« Faute d’amour » de Andrei Zvyagintsev

Prix du Jury au Festival de Cannes 2017Du 9 au 14 novembre 2017Soirée débat mardi 14 à 20h30
Présenté par Sylvie Braibant 
Film russe (septembre 2017, 2h08) de Andrey Zvyagintsev avec Alexey Rozin, Maryana Spivak et Marina Vasilyeva

Titre original Nelyubov
Distributeur : Pyramide Distribution

Synopsis :Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Genia fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser… Aucun des deux ne semble avoir d’intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu’à ce qu’il disparaisse.

La musique, dans ma tête, raisonne encore comme un battement de cœur métallique.

Le film raconte comment un couple en plein violent divorce est obligé de faire cause commune pour rechercher leur fils de 12 ans, disparu.

Le film raconte comment une mère reporte sa hargne d’enfant mal-aimée sur son enfant. Comment cette part sombre a étouffé sa fibre maternelle, qui, quand elle est forcée à regarder le désastre en face, dans cette pièce sordide de la morgue, resurgit, la submerge. Cette mère qui ne se préoccupe jamais de cet enfant qui l’encombre, ne connaît rien de lui,  soudainement, brutalement, à la morgue, en voyant un jeune corps mutilé, hurle de douleur « Ce n’est pas lui, je n’aurais jamais laissée personne l’approcher !» . A ce moment là on se dit que, oui, tout aurait dû se passer autrement, si  Genia avait été aimée.
Le père est pire que tout dans sa représentation, passif, égoïste, irresponsable, ne se souciant que de lui-même, chargeant sa femme du fardeau « c’est quand même toi la mère ! ». Oui, c’est elle la mère. La mère qui ne voulait pas être mère. Qu’il a convaincue à le devenir.  On ne connaît pas de « raisons valables » à ce père pour l’être si peu.  Voulait-il seulement s’aliéner la jeune Génia en l’épousant enceinte de leur enfant ? Il va s’empresser, une fois cette histoire saccagée, de recommencer et faire naître d’une autre femme, un autre enfant blond. Pour le broyer. Mais il nous revient, au détour d’une remarque de Génia qu’il est un orphelin. Alors, condamné à abandonner comme il a été lui-même abandonné ?

Ce film raconte un pays, une société qui n’aime plus ses enfants et les abandonne. Un monde connecté en permanence sur un ailleurs effaçable en un clic, où on est emporté dans une fuite en avant, une course effrénée sur piste fermée où l’héritage religieux, ici un barbu orthodoxe, finit d’aliéner les compétiteurs. Personne ne « gagne ». Le seul challenge est de continuer à courir dans le même sens que les autres, en se délestant du poids superflu.

Le monde divague.

Ce film raconte aussi l’immigration dont on parle beaucoup dans les médias.
On voit plusieurs fois un homme, seul, qui passe.
La première fois quand Aliosha le croise rentrant de l’école par la forêt, trouvant ce ruban sensé marquer une limite à ne pas franchir qu’il lance et fait s’accrocher en haut d’un arbre où on le retrouve deux ans plus tard, voletant toujours dans le paysage redevenu hivernal.
La deuxième fois quand les parents réunis malgré eux dans une voiture, pour trois heures x 2 interminables, sortent de la ville en direction de la maison de la grand-mère. Le véhicule vient vers nous et sur le trottoir, à gauche, s’éloignant à pied de nous, marche cet homme seul. Comme pour nous pour avertir que les parents , à contre-sens, font fausse route.
La troisième fois, la nuit tombe, les recherches s’arrêtent au bord d’une route. A gauche, toujours, l’homme seul entre dans le bois sombre de son même pas décidé.
La quatrième fois on est devant un abribus, où une affichette montrant la photo de l’enfant recherché, a été collée sur la vitre latérale. On voit arriver cet homme qui s’arrête derrière la vitre regardant vers la droite où le regard d’Aliosha est, lui aussi, tourné.
La dernière fois, on le voit, ouvrier parmi d’autres ouvriers manifestement immigrés. La caméra nous montre d’abord notre homme fixant sur le mur, à droite, une barre servant à poser une étagère puis mouvement de caméra, à gauche, dans la même pièce, un ouvrier arrachant des lambeaux de papier peint … L’un détruit, l’autre batît. Dans cet ordre.
L’étranger, bientôt désigné comme le voleur d’enfant, le responsable de la perte d’identité nationale ? Ou bien désigné comme messager porteur d’espoir, de renouveau, de renaissance ?

Tous les bâtiments dans ce film m’ont fascinée. Les récents, comme l’appartement comme déjà abandonné et la chambre où Aliosha concentre son existence et que sa mère lui ordonne de ranger pour la vendre à un autre, comme si c’était possible, la cuisine ouverte sur  le séjour, où ses parents se déchirent et où l’enfant n’arrive plus à manger, ou aussi comme la magnifique maison de l’amant de Génia, moderne, épurée, ouvrant largement sur la forêt, habitée par la forêt avec cet arbre décoratif planté dans le salon. Comme la maison de la grand-mère, toute une histoire, cette maison ! remplie de haine et de venin, barricadée, impénétrable. Ou aussi comme le centre commercial vivant, le centre culturel mort, la cantine du travail du père filmée du dessus, terrifiante, les immeubles pleins de fenêtres aux vitres multicolores éclairées de l’intérieur etc, etc …

Je suis sortie du film muette devant ce monument à lui tout seul, souffle coupé, bouleversée par la beauté de ces images désespérées.

Marie-No

Une réflexion sur « « Faute d’amour » de Andrei Zvyagintsev »

  1. Je n’ai pas eu l’occasion de revoir ce film, je me souviens de l’organisation de la recherche de l’enfant. Le service public de police est assuré par une ONG, ce sont des bénévoles structurés de manière quasi-professionnelle qui compensent la carence policière. A la destruction des relations du couple répond celle du lien social dévolu à l’état (le bien commun).
    Tout cela est probablement bien russe, mais peut-être pas seulement Russe.

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