Les Pires – Lise Akoka et Romane Gueret

Les Pires, c’est ainsi que sont désignés les gamins du Quartier Picasso à Berck sur Mer, choisis pour tourner là une fiction à partir d’un casting sauvage. Pour les habitants, les Pires seraient les enfants des autres… des graines de crapules faits acteurs le temps d’un projet de film, et qui pourraient montrer une mauvaise image des Gens du Nord, mais j’en dis trop car nous sommes déjà dans la fiction. Le scénario est une mise en abîme, un film construit autour du tournage d’une chronique de jeunesses en cité… presque-documentaire qui se présente finalement comme une fiction au scénario très écrit, depuis la scène inaugurale du casting jusqu’au grand plateau de la scène finale, à l’envol de quatre mille pigeons en présence de tous les habitants de Picasso.
Les références du genre sont multiples et on pense à Truffaut, à La Nuit Américaine (tournage d’un tournage), et aux 400 coups où un Antoine Doinel aurait pris le prénom plus au goût du jour de Ryan (Timéo Mahaut, remarquable). L’alchimie savamment entretenue entre documentaire et œuvre de fiction, fait apparaitre des personnages dont les portraits ont été tracés tout en finesse (langages, attitudes corporelles…). La caméra filme en plan serrés, jamais voyeuriste. Les rôles sont incarnés, “incorporés” serait peu dire, et totalement engagés (prodigieuse Mallory Wanecque dont il faudra suivre la carrière). Pour ma part outre Truffaut déjà cité, j’ai retrouvé quelque chose de Jean Schmidt (Comme les Anges déchus de la planète Saint-Michel—1979) dans une forme ethnographique qui vise à montrer des mondes souvent proches et que nous ne connaissons pas. L’adolescence enjouée des Pires peut également rappeler les jeunes issus de Memphis (TN) ville sinistrée du Sud (Soul Kids de Hugo Sobelman—2021), prêts à tout pour réussir leur formation musicale.
Les deux jeunes co-réalisatrices dont l’une a fait des études de psychologie, présentent une humanité loin des caricatures outrancières des Cht’is de Bruno Dumont (Le P’tit Quinquin)… C’est un film lumineux d’une jeunesse pleine de tonus. Plonger leur caméra de cette manière dans les décors peu reluisants des quartiers déshérités s’inscrit comme geste politique ; ce film est beau car c’est aussi un parti pris esthétique de « balancer » des gueules d’ange (casting mixte composé de vrais acteurs et d’ados non-professionnels in situ) parmi les quartiers laissés à l’abandon du Nord.
C’est l’invitation à (re)penser notre époque avec le regard d’une prometteuse nouvelle génération de cinéastes. L’image finale d’un envol de pigeons voyageurs au grand soleil, évoque l’aspiration bien légitime de Lily, et de bien d’autres au même âge, de quitter l’enfance et poursuivre son projet de devenir une actrice professionnelle. C’est en bonne voie…
Pierre

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