« Playlist », présenté ce mardi 24 août par Georges, est un régal. Le noir et blanc à la Jim Jarmusch choisi par Nin Antico joint au côté comic strip de ce film, véritable transposition de BD au cinéma avec ses saynètes savoureuses, ses ralentis chaloupés, les plans défilant en cadrage serré, la galerie de garçons impossibles, confère à ce premier opus une dimension à la fois vintage et intemporelle, élégamment stylisée et délicatement réaliste. La voix off, grave et désinvolte. de l’écrivain-rocker Bertrand Belin rappelle assez la nouvelle vague et l’esthétique décalée de Godard dans A bout de souffle : cette jeunesse paumée est aussi la nôtre et chacun peut se reconnaître, ado ou adulte, dans l’errance sentimentale et professionnelle de Sophie (Sara Forestier) et de son amie Julia (Laetitia Dosch). On entre dans l’histoire comme par inadvertance, entre documentaire et autofiction, dans une rame de métro, moderne solitude et jeunesse branchée où se noie et se découvre la silhouette ténue et têtue de la serveuse. Rame de la vie, comme la galerie de mecs que rencontre Sophie, playlist amoureuse autant que musicale scandant ces expériences bercées par le leitmotiv de « True Love Will Find you in the end » de Daniel Johnston et tant d’autres standards…
Le commentaire qui accompagne les tribulations amoureuses et sociales de Sophie donne à la fois l’impression d’une expérience clinique à laquelle serait soumise l’héroïne – on pense au professeur Labori dans Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais – et d’une réflexion aussi grave que légère sur l’amour qui fera écho à mainte expérience de vie. Qu’est-ce que l’amour ? Une question de peau, d’odeur, d’attirance sensuelle ? Une affaire d’affinités ? mais aussi le sentiment d’une incomplétude, d’une impossible coïncidence, un pari plus ou moins hasardeux, plus ou moins banacal, sur l’avenir ? Il faut certes beaucoup d’affinités, de points communs (ou d’amour – mais peut-on définir tautologiquement l’amour par…l’amour ?) pour accepter les défauts de l’autre, les aimer même peut-être et aimer encore. Est-on prêt à beaucoup accepter : quel est notre seuil de tolérance ?
A ces questionnements fondamentaux mais stériles à qui ne se lancerait pas, ne prendrait pas de risques, Sophie, un brin cabotine, oppose à la fois une sensibilité à fleur de peau et une fantaisie débridée, à moins qu’il ne s’agisse du regard amusé et ému de la cinéaste sur sa propre jeunesse. Attente et impatience amoureuses jamais comblées, rage têtue de femme-enfant moqueuse embrassant un mannequin loufoque. Sophie conjugue l’entêtement de l’enfance, la révolte d’une grande ado sur le machisme ordinaire de ses amants ou le cynisme pervers de son patron – monde sans pitié de la BD – à une lucidité adulte sur les servitudes de la vie étudiante, qui vous interdisent de préparer une école de dessin au-delà de 25 ans, quand ce n’est pas sur un film au scénario inabouti, pour lequel vous faites un casting sans y croire vraiment…
Alors, l’humour vous sauve quand la vie se joue de vous ou ne vous offre guère que des occasions manquées, un partie de jambes en l’air dans une arrière-cuisine, un vendeur de matelas timide et obsessionnel auquel le lit n’inspire d’abord que des… considérations matérielles et professionnelles, un avortement déjà sinistre mais encore gâté par la défaillance d’une carte vitale (quand tout s’en mêle !), ou que le quotidien s’exaspère en un combat épique contre des punaises de lit dans votre chambre de coloc où vous rêviez du grand amour et d’une carrière de dessinatrice.
Et patatrac, quand vous rencontrez un beau jeune homme qui vous fait l’amour comme un dieu, ne vous aimât-il que pour votre corps, la. cambrure de vos reins et de vos fesses – ne voilà-t-il pas qu’en pleine jouissance, un muscle vient à sauter : « j’ai peté un câble à ma chatte » – se désole Sophie devant son amie, comme un ultime et dérisoire raté s’ajoutant aux bévues du quotidien. Désopilant ! Mais il faut l’entendre dans le contexte, avec la gouaille accablée et la détresse endiablée que joue si bien Sara Forestier. C’est pourtant sur une image de volupté partagée, enfin atteinte avec le vendeur de matelas, beau ténébreux interprété par Andranic Manet, enfin débarrassé de son ordinateur et de ses complexes, que nous laisse ce film tendre et désabusé.
L’amour vécu, timide et fougueux, simple et conquis de haute lutte, comme une réponse – ou un préalable ? – à toutes nos inutiles quoique légitimes questions.
Claude