La belle et la meute de Kaouter Ben Hania

Primé au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2017
Du 7 au 12 décembre 2017
Soirée débat mardi 12 à 20h30

Film tunisien (octobre 2017, 1h40) de Kaouther Ben Hania avec Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli et Noomane Hamda

Distributeur : Jour2fête

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Lors d’une fête étudiante, Mariam, jeune Tunisienne, croise le regard de Youssef. 
Quelques heures plus tard, Mariam erre dans la rue en état de choc. 
Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux ?

Nous avons vu le 3e long-métrage fiction de Kaouther Ben Hania, un film remarqué par la critique* et par le public. Cette réalisatrice que désormais, il faut suivre. Ce film, je l’ai trouvé beau au plan formel. La forme plan-séquence, les ellipses, les couleurs qui grâce aux filtres virent du vert au bleu canard, au bleu pétrole, bref toutes  les déclinaisons de la petite robe bleue de Mariam (le personnage), comme une aura partout où elle se trouve. Cette petite robe jolie pour danser, est un signal pour les prédateurs, et devient inconvenante à l’hôpital ou dans les locaux de la police. Pour elle-même, elle devient certainement un signe de faiblesse et de dénuement extrême, de misère, de souffrance. Ajoutons qu’en outre Mariam est un peu gauche dans ses chaussures à hauts talons. En outre, Mariam (l’actrice) est une comédienne physique, les mouvements de son corps, ses expressions, moues, ses balancements, ses paniques, tout transpire. Elle exprime la violence qu’elle subit par tous les pores.( ?).

 La réalisatrice a voulu nous montrer à la fois la violence, l’oppression de pouvoirs institués (mais déviants) et en même temps la montée d’une conscience et le courage de cette jeune femme, souvent seule contre tous. Son film est remarquablement servi par son actrice dont les métamorphoses psychologiques et la gestuelles sont étonnantes. Kaouther Ben Hania n’a pas voulu montrer le viol, et c’est un bon choix. Les films qui le montrent sont légion, à l’exemple de Rosemary’s baby, les chiens de paille, Dupont la joie, Orange mécanique, délivrance, elle, Irreversible, etc. Elle a voulu montrer juste après, dans la durée d’une nuit au petit matin. Cette nuit contient les prémisses de l’histoire qui suivra, c’est-à-dire l’opprobe paradoxale décrite dans le livre de Meriem Ben Mohamed, « coupable d’avoir été violée ».

Le contexte, rappelons que la Tunisie où se déroule le film est un pays qui dispose d’un arsenal législatif plutôt enviable. Qu’elle a devancé bien des pays en matière de parité homme-femme, et pas seulement des pays musulmans, en matière d’éducation, de santé, et de droits civiques. Cependant l’état de corruption antérieur, la montée des intégrismes finissait par remettre en cause ces droits.

Corruption partout ne signifie nullement corruption de tout le monde, en Tunisie comme ailleurs. Demeure néanmoins ce qu’observait à juste titre Jean-Pierre, soit un appareil policier qui héritier de politiques et de pratiques autoritaires depuis des décennies, n’est guère disposé à voir ses acquis et ses modes de fonctionnement remis en question. Remarquons tout autant l’observation de Serge, l’histoire de cette jeune femme dépasse le cadre tunisien, la police dans son ensemble, lorsqu’elle est dans cette même situation de « bavure », manifeste le même autoritarisme, le même corporatisme, la même mauvaise foi et génère les mêmes craintes de la part des usagers ou citoyens. Demeure, qu’il nous est plus aisé d’observer la sociologie des autres que la nôtre.

Ce film, nous le voyons au moment où en France comme ailleurs, des dossiers de harcèlement sexuel sortent de tous les tiroirs. Nous le voyons aussi au moment où l’on est confirmé dans l’idée que guerres actuelles = viols de masse institués, planifiés. C’est mon regret de l’instant que nous n’ayons pas parlé de sexualité violente et meutrière, de pouvoir et domination après la belle et la meute.

Parmi ce qui fait la qualité des rapports d’une population à ses institutions, c’est en cas de manifestations dysfonctionnelles, la réactivité et l’efficacité politique pour corriger et prévenir les choses. En Tunisie, les lois de Juillet 2017 sur la violence faite aux femmes ainsi que la loi d’août 2017 concernant l’autorisation de mariage d’une personne musulmane avec une personne non-musulmane devraient changer la donne.

Parmi ce qui fait la qualité des rapports d’une population à son pays, il y a le partage, l’ouverture et le rayonnement de sa culture, nul doute alors que l’essor du Cinéma Tunisien, l’apparition de réalisateurs tels que Kaouter Ben Hania est une chance et pas seulement pour la Tunisie. Le bon cinéma ouvre l’horizon. Souhaitons alors à la Tunisie dont le ministère de la culture a co-financé ce film, de continuer à promouvoir les rapports confiants qu’elle manifeste envers ses artistes.

 

 

*(si vous avez aimé ce film d’une manière mitigée, vous serez conforté par la lecture de Critikat et si vous l’avez aimé, les revues ne manqueront pas)

 

 

 

 

 

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