ARIAFERMA-Leonardo Di Costanzo  Notes (2)

Beaucoup d’entre nous sont sensibles aux sons d’un film et à sa musique, la musique d’Aria ferma, nous la devons à Pasquale Scialo, elle est belle, bien à sa place, et il y a ajouté des compositions d’autres musiciens.

L’une d’elles arrive tard dans le film, durant un appel des prisonniers, celle de Clapping Music de Steve Reich :

Et presque à la fin Pavlos Carvalho et Vasiliki Anastasiou, Na’ Man Pouli dont je n’ai pas trouvé de version aussi belle que celle choisie par Pasquale Scialo, suivie de Vasiliki Anastasiou, Triha bridge (que je ne peux transférer)

Souvent les films, les thèmes se répondent, vous vous souvenez, au début, il y a ces hommes, chasseurs, dans la montagne, l’un conte l’histoire de son premier tir, presque involontaire, lorsqu’il était tout jeune, il a blessé une tourterelle. Pris de pitié, il l’a recueillie et soignée. L’homme qui conte cette histoire, comme ses amis et collègues, est un gardien de prison. Et cette histoire va teinter tout le film. D’ailleurs, « Na’Man Pouli » ce chant des dernières images dit quelque chose comme : J’aimerais être un oiseau et j’aimerais voler.

La prison, c’est celle de Mortana une prison d’architecture Panoptique, Léonardo di Constanzo l’a déplacée à la montagne en postproduction, son lieu, c’est une prison de Sardaigne dans la belle ville de Sassari. Elle est fermée depuis dix ans. » Ses petites sœurs » existent ou ont existé partout dans le monde. Il y en a encore en France. L’idée de leur conception, c’est un cercle de cellules et une tour au centre de ce cercle, une tour, les gardiens pouvant voir partout sans être vus. Chaque prisonnier s’y sent épié, 24 heures/24.

Son concepteur, c’est Jeremy Bentham, un philosophe des lumières, qui se distingue par ses positions contre les châtiments corporels aux enfants, pour l’égalité des sexes, conclut : La morale sera « réformée », la santé « préservée », l’industrie « revigorée », l’instruction « diffusée », les charges publiques « allégées », l’économie « fortifiée ». « Le nœud gordien des lois sur les pauvres non pas tranché mais dénoué – tout cela par une simple idée architecturale ». Initiant ainsi la société de surveillance !

Léornardo di Constanzo en isolant la prison (en isolant un lieu d’isolement) nous offre une bien curieuse vision, d’abord son extérieur inquiétant, perdu dans un écrin de verdure (comme disent les agents immobiliers), de montagnes et de brumes. Regardons ensuite son intérieur si bien décrit par Claude dans son article. Serions-nous dans un conte ? Le film est en effet narré, structuré comme tel. C’est la forme qui convient le mieux à son propos.

La situation initiale se présente ainsi : il y a un imprévu, douze gardiens doivent garder douze prisonniers pour lesquels on n’a pas trouvé de place avant que la prison ne ferme définitivement. Sur ce chiffre 12, beaucoup ont vu un clin d’œil biblique, (la cène) ou encore un vague pendant à douze hommes en colère.

Dans son ouvrage paru en 1961 « Asiles » Erving Goffman décrit la prison, comme une institution bureaucratique, totalitaire car elle prend en charge l’ensemble des besoins, l’ensemble des éléments de vie des détenus, quelle que soit l’efficacité du système.

Il décrit ensuite comment le personnel voit le détenu : replié sur lui-même, hostile, déloyal puis comment le détenu voit le personnel : condescendant, tyrannique, mesquin, ensuite comment les détenus se voient eux-mêmes : inférieurs, faibles, coupables.

Ariaferma ne dément pas ces portraits types, ils ne cessent de coller aux personnages. Le rendu est d’autant réaliste que le réalisateur a pris pour l’ensemble des rôles secondaires d’anciens détenus et d’authentiques gardiens. Au cinéma comme dans la vie, le corps parle.

Diverses perturbations vont modifier progressivement la marche bien ordonnée des choses : Dans un climat d’incertitude sur leur sort prochain, alors que leurs contacts avec l’extérieur et leurs familles sont rompus, on sert aux prisonniers une nourriture immangeable.C’est l’outrage de trop, les prisonniers décident de faire la grève de la faim et ils s’y tiennent.

Comme par défi ou provocation, Carmine Lagioia (Sylvio Orlando) le vétéran des prisonniers bientôt libérable, propose à Gaetano Gargiuolo (Toni Servillo), le vétéran des gardiens de faire la cuisine. Paradoxalement, Gaetano accepte ce marché (et en arrive presque à se comporter comme s’il en était prescripteur). Dans cette situation, si peu bureaucratique et réglementaire, l’un est l’autre savent qu’ils doivent être à la hauteur de leur mission, qu’ils ont intérêt tacite à réussir.

A partir de cette situation, tout le film montre l’intrusion, l’infiltration de l’humanité dans le système bureaucratique du pénitencier, la subtile subversion des codes, ceux de la parole et des manières de se conduire. Gaetano qui exerce son métier au plus haut degré, avec discernement et probité, n’a jamais en son for intérieur, quitté la colombe blessée au jeu de la chasse et son désir de réparer cet oiseau qui aimait voler. Plusieurs scènes fugaces l’indiquent. De son côté, Carmine le bandit n’a jamais cessé d’être un homme, sans doute, est-il devenu un sage, celui que les autres consultent. Tous deux se libèrent de préjugés qui les enferment autant que les murs et les deux groupes (prisonniers et gardiens) se rapprochent.

Aria Ferma, dont la diffusion en France est indigne, c’est tout de même un film primé au Festival de Venise, (meilleur acteur, meilleur scénario, meilleure photographie) risque de ne pas atteindre les 8 000 spectateurs, (songeons que presque 300000 jeunes apprennent l’italien au lycée!) en ces temps d’impatience sécuritaire, devant le déni de la condition des prisonniers en France, ce film en plus d’être beau et original a le mérite de parler d’humanité.

Georges

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