Serre moi fort ne ressemble à aucun récit cinématographique sur le deuil et c’est une expérience unique et irradiante.
Comme dans un lieu de recueillement, c’est d’abord à la musique qu’on s’accroche, pour avoir moins peur.
Et c’est peu dire que la musique de Serre moi fort occupe une place prépondérante !
Le récit fantomatique et mystérieux de Clarisse (Vicky Krieps, éblouissante) s’ouvre et se referme sur les Gavottes de Jean-Philippe Rameau puis son parcours s’articule, avance sur des morceaux d’abord classiquement harmonieux avec sa Lucie, enfant qui joue la Lettre à Elise, la Sonate pour piano n°1 de Beethoven, l’Etude n°1 pour les cinq doigts de Debussy.
Le cheminement douloureux de Clarisse est plus tard enveloppé par le kyrie de la Petite messe solennelle de Rossini, la Sonate n°16 en do majeur de Mozart, la Valse n°1 et le Concerto n°1 en mi mineur de Chopin, le Concerto en Sol ou le Ondine du Gaspard de la nuit de Ravel.
Et puis, quand elle n’y arrive plus, quand ses souvenirs ne suffisent plus pour voir ceux qui sont partis, elle les crée, les invente, les trouve « en vrai », se les approprie et les morceaux plus modernes que joue Juliette alias « Lucie adolescente » viennent illustrer la dissonance dans l’esprit de Clarisse qui tient de plus en plus difficilement sa solution pour faire face et c’est la Musica Ricercata n°1 de Ligeti avec sa même note, le La, répétée de plus en plus sauvagement en passant par le Kleine Klavierstücke n°3 d’Arnold Schönberg et le Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen qui l’occupent.
Le cinéma de Mathieu Amalric n’est pas des plus faciles à appréhender : l’opacité du silence et la fragmentation y jouent des rôles essentiels, au profit de récits non linéaires qui se dévoilent parcellement.
C’est le cas pour Serre moi fort.
Les choix de narration sont définitivement courageux et il n’est jamais question d’être gentiment pris par la main pour se faire raconter l’absence et la disparition mais on nous amène, par cercles concentriques, à s’en approcher progressivement.
A l’image du prologue où elle « joue » au Memory avec des polaroïds, les morceaux s’accumulent sans forcément se rejoindre et cette confusion est une mise en forme de la pudeur pour affronter l’insoutenable.
La mère, l’épouse se construit une forteresse au-dessus de l’abime et dans l’attente de la confirmation de son malheur, son choix n’est pas une fuite en avant, mais une fuite en arrière. Elle ne se départit pas de ce qui fut sa joie, et qui, progressivement, perd de son évidence.
Elle s’invente alors une sorte de fiction qui prend le relai, comme par exemple le futur possible de sa fille, qu’elle rêve en Martha Argerich,.
Le film vous happe dès la première image, par son extrême beauté (Chef opérateur : Christophe Beaucarne). Paysages brumeux, quand ils ne sont pas enneigés, usines fumantes au fond de la vallée, la photographie se met au diapason de l’esprit embrumé de sa protagoniste
Son brouillard psychique se lit dans les décors, c’est à peine si elle sait où elle va, ni où elle est. Elle se perd par nécessité, à la recherche de la lumière qui surgit sans cesse et s’enfuit aussitôt.
On ne sait pas très bien où se situe l’action et qu’importe.
C’est un personnage qui doit justement frôler les limites de la raison pour continuer à vivre. Mathieu Amalric lui donne une intensité qui n’est jamais hystérique, ni trop effacée, pour laisser s’exprimer la maternité défaite, l’absence physique, le manque de contact charnel.
L’instant suspendu durant lequel elle touche le torse du musicien en atteste avec une vibration naïve et bouleversante.
Le film se referme sur Rameau et sur le « jeu » de Memory.
Clarisse découvre facilement les cartes identiques ou plutôt « presque identiques » : en regardant bien, sur la première photo découverte, Marc, Lucie et Paul sont en gros plan. Sur la deuxième, le cadre est élargi.
« J’aime te regarder les yeux fermés »
Désormais, c’est comme ça qu’elle pourra les voir.
Marie-No