, pourtant, toujours, la gravité de la vie. Djam réagit à tout, intervient toujours. Elle avance, consciente de la précarité des situations, consciente de la fragilité des êtres. Elle sait déjà que la vie ne tient qu’à un fil. C’est à la gravité dans leur regard qu’on reconnaît les exilés. Quel que soit leur âge, leurs yeux ne rient plus complètement.
C’est un trait commun à tous les personnages de ce très beau film. Dans la tourmente, des larmes plein les yeux, rester debout, ne pas baisser la tête, ne pas courber l’echine, rester bien droit, les yeux ouverts sur le malheur et garder l’espoir, faire de la musique, chanter : c’est la consigne que donne Kakourgos à tous.
Rester digne.
Tony Galif nous donne à voir le monde actuel : plus méconnaissable de jour en jour, foutraque, injuste, mouvant, irréel. Cruel. Dans un des rebetiko, les paroles disent «mon père, je n’en veux pas de ce monde que tu me donnes ». On ne choisit pas son époque.
J’ai vu ce film deux fois et à chaque fois j’ai la gorge serrée et je pleure aux mêmes scènes.
Par exemple, celle où Pano dans le bar est venu dire adieu à son pays avant de s’exiler. On le voit près de l’entrée, de dos, assis à une table devant son verre d’ Ouzo, regardant devant lui, ceux qui restent, écoutant les chants qui, maintenant lui entament le cœur. Il se lève, enlève sa veste. Mais la remet. Et il part dans les ruelles dont la beauté nous apparaît. Dans son exil, il portera chaque jour son lourd fardeau, attendant de pouvoir un jour le reposer à l’endroit précis où il l’avait chargé. On souhaite qu’en Norvège, la vie, les hommes lui permettent d’en oublier, parfois, un peu, le poids.
Celle aussi où Simon Akarian/ Kakourgos, dans son bar bientôt englouti par la banque, se lève, étend les bras comme deux grandes ailes et commence à danser. Il est d’une grâce saisissante, ce grand escogriffe à la démarche raide si reconnaissable, qui soudain se plie et se déplie, souple et aérien.
Les dernières images nous montre la « famille » regroupée sur le bateau réparé et voguant sur les flots. Kakourgos laisse le gouvernail à son ami qui lui demande si le Nord est bien le cap à garder. Il aquiesce, indifférent. Peu importe, on ne les attend nulle part. Il rejoint les autres, la musique, le rebetiko.
Les photos encadrées.
La mer est filmée d’abord au bas de la coque puis le plan s’élargit.
On est dans ce vaisseau fantôme, condamné à errer, pour longtemps.

Marie-Noël

« Gabriel et la Montagne » (2)

A 28 ans, on se croit encore immortel.
Au Malawi, Gabriel va provoquer la Montagne et périra en son sein, après avoir atteint le pic Sapitwa, souriant et murmurant le chant de la petite Rachel rencontrée au début de son voyage en Afrique.
On sait depuis le début du film que Gabriel va mourir : on voit deux hommes marchant dans la montagne, cueillant un peu de tout ce vert illuminé et découvrant son corps gisant sur le flanc gauche, le visage serein, les yeux ouverts.
On revient 70 jours en arrière, au début de son périple en Afrique.
Ceux qui ont connus Gabriel se souviennent. Ils racontent un garçon enthousiaste, énergique, joyeux, solaire, généreux, tendre mais aussi impatient, impétueux, exigeant, capricieux, buté, arrogant, infantile. Un garçon brésilien aisé et diplômé qui va à la rencontre des plus démunis et veut devenir un des leurs sans jamais réussir à se défaire de ses origines. Là où les autres, sa fiancée comprise le voient déguisé en Massaï, lui est, à ce moment-là, dans sa tête, devenu un Massaï. Il a un nom, un bâton, un coupe-coupe Massaï, est envahi des histoires, des contes de cette tribu et croit, par exemple possible de se fondre parmi un troupeau de zèbres, les enfants Massaï de 13-14 ans étant capables, eux, de réussir le rite initiatique et passer à l’age adulte en terrassant un lion après que l’un d’eux l’a attrapé par la queue. « Et tu le crois ? » demande Cristina. Il ne répond pas. Elle en doute ? Mais oui, bien sûr, qu’à ce moment-là de sa vie, il le croit. Son bâton Massaï lui échappe dans les eaux du lac Malawi.
Bientôt, il va falloir rentrer à Rio retrouver ses « semblables », faire face à sa déception de ne pas avoir eu la bourse pour Harvard, devenir adulte, retrouver Cristina avec laquelle il veut vivre un amour romantique mais qui ne se laissera rien imposer, qui a déjà mis un coup de canif dans le contrat même pas encore signé, et un peu de distance entre eux, qui est déjà un peu « redescendue » après que Gabriel a tenté d’empêcher sa rencontre à elle avec un homme proposant de leur faire visiter les bains persans, homme atteint de paludisme, à qui elle veut offrir le traitement dont il a besoin. Il arrête son geste, se met en avant en payant, lui, Gabriel. Comme si l’Afrique, c’était son domaine réservé. Elle est déçue qu’il l’ait empêchée de faire ce qu’elle tenait tant à faire avant de partir : monter sur le dos d’un éléphant. Activité qu’il juge peut-être trop touristique, lui qui, pourtant, voulait sauter à l’élastique …
Gabriel va rentrer vivre sa vie, très loin du chef Massaï et de ses deux femmes, bientôt trois, « riche » de ses huit enfants. Au Brésil, chaque enfant coûte cher …
Il n’a manifestement pas envie de rentrer et tentera de ralentir le temps qui passe. Echec assuré même en sandales Massaï …
C’est un beau film complexe, mystérieux qui dans sa dernière partie m’a particulièrement angoissée.
Fort de sa réussite de l’ascension du Kilimandjaro quelques semaines plus tôt, où, à l’inverse, il voulait capituler avant le sommet et où son guide l’avait persuadé de continuer, l’en sachant capable, ici dans le massif Mulandje dans l’ascension du Sapitwa,« N’y va pas », présumant de ses forces, il renvoie le guide qui voulait arrêter cette sortie la déclarant, un peu tard, vouée à l’échec.
On sait que Gabriel va y trouver la mort. Quand est-ce qu’il va tomber ? Il ne tombe pas, s’arrête dans une cavité, crie comme pour appeler les esprits, atteint enfin le sommet, fait la photo, une deuxième plus nette pour FB , ne voit pas la brume glaciale, envahir le décor. Il commence la descente, rattrapé par la nuit, se réfugie dans une cavité de la montagne, attend que la pluie diluvienne cesse, ferme les yeux, couché sur le flanc droit. Le droit donc il va se relever et en effet il repart, claudiquant, affamé, transi de froid, de peur aussi, épuisé … se réfugie dans une cavité, se couche sur le côté, gauche cette fois, dans le sol, le visage se tourne, il chantonne l’air de la petite Kenyane, sourit … Ses yeux resteront ouverts.
Gabriel est mort et c’est bien triste. Je l’aimais bien, Gabriel, mzungu pour l’éternité.

Marie-Noël