Les Rencontres de Prades, 59ème Festival

 

 

Amis Cramés de la Bobine Bonjour,

Danièle et Henri  s’y entendent mieux que personne pour convertir des cinéphiles raisonnables en inconditionnels du ciné à haute dose. Nous étions 13  cramés de la bobine (et il faut l’être) pour ce 59e  superbe festival de  Prades 2018 !  Un cru classé sans doute, en tous les cas, 37 projections en 8 jours !

J’en ai séché quelques-unes, mais très peu. (Dont une journée pour cause d’ascension du Canigou, avec Henri « chef de cordée » !).

Le Canigou sauf notre respect, présente en difficulté de la roupie de sansonnet à côté de cette montagne de projections qui nous attendent chaque année au festival.  C’est une expérience exigeante et toujours renouvelée que d’y assister. Une excellente condition est requise. Sinon, comme moi, vous n’échapperez pas à quelques épisodes  de somnolence, vous savez ça commence par une sensation de dilution de la conscience, qui conduit de la fiction du film à celle du rêve sans à-coup. Je suis chaque fois stupéfait de voir comment notre cerveau s’arrange avec ça. D’abord, vous fermez « un peu » les yeux, et les sons sont comme amplifiés, vous en êtes contant, ensuite, tout va très vite… Gare aux ronfleurs !

Deux  invités pour ce festival Marion Hänsel, pour la première moitié, et Laurent Cantet pour la seconde.

Je devrais certainement ne pas m’en vanter, je ne connaissais pas Marion Hänsel.Une réalisatrice belge, au ton vif et franc. Elle dégage l’impression d’être, comme beaucoup d’artistes,  une grande angoissée. Elle a la coquetterie de ne pas revoir ses films… et  du coup, ne s’en souvient guère ou d’une manière déformée,  et donc elle répond en confondant des plans qui auraient pu exister avec ceux qui existent.  Ce qui l’intéresse, ce sont les rencontres qu’elle a faites durant ses tournages dans le monde, car c’est une grande voyageuse, elle se rappelle comment elle s’est entendue ou disputée,  et puis il y a sa chère équipe, sa famille en somme. Elle a un contact chaleureux avec le public qui le lui rend bien. Elle a ses inconditionnels.

Si elle est peu explicite sur ses intentions, de film en film on retrouve des figures prégnantes. Pour ce qui me concerne, j’ai un avis plutôt contrasté, je trouve son oeuvre est inégale, mais peut-être que je me trompe. Je vais en  signaler deux que j’ai beaucoup aimés.

D’abord, il y a « Si le vent soulève les sables »2006. Une histoire de migration humaine, donc une histoire de misère absolue, de bad trip (sans métaphore) et de   mort. Et dans cette histoire celle sublime de Rahne et de la petite Sasha sa fille. Il faut que vous empruntiez le DVD quelque part : à la médiathèque ? Ce serait trop dommage de ne pas éprouver avec les personnages,  l’errance, le soleil écrasant,  la faim, la soif, la violence et la peur,  bref, tout le malheur d’être humain à quelques heures de vol de notre douce France.

Le second, c’est  « Between the Devil and the deep blue sea ».1995. Une ambiance.  On pense un peu à cette chanson d’Axel Bauer, Cargo de Nuit. Une histoire de marin donc, une histoire d’entre deux ou de transit, comme on veut. Le marin est entre une terre et une autre, entre le port et la terre, entre hier et aujourd’hui. Là encore il y a une belle rencontre entre ce marin et Li, une petite fille chinoise. Ce marin a   quelque part une femme qui l’attend, et elle attend aussi un enfant de lui. Le marin, quand il lit les lettres de cette femme, entend sa belle voix. Elle lui dit des choses simples, des choses de la vie.  Il a une décision à prendre, c’est complexe un homme.

Je ne vous parlerai pas des autres films que j’ai un peu  moins aimés, d’ailleurs Marie-No en parle très bien. Mais je retiens de  Marion Hänsel qu’elle est travaillée par la question « des  parents insuffisamment bons », des mères et des pères défaillants,  par cette question de la rupture,  de l’absence et de l’abandon et ses blessures. Et parfois de la violence familiale, Équilibres, son court-métrage de 12 minutes, constitue une excellente introduction à son œuvre. Comme si justement, après l’excès de ce court-métrage, elle avait ainsi trouvé un juste équilibre  pour aborder ces questions.

Deuxième partie de la semaine, arrive Laurent Cantet. Accompagné de Michel Ciment. Michel Ciment, c’est une encyclopédie vivante du cinéma. Avec lui, c’est comme si  vous étiez un dans un grand restaurant avec un gastronome qui ne reconnaît pas seulement les subtilités d’un plat, mais aussi la recette, les tours de main, et l’histoire…Quelqu’un qui sait de quoi il parle et en parle d’une manière à la fois simple et précise.

Et je me souviens du presque début de la première interview de Michel Ciment :

MC :– vous avez obtenu une palme d’or, ça aide pour faire des films non ?

LC :– La palme d’or !  C’est sans doute un malentendu ! Et ça n’aide pas plus que ça.

Laurent Cantet dont j’avais vu presque tous les films (Cramés obligent !) est humble, particulièrement attentif, et gentil, capable d’écouter et de répondre toujours au bon niveau. Bref, c’est le genre de gars qui nous donne l’impression de poser des questions essentielles, avec qui vous pouvez facilement échanger, c’est plus rare qu’on ne le pense.

Après l’atelier que nous connaissons bien, avec les très beaux rôles pour Marina Foïs et du jeune Matthieu Lucci,  puis un gentil film Jeux de plage où l’histoire d’un père intrusif. Et surtout les Sanguinaires, que se passe-t-il lorsqu’un homme décide de passer le jour de l’an 2000 sur une île déserte, loin de la modernité et de ses connexions,  avec de vieux amis . Mais les vieux amis ne sont plus exactement ce qu’ils étaient, et ça, c’est intolérable pour quelqu’un qui cultive l’illusion de ne pas changer.  Bref, une quête de l’absolu qui tourne mal. Le tragique, c’est l’homme.  Suit FoxFire,le gang des filles, lui aussi vu aux Cramés. Puis Retour à Ithaque, heureuse retrouvaille, une sorte de huis clos en plein air !  La petite histoire des personnages correspond à la grande histoire de Cuba, oppression, peurs, frustrations, blessures, et dignité tout de même. A Cuba qu’ils aiment en dépit de tout, qui est leur identité.  Aurait-il été possible à Cuba de survivre avec des dirigeants moins paranoïaques ? Les cubains n’ont pas eu le choix, de toutes les manières.

Suit un court-métrage qui rappelle la période Devaquet, « le fameux ministre de l’enseignement supérieur,  qui se fit refiler dans les mains, une  patate (très)  chaude » : Tous à la manif.  Tous ? Vraiment ? Il ne faut que quelques images à Laurent Cantet pour faire sourire de cette imposture unanimiste. Suit Ressources humaines, que nous connaissons et qui montre une fois de plus que ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de bons films, trop d’invraisemblances, trop de jeu avec nos sentiments. Et pourtant le rôle du père, on le sent crédible.  Vers le Sud, un sujet rare, comme souvent, co-scénarisé comme souvent dans les films de Cantet, par Robin Campillo, le tourisme international de consommation est une pratique de riches,  souvent une plaie, à propos de consommation, ici il s’agit du tourisme « amoureux » de femmes esseulées, je n’avais jamais vu ça au cinéma. Là encore, si je peux m’autoriser ce conseil, trouvez le  DVD, Charlotte Rampling exceptionnelle (c’est un pléonasme). Suit L’emploi du temps, un cadre (consultant) licencié qui continue à vivre comme s’il travaillait, le rôle et l’apparence  tiennent lieu de travail. (D’ailleurs, comme c’est un curieux miroir, interprété par des acteurs, des gens pour qui le travail est un rôle).Comme ce film nous rappelle l’affaire Romand, on projette sur le film nos craintes, et comme la musique est inquiétante, on est d’autant plus inquiet. Cet antihéros n’est pas Romand, Cantet s’en défend. Juste un imposteur ? Alors pourquoi cette ambiance annonciatrice de malheur?  Juste pour jouer avec nos nerfs ?

Pour finir,  Entre les Murs.La palme d’Or et le bouquet, j’étais curieux de le revoir et je vais être beaucoup plus long que pour les autres parce que, je trouve que ce film condense bien des traits de Laurent Cantet, d’abord un cinéma sans acteurs professionnels, ensuite il se tient à la limite du documentaire. En fait une sorte de docufiction. Ici, la vie d’une classe de collège, (peut-être y a-t-il un biais d’échantillon, c’est une collection de cas!).  Très rapidement nous sommes conduits à épouser le point de vue du professeur et nous voyons le groupe d’élèves à travers lui. Nous nous identifions, de sorte que nous approuvons ses réponses, les trouvons justes, fines etc… Nous compatissons à ses affres. Un peu comme dans l’emploi du temps, nous sommes illusionnés par nos propres clichés, et les « trucs » du film qui nous y conduisent… Deux  constats : a) fini les gentils cancres rêveurs de Prévert, voici le temps des cancres affirmés, solides. b) On a l’impression qu’à l’école tout semble se passer comme si les questions de cours n’étaient  plus que prétextes à éduquer sur autre chose. Nous passons de l’enseignement des disciplines (lettres, maths etc.) aux formes modernes et softs de la discipline au sens comportemental.

Michel Ciment parlait de la présence du père dans les films de Laurent Cantet. Les figures du père, dans leurs variétés, traversent en effet tous ses films et celui-ci n’y échappe pas. Qu’ajouter ? Le cinéma de Laurent Cantet résiste bien au temps, c’est un bonheur de voir et revoir ses films.

Quelques mots sur les avant-premières, elles nous promettent de beaux jours aux Cramés de la Bobine :

 D’abord, il y a Contes de juillet, un diptyque de Julien Brac,  il est bien connu des Cramés de la Bobine, tout le monde et lui en premier s’accordent pour dire que son cinéma est dans la veine d’Eric Rhomer. Ajoutons ce qui lui est  propre : sa limpidité, son  humour, sa fraîcheur,  sa joie de vivre, son ton . Ses contes sont  exactement le genre de film dont on sort heureux. L’idéal serait d’avoir la présence de Julien Brac au moment de la projection du film. Il ressemble à ses films.

La stoffa dei Sogni, j’en ai déjà dit deux mots dans le blog,  voici un film italien que je vois pour la seconde fois, original, drôle, inventif, et que vous ne verrez pas, pourquoi ?  Pas de distribution en France !

Amin de Philippe Faucon, j’avais eu l’avantage de présenter Fatima aux cramés  et du même coup de voir tous les films de philippe Faucon. Celui-ci me semble moins fort que Fatima parce qu’il laisse une impression de déjà-vu ; mais c’est peut-être moins vu qu’il n’y paraît. Amin, c’est la vie et le destin d’un migrant qui tout comme Fatima est celle d’un sacrifié…Il y a quelque chose qui demeure quand on a vu ce film,  la sensation d’un film  délicat et de tragique à la fois, l’histoire d’une multitude d’êtres dans le monde. Précisement, tous ceux sacrifient leur vie, pour une communauté, ailleurs.

Leto de K.Serebrennikov, je n’en dirai rien,  sauf que je suis sorti au bout de 10 minutes de la salle. Je n’aimais ni la musique, ni les dialogues, ni les personnages. Plus jamais ça!

…Et je garde pour la fin un bon film, (bien qu’il fût présenté le premier jour) : Woman at war, ce film Islandais de Benedikt Erlington  avait avant sa sortie été repéré par Marie-No. Un film qui parle d’écologie, c’est assez rare pour être signalé et …d’activisme ou de  terrorisme écologique comme on voudra. On peut le faire bêtement,  on peut aussi en faire du bon cinéma,  soulever des questions éthiques, montrer des systèmes  de communication, activistes d’un côté,  politico-médiatiques de l’autre. On peut le faire avec un scénario drôle et sur le mode de l’aventure, à la manière de Robin des Bois, sans juger, en nous laissant le soin de le faire. Si en outre pour le premier rôle on a une actrice formidable, alors ça risque bien d’être un bon film. Cette actrice existe, nous l’avons vue dans le film : Halldora Geirhardsdottir« facile », retenons bien ce nom !

Merci à l’équipe des Ciné rencontres de Prades, pour son magnifique festival, sa convivialité et tout le bonheur qui va avec.

Georges

Vu du jardin  « l’Hostalrich » l’Hôtel de Nanou et de sa mère. C’est exactement notre vue lorsque nous sifflons canon sur les tables du jardin.   

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