« Gabriel et la Montagne » (2)

A 28 ans, on se croit encore immortel.
Au Malawi, Gabriel va provoquer la Montagne et périra en son sein, après avoir atteint le pic Sapitwa, souriant et murmurant le chant de la petite Rachel rencontrée au début de son voyage en Afrique.
On sait depuis le début du film que Gabriel va mourir : on voit deux hommes marchant dans la montagne, cueillant un peu de tout ce vert illuminé et découvrant son corps gisant sur le flanc gauche, le visage serein, les yeux ouverts.
On revient 70 jours en arrière, au début de son périple en Afrique.
Ceux qui ont connus Gabriel se souviennent. Ils racontent un garçon enthousiaste, énergique, joyeux, solaire, généreux, tendre mais aussi impatient, impétueux, exigeant, capricieux, buté, arrogant, infantile. Un garçon brésilien aisé et diplômé qui va à la rencontre des plus démunis et veut devenir un des leurs sans jamais réussir à se défaire de ses origines. Là où les autres, sa fiancée comprise le voient déguisé en Massaï, lui est, à ce moment-là, dans sa tête, devenu un Massaï. Il a un nom, un bâton, un coupe-coupe Massaï, est envahi des histoires, des contes de cette tribu et croit, par exemple possible de se fondre parmi un troupeau de zèbres, les enfants Massaï de 13-14 ans étant capables, eux, de réussir le rite initiatique et passer à l’age adulte en terrassant un lion après que l’un d’eux l’a attrapé par la queue. « Et tu le crois ? » demande Cristina. Il ne répond pas. Elle en doute ? Mais oui, bien sûr, qu’à ce moment-là de sa vie, il le croit. Son bâton Massaï lui échappe dans les eaux du lac Malawi.
Bientôt, il va falloir rentrer à Rio retrouver ses « semblables », faire face à sa déception de ne pas avoir eu la bourse pour Harvard, devenir adulte, retrouver Cristina avec laquelle il veut vivre un amour romantique mais qui ne se laissera rien imposer, qui a déjà mis un coup de canif dans le contrat même pas encore signé, et un peu de distance entre eux, qui est déjà un peu « redescendue » après que Gabriel a tenté d’empêcher sa rencontre à elle avec un homme proposant de leur faire visiter les bains persans, homme atteint de paludisme, à qui elle veut offrir le traitement dont il a besoin. Il arrête son geste, se met en avant en payant, lui, Gabriel. Comme si l’Afrique, c’était son domaine réservé. Elle est déçue qu’il l’ait empêchée de faire ce qu’elle tenait tant à faire avant de partir : monter sur le dos d’un éléphant. Activité qu’il juge peut-être trop touristique, lui qui, pourtant, voulait sauter à l’élastique …
Gabriel va rentrer vivre sa vie, très loin du chef Massaï et de ses deux femmes, bientôt trois, « riche » de ses huit enfants. Au Brésil, chaque enfant coûte cher …
Il n’a manifestement pas envie de rentrer et tentera de ralentir le temps qui passe. Echec assuré même en sandales Massaï …
C’est un beau film complexe, mystérieux qui dans sa dernière partie m’a particulièrement angoissée.
Fort de sa réussite de l’ascension du Kilimandjaro quelques semaines plus tôt, où, à l’inverse, il voulait capituler avant le sommet et où son guide l’avait persuadé de continuer, l’en sachant capable, ici dans le massif Mulandje dans l’ascension du Sapitwa,« N’y va pas », présumant de ses forces, il renvoie le guide qui voulait arrêter cette sortie la déclarant, un peu tard, vouée à l’échec.
On sait que Gabriel va y trouver la mort. Quand est-ce qu’il va tomber ? Il ne tombe pas, s’arrête dans une cavité, crie comme pour appeler les esprits, atteint enfin le sommet, fait la photo, une deuxième plus nette pour FB , ne voit pas la brume glaciale, envahir le décor. Il commence la descente, rattrapé par la nuit, se réfugie dans une cavité de la montagne, attend que la pluie diluvienne cesse, ferme les yeux, couché sur le flanc droit. Le droit donc il va se relever et en effet il repart, claudiquant, affamé, transi de froid, de peur aussi, épuisé … se réfugie dans une cavité, se couche sur le côté, gauche cette fois, dans le sol, le visage se tourne, il chantonne l’air de la petite Kenyane, sourit … Ses yeux resteront ouverts.
Gabriel est mort et c’est bien triste. Je l’aimais bien, Gabriel, mzungu pour l’éternité.

Marie-Noël

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