« Les Bienheureux » de Sofia Djama

réalisation et scénario : Sofia Djama

Image : Pierre Aïm

Montage : Sophie Brunet

Interprétation : Sami Bouajila (Samir), Nadia Kaci (Amel), Amine Lansari (Fahim), Lyna Khoudri (Feriel), Adam Bessa (Reda)…

Distributeur : Bac Films Date de sortie : 13 décembre 2017 Durée : 1h42

Synopsis : Alger, quelques années après la guerre civile. Amal et Samir ont décidé de fêter leur vingtième anniversaire de mariage au restaurant. Pendant leur trajet, tous deux évoquent leur Algérie : Amal, à travers la perte des illusions, Samir par la nécessité de s’en accommoder. Au même moment, Fahim, leur fils, et ses amis, Feriel et Reda, errent dans une Alger qui se referme peu à peu sur elle-même.

 

Alger éblouit encore. On y passe quelques heures, une fin d’après-midi, une soirée, store relevé par Samir sur l’air devenu moins chaud, plus respirable, une nuit d’errances et de menaces.
Le matin revenu, Amal face à Alger fera coulisser le store à deux mains vers le bas, définitivement. Rideau.
La jeune réalisatrice, Sofia Djama nous présente ses personnages avec le brio qui caractérise les films choral limpides et instille par petites touches l’inquiétude. On ressent la peur installée saturant progressivement l’air ambiant. Ca poisse. L’espérance a depuis longtemps commencé sa fuite en arrière et enserre tour à tour dans ses filets ses derniers fidèles qui renoncent à lutter et se laissent emporter ou s’éjectent par une maille lâche pas encore réparée dans l’ailleurs, amputés.
Ce qui m’a frappée aussi c’est la maîtrise étonnante de la direction d’acteur dont fait preuve Sofia Djama. C’est un premier film !
Samir/Sami Bouajila est fatigué, fragile mais continue à donner le change, souriant, la tête haute.
Amal/Nadia Kaci, très belle, est magnifique en mater dolorosa, forte de sa détermination, de son obstination. Sa vie à elle ne compte plus depuis longtemps. Morte à petit feu avec les massacrés qu’elle n’a pas même pas eu le droit d’accompagner au cimetière, devenue fantôme, elle a posé les armes et ne rassemble les forces qui lui restent que pour « sauver » son fils. Malgré lui.
Feriel/Lyna Khoudri (prix d’interprétation à Venise dans la section Orizzonti et pré-sélectionnée aux Césars pour la révélation féminine 2018), est l’incarnation d’une génération en sursis. Elle doit négocier en permanence, batailler pour exister en tant qu’être humain à part entière, jeune fille encore libre de sortir, d’étudier, de courir, de conduire, de tomber amoureuse, de dire qu’un tapis, c’est un objet. Les règles changent et sa liberté devient conditionnelle. Elle sait bien que la lutte a commencé.
Le flic, personnage flou, flouté par l’Histoire, et Feriel ont un lien ambigu. Il a perdu ses femme et fille dans le même massacre qui les a, elles, tuées et a laissé pour morte Karima, la mère de Feriel. Karima, qui a choisi de succomber juste après, de se défenestrer, ne pouvant vivre avec la torture gravée dans sa chair. Ce flic qui n’a pas pu sauver sa famille, a-t-il sauvé Feriel, rescapée de l’horreur mais marquée à la gorge par les mêmes sauvages qui ont laissé sa mère morte-vivante ? Feriel condamnée à passer sa vie à essayer de combler des vides, à cacher des traces. bientôt déclarée responsable de ces marques qui dégoûtent ! Feriel se rend chez ce flic, elle a les clés, et ils peuvent vivre leurs douleurs ensemble dans la quiétude de l’appartement. « – je m’ennuie mais j’aime bien comment tu m’ennuies – moi aussi, j’aime bien m’ennuyer avec toi » . Il y a une douceur autour d’eux jusqu’au jour où il la serre trop fort. Ayant eu recours à lui pour secourir Fahim, ils se retrouvent dans la rue. Il l’invite à boire un café, dans un lieu public. Elle marche, cinq pas derrière. Déjà.
Et Fahim, Reda, Amine … rôles travaillés, personnages, tous, intéressants.
Toutes les scènes composent et tissent ce film intense, si beau.

Alger, 2008, sans voile, montrant ses blessures.

Marie-No

Laisser un commentaire