« The Square » de Ruben Östlund

Palme d’or au Festival de Cannes 2017Du 30 novembre au 5 décembre 2017Soirée débat mardi 5 à 20h30

Film suédois (vo, octobre 2017, 2h22) de Ruben Östlund avec Claes Bang, Elisabeth Moss et Dominic West

Distributeur : Bac Films

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.

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J’ai attrapé The Square sans me demander par quel angle, de quel côté franchir la ligne.  Le film m’a saisie et j’ai plongé dedans.
Le film commence par la mise en place de la nouvelle exposition qui chasse la précédente, figurative, déjà has been, les cordes lâchent et font s’exploser l’oeuvre au sol, à l’endroit précis où sera exposé en suivant The Square et dans lequel, pour créer le buzz, des publicitaires fallacieux imagineront une scène virtuelle d’une indescriptible cruauté. L’Art contemporain est précaire et remplaçable à tout instant par du plus insolite, du plus actuel, du plus étonnant. Que restera-t-il de ces expositions ? Quelles œuvres seront gardées ? Lesquelles seront jetées ? Ce n’est pas seulement une histoire de marketing. Le temps et l’énergie consacrés à l’œuvre d’art avant qu’elle ne soit consacrée par la critique et passe à la postérité sont-ils essentiels ? J’avoue m’être déjà posé cette question devant certaines « oeuvres » qui semblent pour le moins sommaires. Les tas de gravier au Royal Museum suédois fait cet effet. On se pose la question si on serait capable de disposer dans le même espace des tas exactement pareils à intervalles très précisément identiques .  Bien sûr que oui ! Seulement c’en est l’idée qui ne viendrait pas. Sinon pour disposer l’oeuvre, il y a des bras « vulgaires »  et gare à ceux s’ils ne la respectent pas ou l’abîment ! Ruben Östlund se moque des excès de zèle et la prosternation devant ce qui est parfois de simples tas ce cailloux, montrant Christian, directeur du musée et son assistante se transformer, en douce, en« petit personnel » pour réparer la « catastrophe » engendrée par le vrai « petit personnel » pour qui le slalom pour nettoyer entre ces tas est chaque jour une épreuve à gagner avant l’arrivée en poste de la gardienne de salle et son regard acéré ! Tout ça est totalement absurde. Comme sont absurdes et ridicules les discours et postures de « décideurs » en place !

Mais l’Art moderne contemporain ce n’est pas ça, on le sait bien pour avoir déjà été ému aux larmes devant un tableau, une sculpture, une photo … d’un artiste contemporain.

Le film pose la question de la vulgarisation de l’Art au sens de « mise à la portée du plus grand nombre ». Les musées montrent des œuvres modernes mais les œuvres d’Art contemporain leur sont de moins en moins  accessibles, passant souvent de la galerie branchée à la collection privée. L’argent achète la beauté. C’est aussi ça que dénonce Ruben Östlund.

Le film brosse un tableau grand format des fossés creusés entre les hommes, figures inversées des tas de graviers, et tout aussi intouchables, immuables. Jusqu’à ce qu’une grande balayeuse passe.
La catastrophe est naturellement prévisible et annoncée.

Le film est un jeu de pistes qu’on pourrait toutes, tour à tour, explorer, dont on pourrait décrire et commenter toutes les étapes devenues autant de tableaux contemporains.
Je me suis posé la question : « Combien, jusqu’où l’Art contemporain doit-il puiser dans le classique, pour me plaire ? Et où sont les barrières de ma confiance ?  »

Magnifiquement orchestré, mise en image, mise en scène époustouflantes, sur fond de musique classique « vulgarisée », dans une très belle version contemporaine.

Je trouve que ce film est en lui-même une oeuvre d’art. Celle là on la tient, on la garde et on lui décerne, évidemment, une Palme d’or.

Marie-Noël

Une réflexion sur « « The Square » de Ruben Östlund »

  1. Digression :
    Merci pour ton article, je m’arrête un instant sur tes interrogations sur l’Art Contemporain que je partage. Pour l’heure, je trouve que l’art est de tous les temps mais dans le cas présent, j’ai l’impression que cette dénomination repose parfois sur des pratiques qui n’ont rien de contemporaines par exemple, la captation des idées et du travail des autres au profit d’une personne unique (l’Artiste) et quelquefois un peu d’imposture dans tout cela…et dans la traînée, un certain parasitage du travail artistique.

    Qui se souvient de Louis Lachenal, cet alpiniste second de cordée avec Maurice Herzog aurait conquis l’Anapurna ? Qui se souvient de Maurice Koechlin, un ingénieur franco-suisse, concepteur de la structure de la tour Eiffel. Pas de Tour Eiffel sans Koechlin.

    A ce propos, sur l’art contemporain, je lisais ceci dans la vie des idées, un long article sur la formation des prix dans l’art contemporain, « par Alvaro Santana Acuña , le 19 octobre 2016 traduit par Nathalie Ferron » dont voici quelques extraits.
    « Les artistes en particulier ont sans doute tendance à laisser entendre qu’ils fabriquent l’oeuvre du début à la fin, passe opportunément sous silence le fait que l’apport de ses assistants Lorsqu’il se révèle impossible de faire croire à la création solitaire de l’auteur, les artistes déclarent avoir la maîtrise totale de l’aspect artistique. Jeff Koons prétend inhiber la subjectivité artistique de ses assistants (quipour la plupart sont eux-mêmes artistes), lesquels ne sont pas censés penser par eux-mêmes en tant qu’artistes, mais doivent se contenter d’exécuter ses ordres. Loin de l’image du génie solitaire suant sang et eau pour créer une oeuvre d’art de grand prix, les Koons et autres Ai Wei Wei du monde de l’art s’apparentent davantage à des entrepreneurs dirigeant des vastes équipes (cf. Menger, 2006) ».

    Tout ceci est probablement aussi vieux que l’art lui-même. Les artistes sont parfois des entrepreneurs comme les autres, mais il y a une certaine acuité de cette question. J’ajoute que j’ai l’impression, mais c’est une hypothèse, que certaines œuvres, sont davantage chevaux de Troie financiers que Toutous Bleus. L’article cité parle aussi du poids du mécanisme de la vente aux enchères dans la formation du prix. D’ailleurs « The Square », montre en passant toute la difficulté financière des musées publics pour acquérir des œuvres contemporaines. Du coup, rien d’étonnant à ces armadas de communicants, à tout ce verbiage médiatique insignifiant, ce théâtralisme, cette bêtise parfois déployés pour obtenir et promouvoir des œuvres authentiques et assimilées. Georges

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