« 12 jours » de Raymond Depardon

Soirée-débat lundi 15 à 20h30
Film français (novembre 2017, 1h27) de Raymond Depardon

Avant 12 jours, les personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement sont présentées en audience, d’un côté un juge, de l’autre un patient, entre eux naît un dialogue sur le sens du mot liberté et de la vie.
Présenté par Georges Joniaux

 

Notes de débat

Par une curieuse association, Raymond Depardon documentariste est pour moi ce que Georges Perec est à la littérature :  regard , pudeur, humilité, délicatesse,  précision, sobriété,   obsessionalisation du sujet-du sujet banal – qu’il décortique à mesure.

Qui nous montrerait ce que Raymond Depardon nous montre? Son film précédent s’appelait les habitants. En voici d’autres. D’autres, les malades mentaux, dont on ne parle pas trop mais c’est aussi vrai de n’importe quelle maladie, qui connaît le nombre de diabétique ou d’hypertendus ?

Éléments de contexte

Plus de 400 000 personnes chaque année ont recours à une hospitalisation plein-temps en psychiatrie — C’est-à-dire environ 6% de la population française — Parmi eux près de 90 000 font l’objet d’hospitalisation sous contrainte.

Un dispositif légal  pour protéger ces malades ou se protéger d’eux le cas échéant, existe depuis longtemps. En effet une loi en 1838 instituait les placements obligatoires, placements volontaires, placements libres, elle a vécu plus de 150 ans.

En 1990, voici la loi de remplacement, le terme placement est remplacé par Hospitalisation, les adjectifs demeurent les mêmes, sauf pour le placement volontaire (qui ne l’était guère) qui devient ce qu’il a toujours été en réalité : hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT). Les droits et recours de ces malades mentaux sont mieux reconnus et renforcés.

2011, la France poursuit 3 objectifs, répondre aux directives européennes, répondre à des questions prioritaires de constitution(QPC), et satisfaire une politique sécuritaire plutôt en vogue. Elle présente l’avantage d’instituer 3 modalités d’hospitalisation :

Péril imminent, soins psychiatriques à la demande d’un tiers, soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’état. Les termes ont un sens, l’hospitalisation plein-temps n’est plus la seule modalité de prise en charge car il est désormais question de soins obligatoires.  Mais par démagogie sécuritaire, cette loi supprimait alors les permissions d’essais, transformant cette modalité en prison.

2013, améliore 2011, à peine en œuvre et concernée par une QPC, en rétablissant les sorties thérapeutiques et en raccourcissant le délai d’intervention du juge. Elle se propose aussi de suprimer les unités pour malades difficiles (dangereux). Ce qui n’est pas fait.

Question : Les psychiatres pour les malades mentaux, comme les juges pour les condamnés ont désormais le choix, enfermement ou non ? Peuvent-ils, pourront-ils s’en emparer ?  Un élément de réponse, les uns comme les autres auront  besoin de beaucoup de temps et de pédagogie (comme disent nos politiciens condescendants) pour obtenir l’assentiment de populations diverses depuis trop longtemps gavées de sécuritarisme et toujours prêtes à rouvrir de vieux dossiers.

Question : D’aucuns psychiatres contestent la présence d’un juge des libertés et de la détention arguant qu’un malade n’est pas un détenu… Cet argument qui ne tient compte que d’un terme du rôle du juge n’est-il pas spécieux ? Ils proposent que ce contrôle soit effectué  par une commission, cette procédure ne risquerait-elle pas de rendre le processus plus lourd et moins opérationnel ? (Seul un juge peut prononcer une main levée).

Mais venons-en à 12 jours.

Le dispositif du film est simple 3 caméras sans pieds (pour mieux se faire oublier), une pour le patient et son avocat, 1 pour le juge, une pour le cadre dans son ensemble. Le juge le plus souvent filmé de trois quarts, comme vu par l’avocat, le patient est plutôt filmé de face, le cadre est filmé en diagonal.

La prise de son toujours essentielle, petits micros pour tous, sauf pour le patient qui est « perché ». C’est donc une succession de gros plans alternés, qui après le montage, va constituer l’essentiel du film.

Il retrace le déroulement de l’audience, une audience où se joue la prolongation d’hospitalisation contraintes des patients,  et montre en même temps, la distance, l’espace dans une relation par nature asymétrique et l’enjeu. Hors la salle d’audience transportée à l’hôpital, il y a les lieux voisins, l’hôpital avec ses couloirs, ses chambres, ses grillages, ses lits de contention, parfois des patients qui marchent et  le temps qu’il fait. Ce changement de décor, comme un interlude est censé détendre le spectateur.

Je formulerais une critique mineure sur cette déambulation de caméra. Raymond Depardon dans les interviews qu’il a accordé ne manque jamais de souligner les progrès de la prise en charge des malades mentaux, et il est vrai que depuis « San Clémente » son premier film sur le sujet, et même depuis « Urgences » les choses ont bien changé. Or, que nous montre-t-il ? Des espaces propres, (l’hôpital le Vinatier est neuf), de longs couloirs blancs et déserts zoomés, puis pesamment, un lit de contention. L’imaginaire du lit de contention depuis que les États-Unis exécutent ses condamnés par injection létale a quelque chose de terrifiant. Idem les va-et-vient de ce pauvre homme édenté, (on pourrait commenter ce seul  détail) probablement rendu aussi chronique par sa maladie que par le système, dans son petit espace grillagé, qu’apportent-elles ? Comment peut-on se saisir de ces images ? Que peut-on en faire ? Ces séquences constituent une sorte de hors-champ artificiel qui empêche d’imaginer la vie même de ces malades hospitalisés. Vie qui ne comporte pas que solitude mais aussi promiscuité. Celle des autres patients, celle des soignants et en général, la cohorte de tous ceux qui passent et qui peuvent vous regarder ou pire encore, ne pas vous regarder, dans ce lieu là. En outre, je ne saurai l’affirmer, mais il me semble que l’essentiel a été tourné dans une Unité pour Malade Difficile (UMD), je n’imagine pas tant de grillages ailleurs. Ceux-ci ne représentent pas, et loin de là,  le lieu de vie de l’ensemble des malades soignés sous contrainte.

Avec Raymond Depardon, les images sont belles, elles nous montrent ce que nous ne voyons généralement pas, mais dans ce cas, le parti pris poétique et esthétique fait un peu écran. D’autant que cette déambulation, flânerie de la caméra est soulignée par la musique impressionniste d’Alexandre Desplat. Peut-être Raymond Depardon voulait-il avant tout transmettre une sensation, une sorte de mélancolie. Avec la tristesse, il nous donne la note juste, l’état d’esprit qu’il faut pour sentir le film. Et puis, c’est toujours une question de focale.

 Mais venons-en au sujet, ce que nous dit le film, ce qu’il a de remarquable : ce sont des malades, privés de liberté pour lesquels un juge, pas spécialement formé en psychopathologie doit valider ou invalider une hospitalisation contrainte. Et ça, c’est nouveau et intéressant au plan symbolique car l’article premier des droits des personnes hospitalisés en psychiatrie dit ceci : « Toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques ou sa famille dispose du droit de s’adresser au praticien ou à l’équipe de santé mentale, publique ou privée, de son choix tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur psychiatrique correspondant à son lieu de résidence. »

Ce principe fondamental  ne peut connaître aucune entrave. Et lorsque cette procédure aboutit à un pourcentage significatif de main-levée, ici 9% on se dit que cette mesure était parfaitement justifiée. Il est toujours possible qu’ un juge commette une erreur d’appréciation. Elle lui sera reprochée et le dispositif se renforcera. Primat de la liberté, cela constitue toujours un progrès humain et le juge  représente  celui qui protège  la liberté de l’individu.

Quant à l’enfermement, s’il est parfois nécessaire pour protéger le patient contre lui-même ou protéger la société, il n’en conserve pas moins dans l’absolu, un caractère de punition. Pour les justiciables de droit commun, il y a deux options, réparation et punition. Parmi les punitions il y a la privation de liberté. Je ne vois pas par quel miracle, une personne privée de liberté, ne pourrait pas se considérer comme punie. Et l’enfermement a toujours un caractère totalitaire. L’homme enfermé se voit dépersonnalisé, il ne décide plus rien, ni de son temps, ni de ce qu’il doit où peut faire. Il est soumis à l’organisation bureaucratique de l’institution qui le contient. Et pas seulement soumis, il y est infériorisé par l’asymétrie des relations. Sa vie privée lui échappe*(1). Raison de plus pour en user qu’en dernier recours.

Les malades que nous voyons dans 12 jours, portent en eux tous les conflits, toutes les folies de la société dans laquelle ils vivent, nous baignons dans le même jus. L’on y  voit apparaître des mots, kalachnikov, harcèlement, viol, etc. Depuis, toujours les malades mentaux se sont fait l’écho de nos violences* .Le documentaire ne s’arrête pas là, il montre la souffrance… La maladie mentale n’est pas une originalité , une esthétique filmique, elle est d’abord une douleur et parfois, la pire d’entre elles. Quant à l’enfermement, c’ est une violence, parfois nécessaire mais violence. Alors, l’introduction du juge dans un processus de décision, tout comme le raccourcissement des durées de séjour et des  soins alternatifs  qui se dessinent sont des progrès. L’un est scientifique, l’autre est juridique. Ce dont témoigne « 12 jours ».

Avec « 12 jours » Raymond Depardon filme la parole,  il filme  une  autre image des habitants. Raymond Depardon y   consacre son œuvre et quelle œuvre !

 

 

* (1) Voir  description des institutions totalitaires  dans « Asiles » de Erving Goffmann, éditions de minuit

*PS1 : j’ai oublié de répondre à l’un des cramés de la bobine sur la liberté de suicide. Le cas de la jeune femme suicidante, qui veut  sortir pour se suicider, mais veut aussi conserver son gentil  chat et vivre dans un appartement thérapeutique parce qu’elle n’aime pas être seule, questionne sur son illusion rétrospective d’avoir toujours eu envie de se suicider et de le vouloir sans cesse. Tant qu’il y a du désir… Je zappe sur la  part  philosophique de votre questionnement, ma réponse ne serait pas au niveau.  J’ajouterai  que l’envie de sauver des vies ou d’assister les malades est incorrigible  pour tous médecins et pour tous  soignants en général, ils ne savent pas penser autrement, mais faut-il s’en plaindre ?

*PS2 : Pauline posait un  regard sur les juges, je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin. 

*PS3 : J’ai apprécié le »salon d’apaisement » d’où sortaient des cris. Ce nom donné à une chambre capitonnée  a quelque chose d’Orwellien,  tendance 1984, comme on sait de mieux en mieux faire..

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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