Une grande fille-Kantemir Balagov

Film russe (vo, août 2019, 2h17) de Kantemir Balagov (Réalisateur de Tesnota, une vie à l’étroit) avec Viktoria Miroshnichenko, Vasilisa Perelygina et Timofey Glazkov
Titre original : Dylda

Synopsis : 1945. La Deuxième Guerre mondiale a ravagé Léningrad. Au sein de ces ruines, deux jeunes femmes, Iya et Masha, tentent de se reconstruire et de donner un sens à leur vie.

Présenté par Sylvie Braibant

Tout d’abord, un mot sur le débat de ce mardi soir : 

« Après la sortie en film du premier dessin animé  « Asterix le Gaulois », lors d’un « micro-trottoir », on interroge un jeune enfant : Alors tu as aimé ? 

Pas tout à fait, les personnages n’ont pas la même voix que dans le livre ! »

Au moment du débat, c’est un peu le sort que fait Sylvie a « Une grande fille » de Kantemir Balagov après avoir  relu le roman de Svetlana Aleksievitch avant le film. 

Même si comme Sylvie sans doute, il  admire l’auteur du livre,  Balagov ne voulait pas l’adapter ;  il l’indique dans le  dossier de presse qu’il s’en est  inspiré. Et quelle inspiration !

Tout, comme « Tesnota une vie à l’étroit » son premier et précédent film, il nous invite à voir une œuvre particulièrement superbe : ici, la beauté de ses cadres, la fluidité des changements de plans, son jeu symbolique avec les couleurs, les références picturales, la manière de filmer les personnages, particulièrement Lya « la girafe »…On imagine qu’avec Balagov, les Russes ont un grand cinéaste de plus.  

C’est l’histoire affreuse et douloureuse de deux femmes qui ensemble ont vécu des situations extrêmes  et probablement ont survécu l’une par l’autre à l’horreur de Leningrad. Elles se doivent tout. Elles peuvent donc tout se pardonner  et tout exiger l’une de l’autre. L’histoire humaine  est traversée par ces tandems – De ces gens qui tentent de continuer à vivre par ce moyen contraphobique. 

 Quel casting pour ce film, deux   actrices, Viktoria Miroshnichenko joue Iya autrement appelée « la girafe » et Vasilisa Perelygina joue Mascha. Iya est atteinte d’une sorte de  paralysie intermittente, de mouvement et de claquement de gosier, d’absence qui ressemble au « petit mal » épileptique. Quant à Masha, elle est devenue stérile, son ventre est mutilé. L’une et l’autre sont des traumatisées psychiques de guerre, des névroses de guerre,  disait-on.  Cet aspect essentiel permet de comprendre pourquoi on retrouve dans presque toutes les critiques du film le mot « resserrement ». Balagov est aussi un cinéaste de l’angoisse. 

A ce propos, durant le débat, un intervenant parlait d’âme russe, c’est-à-dire de la dimension culturelle spirituelle d’un peuple et dont témoigneraient par leur façon d’être au monde ces deux personnages. Si l’on veut considérer que  le servage,  la misère, la guerre, la mort en masse sont  constitutifs  de cette âme, alors oui !  Comme dans Tesnota (dont on se souvient la place de l’héroïne),  ces deux personnages expriment parfaitement l’âme russe… et donc le présent Russe actuel,  Balagov nous parle au présent.

Une séquence frappe dès le premier quart d’heure,  Iya « la girafe » chahutant avec le petit Pachka nous  a laissé horrifié,  devant nos yeux, elle l’étouffe. J’ai pensé faussement : c’est un infanticide. Je l’ai pensé car la faim, et l’horreur sans fin de l’après-guerre, celle des « Johnny Got His Gun », m’y induisaient. 

Suit  l’aveu,  l’annonce de la mort de Pachka à Masha la mère. C’est un moment d’anthologie cinématographique et le point d’orgue du film. Il dit la mesure de l’attachement de ces deux femmes. Elles sont unies par la présence d’un passé de chaque instant et leur projet inconscient. Et, presque tous les rapports de ces deux femmes liées, tournent, parfois par homme interposé,   autour de la volonté de survivre, la volonté d’enfantement à tout prix, la volonté de continuité et dépassement.

Autre séquence toute aussi frappante, la rencontre de Masha avec « la dame au lévrier », Liubov Petrovna,  la mère de Sasha, un prétendant. Elle  montre l’écart définitif entre une femme de la nomenklatura  et une prolétaire. Masha   avec  sa « belle robe » empruntée n’est pas à la hauteur des espérances de la dame pour son fils. Dans un dialogue brutal, d’où les hommes sont exclus, du silence lâche du père de Sasha et la niaiserie du fils… « la dame au lévrier » soumet  Masha à un interrogatoire en règle. Tous ses préjugés, son mépris de classe  sont contenus dans ses questions orientées qui veulent mettre en évidence que Masha fut « une fille de l’arrière donc une fille de confort, bref une pute, que l’on peut à la rigueur remercier de son dévouement ! ». Mascha  qui était serveuse de DCA, autant dire une bête humaine, à la merci de tout, conforte la Dame. L’ironie et le mépris changent de camp. Après la guerre, dans ses décombres fumants, la guerre des classes continue.

La retrouvaille finale entre Masha et Iya la  Girafe (qu’un instant elle a cru suicidée)  à la fin du film montre l’attachement définif qu’ont  ces deux femmes l’une pour l’autre.  Il  est forgé par l’expérience indicible de la guerre. Et ces femmes sont de celles par qui le présent  des Russes advient, elles sont le passé qui définit leur présent.

PS : j’ai lu beaucoup de belles critiques de ce film, j’attire votre attention sur celle du site, « le Bleu du Miroir »!

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