Prix jean Renoir des lycéens
Titre original : Lazzaro Felice
Présenté par Georges Joniaux
Synopsis : Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna.
La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro.
Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne.
Pour ce qui me concerne, ce fut un bonheur de voir ce film, je le tiens pour l’un de mes préférés. J’aime qu’on me raconte des histoires. Avec Alice Rorhwacher, le cinéma devient aussi une aventure poétique, tout l’est, l’esthétique de l’image et sa vivacité, le choix des décors et des personnages, le son, la musique et l’histoire en forme de conte, et Lazzaro donc, cet étrange personnage !
Heureux comme Lazzaro est bien dans une tradition italienne qui souvent conjugue réalisme et fantastique. Le journal La Croix évoque Victorio de Sica et Fédérico Félini. Alice R cite Italo Calvino et Novecento de Bernardo Bertolluci. Pas de doute.
Parmi les caractéristiques du film, il est construit comme un diptyque, ou mieux encore comme les cartes d’atout d’un jeu de tarot. Tête bêche scènes des champs et scènes bourgeoises. Mais la réalisatrice y a ajouté autre chose : l’effet du temps. L’effet du temps sur les lieux et les personnages. Des scènes des champs aux scènes de la ville, 20 ans ! Ce sont donc des figures en mutation qu’on nous présente, qui conduisent des paysages de campagne à devenir ville, des groupes de paysans à devenir citadins. Des jeunes à devenir vieux. Des serfs à exclus. Ce qu’Alice Rorhwater énonce ainsi, on va du Moyen Âge technologique au Moyen Âge des âmes.
Quelques figures émergent
La marquise Alfonsina de la Luna, elle regarde du haut de son château, dans un surplomb écrasant, ses ouvriers agricoles, qu’elle traite comme ses serfs. Elle vole et trompe. « Les libérer c’est leur faire prendre conscience de leur esclavage ». D’ailleurs tout le monde exploite tout le monde, moi je les exploite, et eux, ils exploitent Lazzaro ! Et qui exploite Lazzaro ? demande Tancredi son fils. Forcément quelqu’un répond la marquise. Impossible pour elle, dans son système, de penser autrement.
La figure de la marquise mute quand arrive le temps de la ville 20 ans plus tard. Les serfs sont devenus des gueux. La ville a son cœur battant, ses banques, ses quartiers d’affaires, et sa population bien insérée, elle a aussi ses franges. (Curieusement, nous verrons ce même thème prochainement dans le film Une affaire de famille de Kore-Eda). Dans ces franges, ces non-lieux, les habitats précaires, de fortune dominent. Les marquises ne sont plus là, les banques leur succèdent comme système d’oppression. Banques et franges sont bien entendu des figures analogiques de l’oppression.
La figure du peuple dans la première partie est représentée avec les artifices du conte. Une petite communauté, marquée par sa condition. Son lot c’est le servage, la duperie, la spoliation, l’escroquerie, la captation de leur force de travail et le mépris. Peuple aliéné, tenu dans l’ignorance. Sur les terres de la marquise, pas d’école, il n’est pas question d’apprendre à lire. Pas ou peu de lumière non plus. La marquise leur donne deux ampoules, il faut les dévisser pour aller de pièce en pièce.(la marquise n’aime pas les lumières). Quant à l’éducation, c’est l’absence de scolarité pour les enfants et le catéchisme de la Marquise. Le catéchisme de la marquise, la vie des saints, dont elle les gratifie, symbolise l’action chrétienne durant des siècles vers le peuple.
Le réalisme et le fantastique se rencontrent, puisque cette communauté vie cela dans les années 1980. Le fantastique rend la scène contemporaine, le réalisme, c’est qu’en effet avec le christianisme du moyen âge à l’orée du 20èmesiècle, n’enseignait guère la lecture. Au peuple l’ignorance.
Dans les années 2000, cette même communauté vit aux franges de la ville. Ces membres ne sont plus serfs, ils sont devenus gueux. Ils vivent de petits commerces et de petits larçins, rejettent tout ce qui appartient à la terre, préfèrent les chips à la chicorée qu’il leur faudrait ramasser. Là encore la forme conte fantastique fait du larcin un métier. La seule et la dernière activité des réprouvés, rouler des gens cupides et bien pensants. Ces gueux, le cinéma italien les connaît bien, autant que les feuilletonnistes du 19èmesiècle partout en Europe. Ils ont d’autres attributs plus positifs, ils sont solidaires.
La figure de Lazzaro appartient à ceux dont Alice Rorhwacher dit : « En explorant mon pays et mon époque, j’ai souvent rencontré des « Lazzaro » : des personnes que je qualifierais de « gens braves » mais qui, le plus souvent, ne se consacrent pas à faire le bien, car elles ne savent pas ce que cela signifie. Leur nature même est de rester dans l’ombre, quand elles le peuvent, elles renoncent toujours à elles-mêmes pour laisser la place aux autres, pour ne pas déranger. Ce sont des personnes qui ne peuvent pas émerger de la masse où plutôt elles ignorent qu’il est possible de le faire. Ces gens-là s’occupent des tâches désagréables et lourdes que l’humanité laisse derrière elle, elles remédient à tout ce que les autres foulent aux pieds par inadvertance, sans que personne ne s’en aperçoive ».
Lazzaro présente des traits de sainteté, Saint François, Sainte Agathe, et Saint Lazare (comme lui il ressuscite) . Sa figure oppose au chritianisme institué, une sainteté qui n’appartient à aucune religion particulière, dans un monde où comme hier, l’homme bon est suspect et où le saint serait une menace telle qu’il faudrait le tuer.
Alors et le loup dans cette histoire ? Il y a d’abord un hurlement au loin, un appel de l’inconnu, celui d’un être dangereusement libre. Et puis le loup dit le philosophe Baptiste Morizot est l’animal qui dans nos sociétés occidentales, nous rappelle que nous sommes aussi de la viande. Et Michel Pastoureau, l’historien a noté les occurrences des traits attachés aux loups dans la littérature du Moyen Âge au 19èmesiècle : voleur, menteur, lâche, cruel et sanguinaire, couard, fourbe, paresseux, avare ». Bref, des traits humains.
Pour terminer, par hypothèse, la Marquise Alfonsina de Luna semble devoir son nom à Alfonsina Storni, célèbre poétesse mexicaine s’étant suicidé et dont F. Luna a fait une chanson que voici .
Mercedes Sosa-Alfonsina y el mar – YouTube
PS : Drôle la mutation de Nicolas le régisseur et homme-lige de la marquise, paternaliste et voleur devenant 20 plus tard recruteur à la criée au moins disant salarial.