BlacKkKlansman – Spike Lee

 

Soirée débat mardi 25 à 20h30

Film américain (vo, Août 2018, 2h14) de Spike Lee avec John David Washington, Adam Driver et Topher Grace

Présenté par Jean-Pierre Robert
Synopsis :  Au début des années 70, au plus fort de la lutte pour les droits civiques, plusieurs émeutes raciales éclatent dans les grandes villes des États-Unis. Ron Stallworth devient le premier officier Noir américain du Colorado Springs Police Department, mais son arrivée est accueillie avec scepticisme, voire avec une franche hostilité, par le commissariat. Prenant son courage à deux mains, Stallworth va tenter de faire bouger les lignes et, peut-être, de laisser une trace dans l’histoire. 

 

A brûle-pourpoint, j’ai un sentiment mitigé par rapport à ce film. D’abord,  il faut reconnaître  avec « le Monde »,  que c’est un film haletant, comme le sont les bons thrillers. Il y a aussi de remarquables acteurs. Ensuite, la manière de fondre et de faire se rejoindre les années 60 et l’actualité du moment est remarquable. Et puis l’infiltration du KKK, est un sujet réjouissant. Ajoutons qu’il y a eu la présentation-débat animée par Jean-Pierre, avec  mesure et objectivité et plutôt tonique.

Maintenant,  j’ai quelques objections, d’abord le premier plan,  commence par une citation : (autant en emporte le vent? dites moi  si  le savez.)  on voit  la guerre de sécession et son prix en  morts, en blessés, et en souffrance. Mais pourquoi ces blessés sont-ils  bien rangés  à même le sol, le long d’une voie ferrée,  pour être brancardé ensuite ailleurs ?   Démonstrative mais curieuse logistique.  Voilà qui  ouvre le film, la guerre du Nord contre le Sud, le racisme est au Sud,  du coup, on sait où est sa place exacte. (Cette séquence et d’autres montrent que le cinéma peut parfois comme la guerre être  une  affaire de grosse artillerie)

Ensuite, on est devant un film dynamique, bien joué, bien filmé, mais dont le scénario m’indispose parfois, je ne vais pas faire une liste, voici un  exemple, pourquoi donc Spike Lee fait-il un parallèle entre les discours  qui revendiquent le  Pouvoir Noir et ceux du Pouvoir Blanc Suprématiste ? Peut-on placer sur un pied d’égalité  le discours de l’opprimé et celui de l’oppresseur ?  C’est ce que fait ce film et   c’est ce qui me  gène.

J’ai apprécié le  passage de fiction  à documentaire, il est magique dans ce film tant l’actualité présente  en épouse les formes. D’une certaine manière les séquences de Charlottesville et le discours du Président Trump  confèrent au film une note d’authenticité, puisque  réalité et  fiction se continueraient  tout comme le passé et le présent.

Je ne doute pas du présent, peut-être que cette manière d’évoquer le passé ne me convient qu’à moitié. Pour la première moitié,  le film  de Speek Lee est efficace et attractif, et pour la seconde, je lui trouve trop de faux équilibres.

Ajoutons que ce film a obtenu le Grand Prix à Cannes 2018. Nous avons vu et nous verrons des films moins schématiques qui n’ont pas eu cet honneur , dont c’est une litote, le mérite n’est pas moindre.

 

 

Una Questione Privata – Paolo et Vittorio Taviani

 

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Soirée débat mardi 18 à 20h30
 

Film italien (vo, juin 2018, 1h25) de Paolo et

Vittorio avec Luca Marinelli, Lorenzo Richelmy et Valentina Bellè

Distributeur : Pyramide

Présenté par Georges Joniaux

 

Synopsis : Eté 43, Piémont. Milton aime Fulvia qui joue avec son amour : elle aime surtout la profondeur de sa pensée et les lettres qu’il lui écrit. Un an plus tard, Milton est entré dans la Résistance et se bat aux côtés d’autres partisans. Au détour d’une conversation, il apprend que Fulvia aimait en secret son ami Giorgio, partisan lui aussi. Milton se lance alors à la recherche de Giorgio, dans les collines des Langhes enveloppées de brouillard… Mais Giorgio vient d’être arrêté par les Fascistes.

 

« Fulvia, Fulvia, amore mio…Je suis toujours le même, Fulvia.J’ai tant fait, j’ai tant marché…Je me suis échappé et j’ai poursuivi. Je me suis senti vivant comme jamais et je me suis vu mort. J’ai ri et j’ai pleuré. J’ai tué un homme, à chaud. J’en ai vu tuer beaucoup, à froid. Mais moi je suis toujours le même ». Beppe Fenoglio

 Des films sur la guerre de 39-45 en Italie, cinétrafic en recense 44, autant sur le Fascisme, quant aux films sur les triangles amoureux, il en recense 488. Rien de nouveau sous ce soleil-là, sauf l’art.

 Una questione Privata des Frères Taviani a pour cadre  la guerre des partisans contre les fascistes en Italie, une guerre civile dans la guerre mondiale. C’est la seconde fiction sur la guerre après la Nuit de San Lorenzo,  qui concerne un massacre perpétré par les Nazis pendant la seconde guerre mondiale dans leur petit village natal de Toscane.

Ce sujet de la guerre, il l’avait aussi traité  dès 1954 dans leur premier film documentaire : San Miniato, Juillet ’44. Ils y reviennent mais pas seulement.

Una questionne privata  concerne aussi une histoire de triangle amoureux.  Milton aime Fulvia sans oser se déclarer, Fulvia aime le côté lettré de Milton, mais le trouve un peu triste. Elle semble lui préférer son ami Giorgio, peut-être moins brillant mais plus joyeux, plus fantaisiste. Jamais le film ne nous permettra de trancher sur cette simple question : alors qui des deux ? De quelque parti pris que l’on soit, il y a beaucoup d’incertitudes dans  cette histoire amoureuse.

L’art des frères Taviani dans ce film consiste à croiser les thèmes pour en faire surgir un autre :

Lorsqu’on lui suggère que peut-être Giorgio et Fulvia s’aimaient, Milton devenu partisan, cherche à retrouver Giorgio, que lui veut-il ? Là encore le mobile est flou, seulement savoir ? Incidente ! Giorgio  lui-même partisan vient d’être capturé par les fascistes.

Milton cherche à délivrer son ami, il ne pense plus qu’à ça, sa guerre à lui se place au service de cet objectif, son objectif particulier dicté par son obsession amoureuse et de son douloureux besoin de connaître*(1)- Et pour connaître, il faut tenter de délivrer Giorgio parce qu’il est son grand ami, que c’est un brave, en danger de mort, et qu’il est aussi un rival avec qui il doit parler.

Milton donc devient une sorte d’électron libre. Un combattant dont le combat et les objectifs échappent aux autres et à la cause. Il veut échanger  un prisonnier fasciste contre Giorgio. Il lui faut d’abord en trouver un  ou le capturer.

Avec ce film on entre dans la brume, elle est omniprésente durant toutes les figures de guerre. Cette brume est réelle autant que métaphorique. Et pas seulement pour les Taviani. Où nous emmènent-ils que veulent-ils nous dire ?

La brume c’est celle du lieu, les montagnes pièmontaises, celles de l’époque d’une guerre mondiale et civile, et celle du personnage qui a perdu son chemin, peut-être, celle de la vieille Europe qui retrouve ses vieux démons ?

On pourrait presque dire que les fascistes et les partisans se livrent à un combat fraternel pour leur patrie, tout comme Milton rivalise  avec Giorgio pour Fulvia.  Et si cette petite analogie a un semblant de vrai, on pourrait alors ajouter que les Italiens, dans cette guerre mondiale, l’ont aussi  utilisée à d’autres fins.

Une guerre dont les frères Taviani décrivent les horreurs :  Il y a cette rencontre furtive du partisan avec ses parents à la ville qui nous  permet de saisir l’oppression et la pauvreté des gens de la ville. On est intrigué par ce batteur sans batterie, qui en imite le son jusqu’à ce qu’un crépitement de mitraillette…comme un dernier roulement. Il y a aussi cette enfant lovée près de sa mère morte parmi les morts, et qui se lève de parmi ces morts, va boire un verre d’eau et se recouche près de sa mère. Il y a les hommes qu’on tue à chaud comme le suggère la citation et plus nombreux, femmes, enfants, prisonniers, otages, qu’on tue à froid.

Ce film est simplement beau, et j’ai particulièrement aimé sa fin. Le défi de Milton aux « cafards » puis cette course folle dans la brume entre instinct de survie et désir de mort… et avec sa survie, il peut se libérer de sa passion Fulvia ; il est quitte avec lui-même.

Ajoutons que les Frères Taviani aiment faire des transpositions entre une situation passée et une situation présente. La montée de l’intolérance italienne (seulement?)les heurte. La propagande d’extrême droite leur rappelle le fascisme, ils le disent dans leurs interviews.

 

 

*(1)  Moravia écrivait « la jalousie est une forme négative et douloureuse de la connaissance. »

 

« Les Frères Sisters » de Jacques Audiard

Les Frères Sisters : Affiche

 

 

 

Les critiques sont élogieuses et je sens que je vais me régaler, ce dimanche matin dans mon ciné préféré !
Rien n’aurait pu m’empêcher d’aller voir le dernier film de Jacques Audiard.

Et patatras, voilà …

Regarde les hommes tomber, De battre mon cœur, Un prophète … des films qui me fascinent, des films d’atmosphère, concentrés sur l’histoire et les personnages, que je peux revoir et revoir encore.
De rouille et d’os, Dheepan, Les frères Sisters … des films « grand angle », décors dilués, personnages éparpillés que je ne reverrai pas (sauf si, un jour, on propose une rétro Jacques Audiard et que l’un de ces trois là est sélectionné !)

« Les Frères Sisters » le film, donne très envie de lire « Les Frères Sisters » le livre, de Patrick deWitt dont John C. Reilly a acquis les droits pour jouer le rôle d’Eli. Restait à trouver le réalisateur. Notre Jacques Audiard a été choisi ! On peut comprendre que la tête lui en ait tourné. Un film américain ! Une sacrée expérience ! Des moyens grandioses ! Il a fait le job ! Il a été cap ! Bravo !
Mais le problème c’est qu’il a fait un film à la fois très américain avec les gros clins d’oeil, certains traits appuyés et les bons sentiments, qui le retiennent là-bas, et très européen par sa lenteur délibérée, certains traits esquissés et des sous-entendus, qui le retiennent ici.
On a l’impression qu’Audiard s’est laissé débordé, qu’il a fait des concessions impossibles qui font que son film, très bien réalisé (heureusement !), est, au final, mi-figue, mi-raisin, sans goût, sans saveur.
Un film qui aborde certains thèmes qui lui sont chers comme la relation au père, au frère, un monde sans pitié où le destin façonne les hommes, les transforme en chasseurs et bêtes traquées.
Un monde où il faut bien se débrouiller … Ici pour la première fois, Jacques Audiard filme les grands espaces, la nature sauvage bientôt souillée de mercure, semblant lancer un cri d’alerte,  étouffé  pour longtemps.

Mais les personnages restent sur le carreau.

Eli Sisters, l’aîné piteux et pitoyable, le tire-larmes qui dézingue tout ce qui bouge et pleure son Tub de cheval comme un veau, qui serre cette étole donné par une mystérieuse institutrice dont on ne fera jamais la connaissance, ce bout de chiffon qui lui sert de ninin et de « chaussette », Charlie Sisters, petit frère qui pleure dans son sommeil son geste mortel d’enfant, John Morris, détective-fils de famille-entrepreneur, Hermann Kermit Warm, chimiste bon enfant, Mayfield, maire-mère maquerelle-mégalo … Autant de personnages tragico-loufoques qui ne passent pas les portes de chez Audiard. Pas de son domaine de compétence. On a tout au long du film envie de lui dire de se détendre, d’y aller, de mettre la gomme, surtout de prendre du recul. Mais, las …

C’est Bruno Dumont qui  pourrait faire une adaptation de ce roman de Patrick deWitt ! Là on collerait au sujet,  on rigolerait franchement, on grincerait des dents. Je les sens du même monde, le monde où les anges existent et où c’est clair qu’il est bien trop tard pour que l’heur(e) vire au drame.

Marie-No

« One hour with you » de Ernst Lubitsch

 

Une Heure près de toi : Affiche

Si ce n’est pas un des films les plus connus de Ernst Lubitsch, « One hour with you » réalisé en 1932, est une belle illustration de la « Lubitch touch », ce savant dosage de luxe, d’humour et d’érotisme, l’élégance et sophistication dans la satire, le rythme et l’utilisation de l’ellipse pour faire du spectateur un personnage à part entière.
La « Lubitsch touch », c’est aussi la façon subtile d’utiliser l’ellipse pour provoquer l’émotion, l’émotion déclenchée aussi par un signe particulier, un indice, une image-situation, c’est le moyen subtil aussi de faire avec, de contourner la censure de l’époque pour tourner des scènes très sexuelles !
Tout commence par le branle-bas-de-combat de flics parisiens chargés de traquer les couples illégitimes dans les parcs. « C’est le printemps ! » L’ordre est donné de  vider les parcs…  pour remplir les bars et faire tourner le commerce !
Et tout finit par un cours d’amoralisme conjugal : l’adultère, réel ou imaginaire, permet de faire triompher le bonheur et l’euphorie.
Beaucoup de sexe dans ce film jubilatoire.
Mitzi, faussement malade, se voit prescrire par le docteur Bertier « un remontant, trois fois par jour ». Administré par ses soins, il va sans dire.
Et le noeud pap évidemment. Mitzi le défait « Pourquoi avez-vous fait ça ? gémit-il. « Mais les noeuds, ça me connaît, ô combien ! » réplique Mitzi…
Il fallait ruser avec la censure et Ernst Lubitsch est très doué
Il va vite, très vite et rend le spectateur complice de son esprit.
Il fait dans son œuvre, on le sait, preuve d’une certaine… souplesse quant à l’impératif de fidélité conjugale.
S’ils sont si bons amants, Colette et André devraient se suffire. Mais le désir ne fonctionne pas en terme de satiété.
Placer la fidélité au cœur de cet éloge de la séduction et de la sensualité est bien sûr une astuce pour tromper la vigilance de la censure;
Oui, André Berthier est heureux en mariage et, à tous les hommes qui s’ennuient chez eux, il conseille ce petit tour polisson au parc. Comme sa femme l’appelle mon chéri et qu’il répond de même, il commente ces apartés et indique au spectateur au moyen du discours-caméra, figure boulevardière par excellence, qu’il va maintenant rentrer dans la chambre. Le couple entonne alors en chœur « avec une simple alliance tout est permis : tout est légal, quel régal ! »
Chez Lubitsch, la musique joue un rôle très important  en tant que suppléante de la parole et véritable « personnage ».
Dans « Angel », le thème mélodique (signé Friedrich Holländer) improvisé par un violoniste tzigane, le soir où Lady Barker et Anthony Halton se rencontrent, va précipiter l’action : Lady Barker le joue sur son piano et le fait passer pour une composition personnelle auprès de son époux, mais celui-ci entend via le téléphone Anthony Halton l’interpréter également. Le pot-aux-roses est découvert !
C’est Oscar Straus, autrichien et auteur à succès d’opérettes, qui compose la musique originale de « One hour with you » (il signa aussi la musique de «Madame de …, le thème de la valse, de Max Ophüls)

Ernst Lubitsch regardait  la vie et ses concitoyens avec recul et malice
« Ma théorie de base est que l’être le plus digne est ridicule au moins deux fois par jour »

Maurice Chevalier et son accent gouailleur, Jeanette MacDonalds, Genevieve Tobin  … dans les décors et robes 1930

Une Heure près de toi : PhotoUne Heure près de toi : PhotoUne Heure près de toi : Photo Charles Ruggles, Genevieve Tobin, Maurice Chevalier

« One hour with you » est un bonbon acidulé.

Marie-No

Le Poirier Sauvage de Nuri Bilgé Ceylan

Du 6 au 11 septembre 2018
Film turc (vo, Août 2018, 3h08) de Nuri Bilge Ceylan avec Doğu Demirkol, Murat Cemcir et Bennu Yıldırımla

Titre original Ahlat Agaci
Distributeur : Memento Films

 

 

 

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Passionné de littérature, Sinan a toujours voulu être écrivain. De retour dans son village natal d’Anatolie, il met toute son énergie à trouver l’argent nécessaire pour être publié, mais les dettes de son père finissent par le rattraper…

Le Poirier sauvage, Œdipe, quand tu nous tiens !

Les films sur la relation Père et fils sont innombrables, c’est un sujet inépuisable.  C’est en effet une relation particulièrement complexe (d’Œdipe, bien sûr !).Entre autorité et laisser-faire,  rivalité, complicité,  estime, mépris, que sais-je. C’est un thème que Nuri Bilgé Ceylan aborde comme tous les sujets de ses films, de main de maître. Il y a toujours cette même exigence narrative : « j’aime les histoires ordinaires des gens ordinaires » «  Les postures  mentent moins que les mots ».

Sur ce genre de sujet nous savons tous d’expérience,  qu’il faut aussi pouvoir trouver la bonne distance. Or, Nuri Bilgé Ceylan est toujours proche de sa propre vie lorsqu’il écrit ses scénarios. On a l’impresssion, peut-être l’illusion,  que de film en film, on pourrait faire sa biographie. Mais, il a trouvé le moyen d’échapper à la pure autobiographie. Le hasard a placé sur son chemin les personnes par qui allait germer le sujet et se dessiner le scénario :

L’idée de ce film lui vient quand, avec Ebru, il rend visite à un ami dans la péninsule de Gallipoli. Là il rencontre un instituteur du village de son enfance. « Il avait un esprit très vivant, curieux » et dit-il : «  j’ai compris qu’il n’était pas respecté par son entourage. J’ai voulu en savoir plus, peut-être car certains aspects de sa personnalité me rappelaient mon père ». « Je suis allé voir son fils, également instituteur, Akin Aksu à Çannakale.

Je lui demande alors d’écrire les souvenirs qu’il avait  de son père, Akin Aksu me répond en 80 pages ». «  J’ai alors  compris que ce fils devait coscénariser le film et que je devais déplacer le film vers le fils ».

Il y a toute sorte de manières de regarder ce film :

On sait que N.B Ceylan est un moraliste. Les questions de la bonne conscience qui recouvre tout, celle qui comme dit Jankelevitch, fait  « de la mauvaise conscience à peine une expérience psychologique », donc comme une sorte d’illusion permanente ; le mensonge ; la vanité ; l’égocentrisme ;  les petites lâchetés et velléités de la vie quotidienne; les contradictions. Et en effet, tout cela, comme dans l’œuvre entière de Ceylan,  existe dans « Le Poirier Sauvage ».

On peut aussi le voir comme un roman d’apprentissage,  Sinan, le fils, de retour au village après ses études universitaires qui le préparent à devenir instituteur, et qui projette de devenir écrivain, il rencontre différentes personnes qui sont autant de heurts successifs et de jalons dans sa formation, dans sa compréhension du monde. Et cette approche serait tout aussi valable.

Il y a aussi la psychologie du jeune homme une sorte d’adolescent prolongé qui « se pose en s’opposant », qui donc  aime la provocation, on le vérifie avec l’un de ses anciens amis avec qui il finit par se battre. Et plus encore avec Süleyman,  l’écrivain, que Sinan gratifie de compliments ambigus, avant de lui rentrer dedans, d’ironie en insolence -Une pertinence impertinente-

Il y a surtout, cette relation père/fils. Ce conflit père/fils, nous en avons eu une répétition générale dans son débat avec l’écrivain Süleyman qui est une sorte de figure paternelle.

Il y a donc Sinan, ce personnage à la Dostoïevski, fougueux, contradictoire et Idris, son père, tout droit sorti d’un roman de Tchékov, (une sorte d’Oncle Vania qui n’aurait pas de beau-frère).Ce père, instituteur, est aussi un joueur, toujours en dette et sans le sou,  il n’hésite pas à quémander de l’argent à son fils, peut-être même à lui en  dérober. Jouant, il met en danger sa famille. Il se dérobe aux us de ses collègues,  il préfère les cafés populaires où il peut jouer aux courses.  C’est en effet, un homme peu estimé, les seules personnes qui l’abordent sont ses créanciers et les joueurs désœuvrés.  Mais ce père a aussi un jardin secret, un refuge, la campagne de son enfance, où il  passe ses jours de repos où il travaille comme un paysan. Il y vit dans le sous-sol humide de la maison de son père, homme un peu acariâtre. Devant la maison de son père, Idris creuse un puit…(à peine perdue). Dans cette campagne,  c’est un homme reconnu pour sa serviabilité.

Sinan a de grandes espérances et  grand mépris pour ce père, ce petit homme, ce dilettante. Il s’en ouvre à sa mère, lui reproche d’être faible, de ne pas divorcer. Elle ne mord pas à son discours: « Contrairement aux autres jeunes gens,  l’argent ne l’intéressait pas, il aimait la nature et il savait en parler, et il l’aime encore maintenant » . Sinan dédicace  pour sa mère le livre qu’il vient de publier à compte d’auteur : « le Poirier Sauvage »  Mais comment Sinan a-t-il fait pour que son livre soit imprimé?  Sinan a aussi ses travers. Les figures oniriques et imaginatives de sa culpabilité (le cheval de Troie, le chien qui se noie, le père endormi) indiquent qu’il se passe quelque chose, qu’il y a des tensions dans l’inconscient de  Sinan …Des intrusions dans sa bonne conscience.

Après un bout de chemin, Sinan  a pris la voie de son père, désormais retraité,  est-il comme lui  devenu à son tour instituteur ? Il vient le voir à la campagne.

Là va s’arrêter cet article car vous n’avez peut-être pas vu « Le Poirier Sauvage ». Ce qui serait dommage, et si c’est le cas, ce n’est sans doute  pas irrattrapable. D’autant que  les  deux principaux acteurs sont épatants,  Sinan Dogu Demirkol, un beau ténébreux, le père Murat Cemcir dont le sourire évoque Omar Sherif.

…Un dernier mot, on sait bien qu’il faut parfois plusieurs vies pour accomplir une seule destinée, dans ce film, père et fils l’incarnent, comme une figure dans un jeu de cartes.

 

PS : N.B Ceylan cite souvent Bergman dans ses interviews. En effet « le silence » qu’il a vu à 16 ans a été un choc déterminant. Mais, il me semble qu’il  ne sera jamais totalement proche de Bergman, il  a de l’humour. 

 

Le dossier Mona Lina

Nominé au Festival du film policier de Beaune et au festival de Valenciennes 2018

Du 29 août au 4 septembre 2018
Soirée débat mardi 4 à 20h30

Film israëlien (vo, juillet 2018, 1h33)
de Eran Riklis avec Golshifteh Farahani, Neta Riskin et Yehuda Almagor

Distributeur : Pyramide

Présenté par Sylvie Braibant 

Synopsis : Mona, libanaise, est soupçonnée par le Hezbollah d’être une informatrice des services secrets israéliens. Craignant qu’elle soit démasquée, le Mossad l’exfiltre vers l’Allemagne et lui fait changer de visage. Pendant deux semaines, le temps de se remettre de son opération, ils la cachent dans un appartement à Hambourg. Naomi, agent du Mossad, est chargée de lui tenir compagnie et de la protéger. Mais le Hezbollah est à la poursuite de Mona et la planque ne s’avère pas aussi sûre que prévu…

Qu’est-ce-que c’est que cette histoire ?
Un exemple de scénario plein de « trous dans la raquette » !
Par exemple dès le début, même sans être expert en espionnage,  on se dit que la surveillance de Mona/Lina, un poisson de cette trempe, ne peut quand même pas être confiée à une seule Claudia/Naomi  toute super qualifiée soit-elle ! Attends voir : là, elle part tranquillement faire ses petites courses en laissant Mona, convalescente, s’occuper de la fuite d’eau et descendant « en l’état » c’est à dire avec ses bandages et son déshabillé en soie rouge sang, chercher le gardien qui quand Claudia revient, a déjà bien avancé la réparation …
On comprend à la fin que Mona a tout orchestré donc cet homme a sûrement un rôle dans « l’opération Naïm » et il faut bien que l’histoire se trame …
Sur les bandages de Mona/Lina, on s’interroge …  le nez, OK, rhinoplastie oblige, mais pourquoi le crâne ? On lui a juste coupé les cheveux, non ?
Et ces postures ! ce cou étiré en permanence !  Elle ne tourne jamais la tête mais le buste en entier pour regarder à gauche, à droite. Une cervicale déplacée, peut-être ?
Mais non, c’est pour exacerber le port altier de Mona/Golshifteh Farahani, son regard hypnotique au cas où on n’aurait pas capté la fascination qu’elle opère sur tous ceux qui l’approchent, son côté Mata-Hari. A cela s’ajoutent ses propos exaltés genre « Dieu gagne toujours », tu parles … Et on ne comprend pas pourquoi elle s’inquiète sur  sa nouvelle apparence physique après retouches donc en tout et pour tout avec un petit nez à la place de sa « patate » (et les maquilleurs n’ont pas lésiné sur le latex pour le grand gros nez de Lina !)
Les deux femmes s’apprivoisent et l’amitié naît et grandit nourrie dans l’idée de la maternité empêchée et blessée …  et aussi avec leurs maquillages, perruques, robes à paillettes qui sortent du placard.
Ben oui, on a beau être espionne, on n’oublie pas les bases de la féminité !
Autre exemple de fil blanc : à la fin, Naïm (croit) rencontre(r) Lina au cimetière pour enfants, et lui qui est toujours entouré de gardes du corps armés jusqu’aux dents, là il vient tout seul, les mains dans les poches avec son couteau, et encore,  et il se fait dégommer facile par une Naomi très remontée contre ce traître, vengeant celle qui est devenue son amie « à la vie, à la mort » depuis le huis clos hambourgeois.

Pour moi, la sauce n’a pas pris et Golshifteh Farahani m’a horripilée
mais j’ai beaucoup aimé la quartier, l’air de Hamburg, l’immeuble ancien avec ascenseur à clé d’époque, l’appartement.
Et la scène où la bonne soeur referme la lourde porte sur Naomi/Mossad et Naïm/Hezbollah, les enfermant dehors au milieu de leurs morts innocents, genre débrouillez-vous entre vous …
Et la scène aperçue furtivement à la télé, Romy/Lina dans  « La passante du Sans-souci ». Un regard de mère à jamais bouleversant posé sur un enfant qui n’est pas le sien, quelques temps après « Une histoire simple » avec David, un autre enfant. Le sien.

Marie-No