Présenté par Laurence
À Roubaix, « un soir de Noël, Daoud le chef de la police locale et Louis, fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes »…Nous dit le synopsis. Ce film tiré d’une histoire vraie interprété pour les deux femmes par Léa Seydoux (Claude) et Sara Forestier (Marie) et pour la police, Roschdy Zem (le commissaire Daoud).
Arnaud Despleschin réalise encore son meilleur film, (c’est ce que je pense à chaque fois). Il réussit à raconter simultanément trois choses à la fois, l’histoire d’une ville, l’histoire d’une population pour l’essentielle immigrée, l’histoire d’une enquête sur un meurtre sordide et de ses protagonistes. Tout cela interprété avec une classe exceptionnelle par les quatre principaux acteurs.
On est surpris par le décor du film, Roubaix est à elle seule un personnage, et la lumière de Roubaix n’est décidément plus qu’une petite lumière venue de loin. Roubaix est riche de sa richesse passée de ville industrielle et laborieuse, elle a encore son décor bourgeois et ses bâtisses cossues du temps des manufactures et celles de plus en plus délabrées des courées et des petites maisons où vivaient les ouvriers pauvres souvent immigrés. Là vivent encore des pauvres, parmi eux, nombre de vieux immigrés et marginaux, cette fois sans travail, sans avenir. Le taux de chômage y avoisine les 31%. Et 43% des habitants de Roubaix vivent sous le seuil de pauvreté. Roubaix est un décor pour nous qui le voyons et une blessure pour nombre de ceux qui y vivent.
Depleschin sait que l’histoire de cette population se confond pour l’essentiel à la population immigrée, le plus généralement du Maghreb. Et l’histoire des Maghrébins de Roubaix nous est montrée sous différentes formes, comme un film dans le film.
D’abord le Commissaire Daoud, enfant de Roubaix et fils d’immigrés symbolise le prix de l’intégration (être et ne pas être en même temps). Mystérieux et solitaire, il a quelque chose de marginal à incarner l’institution policière dans une ville de France. Etre le représentant de la paix et être celui qui a réussi et se retrouve à distance obligée avec sa communauté. Sauf parfois, pour se souvenir avec un oncle des humiliations passées. Il se souvient d’une boîte de nuit interdite aux Arabes et aux chiens, qui reprend le « Betreten für Hunden und Juden verboten » des nazis. Il consacre son temps a rendre visite à un neveu en prison, qu’il a peut être fait arrêter et qui ne veut surtout pas le voir. Mais il est son cousin si proche et si loin.
La texture* du commissaire Daoud est de celle des grands flics et détectives des romans policiers, tels parmi mes préférés, Nestor Burma, Maigret, Néro Wolf. Il a un côté fatigué insomniaque, une sagacité remarquable, de bonnes capacités hypothético-déductives…Par exemple, la recherche des coupables de l’incendie et la découverte de l’enchainement logique qui l’oriente vers une autre affaire, un meurtre – Celui sordide et presque gratuit d’une pauvre vieille- Il mène à Claude et Marie- Elles sont tout ce qu’indique le synopsis, mais sont aussi le produit de la misère de Roubaix et de son aura. Une misère intergénérationnelle, un héritage, suivi de leur rencontre à toutes deux « c’est parce que c’était elle, c’est parce que c’était moi ». Le commissaire Daoud reconstitue le mécanisme intime du lien entre ces deux êtres, par deux quasi-monologues intuitifs et pénétrants. Le film prend fin ou commence la justice, tellement juste et injuste à la fois, comme le sont les justices de classes.
PS : Texture à Roubaix (inévitable)