Les Illusions Perdues de Xavier Giannoli, à l’Alticiné!

Les Cramés de la Bobine vous donnent rendez-vous pour « les Illusions perdues ». Un film pour les amateurs de bon cinéma et de belle littérature. Un film pour maintenant! 

Le 22 janvier 2022 à 19 heures, une projection soirée débat.

 Avec la participation de :

Daniel Schneidermann c’est l’homme d’Arrêt sur Images : l’analyse critique des médias. Chacun peut apprécier son étonnante qualité de présence et d’écoute. Chacun peut aussi vérifier qu’il est critique quoi qu’il (lui) en coûte! Ce 22 janvier, il joindra sa connaissance pointue de la presse à celle du film de Xavier Giannoli et de Balzac.

Claude Sabatier est un Docteur es Lettres françaises capable de décortiquer aussi bien les écrits politiques de Zola que ceux du Chanteur Henri Tachan. Qui se promène dans le 19ème siècle aussi bien que vous ou moi dans le présent. Claude est un Cramé de la Bobine, et il nous offre le texte ci-dessous

Illusions perdues, “volume-monstre” de 780 pages, 8ème de la fresque de La Comédie humaine, le plus long, le meilleur et pour Proust, trouve place dans les “Études de moeurs”, à la fin de la section “Scènes de la vie provinciale”, avant les “Scènes de la vie parisienne”, ouvertes par Splendeur et misères des courtisanes. Ce roman dont l’action se situe sous la Restauration, en 1821, a fait l’objet d’une longue genèse et d’une publication heurtée, entravée par les dettes et brouilles éditoriales, s’étalant sur 10 ans depuis l’idée germinale. La 1ère partie, intitulée“Les deux poètes”, mettant en scène l’amitié provinciale et les rêves littéraires et créateurs de Lucien de Rubempré, roturier par son père pharmacien Chardon, noble par sa mère de Rubempré et de David Séchard, héritant de l’imprimerie d’un père avare et odieux, parut en 1837 sous le titre ”Illusions perdues”, développant une nouvelle de 100 pages de 1833. La partie centrale, “Un grand homme de province à Paris”, qu’a retenue (à part un bref rappel de la 1ère partie) Xavier Giannoli dans son adaptation du roman, paraît en juin 1839 – le titre, un peu ironique, évoquant le parcours parisien de Lucien qui a suivi sa muse et protectrice angoumoise Louise de Bargeton mais, aussitôt délaissé dans la capitale, rencontre la belle actrice Coralie et fourvoie son talent littéraire dans le journalisme, tiraillé entre son mauvais génie l’articlier Etienne Lousteau et l’écrivain Daniel d’Arthez, du Cénacle. Enfin, après bien des déboires théâtraux et journalistiques – la Revue parisienne, nouvellement créée par Balzac en 1840, dure à peine deux mois ‒ le romancier publie en 1843, d’abord en feuilleton, David Séchard ou Les Souffrances de l’inventeur : Lucien, de retour à Angoulême après la mort de Coralie et son échec littéraire et journalistique, ses anciens amis libéraux se retournant contre lui après son adhésion au monarchisme, retrouve sa soeur Ève et son beau-frère David aux prises avec des concurrents carnassiers, les frères Cointet, aidés par l’avoué Petit-Claud, qui exploitent en le ruinant la découverte par le jeune imprimeur d’une pâte à papier bon marché ; en somme, le drame de l’ambition déçue, de la naïveté manipulée et de la corruption des âmes se rejoue sur un mode mineur, dans la médiocrité bourgeoise provinciale et non plus dans l’éclat aristocratique de la capitale : le jeune couple se retirera sur les terres du vieil imprimeur, avec son héritage. De son côté, Lucien, au bord du suicide ‒ il a émis des billets à ordre avec la fausse signature de David envoyé en prison pour dettes ‒ rencontre Vautrin, nouvelle âme damnée qui l’invite aux nouvelles aventures parisiennes de… Splendeurs et misères des courtisanes.

 

            Il y aurait tant à dire sur ce roman foisonnant, à la prose hétéroclite charriant récits, descriptions  et dialogues, offrant de longues digressions évocatrices (l’imprimerie du père Séchard, la Galerie de Bois du Palais-Royal où se côtoient symboliquement commerces, prostituées et librairie de Dauriat) ou explicatives (l’histoire de la pâte à papier, le “compte de retour” des avoués de province) : Balzac, le premier à intégrer un savoir non plus moral et psychologique sur ses personnages mais scientifique, se demandait dans la préface du Cabinet des antiques si “(le romancier) ne saurait être admis au bénéfice accordé à la science. ” Il nous prend régulièrement par la main, n’hésitant pas à interrompre son récit, au risque d’en casser le rythme ou de détruire l’illusion romanesque, par un métadiscours plus ou moins appuyé ou ironique, égrenant des “voici pourquoi” ou des “mais le lecteur a sans doute besoin qu’on revienne sur ceci”, rappelant à la fois le “réalisme” de Balzac censé s’effacer devant son sujet et l’omniscience ou omnipotence du marionnettiste tirant les ficelles. Pour adapter ce roman, il fallait à la fois donner du rythme au film, en en restituant la richesse narrative, d’où le choix de la seule 2ème partie du roman, et en rendre le foisonnement descriptif et didactique : Xavier Giannoli a choisi de ne traiter qu’en arrière-plan l’intrigue sentimentale et les émois poétiques de Lucien et Louise, dans un rappel initial de la 1ère partie du roman, en dynamisant l’action par une relation… charnelle absente du roman ‒ actualisation d’une virtualité romanesque ou concession aux goûts du public ? Par ailleurs, il a exhibé, pour rendre le tissu serré du roman, les coutures de la voix off, procédé cinématographique traditionnel : hommage à la prose balzacienne, facilité narrative ou effet de rythme ? 

            De ce roman sur la création artistique, Xavier Giannoli a retenu essentiellement la question du journalisme, dévoiement, voire une prostitution de la littérature, incarnée à la fois par Daniel d’Arthez, l’écrivain du Cénacle, travailleur, austère et exigeant, auteur d’une Histoire de la France pittoresque (matrice de La Comédie humaine ?) sacrifiant tout à son art dans sa chambre-mansarde ou à la bibliothèque Sainte-Geneviève ‒ et par “notre héros” : Lucien Chardon, qui se veut Lucien de Rubempré, a écrit un recueil de poèmes, Les Marguerites, qu’il lit aux aristocrates béotiens d’Angoulême invités par Louise (une Emma Bovary de la Restauration), méprisant les artisans et commerçants de l’Houmeau, la ville basse bien que ridicules face à la noblesse parisienne incarnée par la marquise d’Espard : dans le chapitre “les sonnets”, il les récite à son ami jaloux et mauvais ange, Étienne Lousteau qui lui donnera le “bon conseil” de renoncer à la littérature, comme les libraires Doguereau et Dauriat, qui rejettent la poésie, genre selon eux invendable, rivé à ses “chevilles” métriques. La prose de Lucien ne connaîtra pas un meillleur sort : L’Archer de Charles IX, roman historique à la Walter Scott, sera certes acheté par les libraires Fendant et Cavalier mais revendu à bas prix avant leur faillite à des colporteurs…Et pourtant, le livre était potentiellement bon : il est retravaillé par D’Arthez et le Cénacle, absents du film (car la vertu n’est sans doute pas artistiquement très stimulante), émondé de ses dialogues, rééquilibré dans une vraie tension entre récit et  description : en 1824, le livre connaîtra enfin un vrai succès grâce à une préface de D’Arthez. Comme si la littérature était moins œuvre constituée que work in progress, virtualité actualisée par les critiques et lecteurs, absolu dont le livre final, telle La Comédie humaine inachevée, ne serait que l’asymptote…  

Dans son évocation de la littérature, Balzac nous livre un “autoportrait dissocié” selon l’expression de Patrick Berthier en se diffractant entre D’Arthez, Lucien et Raoul Nathan, dramaturge et romancier dont le cinéaste propose une recréation, une “typisation” balzaciennes, Nathan d’Anastasio, le journaliste intrigant du roman, le poète mondain Canalis et D’Arthez, le créateur sensible qui veut protéger Lucien des sirènes journalistiques, du succès facile mais surtout de lui-même, de son arrivisme veule et de son tempérament jouissif et velléitaire.

            

            Illusions perdues constitue à la fois une ode à la création littéraire et une déploration de son “illusion” dans un monde voué à l’argent, de son adultération par le journalisme et le règne de l’argent renversant la valeur littéraire en valeur marchande. Les termes de “poète” et de “poésie” sont ainsi ambivalents dans le roman. D’un côté, le poète est un être supérieur, albatros baudelairien “exilé sur le sol au milieu des huées”, que “ses ailes de géant empêchent de marcher” ‒ et la poésie l’idéal supérieur de la littérature ‒ effort créateur et nécessité intérieure sans compromis ni effets de mode. Lucien incarne la pureté du poète romantique, tel Lamartine publiant ses Méditations poétiques en 1820,  lié paradoxalement au monarchisme ultra-catholique de la Restauration, tandis que la presse libérale défend l’esthétique …classique : rappelons que Vigny, Musset et le premier Hugo étaient royalistes. De l’autre ‒ le titre “Les deux poètes” est ironique ‒ Lucien paraît d’abord naïf et ridicule, aussi inadapté que David à la “prose du monde”que seul sans doute le roman balzacien peut assumer et conjurer.

            Quant au journalisme proprement dit, au règne de l’opinion dénoncé par l’allégorie des “canards” (fake news, petite feuille et mauvais journal) ou des pigeons voyageurs (l’opinion si labile, les lecteurs manipulés ?), nous laisserons la parole à notre prestigieux invité Daniel Schneidermann, qui nous guidera sans doute dans la jungle de la presse et de ce vocabulaire spécialisé dont Balzac, grand philologue, fut le promoteur scientifique et romanesque ; le journaliste de Libération nous proposera sans doute, grâce aux éclairants parallèles avec l’actualité voulus par le cinéaste, bien des Arrêts sur image : comment “brocher” un article, “échiner” un ennemi politique, rédiger des “tartines”, publier (et donc exercer) un “chantage”, à moins qu’il ne s’agisse d’une simple “blague” (attaque personnelle quand même) ? L’essentiel demeurant, mais n’ayons crainte avec le superbe film de Giannoli (!), que le roman de Balzac ne finisse pas, tels certains livres sur un rayon déshérité de libraire, en “rossignol”…

Claude

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