Deux-Filippo Meneghetti

Synopsis : Nina et Madeleine sont profondément amoureuses l’une de l’autre. Aux yeux de tous, elles ne sont que de simples voisines vivant au dernier étage de leur immeuble. Au quotidien, elles vont et viennent entre leurs deux appartements et partagent leurs vies ensemble. Personne ne les connaît vraiment, pas même Anne, la fille attentionnée de Madeleine. Jusqu’au jour où un événement tragique fait tout basculer…Notes de débat sur Deux

Belle séance, les cramés de la bobine sont les plus fidèles parmi les bons spectateurs! On se rappelle que ce film est né de deux événements :  » J’avais envie de raconter l’histoire de deux femmes qui s’aimaient en secret. Mais je ne savais pas comment la mettre en scène. Un jour, un ami m’a parlé de deux femmes âgées qui vivaient au-dessus de chez lui. Elles étaient veuves depuis peu et habitaient l’une en face de l’autre. Et pour se sentir moins seules, elles laissaient toujours la porte ouverte. C’est à partir de cette anecdote que le film a commencé à germer dans mon esprit.

Beaucoup d’interventions éclairantes au moment du débat : Parmi elles, notons l’intervention d’Henri qui explique ce premier plan déconnecté du reste, qui est un clin d’œil à Hitchcock. Cette technique dont il nous dit qu’elle est proche du «  MacGuffin » qui est un élément de l’histoire qui sert à l’initialiser, voire à la justifier, mais qui se révèle, en fait, sans grande importance, ensuite il souligne le clin d’œil au film « les oiseaux ».

Probablement ce film fourmille d’autres connivences dont certaines nous échappent, ça commence dès le titre du film,  ce Deux, est le troisième du nom. Il y a eu Claude Zidi 89 et Wherner Shroeter 2002. Il y a dans ce dernier film deux prénoms proches de ceux du « Deux » actuel : Anna et Magdeleina.

Si avec Hitchkcok, tout renvoie à tout, Filippo Meneghetti dans son propre style, lui aussi, apprécie les correspondances, les analogies, les renvois. Madame D. observait l’accompagnement musical du film. Dans une interview, Filippo Meneghetti fait observer le contraste entre l’espace clos étouffant, lieux du secret de ces deux femmes avec celui du CinémaScope plus généralement réservé aux extérieurs. Il joue également du contraste entre les deux appartements, celui de Madeleine et celui de Nina. L’un dépouillé, l’autre presque étouffant. Nous observons aussi que par un jeu de champ et de contrechamp, il s’amuse de la rondeur de l’œilleton de la porte et les yeux ronds de Murielle. (Et là, ce serait un peu un gag Tati).

Mais l’originalité du film, c’est tout de même cet amour secret, qui ne peut exister qu’en lieu clos, à l’abri du regard de tous, et plus particulièrement des enfants de Madeleine. Dans Gérontologie et Société, le philosophe Bertrand Quentin écrit que les vieux, aux yeux des plus jeunes, entrent dans une espèce de neutralité sexuelle : « Notre société ressent du dégoût devant l’idée d’une sexualité des personnes âgées. Celles-ci n’auraient plus ces beaux corps présentés en permanence à nos yeux par la publicité. Leurs corps seraient caractérisés par la douleur et la défaillance ce qui s’opposerait à tout désir ».

Cette question est sous-jacente dans « Deux ». Les enfants s’interrogent sur la sexualité de leur mère. Frédéric, le fils soupçonne sa mère d’avoir trompé son père et le lui dit agressivement. (Œdipe quand tu nous tiens !). Chez Anne, cette idée de neutralité sexuelle de sa mère la rassure (en attendant de faire d’elle un juge peu clément).

Le Paradis des deux amantes est Rome où elles se sont rencontrées et aimées. Leur projet, sortir de ce cocon étouffant pour Rome, de s’y envoler comme deux papillons et y vivre le reste de leur vie. Nina est libre, ce que montre son appartement, à peine habité, peu investi. Mado ne l’est pas. Elle est prise dans un conflit décisionnel insurmontable. Elle estime devoir protéger ses enfants contre une vérité impossible : leur avouer qu’elle aimait une femme, et vouloir partir… De ce conflit, elle souffre corps et âme, aussi n’est-il pas étonnant, dans ces conditions de tension interne qu’elle fasse un AVC. Ici, l’AVC devient un territoire qui n’est ni Rome, ni son appartement, mais qui nous le verrons, sera une autre prison.

A l’occasion de la maladie de sa mère, Anne va en effet découvrir qui elle est. Une femme qui en aime secrètement une autre, depuis longtemps, bien avant la mort de son mari. Et ce n’est pas tant l’homosexualité que cet amour caché qui cause son dépit, son sentiment d’avoir été trompée, et sa vindicte. Et c’est aussi à ce moment que pour ma part, pour la première fois, je vois dans un film qu’on parle de la prétention des enfants à intervenir frontalement dans la sexualité de leurs parents âgés. Le cinéma prend en charge cette chose pourtant si courante, bien connue en gérontologie, mais si peu abordée ailleurs.

Le rôle d’Anne est beau, et à l’égal de celui de Nina et Mado, il est bien servi. Anne chemine, elle est intelligente et sensible, elle bouge, elle comprend. Elle comprend d’autant lorsqu’elle voit la toute vive, la guerrière, Nina, celle qui s’est dépouillée de tout, qui a choisi de n’avoir rien d’autre que son amour pour Mado, venir l’enlever dans l’Ehpad. Cette scène est épatante.

Passons à la scène finale, dans l’appartement dévasté de Nina (après l’intrusion du fils de Murielle), Madeleine et Nina dansent. Nina pleure. Le scénario ne le prévoyait pas. Barbara Sukowa a laissé libre cours à son émotion. Et nous sommes gagnés par cette même émotion. Sur le pallier, on entend Anne qui crie, ouvrez, ouvrez! je n’avais pas compris!

« C’est la seconde fois que j’entends ce mot à la fin d’un film, la première n’est vraiment pas fraîche : Alec Guinnes, Colonel Nicholson dans le Pont de la Rivière Kwaï ! »

Georges

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