Trois milliards d’un coup, Peter YATES

On connaît assez peu le réalisateur britannique Peter Yates (1929-2011), car même si on a bien en tête le film Bullitt sorti en 1968 avec Steve McQueen, on a sans doute oublié que Peter Yates en fut le réalisateur et ce à la demande de l’acteur lui-même, ce dernier ayant été totalement impressionné par la façon dont Yates filme une course-poursuite dans Robbery, Trois milliards d’un coup (1967).

Robbery retrace ce qui fut à l’époque considéré comme ‘le casse du siècle’, à savoir l’attaque du train postal Glasgow-Londres le 8 août 1963, braquage durant lequel 122 sacs contenant quelques 2,6 millions de Livres Sterling furent volés. Rappelons que, si les braqueurs ont été arrêtés et condamnés, la majeure partie de l’argent volé n’a jamais été retrouvée.

Pour nous accompagner dans la découverte de ce film, Marc Olry, distributeur de Lost Films, nous a éclairés dans les points de vue qui se sont exprimés lors du débat. Soirée très sympathique, que Marc Olry soit remercié.

Revenons à ce film de braquage, thème conventionnel, qui nous plonge dans le Londres des années 60, et le brin de nostalgie dont certains n’ont pas manqué de parler, il faut dire que tout y contribue : voitures anglaises vintage, jaguar, costumes, décor, bande son, nous rappelant ainsi nos jeunes années et nos excursions estivales outre-Manche.

L’entrée en matière est millimétrée et chronométrée, en témoignent les nombreux gros plans sur des objets tels que montres, chronomètres et autres instruments de mesure du temps : le temps est le fil rouge du film, un braquage est chronométré, le moindre retard peut tout faire échouer. En parallèle à ce thème du temps, vient naturellement s’ajouter celui de la ‘vitesse d’exécution’. Ce gros coup a été pensé, organisé, chronométré et finalement accompli sans que le sang soit versé, le chef, Paul Clifton, interprété par Stanley Baker, avait eu cette réplique définitive et sans appel : ‘nous n’avons pas besoin d’armes.’  La mécanique est en marche et Peter Yates nous en montre toutes les étapes: préparation, recrutement, repérages, chacun ayant un poste bien défini.

On pourrait penser que la première scène, celle de l’enlèvement d’un homme d’affaire et surtout de la mallette remplie de billets qu’il porte menottée au poignet, est une sorte de répétition d’un coup à venir, mais qui, lui, sera d’une toute autre envergure. Ce n’est pas tout à fait cela. Mais, en ce début de film inattendu, le réalisateur nous choisit comme complices : il nous embarque à bord de la voiture des malfaiteurs, une jaguar, roulant à toute blinde dans les rues de Londres, pour échapper aux policiers qui les ont repérés, amorçant des virages à droite puis brutalement à gauche sans nous laisser le temps de respirer, nous transpirons, nous nous cramponnons à notre siège, nous avons le vertige : quel exploit ! Et quelle idée nouvelle que de mettre une telle course-poursuite en début de film et non à la fin, comme c’est souvent le cas, la course-poursuite faisant monter notre adrénaline et dans la foulée, étant le prologue du dénouement du film.

Filmer ainsi dans les années 60, me paraît audacieux de la part du réalisateur qui prend le contrepied du film traditionnel de voleurs poursuivis par la police. Tout comme le temps, mesuré à la seconde près, les plans sont très rapprochés et serrés, les cadrages des visages nous font vraiment vivre cette poursuite infernale, qui nous laisse totalement épuisés à force d’avoir contracté notre corps dans ce fauteuil de cinéma. Quelques plans larges cependant, pour montrer des officiers de police dans leur bureau, ou plus tard pendant le vol, les malfaiteurs faisant la chaîne dans la nuit sur un talus en bord de voie ferrée, se jetant les sacs bourrés de billets du train postal jusque dans les coffres de leurs véhicules : travail précis et rapide interrompu par un train qui passe dans l’autre sens. On arrête tout pendant ces quelques minutes, y compris notre souffle.

Peu de psychologie des personnages, ce n’est pas ce qui intéresse le réalisateur. Très peu des scènes intimes, deux tout au plus. Un seul des braqueurs, Robinson, incarné par Frank Finley, qui a été spécialement extrait de la prison et dont l’évasion a elle aussi été bien orchestrée, seul Robinson est un peu le ‘maillon faible’ du groupe : ayant femme et enfant il ne veut pas replonger alors qu’il n’était sans doute pas loin d’avoir purgé sa peine.

Paul Clifton (Stanley Baker), allure élégante et physique charmeur n’est pas sans nous rappeler le Sean Connery de ces mêmes années : sa première apparition à l’écran avec sa femme Kate (Joanna Pettet) montre un gentleman tiré à quatre épingles, démarche assurée, dont le visage ne trahit aucune émotion : Paul est froid, impassible, toujours précis, parole sèche et cassante. Imposant sans qu’il ait besoin de dire un mot, son autorité ne saurait être remise en cause, ce qui est confirmé à deux ou trois reprises. Lui seul parviendra à s’échapper aux Etats-Unis, et ne sera arrêté que très tard, peut-être… comme ce fut le cas dans la réalité pour deux braqueurs.

Bien sûr, un tel film ne va pas sans un policier qui traque les malfrats : George Langdon, interprété par James Booth, a quelque chose du flegme entêté d’un commissaire britannique, jouant au jeu du chat et de la souris avec les malfrats qu’il connaît trop bien. Quant à l’équipe de policiers dans le commissariat, ils sont l’archétype du ‘bobby’ que nous avons vu dans des séries ou films des mêmes années, humour anglais garanti !

Voilà donc un film très moderne dans sa conception, très rythmé, sans temps mort. Des plans qui créent le suspense, de nombreux plans rapprochés qui nous mettent au cœur de l’action et des acteurs que nous connaissons peu de ce côté de la Manche mais qui n’en sont pas moins excellents, il suffit, par exemple, de regarder la filmographie de Stanley Baker pour s’en convaincre ; ou de se dire que le blond nommé Frank, interprété par Barry Foster, nous rappelle quelqu’un : Barry Foster sera cinq ans plus tard l’étrangleur à la cravate dans Frenzy d’Alfred Hitchcock.

Le film de Peter Yates a inspiré, à n’en pas douter, Gérard Oury et son Cerveau, il est cité dans Le Pacha de George Lautner et a également inspiré illustrateurs et romanciers. Un film qui mérite d’être redécouvert.       

Chantal

Une réflexion sur « Trois milliards d’un coup, Peter YATES »

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