De tous les films des cramés de la bobine « la pièce rapportée » cette tranche de vie de la riche famille des Château-Têtard, est un film d’un genre assez inhabituel, il est burlesque, drôle, ce qui est une rareté dans la distribution d’aujourd’hui.
Le film s’ouvre sur une considération absurde digne de Monty Python « Par souci d’équité, le générique comporte autant de voyelles que de consonnes ». Bon début pour un film qui parle d’inégalité !
Comment en parler sans en faire un film politique dénonciateur, véhément, acrimonieux tel un essai des Pinçon-Charlot ? On les remplace un instant par les richissimes Château-Tétard. « La pièce rapportée » est leur histoire, elle est rythmée de canulards, gags en tous genres, principalement visuels. Ils sont parfois fins, le plus souvent gros. Curieusement les plus gros donnent au film sa légèreté et sa puissance critique. S’y arrêter pour les commenter, c’est leur faire perdre leur drôlerie. Mais après tout, ce blog parle aux « Cramés de la Bobine » qui ont vu le film, alors je me propose d’en commenter quatre, tant pis pour vous qui lisez ces lignes !
Ça commence par un flash-back, une scène de chasse, elle est figurée avec l’apparat un peu ridicule des chasses seigneuriales : chasseurs, meute de chiens, rabatteurs, cor de chasse, chevaux… Les tireurs tous excités ouvrent le feu de concert, rageusement. Lorsque cesse le feu, gisent au sol de pauvres rabatteurs en gilet jaune. Quant à Adélaïde, la Reine Mère (Josiane Balasko) blessée au dos par une balle, elle vivra le reste de sa vie en chaise roulante et deviendra despotique. Mais qu’à cela ne tienne ! Ce gag permet de rapprocher, de condenser les choses disparates : La Sologne et ses chasses en enclos … Avec la question des gilets jaunes qui a suscité des passions et commentaires violents (superposables à ceux utilisés en son temps contre la Commune (cf Flaubert, Madame de Sévigné).
On revient ensuite à ici et maintenant avec l’arrivée d’Ava (Anaïs Demoustier) à son travail. Elle est hôtesse d’accueil dans une station de métro. Le jour où nous la voyons elle n’a pas composté son billet. Malheur ! Des contrôleurs l’arrêtent, « je suis votre collègue » leur dit-elle. Désolé, mais le devoir c’est le devoir ! Répond le contrôleur. ll la verbalise et se paie immédiatement en passant un détecteur sans contact devant le sac à main d’Ava contenant sa carte bleue. Ce gag obéit au même système que le précédent, simultanément il décrit des agents au fonctionnement bureaucratique et en même temps montre que l’argent numérique finit par échapper à son détenteur contre son gré. Il souligne ainsi une des authentiques menaces liées à ces formes de monnaies numériques. (Une monnaie qu’on peut soustraire rapidement à son possesseur et qui pourrait même disparaître un jour de nos comptes, d’un simple clic sur un ordinateur).
La question de l’enrichissement des Château-Tétard est présentée d’une manière drôle, les ascenseurs, le monte-personne « Pinochet », l’invention de la valise à roulette. Derrière l’humour, on distingue aussi certains mécanismes d’enrichissement. Tels l’opportunisme qui consiste à vendre n’importe quoi à n’importe qui pourvu que ça rapporte et… L’invention de la valise à roulette. La valise à roulette nous raconte celle plus sérieuse du brevet industriel qui est central dans la société marchande. Le brevet est pourvoyeur de rentes. Parfois, il prime l’intérêt général, c’est un débat actuel.
Paul (Philippe Katerine) offre le champagne pour fêter la suppression de l’impôt sur la fortune. C’est une manière de dire que pour les 400 contribuables les plus aisés, 0,1 % de leur richesse annuelle déclarée représente désormais le montant de leur impôt sur la fortune.
En écrivant ces lignes, je suis bien conscient du caractère rasoir du propos, en revanche le comique est un excellent moyen de le faire. Et ce film est comique. Quelles sont les qualités morales pour devenir chauffeur chez les Château-Tétard ? Comment renouvelle-t-on sa garde-robe lorsqu’on est Directeur d’une agence de détective ? etc…Tout est dans le film.
On peut également voir dans les scènes de détective une parodie de Baisers volés (1968) et justement, l’humour d’Antonin Pertjatko est tout à fait celui des années soixante, nous y reviendrons. Cet humour est devenu quasi impossible dans la société actuelle de 2022 où la censure n’est plus directement celle du pouvoir mais celle des mœurs, de l’intériorisation par nous tous du « convenable » (et de notre aveuglement face à l’indécent).
Pour autant ce film, contrairement à beaucoup est contemporain. Nul besoin de se plonger dans le passé. Ce qu’on nous montre se passe ici et maintenant et c’est assez rare pour le souligner. Voyons cette rolls blanche qui circule sur le périphérique, regardons les campements de ceux qui y vivent ! (en attendant le ruissellement?) Peu de films ont cette caractéristique d’actualité, nombre films d’aujourd’hui regardent soit ailleurs, soit dans le rétroviseur soit les deux !
Ajoutons que les acteurs du film sont tous remarquables pour ne citer qu’Anaïs Demoustier avec sa fraicheur et sa grâce, Philippe Katerine et son « doux » parlé snob, la distinction même ! Ecoutons Josiane Balasko l’authentique Reine Mère…(dont le mépris de classe transpire à chaque mot, particulièrement envers Ava.)
Antonin Peretjatko renouvelle l’humour Énorme, celui des « Raisins Verts (1) » et il le fait d’une manière sympathique, sauf dans le premier plan et d’une manière allégorique, il n’y a pas de cibles humaines. Laurence remarquait justement qu’à la fin du film, la voie d’Ava était en tout point ressemblante à celle de la Reine Mère. Ava se glisse dans le confort offert par Paul son époux. Ce ne sont pas des personnes que vise le réalisateur, elles sont dans un système, celui des héritiers, il s’attache à le montrer.
(1) Les raisins verts Jean Christophe Averty années 60