Gabriel et la Montagne de Fellipe Barbosa


2 prix et 2 nominations à la Semaine de la Critique à Cannes en 201

Du 5 au 10 octobre 2017
Soirée débat mardi 10 à 20h30
Présenté par Jean-Pierre Robert

Film brésilien (vo, août 2017, 2h11) de Fellipe Barbosa avec João Pedro Zappa, Caroline Abras et Alex Alembe
Synopsis : Avant d’intégrer une prestigieuse université américaine, Gabriel Buchmann décide de partir un an faire le tour du monde. Après dix mois de voyage et d’immersion au cœur de nombreux pays, son idéalisme en bandoulière, il rejoint le Kenya, bien décidé à découvrir le continent africain. Jusqu’à gravir le Mont Mulanje au Malawi, sa dernière destination.

 

Ravi de cette soirée, il y a des films comme ça, qui captivent sans qu’on sache très bien pourquoi, qui intriguent sans qu’on sache exactement ce qui intrigue et c’est le cas de Gabriel et la Montagne.

La présentation et la discussion étaient éclairantes, beaucoup de choses ont été dites qui soulignent les différentes facettes de cette triste histoire. Pour ma part, peut-être aurais-je pu donner un point de vue si la discussion avait eu lieu trente minutes plus tard, nous y sommes et je suis à la maison… C’est pour ça que je me mets au clavier.

Ça commence par deux paysans noirs qui cueillent des sortes de joncs avec une machette. Il y a un contraste entre leur déplacement tranquille et la vivacité, la vigueur qu’ils déploient pour les couper et les débarrasser des autres herbes. Et puis nous assistons à la découverte de Gabriel, recroquevillé dans une grotte. Il est mort. Et cette image, a peine entrevue sera décisive pour regarder le reste du film. On ne cesse de voir un homme qui va mourir, on a été témoins de la découverte de son cadavre dès le début.

Après les présentations si l’on peut dire, ce sera un hyperflash-back en quatre étapes kényanes, tanzaniennes, malawiennes, qu’on va regarder comme une sorte de road movie et un compte à rebours réunis. Le jeune homme Gabriel (Joäo Pedro Zapa) nous intrigue. Il y a chez lui des traits magnifiques, candides, sincères, généreux. Il a cette faculté remarquable à entrer en contact, à fraterniser avec ses rencontres. Bref, il est une personne à qui on ne résiste pas, d’autant qu’il affiche en permanence un superbe sourire. Et comme ce personnage a existé, qu’il a été l’ami de Felippe Barboza, on devine que ce film est à la fois un hommage et l’histoire d’un chagrin pour un ami disparu. On suspecte alors la détermination de Barbosa à réaliser ce film qui finalement ne raconte pas grand-chose et qui pourtant le raconte bien. L’histoire de Gabriel au sourire si ouvert, un personnage charmant, séduisant.

D’autres traits psychologiques interpellent chez Gabriel. Ce jeune homme est comme mû par une sorte de puissante pulsion vers l’avant, il lui faut toujours avancer, et son passeport de globe-trotter et la logique de ses déplacements nous échappe. Tout autant, ses rapports à ses guides, ce garçon a la bougeotte aurait dit ma grand-mère. Par exemple, il y a ce désir de monter au sommet du Kilimandjaro, au plus vite et sans délais. Une fois au sommet, il se livre à un rituel intime qui consiste à y enterrer la photo de son père mort quatre ans plus tôt. Jean-Pierre a souligné l’importance de ce père. Quand le sommet de la montagne, c’est papa, on est bien petit.

Comme il a un contact sympathique et familier avec les gens, son tourisme chez les habitants (qui le plus souvent n’en peuvent mais.) peut se voir à la fois comme fraternel et comme une sorte d’exigence infantile : « C’est chez toi que je veux aller ». Autre trait un peu infantile, l’habit offert par un Massaï, dont il se vêt, comme un enfant le ferait d’une panoplie. Avec cet accoutrement fantaisiste, dont il ne se défait pas même pour dormir, ni pour aller accueillir sa fiancée à l’aéroport, une fiancée au demeurant peu étonnée et parfaitement tolérante.

C’est donc un homme pressé, un peu immature,  qu’on nous décrit, qui va rapidement d’un lieu à l’autre, d’une amitié à l’autre. En fait, c’est un homme sans frontière, ni entre lui et l’autre, ni d’un territoire à l’autre. Il a aussi le sentiment d’être physiquement tout-puissant, il marche vite, court comme un cabri, s’approche des animaux sans crainte etc. Il est probable que Felipe Barboza ait perçu chez Gabriel ses traits d’humeur hypomaniaques, fantasques. Gabriel, une personnalité heureuse de vivre en apparence mais qui au fond de lui-même est peut-être triste, sombre même car la frontière entre joie et tristesse est toute fine quand on a la personnalité de Gabriel.

C’est aussi pourquoi, Barboza nous induit à penser à une mort volontaire de Gabriel, une sorte de suicide. Il y a en effet un événement de vie qui corrobore la tristesse sous-jacente, la mort du père il y a quatre ans . Les personnes telles que Gabriel font souvent leur deuil à retardement. Il y a aussi la tristesse de quitter l’Afrique, le devoir de s’engager dans la « vraie » vie. Mais on peut aussi voir les choses d’une manière plus banale. En montagne les nuits sont particulièrement froides, le temps change vite, on se perd facilement, il faut y être bien équipé. Ce n’était pas le cas de Gabriel qui surestimait sa puissance, qui dormait peu, voyageait léger (c’est un euphémisme) et souvent la nuit… Et il se peut que les deux motifs soient liés, un peu des deux.

Ce film n’est pas seulement un film de reconstitution d’une cause de mort et un hommage rendu à un cher ami, c’est aussi un film d’amour pour une Afrique et ses paysages. Cette Afrique des villages modestes et de la gentillesse de ses habitants.

 

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