OSCARS 2017

Vu en direct la remise de l’Oscar du meilleur film

Qu’on se le dise :
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film 

Comment réparer la bourde de Warren Beatty et Faye Dunaway (tous les deux sans lunettes) ???
Malheureusement, on ne peut pas rembobiner et le fait est que l’instant magique de l’ouverture de « son » enveloppe, de l’annonce dans le silence total de l’immense théâtre Dolby de la victoire de son film Moonlight a été volé à Barry Jenkins et à son équipe !!!
C’est irréparable, révoltant !

Warren Beatty aurait eu en main l’enveloppe du prix de la meilleure actrice décerné juste avant à Emma Stone …
A cette cérémonie où tout semble tellement huilé, organisé, orchestré, minuté, convenu.
Incroyable ! Impossible !
Et pourtant …

Décidément, quel bazar aux States

Minable

Marie-Noel

 

« L’effet aquatique » César 2017

L’Académie des César a décerné hier le Prix du meilleur scénario original à Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget pour « L’effet aquatique ».
Nous avions rencontré Solveig Anspach aux Cramés, accompagnée de son actrice Florence Loiret-Caille, lors de la sortie de son film précédent « Queen of Montreuil ».
À Prades, l’été dernier, nous avons vu « L’effet aquatique » une première fois, présenté par Patrick Sobelman, son producteur.
Il nous avait raconté le lien fort qui unissait Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget, comme ils travaillaient bien ensemble, comment ils s’étaient trouvés ces deux-là  pour tricoter leurs beaux scénarios !
Il s’inquiétait de la suite pour Jean-Luc Gaget tant il lui savait Solveig essentielle, irremplaçable .

Hier, lors de la cérémonie, Jean-Luc Gaget a reçu le prix seul.
Il a rendu à Solveig, bien au chaud dans son coeur, un très bel hommage venu des étoiles.
Le bruit de ses aiguilles à tricoter lui manque, nous manque aussi.
Leur tricot à quatre mains manquera au cinéma.

Merci pour ces beaux films

Marie-Noel

La chanson de Solveig
(Peer Gynt, Edvard Grieg)

 

« Corniche Kennedy » de Dominique Cabrera

Prix Claude Chabrol au Festival du film du Croisic 2016Du 16 au 21 février 2017Soirée-débat mardi 21 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film français (janvier 2017, 1h34) de Dominique Cabrera avec Lola Creton, Aïssa Maïga et Moussa Maaskri.
d’après le roman de Maylis de Kerangal

 

Alors, après avoir dormi dessus, j’ai quand même envie de mettre quelques mots dans le blog sur ce film, somme toute, assez déconcertant, car les personnages/acteurs m’ont intéressée.

En tout premier, Medhi/Alain Demaria (un Alain de 16 ans) m’a touchée avec son coeur gros comme ça et sa bouille de poupon. Il va évidemment s’endurcir. ll va bien falloir qu’il mette ses pas dans les pas de son frère dont il garde déjà le temple. C’est révoltant mais comment faire autrement. Il le dit : pour eux, ceux de la corniche, il n’y a pas d’autre choix : sauter, dealer. C’est un monde effrayant et on a mal de savoir que, malgré tout l’amour qu’il porte à son petit frère, à sa mère, si petite elle aussi, il va probablement rencontrer tant d’embûches qu’il basculera, lui aussi. Personne pour l’aider ? Le père s’est tiré depuis belle lurette ! c’est lui, le minot, qui est devenu l’homme de la famille. Sans avoir eu le temps de grandir. Abandonné par son père.
C’est un énorme problème de société ça : courage, fuyons ! les pères s’en vont.
Alors Medhi, il brave sa peur, il rassemble son courage et il saute du haut de la corniche. Il s’entraîne à sauter toujours de plus haut, en prenant toujours plus de risques.
J’ai aimé son regard . Un Medhi amoureux c’est très touchant. Quand il respire les cheveux de Suzanne, on sait leur parfum.

En écrivant, je m’aperçois, qu’en fait, seul Medhi m’a vraiment intéressée … et aussi le trio Medhi/Suzanne/Marco parce que les dés sont jetés depuis la naissance. Marco c’est le charme à l’état pur. Ce qu’il dégage est inné et Suzanne est prise dans ses filets. Medhi ne pourra pas lutter. Il le sait et on le sait aussi depuis le début. Les images de Suzanne avec Marco sont magnifiques. Ils sont très beaux et leurs beautés s’accordent parfaitement.

Suzanne/Lola Creton et son intégration dans la bande semble vraiment super easy. Trop. A part la première rencontre où elle est un peu malmenée sinon, après, elle « pique » les deux beaux gosses et les filles laissent faire ! L’une lui dit qu’il va falloir qu’elle choisisse, une autre que tout ça va mal finir. C’est presque une conversation de salon. Mais dans l’eau . C’est vrai que c’est un film et on n’a pas le temps de dessiner un mouton mais justement c’est un film alors à la réalisatrice de nous faire percevoir le rapprochement forcément lent de ces deux mondes. Ici on ne le perçoit pas.

Marco/Kamel Kadri patauge avec les requins. Il est magnifique mais pas très convaincant. Cette histoire policière n’a pas beaucoup d’intérêt et le pire c’est que Awa/Aïssa Maïga ne semble pas s’y intéresser non plus !
Au tout début du film elle est déjà là ! Elle passe, ni vue ni connue, en jogging, dit aux plongeurs que c’est dangereux;  fait des photos ! Par hasard, elle est tombée sur eux. Son collègue lui dit d’ailleurs qu’elle a eu du nez car il a une photo du chauffeur d’Abdel le terrible et justement c’est un des plongeurs de la corniche ! Tu parles !

On aurait bien voulu faire connaissance avec les plongeurs avant, tranquillement, entre nous. La place donnée à cette histoire policière est disproportionnée. On aurait aimé que les personnages secondaires soient plus travaillés. Ils sont sûrement très intéressants. On passe à côté.

C’est pour moi, comment dire, un film inabouti, un film de débutant.

Que tous ces jeunes s’éloignent de la corniche et du reste.
Avant d’y laisser leur peau

Marie-Noel

 

« Fais de beaux rêves » de Marco Bellochio (2)

 


Film italien (vo, décembre 2016, 2h10) de Marco Bellocchio avec Valerio Mastandrea, Bérénice Bejo, Guido Caprino et Emmanuelle Devos
Titre original Fai Bei Sogni

Belphégor est, je pense, ma plus grande peur « en images ». En 65, j’avais à peu près l’âge de Massimo au début du film et j’ai pris de plein fouet cette série qui m’a marquée durablement. Je confirme que c’était absolument terrifiant pour un enfant d’une dizaine d’années ! Je me cachais les yeux de ma main . Il fallait se cacher les yeux et c’est ce que la mère de Massimo fait. Elle lui cache les yeux de sa main dans un geste tendre mais ferme et il n’a sans doute pas vu Juliette Gréco sauter dans le vide …  Mais il a vu cette femme double : une douce jeune femme toute de clair vêtue qui se transforme en Belphégor fantôme du Louvre, visage recouvert d’un masque de cuir noir, regard fixe, tout de noir vêtu.

Sa mère aussi semble avoir eu deux visages. Elle riait puis aussitôt pleurait puis aussitôt riait. Elle le « mangeait des yeux » et l’instant d’après le fixait sans le voir. Elle oubliait momentanément sa présence, son existence. Comme lorsque, cachée dans un carton,  il la cherche « pour rire » et qu’il ne la trouve pas et ne la trouve toujours pas et la cherche alors « pour de vrai »au bord de la panique, zigzaguant dans l’appartement de part et d’autre de ce couloir, lieu central de sa vie. Elle se montre enfin et alors il peut se blottir contre elle dans le carton refermé sur eux deux. C’est comme ça qu’il est bien. Mais pas rassuré. Sa mère n’est pas rassurante.
On ne voit pas son père dans cette période de fusion mère/fils . Sauf juste avant et juste après le drame.
Juste avant le drame,  il observe sa femme par la porte entrouverte de la chambre de leur enfant : elle se penche sur lui et lui murmure « fais de beaux rêves », elle enlève sa robe de chambre et la laisse sur le lit de son fils. (pour laisser son odeur ? ) .
Juste après le drame, au milieu du chaos il est emmené entre deux carabinieri. Il sort de l’appartement en jetant un regard à son fils terrorisé, sans un mot. On ne reviendra pas là-dessus. Mais on peut se demander s’il n’a pas poussé sa femme du 5ème étage.
On ne voit jamais ses deux parents ensemble à part sur les photos dans le salon. Quand Massimo voit deux amoureux s’embrasser dans un bus, il s’en inquiète auprès de sa mère : « ils sont fiancés ? » fiancés ! Sa mère ne lui cache pas les yeux mais  lui dit de ne pas regarder .
Elle ne semble pas pressée de rentrer à la maison préférant refaire un tour « un giro »,  le circuit complet de la ligne de bus.
A qui pense-t-elle quand elle jette le bouquet dans le fleuve ?
Sa mère est mystérieuse, inquiétante mais elle est surtout irremplaçable et immortelle comme toutes les mères de tous les petits garçons du monde.
Quand elle disparaît, sa peine normale sera immense mais le problème est qu’il restera inconsolable car sa mort restera résolument inexpliquée. Cette absence transformée par les adultes en amputation sera le début de son calvaire.
Pourtant ce n’est pas tant de savoir comment elle est morte qui l’aurait libéré, c’est de la voir morte. C’est ce qu’il réclame : qu’on ouvre le cercueil. Avec tout son bon sens d’enfant il sait déjà que son deuil ne peut se faire que comme ça.
Toutes les femmes ne sont pas maternelles le pire exemple étant sa nounou qui ne veut pas remplacer sa maman. Pourquoi son père a-t-il choisi cette personne glaciale pour s’occuper de son fils orphelin ??? Quelle cruauté !
Comment sont les mères dans ce film ?
Celle de Simone. Il écrit son désarroi et sa crainte de devoir supprimer sa mère tant elle est exécrable . Et le fait est que sa mère l’est (devenue), exécrable !
Celle d’Enrico particulièrement envahissante (on frôle le comportement incestueux) et que son fils repousse « hors des murs » mais qui revient, s’immisce et se vautre sur le lit attirant tout contre elle son adolescent .Et qui reprend l’instant d’après une attitude de normalité maternelle chantant « Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent » !  Les enfants sont enfermés, bloqués, dans ses bras, de chaque côté. Immobilisés.
Celle de Sarajevo qui est assassinée et laisse son petit garçon plongé dans le déni, qui continue son jeu comme si de rien n’était, limitant son champ de vision au petit écran de sa game boy, faisant momentanément abstraction de tout ce qui l’entoure.
A la piscine, celles alignées au balcon surplombant le bassin où les élèves et Massimo s’entraînent et qu’on voit défiler une par une devant nos yeux. Quelles sortes de mères sont-elles, toutes ces femmes penchées sur eux ? Sur nous ? Au moins, elles, sont là, vivantes.

Puisse Elisa être celle qui le fera passer à autre chose après qu’il a eu LA réponse qu’il semblait chercher depuis si longtemps.
Puisse Elisa être aussi celle qui lui indiquera l’adresse d’un bon psy pour qu’il puisse poser LES questions qui continueront inévitablement à le hanter .

Très beau film, dérangeant. Mise en scène magistrale. Un puzzle dont chaque pièce se transforme en « poupées russes ».

Marie-Noël

 

 

 

 

Fais de Beaux Rêves de Marco Bellochio (1)

nominations à la Quinzaine des Réalisateurs 2016
Du 9 au 14 février 2017
Soirée-débat mardi 14 à 20h30

Présenté par Georges Joniaux
Film italien (vo, décembre 2016, 2h10) de Marco Bellocchio avec Valerio Mastandrea, Bérénice Bejo, Guido Caprino et Emmanuelle Devos
Titre original Fai Bei Sogni

Synopsis : Turin, 1969.
Massimo, un jeune garçon de neuf ans, perd sa mère dans des circonstances mystérieuses. Quelques jours après, son père le conduit auprès d’un prêtre qui lui explique qu’elle est désormais au Paradis. Massimo refuse d’accepter cette disparition brutale.
Année 1990.
Massimo est devenu un journaliste accompli, mais son passé le hante. Alors qu’il doit vendre l’appartement de ses parents, les blessures de son enfance tournent à l’obsession…

Au commencement du film, Massimo enfant aux yeux sombres, un peu solitaire et sage, fait ses devoirs. Sa mère met un disque sur le phono. Elle prend Massimo par ses mains, le fait danser avec elle. Il est un peu gauche, mais la joie de sa mère est communicative et puis elle est si belle. Il danse bien maintenant, il est joyeux, tellement joyeux. Aucun moment n’est plus beau. Il l’aime, elle l’aime. Un bonheur simple. Pourtant, nous verrons que parfois chez cette mère si gaie, son regard s’assombrir. Elle pleure ou se perd dans ses rêves en écoutant une musique, fait deux tours de bus pour ne pas croiser le regard d’un couple qui descend au terminus, ou se livre au rituel obscur de jeter un bouquet de fleurs dans le Po. Il y a quelque chose, un mystère ? Pourtant, elle est là, vivante, aimante, infiniment disponible.

De son côté, le petit garçon est parfois grave comme si il y avait une instabilité, une menace. (Magnifique jeu et regard du petit Nicolas Cabras).

Le secret commence probablement avant la mort de la mère, elle est joyeuse et aimante, mais par instant  se trouble, il y a dans l’air une atmosphère de secrets, celui de sa maladie et peut-être d’autres. Elle est nostalgique de quelque chose ou de quelqu’un. Elle souffre en silence, peut être pas seulement de sa maladie.

Un soir, tapage et remue ménage, panique et bruits de pas pressés, que Massimo entend confusément. Mais l’accès aux adultes lui est fermé lorsqu’il demande « où est maman? » Il apprendra que sa mère a été emmenée d’urgence à l’hôpital et qu’il pourra bientôt aller la voir. Habillé en dimanche, un bouquet à la main, il s’y rend avec son père. Chemin faisant, ils s’arrêtent à l’église. Le prêtre est là qui attend. Il explique alors au petit Massimo que sa mère n’est plus, qu’elle est un ange, qu’elle le suivra de là haut. Elle a fait un infarctus foudroyant, elle est au paradis. Massimo se révolte, cela n’est pas crédible, mais n’en saura pas davantage. Cette rencontre sera décisive pour l’enfant, l’adolescent et l’homme qu’il sera. Longtemps, il va grandir en compagnie de Belphégor, une représentation mentale  qui lui donnera une sorte de puissance, une prise sur les événements. Mais ce « fantôme du Louvre » qu’il regardait naguère entre peur et joie avec sa mère est une représentation ambivalente. (le fantôme du Louvre est une apparition terrifiante qui finit par se jeter dans le vide). Pas d’ange ici bas, Belphégor pour longtemps. Les spécialistes appellent cela « la pensée magique ». Elle a le mérite de lui appartenir.

Or, par cette mort si brutale, la vie de Massimo va être durablement affectée, c’est un enfant rêveur qui expérimentera la loi de l’apesanteur en laissant tomber l’hideuse statue de Napoléon de son père par la fenêtre du 5ème étage…  et deviendra aussi un excellent et imaginatif speaker de foot en herbe. Adolescent, il s’invente une mère qui vivrait à New-York. La mort est honteuse. Sans compter qu’un mort est un lâcheur ; elle l’a lâché. Adulte, devenu journaliste, c’est un journaliste, sérieux, ténébreux, peu liant, quasi solitaire. Il a une confiance limitée, envers les autres et lui même.

Massimo sent confusément que tout n’a pas été dit sur la mort de sa mère. Il ne suffit pas que les choses ne soient pas dites pour ne pas être ressenties. « L’oiseau est un mot » disait une chanson du film* (voir notes), et les mots nous sont donnés. Mais ici les mots manquent et l’oiseau s’est envolé, ne laissant que silence et vide, si ce n’est le message indicible de Belphégor qui nous dit quelque chose de ce vol.

Ne pas savoir c’est précieux, ça aide à être orphelin, à vivre, comment renoncer à ce compromis, à la paix du compromis. D’accord, ça ne rend pas plus heureux que ça, mais par ailleurs, Massimo est devenu un bon journaliste. Qu’attend la société d’un homme ? Qui lui demande d’être heureux ?

Massimo est maintenant un homme, un adulte à la force de l’âge, bien inséré, intelligent, fiable, pourtant obscurément, quelque chose d’infantile subsiste en lui, un chagrin, une colère, un manque.  Un jour, Son père « refait » sa vie. Il lui abandonne tout. C’est un     « fatras de vieilles vieilleries », de souvenirs confus et peu intéressants. Massimo veut à la fois tout jeter et se dit en même temps qu’il pourra peut-être y percer le mystère de la mort de sa mère, trop longtemps laissé en veilleuse, comme cadenacé. Trop de choses dans cette maison, trop de travail à compulser et à se débarrasser de tout ça.

Un jour on lui remet une boite d’allumette qui appartenait à sa mère. Massimo d’abord ému, développe alors  une crise d’angoisse, « panique-attaque » dit-on de nos jours. L’angoisse, ce n’est pas l’anxiété, ça Massimo connaissait déjà. Non l’angoisse c’est une impression de mort imminente. Nous avons bien avancé dans le film…  Et pourtant, nous ne savons rien. Que va-t-il devenir ?

Marco Bellochio porte depuis toujours un grand intérêt à la psychanalyse, et il regarde la société dans laquelle il vit. Il n’a jamais cessé de le faire. Marco Bellochio est un cinéaste de l’atmosphère. Les images mieux que les mots montrent l’atmosphère. Avec nuance et subtilité. Peu de hors champs dans son film, exceptons Sarajevo ou les stades de foot. Tout est dans le film, et il faudrait plusieurs projections tant il est dense, pour saisir la richesse de ce qu’il nous donne à voir.

Pourtant cette histoire est banale, courante, mais elle est tellement difficile à la fois. Le secret, le deuil, la vérité et son déni. Tout cela forme un nœud. Marco Bellochio nous montre que l’homme tend à aller mieux. Il le montre l’effort qu’il faut à Massimo pour en sortir, pour accepter de se mettre en position de connaître ce qu’il savait confusément, pour connaitre ce qu’on avait refusé de lui dire. Pour saisir une possibilité de dénouement. Car il a dans ce film, en même temps que le poids d’un passé plus que jamais présent, une immense confiance en la vie, avec ce qu’elle a de cruelle et de providentielle parfois. Il nous montre un homme en devenir. Et qu’importe le temps, les années, cet homme enfin devient.

Georges

Notes de discussion, (tentative malhabile et provisoire d’éclairage et rapprochement entre différentes séquences  du film) .

Marco Bellochio a réalisé une œuvre très personnelle et non seulement la scénarisation/réalisation d’un best-seller. Son frère jumeau s’est suicidé à 28 ans, il a eu à faire un deuil et à se demander ce qu’il aurait pu faire pour éviter ce drame. (correspond à la pédiode de longs et de courts métrages militants qui se conclut avec Buongiorno, Notte, un film sur Aldo Moro dédié à son frère (un homme modéré comme A.M dit-il)

On pourrait lui reprocher quelques scènes trop appuyées, mais, Marco Bellochio à a dire, et pour ma part, j’ai tendance à voir dans ce film une recherche, avec ce qu’elle peut avoir de pédagogique dans sa manière d’énoncer le message et facétieuse dans sa manière de dénoncer certains traits mensongers de la famille, des prêtres, et du journalisme chemin faisant.

Comment Massimo voit-il sa mère aux différents moments de sa vie ?

Une représentation sans aucun doute positive. C’est aussi une représentation un peu ambivalente, nous verrons en quoi. Quel est le sort de cette ambivalence ?

Représentation de la mère par l’enfant Massimo :

« La mère qui regarde son enfant en souriant puis cesse brusquement de sourire et s’assombrit ».

Le petit garçon est grave comme s’il avait la préscience des choses ou comme si il y avait une menace. Son amour est teinté d’inquiétude.

Lors du drame, l’enfant met en place et interpose immédiatement Belphégor dans son imaginaire. Que représente Belphégor ? Une figure ambivalente. Il fait peur et il rassérène. Il est lié au bonheur de regarder ce feuilleton avec la mère et en même temps, il contient la prescience d’une chute mortelle. C’est une manifestation de la pensée magique : « La pensée magique est une expression définissant une forme de pensée qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle ».(wikipédia)

L’image de CHUTE, est matérialisée par un passage à l’acte de l’enfant, qui jette par la fenêtre, du 5ème étage un Napoléon de bronze de la collection de son père afin de vérifier le principe de pesanteur. Quelle est la valeur symbolique de ce passage à l’acte ? Elle est double :

Elle signifie que l’enfant sait (quelque part dans son inconscient) ce qui s’est passé. (le suicide de sa mère, chute du 5ème étage).

Napoléon représente la puissance, la force, attributs du père qui possède ces objets. L’enfant fait un lien entre son père et cette mort.

Au non dit familial répond le déni de l’enfant, puis de l’adulte qui se trouve placé devant une sorte d’interdit.

 Cette image de chute se retrouve et persiste aussi chez Massimo Adulte : l’histoire de l’équipe de foot (Le vol spécial Avio-Linee Italiane était un vol spécial ayant eu lieu le vendredi 4 mai 1949, dont l’appareil, un Fiat G.212 transportant l’équipe de football du Torino Football Club, … L’equipe de Torino 1948-49.) 31 morts, la meilleure équipe d’europe revenait d’un match amical contre Benfica au Portugal. (Wikipédia)

Cet événement de l’équipe de Torino inspire 3 considérations :

  • Elle rattache Massimo à son père qui l’a initié au foot et a fait de lui, sans le vouloir, un journaliste sportif. (rappelons nous la scène de l’enfant speaker)
  • Elle parle aussi inconsciemment de la chute de sa mère et permet l’expression d’une nostalgie (permanente chez Massimo)
  • On pourrait presque en déduire que Massimo la reproche (projectivement) à son père qui est le plus fort, (Napoléon) de n’avoir rien fait pour sauver sa mère, de ne pas l’avoir assez aimée. Mais ce qu’il reproche à son père, il se le reproche à lui même.

 Le deuil et le secret chez l’enfant, l’adolescent et l’homme :

L’enfant : On a vu que l’enfant tente de se prémunir contre l’angoisse de la mort à l’aide de Belphégor, cette figure ambivalente.

Il y existe aussi, conjointement, la formation de son opinion sur le monde. La famille et les prêtres ne disent pas tout. Ils mentent ne serait-ce que par omission ou pire encore.-Bref une défiance du monde des adultes- On retrouve là en résumé, pour une bonne part, les thématiques de M.Bellochio.

Et la formation de son caractère un peu rêveur. Ca ne va pas de soi, il est d’abord rebelle, il sera rêveur. Il joue à être speaker, il imagine Belphégor.

Le deuil procure un sentiment d’abandon, de solitude, de honte

L’adolescent déni la mort de sa mère. Il s’invente une mère à NYC qu’il verra à Noël. Il se lie moyennement avec les autres. Il s’amuse de cette mère possessive (Emmanuelle Devos). Une mère un peu hystérique et possessive.

L’adulte :« L’adulte n’aura pas confiance ni en lui même ni en les autres. Il est un peu immature et anxieux ». disent les psychologues. Il met en veilleuse cette question de la mort de sa mère. Il est devenu un bon journaliste sportif et aussi un grand reporter à la Stampa.

Cette question de la mort de sa mère revient obsessionnellement, d’une manière métaphorique.

1) Avec son article sur la chute de l’équipe de Turin.

2) Lorsqu’il est grand reporter à Sarajevo, il est complice ou témoin d’une mise en scène  cynique (l’enfant à la Game Boy)

Il y a curieusement chez cet enfant à la Game Boy un rappel de la mort de sa mère. L’enfant n’a pas de Belphégor, il a à sa disposition la game boy. Cette game boy n’est pas un jouet de l’enfant mais un jouet fabriqué par des adultes pour les enfants. Un jouet offert par ses parents. Ce jouet fonctionne comme  une sorte d’objet transitionnel (penser à transitif) qui le rattache à ce qu’il a aimé, (une présence rassurante) et l’empêche de voir la mort dans toute son horreur et de continuer dans cette bulle. ( Il y a certainement une identité game boy/belphégor). Ce que voit l’adulte de cet enfant le renvoi à lui même et à son propre déni.

On note aussi que l’adulte qu’il est devenu n’a pas d’attache. Ni avec les hommes, ni avec ses maitresses. Ce qui colle bien avec son traumatisme.

 Résolution de la Crise :

Elle se présente sous la forme de deux rendez-vous (providentiels ?) :

Son père va refaire sa vie, il lui abandonne tout. Une maison et son fatras. Un fatras détesté, un fatras du père. Massimo se propose de faire le tri et de se débarrasser de tout cela. Une brèche dans le déni : Si je trouvais trace de ma mère ? Le déni est une notion utilisée en psychanalyse, pour désigner le fait de refuser, de façon inconsciente, une partie ou l’ensemble d’une réalité, qui est perçue comme traumatisante. Le déni peut porter sur : Un sentiment. Une émotion. (in Santé médecine).

2 exemples de la Manifestation du phénomène : Mère à NYC, et le journaliste qu’il est  ne cherche pas dans les journaux.

Peut-il apprendre quelque chose sur sa mère, le mystère de la disparition de ma mère ? 

Il en résulte de la proximité de la demande de vérité qui s’opère en lui provoque une crise d’angoisse, une violente crise d’angoisse. L’angoisse, vient du mot angst qui veut dire striction et qui se caractérise par l’impression d’une mort imminente. A ne pas confondre avec l’anxiété qui est une expression à caractère essentiellement psychique de crainte ou de peur sans objet.

Cette crise sera l’amorce d’une démarche résolutive :

Cette manifestation débouche sur une rencontre d’abord téléphonique avec le Docteur. (Eliza, B.Bejot). Une ouverture salvatrice à l’autre.

Et en effet, on le voit se rendre à sa consultation et lui dire quelque chose comme : j’ai confiance en vous. Cette confiance si peu accordée jusqu’alors.

La défection d’un journaliste va l’amener à tenir un courrier des lecteurs. (par une manipulation). Il s’agit de répondre à un lecteur qui déteste sa mère. (Cette lettre fait aussi écho à la scène de l’adolescent avec Emmanuelle Devos.) Il produira en réponse un hymne aux mères. Ce sera sa consécration.

Mais si l’on regarde extérieurement cette séquence, on peut constater que la lettre dénigrante, et la lettre élogieuse (laudative ?) résument en un même temps la pensée de Massimo. L’ambivalence de Massimo se résout dans ce travail d’écriture. Pourquoi m’as-tu laissé tomber ? Pourquoi t’es-tu laissé tomber ? Tu ne m’aimais donc pas ? Tu feignais de m’aimer?

De ce débat avec lui même par correspondance interposé, Massimo va tirer des conclusions vitales.

Il en résulte la capacité nouvelle de Massimo à fouiller dans son passé, de convoquer à deux heures du matin sa tante pour lui faire dire ce qu’il savait déjà en son for intérieur, mais qui lui était interdit. Sa tante, le lui dire ? non ! Elle ne le peut pas, c’est un non dit familial. Elle lui donne à lire dans un journal d’alors, caché dans un livre de la bibliothèque. Le journaliste était aveugle à la presse, il n’avait jamais cherché à lire les coupures de l’époque. Maintenant Massimo sait, ce qu’il savait quelque part dans son inconscient, et c’est une connaissance douloureuse.

Massimo était un peu comme l’hermine de la fable de Lafontaine, incapable d’aller ni de droite, ni de gauche de peur de salir son blanc pelage. Mais selon Pierre Dac, « tout mène à tout à condition d’en sortir »

Massimo est invité par Eliza, et elle va le faire danser, au début, il sera gauche (je ne sais pas danser) ensuite, il va se défouler, avec jubilation. Comme dans une symphonie, cette scène est une réexposition de la première scène sur fond  « Surfin Bird ». (l’oiseau est un mot, dit la chanson).

Plus tard, il verra sauter Eliza d’un plongeoir. Cette scène peut sembler appuyée et M.Bellocchio ne peut l’ignorer, peut-être veut nous dire qu’aimer et être aimé ne fait pas mourir.

Enfin on soulignera le rôle d’Eliza (qui est à la fois aimée pour elle même et tout autant pour ses ressemblances réelles ou fantasmées à sa mère.) Elle offre à Massimo un ancrage solide dans sa vie affective  déserte. Ancrage qui va lui permettre de s’affranchir de l’interdit, du non dit familial et de son propre déni.

 

 

 

« Manchester by the sea » de Kenneth Lonergan

Prix du meilleur acteur dans un drame au Golden Globes 2017 pour Casey Affleckdu 2 au 7 février 2017Soirée-débat mardi 7 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle
Film américain (vo, décembre 2016, 2h18) de Kenneth Lonergan avec Casey Affleck, Michelle Williams et Kyle Chandler

Synopsis : Manchester by the Sea nous raconte l’histoire des Chandler, une famille de la classe ouvrière, du Massachusetts. Après le décès soudain de son frère Joe (Kyle Chandler), Lee (Casey Affleck) est désigné comme le tuteur de son neveu Patrick (Lucas Hedges). Il se retrouve confronté à un passé tragique qui l’a séparé de sa femme Randi (Michelle Williams) et de la communauté où il est né et a grandi
J’ai bien pleuré, bouleversée par toute cette histoire racontée par touches, par flash-back. Tous les éléments s’ajoutent au fur et à mesure, se placent, s’ordonnent, se stabilisent. Et devant nous s’étale l’irréparable, immensément.
Tout le récit est d’une grande pudeur. Sans violon. Sans trop de violons.
A priori les personnages sont sans histoire. Lee est un jeune père de famille comblé, très amoureux de Randi, la mère de ses 3 enfants. Il vit « by the sea » et la pêche a une grande importance dans sa vie. Les sorties en mer avec son frère Joe sur le bateau, qui porte le prénom de leur mère Claudia Marie, sont des moments de pur bonheur. Son jeune neveu Patrick, Patty, est souvent de la partie et parle avec cet uncle Lee qu’il adore et vice versa. Sur le bateau, Joe et Patty sont déconnectés de leur gros problème : Elise, leur épouse et mère est « grave » alcoolique. La scène du retour de pêche est sordide mais la caméra est face aux père et fils qui entrent. Le réalisme du tableau, d’une grande brutalité pour Joe et encore plus pour Patty , nous est épargné, à nous. C’est pire. On voudrait que l’enfant soit épargné.
Mais l’irréparable n’est pas là, non, il est dans la tragédie que va provoquer involontairement Lee par son comportement pourtant « normal ». La suite d’une « fête » entre potes, bien arrosée, bien enfumée, comme d’habitude sauf que là … Il en sera anéanti, mutique à jamais, envahi par la tragédie, incapable de penser à autre chose, mort. Coupable mais déclaré innocent, il cherchera à se faire « démolir » pour payer encore et encore pour cette faute, faisant tout  pour, si possible, rester par terre, ne jamais se relever. Pour que son  corps aussi cesse de vivre.
On ne peut pas s’en relever. Il ne cherchera pas à s’en relever, ne se laissera pas distraire de sa peine, n’acceptera aucune main tendue. Quand, paradoxalement, la disparition de son frère lui ouvrira une porte sur la vie, il refusera cette renaissance et retournera à son purgatoire qu’il aménagera toutefois et entrouvrira pour Patty, au seul Patty.
Randi, elle, ne s’en remettra jamais non plus mais elle aura un enfant.

C’est un film sur l’irréparable, l’irrémédiable, l’irréversible, l’accablement, le sentiment de culpabilité . Et sur les dommages collatéraux provoqués par l’alcool((isme).

Et aussi sur la famille, l’amour fraternel, sur l’amour .
Lee et Randi s’aimaient, s’aiment et s’aimeront toujours.

Un beau mélo

(souligné d’Albinoni, de cet adagio beaucoup, beaucoup entendu ici dans les années 70 … qui enfonce inutilement le clou. Un peu dérangeant)

Marie-Noël

 

 

« Baccalauréat » de Cristian Mungiu (3)

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2016

Présenté par Georges Joniaux
Film roumain (décembre 2016, 2h08) de Cristian Mungiu avec Adrian Titieni, Maria Drăguș et Lia Bugnar

Jusque là, il a tenu bon, Roméo. Il est resté fidèle aux règles morales qu’ils s’étaient fixées lui et son épouse Magda quand ils sont revenus en Roumanie après Ceausescu, avec, alors, la volonté, la certitude de reconstruire, de faire coller la réalité avec ce qu’ils avaient espéré. Mais le terrain était resté miné et il fallait juste apprendre les nouveaux codes . Faire avec . Fonctionner quand même tout en restant intègres par fidélité à une éthique devenue dérisoire, décidés à ne pas marcher dans les combines.
Roméo est médecin, il travaille dans un hôpital. Il est intéressé par ce qu’il fait, rencontre les patients, fait aussi des rencontres. Il a équilibré sa vie, tant bien que mal.
Magda, elle, est bibliothécaire. Il y a bibliothécaire et bibliothécaire. Pour elle c’est la version isolée avec des vieux livres dans le sens livres usagés, tous plus moches les uns que les autres, rangés sur des étagères minables dans un local minable, en sous-sol, avec éclairage artificiel, sans ouverture sur l’extérieur. Sans combines alors sans espoir de trouver mieux. De quoi devenir neurasthénique et c’est bien ce que Magda semble être devenue au fil des jours et des années.
Son Roméo va voir ailleurs. Pas sûr que ça lui fasse du mal. Ses rêves se sont envolés.
Leur amour s’est délité.
Reste leur fille, Eliza.
Eliza qui a sur le dos toutes les frustrations de ses parents, prise en sandwich entre leurs deux adorations. Elle doit et va réussir tout ce qu’ils ont raté. A commencer par partir de ce pays pourri. Elle est depuis l’enfance « condamnée » par eux, à vivre, après le baccalauréat, ailleurs et sans eux. Elle est comme téléguidée. Quand il y a LE bug, elle déraille et son père mettra alors tout en oeuvre pour la remettre sur les rails. Il fera fi de tous ses principes, prêt à tout, prêt à rentrer dans toutes les combines (sauf les enveloppes), rendre des « services » . On le comprend 5/5.
Eliza devra savoir et rentrer dans la combine pour qu’elle fonctionne. Son regard sur son père changera alors définitivement et un grand doute l’envahira : « Il y en a eu d’autres des combines comme ça ? Mes résultats brillants c’était mes résultats ou le résultat des combines de mon père ? Je suis qui, en fait ? » De quoi flipper à vie …
Mais Eliza est grande, elle a déjà vécu des situations violentes, perturbantes . Et elle est roumaine.
Lors de la dernière scène, elle raconte à son père qu’elle a pleuré à dessein, pour que l’examinateur lui laisse plus de temps, à cause de son bras cassé . Et elle lui dit  » je me suis bien débrouillée, hein ? » pour lui signifier qu’elle a compris comment ça marche.
Eliza croit qu’elle a tiré les ficelles.

Très beau film qui ne laisse pas entrevoir de changement à court terme en Roumanie …

Baccalauréat Cristian Mungiu (2)

 

C’était vraiment un employé modèle, Monsieur William » R.Caussimon

On pourrait dire comme Cristian Mungiu, que Baccalauréat est une histoire du point de vue de Roméo. Pourtant, si presque tout ce que nous voyons dans ce film part ou arrive à lui, cette histoire n’est pas son point de vue. C’est celle qui lui arrive à son corps défendant.

Car c’est aussi l’histoire d’une rencontre : un événement (l’agression d’Eliza), une situation personnelle de Roméo, sa psychologie et sa morale, son environnement social, sa famille, son statut, ses connaissances et enfin la société roumaine qui surdétermine l’ensemble…

Quelques mots sur Roméo et les siens :

De Roméo nous savons beaucoup, sa constellation,  femme, fille, maitresse,  mère bien aimée, profession. Peut-être faudrait-il considérer quelques traits de sa psychologie, car Cristian Mungiu nous en montre beaucoup. Il est médecin fonctionnaire,  bon médecin, probe, ce qui l’amène à vivre modestement. Il a l’esprit fin, il parle peu mais juste, mais il a un petit côté ours et son physique le sert bien. Il aime la musique baroque, Haendel et Purcell qu’il écoute en boucle dans sa voiture, son travail, sa fille chérie, sa femme, sa maitresse, tout cela est bien cloisonné. Dernier trait, il ne lâche jamais prise dans la poursuite de ses buts. Ici son but va être déterminé par la culpabilité, sa fille s’est fait agresser parce qu’il ne l’a pas accompagnée jusqu’à la porte du lycée. Et il ne l’a pas accompagnée parce qu’il allait voir Sandra sa maîtresse. Avec cette transgression et cette « erreur », le sentiment de culpabilité fonctionne mieux, surtout pour lui. Bref, internet nous l’apprend toutes ces choses sont des traits névrotiques un peu obsessionnels. S’ils ne manquent pas de qualités, ils ont parfois leurs limites.

Au plan affectif, lui qui ne met pas tous ses œufs dans le même panier, (si l’on peut oser) partage avec sa femme un amour « surprotecteur » pour sa fille. Mais de quoi cette surprotection est elle faite ? Il paraît que Sigmund Freud disait plaisamment : « Parents, quoi que vous fassiez, vous le ferez mal ». Alors papa Roméo, qui fait de son mieux n’y échappe pas. En bon obsessionnel, il veut tout contrôler. Sa fille traumatisée par l’agression qu’elle a subie, risque de ne pas obtenir une bonne note à son bac, celle qui lui permettrait d’être boursière dans une bonne école en Angleterre. Alors lui le probe, se compromet avec « des gens serviables ». Les spectateurs que nous sommes n’en peuvent mais… ils sont témoins d’un système de combines qui s’articule, se met en place avec une souplesse, une rapidité qui fait la pige aux meilleures institutions sociales.

Mais je n’ai pas répondu à la question, de quoi serait faite cette surprotection ? Elle est faite d’un pacte tacite avec sa femme. Elisa doit tout ignorer de la liaison de son père. Cette cloison étanche, constitue pour Roméo comme pour Magda son épouse le point essentiel de cette protection. Magda partageait avec Roméo la probité et donc le style de vie qui va avec. Contre vents et marées, elle exerce le métier de bibliothécaire qui lui garantit une définitive condition modeste. Mais avant tout, pour ce couple un peu usé, Elisa doit bénéficier d’un sweet home (un sweet home sans carreaux cassés par des jets de pierre, de préférence). Lorsqu’Elisa découvre, par intrusion, cette liaison de son père avec Sandra, elle exige de son père qu’il en parle à sa mère.

Magda demande alors à son mari de quitter le domicile conjugal. Elle n’ignorait  pas cette liaison, mais la découverte de sa fille lui est insupportable, elle rompt le contrat. Lorsque la cloison tombe, il n’y a plus de raison de demeurer ensemble.
Et la mère dira : « Je vais partir avec ma fille, m’occuper d’elle, lui faire à manger là où elle ira ». Bien sûr qu’elle ne le ferait pas,  elle est intelligente, elle l’imagine tout haut c’est tout.  Elisa serait au plan symbolique, le lien qui ne veut pas mourir de ce couple.

Pour le couple, cette surprotection mutuelle et tacite est aussi forte pour sa cause explicite (le meilleur pour notre fille ) que pour sa cause implicite (ne pas renoncer s’aimer en tant que couple). En déclarant qu’elle veut protéger sa fille, (qui ne lui demande rien), elle dit aussi qu’elle la protègera pour deux,  comme cet amour d’autrefois, qu’ils ont eu tous les deux, l’un pour l’autre.

et un mot sur la société Roumaine un exemple parmi tant d’autres de la corruption ordinaire :

Roméo est pris dans une sorte de maelström. Dès que le fil de sa vie lui échappe, il perd les liens qui vont avec. Il perd donc sa femme, se déconsidère un peu avec sa fille,  et la tentative de trucage dont il était l’instigateur est découverte. Avec ce trucage, on découvre la mécanique de la compromission et de la corruption d’un système où tout le monde est serviable avec tout le monde. D’autant que les fonctionnaires qui représentent les institutions sont peu considérés.

On découvre alors une hiérarchie secrète et sub-mafieuse, avec ses valeurs propres et son système d’action concret. Cette manière de rendre service a quelque chose d’ancrée et d’archaïque, elle préexiste certainement au communisme. Mais elle a été particulièrement utile jusqu’en 1989 pour la débrouille ordinaire. Et après, l’ouverture des frontières, les perspectives de profit ont démultiplié le phénomène. La communauté européenne avait « exigé » un plan de lutte contre la corruption et le banditisme à tous les niveaux pour admettre la Roumanie en son sein. Mais peut`être avait-elle formulé naïvement cette demande…  à des corrompus. Le Parisien d’aujourd’hui n’écrit-il pas « des milliers de Roumains sont descendus dans la rue mardi soir pour manifester contre le gouvernement qui a décidé, par décret et après des jours de controverse, d’un allègement du code pénal pour des délits de corruption touchant la classe politique ». 

 Et pour finir :

La scène ou Roméo cherche dans la nuit, parmi les fougères, ce chien qui s’était fiché sous ses roues est symbolique. Il découvre avec sa torche le chien mort, nous ne verrons pas ce chien, mais nous voyons Roméo pleurer. Pleurer ce pauvre chien, pleurer ce pauvre Roméo. « Baccalauréat » montre comment des destins individuels sont percutés, comme des chiens paisibles au milieu d’une route, par des fonctionnements institutionnels pathologiques et des coutumes mafieuses. Et nous avons vérifié l’actualité, la permanence de la chose. Qu’imaginer pour soi  ou pour ses enfants dans un tel monde?

Roméo,  a cherché de tout son être le meilleur pour sa fille, et pour lui, il ne pouvait plus être en Roumanie. Il projetait qu’elle parte étudier en Angleterre. Avec son tempérament,  il a oublié que sa fille était un être pensant, qu’elle était intelligente, autonome, adaptée pour le monde de demain. Elle a montré à son père  qu’elle était assez grande. Mais, ne serions nous pas tous dans certaines conditions des Roméo ou des Magda ?

Henri me signale que la photo lumineuse des jeunes étudiants, souriants, avec Elisa au milieu  clos le film nous parle de leur monde de demain. Les films roumains, ne dénoncent pas pour dénoncer, ils sont aussi ça…puis générique, musique guillerette, l’ESPOIR. Souhaitons leur un avenir radieux.

PS : Nous avions précisé lors de la  discussion que la musique baroque n’était pas celle du film, mais celle de Roméo dans sa voiture. Mais il y a une exception, au moment de la rupture Magda/Roméo, on peut entendre le stabat mater de Vivaldi. Curieux!

Baccalauréat, un film sur les rapports père / fille (1)

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2016

Du 26 au 31 janvier 2017
Soirée-débat mardi 31 à 20h30

Présenté par Georges Joniaux
Film roumain (décembre 2016, 2h08) de Cristian Mungiu avec Adrian Titieni, Maria Drăguș et Lia Bugnar

Synopsis : Roméo, médecin dans une petite ville de Transylvanie, a tout mis en œuvre pour que sa fille, Eliza, soit acceptée dans une université anglaise. Il ne reste plus à la jeune fille, très bonne élève, qu’une formalité qui ne devrait pas poser de problème : obtenir son baccalauréat. Mais Eliza se fait agresser et le précieux Sésame semble brutalement hors de portée. Avec lui, c’est toute la vie de Romeo qui est remise en question quand il oublie alors tous les principes qu’il a inculqués à sa fille, entre compromis et compromissions

Film puissant et sombre sur la question des choix de vie auquel Le personnage principal est placé, pour lui et sa famille.

Roméo est médecin ( chirurgien ) dans un hôpital roumain de Transylvanie et le film le met en scène à un moment crucial de sa vie. Il aborde le tournant de la cinquantaine ( avec une belle bedaine !! ), son couple se défait depuis un certain temps et il a du mal à quitter Magda, l’épouse pour Sandra la maîtresse qui elle-même a une situation difficile, et doit élever seule son fils.
Et surtout le film montre en de multiples gros plans l’amour et la profondeur des liens qui l’unissent à sa fille Eliza.
Et c’est là le noeud du film, Eliza fille chérie doit passer son bac et ensuite trouver un avenir radieux ( pense le père ) en Angleterre, à Cambridge, où elle est admise comme boursière, mais à condition qu’elle obtienne son bac avec une moyenne élevée.
Il pense donner à sa fille cet avenir que lui et sa femme n’ont pas su réussir et la forme de son amour pour sa fille passe par ces études à l’étranger et un avenir différent et meilleur.
Le film raconte donc comment cet homme intègre, qui a oeuvré pour des valeurs humanistes, qui refuse la corruption de l’argent, est amené à la suite d’événements non choisis, à accepter des compromissions et à affronter les désirs de sa fille ( sa relation amoureuse avec Marius ) qui pour lui ne rentraient pas en compte avant l’agression.
Insatisfait de son pays, de sa femme, peut-être sa maîtresse, il a tout reporté sur cette fille unique, qu’il a  » surprotégée » selon sa propre mère.
Sur le plan cinématographique, ces sentiments sue traduisent par le refus du traditionnel champ/contre champ et le choix constant du gros plan serré sur les visages, les protagonistes sont toujours dans le même plan. Il y a beaucoup de justesse, d’observation fine, pas seulement de la Roumanie et de ses tares mais de l’être humain en général, de ses réactions ( parfois bizarres comme avec le chien dans le bois ). Et c’est cela qui nous touche, cette capacité à nous faire éprouver comment il est difficile de vivre et d’aimer y compris ceux qui nous sont les plus proches, ici un père et sa fille.

Françoise