Journal des ciné-rencontres de Prades 2021 (3)

Les réalisatrices irannienes

« Vous croyez regarder le cinéma ? C’est le cinéma qui vous regarde »

Thierry Laurentin

Quatre longs-métrages et une série de courts, filmés entre 2000 et maintenant, tous réalisés par des femmes, ajoutons « Ten »d’Abbas Kiarostami qui est un film qui concerne les femmes, tout cela donne à la fois une idée de la vitalité d’un cinéma iranien et nous fait entrevoir un paradoxe, plus de 30 réalisatrices !.. et dans un climat de censure omniprésente dont nous reparlerons.

Mais d’abord, un mot sur la condition des femmes, elles ont le droit de vote, elles portent le voile d’une manière très différente de celles des autres pays musulmans, le noir et les couleurs caca, s’ils gagnent du terrain, ne sont pas sur toutes les têtes féminines. Elles peuvent être élues et d’ailleurs le sont, elles travaillent au même titre que les hommes, et nombre d’entre elles occupent des postes importants, d’ailleurs nous signale Mamad Haghighat, (l’homme par qui le cinéma iranien nous pouvons apprécier le cinéma Iranien) : « 60% des universitaires sont des femmes ». L’Iran n’est donc pas le golf, loin de là. Néanmoins, la vie des femmes demeure, pour utiliser la formule d’Ajar, « une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines », et nous pourrions ajouter avec les interdits, les « devoirs », les inégalités.

Néanmoins, il y a un cinéma Iranien Féminin. Comme l’ensemble du cinéma iranien, il est soumis à une stricte surveillance, en amont les scénarios sont lus et « corrigés » et en aval par la censure ! Loin d’être une digue infranchissable cette censure oblige les réalisateurs à redoubler d’astuces et de malice. Les censeurs de leur côté sont moins remarquables par leur sagacité que par leur soumission à l’autorité politico-religieuse.

Comment faire pour éviter la vindicte castratrice de ces gens-là. La liste des ruses ne sera jamais exhaustive car la créativité des réalisateurs est sans borne voici quelques exemples : parler d’une histoire passée transposable aujourd’hui, faire trois courts-métrages (les censeurs sont moins regardants sur les courts) puis les rassembler ; tondre les cheveux de l’actrice pour pouvoir montrer sa tête sans voile (le voile a pour but de cacher les cheveux) donc le voile ne s’impose plus etc. Et pour éviter le regard des autorités sur le tournage, préférence est donnée aux lieux clos, appartements, voitures. Bref, à bon chat, bon rat ! De sorte que l’imaginaire et la créativité des Iraniens en sont décuplés ! Dans ce système, les femmes ne sont pas des talents secondaires, elles sont pour certaines des réalisatrices géniales.

Les films que nous avons vus :

Marzieh Meshkini ouvre avec « Le jour où je suis devenue femme » 2001, un triptyque. En trois récits, elle décrit le pouvoir masculin dans ce qu’il peut avoir d’abominable, tel cette petite fille de 9 ans, arrachée à ses jeux d’enfants pour mettre son foulard, prélude à être maquillée, richement vêtue puis présentée au « Monsieur » qui va l’épouser où cette femme sur un vélo, parmi des dizaines de femmes à vélo, (les femmes sur un vélo, ce n’est pas islmique) poursuivie pas un cavalier qui la menace d’une manière cavalière et offre aux spectateurs une image géniale et insolite comme seul le cinéma peut en produire ! Où encore cette veuve âgée, devenue riche qui réalise des vœux devenus dérisoires et puérils. Mariées enfants, sous tutelle, libres trop tard, est-ce ainsi que les femmes vivent ?

Avec ce documentaire, Mitra Farhani avec « Fifi hurle de joie » en 2012 nous transporte en Italie pour faire connaissance de l’œuvre sculptée ou peinte de Mohasses, ce personnage un peu transfuge, censuré au plus haut point puisque ses œuvres ont été détruites par la censure en Iran, qu’il en a détruit lui-même une partie, montre le prix à payer pour être libre. Et son oeuvre témoigne de cette intolérable liberté. (Ajoutons qu’il était homosexuel, ce qui ne devait pas arranger son affaire)

Rakhshan Bani-Etemad 2013, avec « les contes » une critique très vive de la société ordinaire et de l’oppression quotidienne des braves gens par ce pouvoir diffus d’opprimer l’autre, constitutif d’un pouvoir plus grand.

Enfin, il faut surtout retenir « Le Fils » de Noshin Meraji, 2021 parce qu’il est récent, c’est un film très original. Il nous dit d’une manière ironique, avec un comique un peu noir et d’une manière pénétrante sur quoi repose un masculin pas si singulier que ça. Ce film Iranien atteint la fantaisie d’un film italien. Un film à voir, et nous ne pouvons qu’espérer qu’il pourra être présenté aux cramés de la bobine.

À suivre… Prochain billet et pour finir, je vous toucherai de quelques mots d’autres films du festival.

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