« Citoyen d’honneur » de Mariano Cohn et Gaston Duprat (2)

 

CITOYEN D’HONNEUR

 Goya du Meilleur film étranger en langue espagnole et Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculineSoirée-débat mardi 11 avril à 20h30

 Présenté par Georges Joniaux

Film argentin (mars 2017, 1h57) de Mariano Cohn et Gastón Duprat avec Oscar Martinez, Dady Brieva et Andrea Frigerio . 
Titre original : El ciudadano ilustre

 

Je ne sais pas si Citoyen d’Honneur va réaliser beaucoup d’entrées en France, mais une chose est sûre, il le mérite, ce film a suscité une multitude d’articles de critiques et cinéphiles. C’est avec une belle unanimité qu’ils le décrivent :

1) Citoyen d’honneur et le cinéma :

« Une comédie inconfortable. Une comédie qui n’en est pas une. Une Evocation grinçante, ironique, cynique, généreuse et tendre. Une réalité cauchemardesque, hilarante et tourmentée…Mais tout de même une comédie fine et mordante.

Un petit bijoux drolatique, décapant voire cruel, tendre et mélancolique

Une comédie caustique, maline, subtile mais aussi déboussolante et inclassable…

Elle n’en manque pas moins de tendresse envers ses personnages. -Personnages complexes, fouillés et parfois contradictoires-

Une mise en scène élégante ».

Derrière les mots pour le décrire, Citoyen d’Honneur, produit chez les auteurs, des associations, des liens les plus variés avec d’autres œuvres. Je me propose ici de présenter quelques références citées, et d’en suggerer d’autres.

Commençons par deux références de Grégory Valens dans Positif :

Providence d’Alain Resnais, le héros fait en une nuit un voyage au bout de lui –même, entre imaginaire et réalité.

-L’antre de la folie de John Carpenter, voici le synopsis : John Trent est enquêteur pour les assurances. Il est chargé, de retrouver Sutter Cane, un écrivain à succès qui a disparu. Durant ses investigations, John se rend compte que le monde d’épouvante apparemment fictif créé par Sutter Cane serait en fait bien réel.

Deux références qui interrogent le rapport entre la réalité et la fiction. Notons que les facétieux Cohn et Duprat, jouent avec leurs spectateurs, je crois  me souvenir qu’on entend quelque chose comme « la réalité dépasse la fiction »… Mais c’est une fiction qui nous dit cela à nous, les spectateurs ! Et d’ailleurs Mantovani, leur génial écrivain, ne dit-il pas, « les faits n’existent pas, ils ne sont que des interprétations » !

D’autres commentaires sont plus sensibles à l’atmosphère :

L_Huitre  :« David Lynch, avec des personnages bizarres qui défilent dans des scènes irréelles, et vont donner à notre écrivain une série croissante d’émotions »

Où encore à la tonalité et à la forme du film font un rapprochement avec le mouvement DOGME 95 (Lars Van Trier et Thomas Vinterberg) soit « le rapport entre l’ironie et le sérieux, l’engagement et l’opportunisme etc ».

Plus convaincantes que ces deux dernières, la référence au cinéma italien, celui des Dino Risi, Luigi Comencini, Etore Scola, et c’est à juste titre que nombre de critiques ont rapproché ce film de l’autre argentin Damian Szifron « les nouveaux sauvages » qui est lui aussi digne successeur de ce fameux cinéma italien. Pour ce qui me concerne, à propos de Citoyen d’Honneur,  j’ai souvenir de « les monstres » et « l’argent de la vieille ».

Il  semble aussi que Cohn et Duprat ne renieraient pas l’influence Roumaine, témoin, ce clin d’œil de Mantovani : « vous verriez ma chambre d’hôtel, on se croirait dans un film roumain », mais tous le décor de Salas pourrait être d’un film Roumain. Et avec leur manière de tourner, et les personnages, tout est roumain, c’est à dire minimaliste, pauvre.

Mais au total, le cinéma de ces deux là, s’il est bien tout cela,  est assurément argentin et personnel, aucun système de référence ne les enferme. Ils jouent avec les références comme un chat avec une pelote de ficelle.

2) Citoyen d’Honneur et la littérature :

Une blogueuse, Cosette 2010  observe que cette histoire ressemble beaucoup au Livre de Joe de Jonathan Tropper, « un écrivain, lors de la mort de son père va retourner dans son village, après avoir quelque peu honni et dénigré cette bourgade et ses habitants dans son roman à succès intitulé Bush Falls, il est quasi certain qu’on ne va pas l’accueillir à bras ouverts »…Troublant ! mais pas tant que ça…  Les réalisateurs le citent d’un clin d’oeil lorsque l’intrusif Florencio jette au public de Mantovani : « Il n’est même pas venu à l’enterrement de son père !».

A la sortie du film, Michel Grob, un cramé de la bobine, observe justement, avec Thomas Sotinel (in le Monde du 06.03.2017),  que Salas fait penser à Amacata dans un Roman de Garcia Marquez. La liste des lieux imaginaires est immense, se référer au prodigieux écrivain argentin Alberto Manguel.

En ce qui me concerne pour ce personnage, je suggère des ressemblances entre Mantovani et Thomas Bernhard qui n’a jamais été prix Nobel, mais qui a écrit en 1980,  « Mes prix littéraires » qui sont « comme un précis du talent sarcastique, mordant, irrévérencieux et furieusement drôle…   de leur auteur ».

Mais n’oublions pas que nous sommes au pays des Borges, Cortazar, Sabato, et de nos jours d’Alberto Manguel, et de bien d’autres remarquables par leur imaginaire, tous pétris de culture Espagnole, Argentine, Universelle. Tous ces écrivains qui ne sont pas devenus « Nobel » mais qui comptent tout de même de grands classiques de la littérature mondiale. (Alors qu’à brûle pourpoint,  qui pourrait citer de mémoire dix prix Nobel de littérature ?)

Et ce film rend hommage au premier d’entre eux, Jorge Luis  Borges, en témoigne cette bibliothèque de Babel de Mantovani… mais surtout,  laissons parler Encyclopédia Universalis : « Pour Borges, le fantastique est consubstantiel à la notion de littérature, conçue avant tout comme une fabulation, un artifice fait de chimères et de cauchemars, gouverné par l’algèbre prodigieuse du songe, mais un songe dirigé et délibéré »

Ce qui est sûr, c’est que ce mardi aux Cramés de la bobine, nous avons joyeusement aimé un film malicieux et… complexe .

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