Béliers (2015), Grimur Hakonarson
par Léo Brient
Genèse Islandaise
Décidément, le jury un Certain Regard du Festival de Cannes est d’humeur « animalière » ces dernière années : après avoir couronné l’épopée canine de White God signé Kornel Mundruczo en 2014, c’est désormais les béliers qui sont mis à l’honneur avec le dernier film de Grimur Hakonarson. Deux films qui, s’ils ne sont pas proches géographiquement, le sont certainement par leurs idées : c’est presque une fable de la Fontaine que nous racontent ces deux histoires, les animaux étant à la fois allégorie et reflet du caractère des Hommes.
Béliers est le récit de deux frères : Gummi et Kiddi qui ne se parlent plus depuis près de quarante ans. Vivant pourtant dans des maisons voisines sur le terrain de la ferme familiale, les deux paysans se complaisent dans leur solitude et vivent en harmonie avec leurs moutons respectifs. Mais au-delà de cet humble postulat de base, c’est bel et bien une succession de petits évènements qui va construire le film, en apportant son lot d’émotions et de symboles.
Il y a d’abord le concours de beauté pour béliers qui placera Kiddi en haut du podium, laissant son frère à la deuxième place. Rongé par la haine et la jalousie, Gummi ne peut pas admettre la défaite. Mais c’est aussi une rancune bien plus profonde que l’on comprend être à l’origine de la discorde entre les deux frères : Gummi, préféré par le père, hérita des terres familiales tandis que Kiddi fut forcé de ravaler sa fierté pour vivre sur ce qui appartenait désormais à son frère.
Cette histoire n’est pas sans rappeler certains récits de la Genèse comme celui d’Abel et Caïn où Dieu privilégie le troupeau d’Abel à la terre de Caïn. Ou encore celui de Jospeh qui a été trahi par ses frères pour avoir attiré la préférence du père. Ces corrélations inscrivent donc le film dans une universalité immuable, qui touche chacun d’entre nous et non pas une petite partie recluse de l’Islande.
Pourtant Béliers développe ses propres péripéties, non pas teintées du spectre de la vengeance, mais bien sous le signe de la réconciliation.
Alors que le réalisateur nous offre des panoramiques d’une extrême beauté, ce n’est pas tant une pause contemplative qu’il essaye de nous communiquer mais plutôt une recherche de sens, révélatrice des émotions de nos personnages. Aux plaines givrées qui rendent la situation comme figée dans le temps succèdent l’aube timide, le lendemain de Noël, symbole d’une réconciliation certaine.
Lorsqu’est diagnostiquée la tremblante du mouton et que les deux frères sont forcés d’abattre leur troupeau respectif, ce qui peut-être vu comme une tragédie permet en fait à nos personnages de s’humaniser, de nous faire prendre conscience de leurs conflits intérieurs. La scène où Kiddi tire dans la fenêtre de Gummi marque en quelque sorte l’entrée du spectateur dans la vie intime des protagonistes pour lesquels nous n’éprouvions jusque là qu’une distante sympathie.
On s’interroge alors sur le rôle de ces animaux qui donnent leur nom au film. Objets de discorde car symbole de la tradition familiale et donc de la rancune entre les deux frères, leur « sacrifice », un peu à la manière d’une hécatombe religieuse, semble inévitable. Mais Béliers n’est pas une tragédie et les deux frères acceptent mal la fatalité ; lorsqu’ils s’unissent pour sauver leurs moutons, les rancoeurs du passé se changent en un voyage vers le pardon et la rédemption. Frappe alors le blizzard qui met à l’épreuve leurs nouveaux liens, dernière étape vers cette réconciliation.
Nous quittons Gummi et Kiddi avec un sentiment de doute manifeste ; nus et enlacés dans un igloo de fortune, comme des enfants dans le sein de leur mère, c’est un retour à l’origine que Grimur Hakonarson allégorise avec maestria, à l’abri du ressentiment passé.
Léo
Pourquoi avons-nous aimé le film “Béliers”?
J’ai trouvé la réponse sur Télérama.fr où figure une interview de Grίmur Hάkonarson, le réalisateur du film, né en 1977.
A la question : Pourquoi avez-vous eu envie de filmer ces deux frères , des hommes âgés ?
C’est ce qui fait l’originalité de votre film car les jeunes cinéastes filment
souvent des jeunes …
Il a répondu : Je crois que j’ai une âme de vieux !Mon film pourrait se passer il y a vingt ans, je n’ai pas voulu dire s’il s’agissait du présent :je montre un monde de traditions qui ne change pas et c’est notamment pour ça que j’y suis attaché, parce qu’il ne change pas.
J’aime le passé, je suis un passionné d’Histoire , et j’aime les gens âgés ! Je crois que je m’entends mieux avec eux qu’avec les jeunes. Je ne suis pas vraiment intéressé par la culture urbaine actuelle. En Islande, Béliers est un film art et essai, comme en France, mais il a eu un très grand succès : 8% de la population l’a vu, et surtout des gens âgés. C’est une sorte de blockbuster pour le troisième âge !
Qu’en pensez-vous ?
Pour ma part, j’attends avec impatience la sortie de son prochain film qui ne manquera pas de me plaire encore davantage !! 🙂
Maïté