Le Barrage-Ali Cherri

Un film original où deux films semblent se superposer : un essai documentaire sur le temps présent et un conte remontant aux origines millénaires d’un lieu et des habitants d’une rive de la vallée du Nil dans le nord Soudan.

Ce film a été réalisé par Ali Cherri, né à Beyrouth en 1976 mais installé à Paris, qui est aussi plasticien mêlant films, vidéos, sculptures et Installations. Le « barrage » s’inscrit dans une trilogie où chacun des films est autonome ; tout d’abord deux courts-métrages « the disquiet » tourné au Liban autour de la question de la catastrophe et des tremblements de terre et « the digger » tourné sur un site archéologique aux Emirats Arabes Unis et enfin « le barrage » tourné en 2019 lors de la chute d’Omar El Bechir à proximité du barrage de Merowe dans le nord du Soudan.

Ce barrage qui se situe en amont de la 4ème cataracte du Nil, à 350 km au nord de Khartoum et à moins de 50 km du Gebel Markal, a été construit par les Chinois de 2003 à 2009. Dans le film, ce barrage représente la brutalité des autorités du régime d’Omar El Béchir (de 1989 à 2019) qui a entraîné le déplacement de toute la population qui vivait à proximité, principalement des Manasir, peuple nomade d’éleveurs.

Ce site par lequel commence le film concentre différents rapports au monde, à l’échelle contemporaine avec le barrage et le changement de régime mais aussi dans une histoire très longue depuis les pharaons et le culte d’Amont.

Les briquetiers que nous voyons dans le film utilisent les mêmes techniques qu’à l’époque pharaonique, ils fabriquent des briques de la même manière que celles avec lesquelles sont construites les pyramides. Mais cette région du Soudan est aussi celle où on pratique une forme de soufisme, appelée afro-soufisme, un mélange de rituels musulmans et animistes qui a été violemment réprimé par le pouvoir islamiste d’El-Bechir. Le soufisme, et encore plus cette variante, considère que tout ce qui existe est l’oeuvre de Dieu, et est donc sacré : la montagne, les humains, l’eau, les arbres, les animaux…

En se focalisant sur Maher, le film bascule peu à peu dans une dimension onirique et se referme sur cette figure de golem que Maher construit entre rêves nocturnes et déambulations somnambules dans le Gebel Markal. Ce golem prend vie et finit par concentrer toutes les puissances de résistance et de révolte. Quant à la blessure de Maher, elle symbolise dans ce film un passage de l’intérieur vers l’extérieur, de circulation entre le corps et le monde.

Les acteurs sont tous des personnes qui vivent et travaillent là y compris le patron, qui joue son propre rôle. Parmi les ouvriers, beaucoup sont des Manasir, qui ont été chassés de leurs terres par la construction du barrage mais sont restés à proximité et n’ont pas d’autres moyens de vivre que de travailler à la briqueterie ou de se transformer en chercheurs d’or, ce que tentent nombre d’entre eux. Mais pas Maher qui, à la différence des autres personnages, aime son travail. Tandis qu’il y a beaucoup de rotation parmi les briquetiers, lui reste et forme les nouveaux arrivants. Il a un rapport très intense à ces lieux et à ces pratiques. Il s’est énormément investi dans le film. Le réalisateur et Maher EL Khais sont devenus très liés et échangent fréquemment. Ali Cherri se dit ravi qu’il ait été récompensé au Festival du Caire du prix du meilleur acteur décerné par Naomi Kawase, réalisatrice japonaise de True mothers en 2020 que nous venons de voir au dernier week-end de cinéma japonais le mois dernier.

Que dire de plus du « barrage », ce film original qui se distingue à la fois par sa photographie, sa musique et son absence de dialogues superflus… qu’il m’a séduit !

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