Michel Legrand (1932-2019)

Triste nouvelle
Michel Legrand n’est plus.

Formidable musicien, né dans la musique, souriant à la vie.

Aux Cramés, on l’avait « côtoyé » récemment, à nouveau, à l’occasion de notre cycle Jacques Demy et, lors de notre rétrospective Agnès Varda, on l’avait reconnu, tout jeune, dans Cléo de 5 à 7, une de ses deux seules apparitions sur grand écran.

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Les débuts d’une belle vie de créations ! Plus de 200 musiques de films pour les plus grand réalisateurs sur 7 décennies !

S’échappant du décor, sortant du cadre, ses musiques se sont envolées pour vivre leurs vies et continuer à rythmer nos années de leurs tempos intemporels.

 

Une Affaire de Famille – Kore-Eda

Festival  du 16 au 22 janvier 2019
Palme d’or 2018
Du 17 au 22 janvier 2019
Soirée débat mardi 22 à 20h30
Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi

Film japonais (vo, décembre 2018, 2h01) de Hirokazu Kore-eda avec Lily Franky, Sakura Andô et Mayu Matsuoka

Titre original Manbiki kazoku
Distributeur : Le Pacte

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Ce film présenté par Marie-Annick a été bien et amplement débattu.Difficile famille en effet que cette famille-là, et c’est un tour de force que de reconstituer les liens qui en nouent les membres.

On apprend à la connaître au fur et à mesure. Et quand, dans le dernier quart du film, la police et les services sociaux se mêlent de leurs affaires, on en découvre encore, et ce ne sont pas de moindres détails.

L’histoire commence par  l’enlèvement d’une petite fille, Juri abandonnique et mal traitée, qui deviendra la petite sœur de Shota jeune adolescent, lui aussi « trouvé » dans une voiture.

Ces enfants  sont élevés par des « parents » Osamu (un petit voleur)  et Nabuyo (une repasseuse, ex-maltraitée, ex prostituée soft). Ces deux là, nous le saurons vers la fin du film,  sont unis par un assassinat. Au sommet de la famille, une grand-mère dont on ne sait pourquoi elle l’est, si ce n’est qu’elle a le mérite de recevoir mensuellement un « dédommagement » qui lui sert de pension. Dédommagement parce qu’elle assure la garde (en secret) d’Aki,   fille  du fils de la seconde épouse de son ex-mari. Fille qui travaille comme prostituée soft.

Une famille qui s’est reconstituée à partir d’intérêts matériels divers et d’affection élective.  Famille dont le mode de vie est  transgressif et marginal au sens plein du terme.

Une affaire de Famille est remarquablement filmée, les critiques soulignent les qualités de cadrage. Parmi toutes celles que j’ai pu lire, toutes ne sont pas élogieuses, tant s’en faut. C’est pourtant l’une de celles-ci  qui me le fait aimer davantage. Ainsi celle de l’excellente revue « Transfuge » dit qu’on est un peu piégé par le côté bonhomme, par la volonté de Kore-Eda d’adoucir la brutalité du monde, d’aseptiser, voire de stériliser la teneur dramatique du film et sa façon d’éviter le réel.  Quant aux enfants du film, ils seraient trop mignons. Le genre « mignon » serait d’ailleurs, le signe distinctif du film. Et je dois dire que je suis impressionné par ces arguments,  d’autant que leurs auteurs sont des gens brillants et qu’il y a bien un niveau où leur critique  est parfaite.

En même temps, je me dis que le réalisme n’est qu’une des figures de style du cinéma et que rien n’oblige un réalisateur à prendre cette voie pour dire ce qu’il a à dire. Et je pense qu’on oppose trop souvent cette revendication de réalisme pour des films qui ne veulent pas l’être. Je me souviens de nos dernières projections, Heureux comme Lazzaro ou encore de High Life ont pu faire l’objet de semblables remarques.

Kore-Eda prend en effet ce langage de la douceur « du mignon » pour reprendre les termes de Transfuge, pour  montrer des  figures violentes : enlèvements d’enfants, vols, destruction de véhicules, enterrement sauvage, prostitution, chantage etc. Chacun de ces forfaits habilement justifié est inséré dans un tissu relationnel fort qui le justifie- Il faut bien vivre-

On est avec eux.  En témoigne le débat d’hier soir où nous avons tous manifesté de l’empathie pour ces personnages. Je dirai même que nous les aimions. Nous étions  pris dans une sorte de « syndrome de Stockholm », on trouvait que la police et les services sociaux étaient de vilains moralisateurs, des empêcheurs de transgresser en rond !

C’est le premier tour de magie de Koré-Eda, de nous montrer que la fraternité est toujours possible, même pour un spectateur confortable dans son fauteuil. (Dans The Third Murder, il nous faisait aimer un probable assassin). Kore-Eda a ses thèmes, (chez lui les questions de filiation sont très marquées),  il a son langage, sa cohérence, et ses intentions. Par exemple, depuis qu’il fait du cinéma, Kore-Eda sait bien à qui il destine  ses films.

Qui les regarde en effet ?  Nous ! Il sait qu’il nous leurre avec ses partis pris, il sait aussi que nous le savons.

Il sait comme nous  que ce ne sont pas les pauvres africains qui viennent regarder Makala, les sans abris qui viennent en masse regarder Louise Wimmer etc.  C’est bien nous et nous pouvons parfois être nombreux. Nous les cinéphiles. Notre  point commun, être  disponibles pour la culture des autres et leur société.

Or, Kore-Eda soulève par son film beaucoup de questions, nous n’y reviendrons pas Marie-Annick les a très bien exposées. Et il  ne veut pas seulement nous raconter une histoire originale et gentille.

Ici, il   dénonce les travers de la société japonaise. Si l’on en croit les réactions des autorités japonaises, le message a été reçu. Si Koré-Eda était turc, il serait bani, Iranien ou Russe, il serait en prison, Israélien en proie à la vindicte étatique, Chinois, il n’aurait pas fait de film du tout et serait en prison …etc.

Koré-Eda est un lanceur d’alerte d’un genre spécial qui se distingue par les moyens qu’il utilise,  dans ce film il nous dit aussi qu’au Japon, une grande partie de la population est reléguée, rendue invisible et doit se débrouiller comme elle peut. Et nous lisons les journaux et apprenons comment sont traités les vieux travailleurs, les vieux tout court qui représentent 20% des prisonniers au Japon, ils commettent des larcins pour s’y faire enfermer, c’est le seul endroit où on peut s’occuper d’eux.

Alors, si ce film nous montre à la fois  une famille « ex nihilo », pour nous interroger sur la famille, il nous montre en creux    ce que seraient ces personnes sans famille. Il nous signifie que la solitude est souvent une réalité et plus particulièrement une réalité japonaise. Les institutions japonaises sont des machines à produire de la solitude.  Il nous parle aussi des travailleurs à trois sous, comme l’étaient ses parents. La misère des gens de peu,  ceux pour qui il n’y a pas d’état et qui vivent selon leurs lois faute de mieux.
Bref, il soulève les tapis, indispose, se rend détestable et politiquement incorrect…avec du mignon…

Et en outre, son film est beau et captivant

 

01:13:31   (ce lien ouvre sur les critiques de la revue Transfuge)

Amanda (2) Mikhael Hers

 

Amanda : Affiche

Vous prendrez bien un peu de pathos ? Non, merci.
Et surtout pas en tisane.

C’est le premier film sur la vie post attentats, bien.
Mais, placés sans échappatoire possible parmi les gentils, qu’avec des gentils, on manque d’air sous les grosses ficelles du scénario : une petite orpheline grassouillette (surnommée « mon p’tit lardon » par son oncle et que sa mère laisse se gaver de paris-brest), une autre mère anglaise absente qui va immanquablement surgir (c’est amené à la truelle avec le coup des billets pour Wimbledon), la parabole autour de « Elvis has left the building » et le match de tennis qui sonne tellement faux quand elle débarque enfin, en bouquet final, c’en est presque gênant !
Tout se passe comme si les personnages, proches des survivants des attentats, et survivants en rôles secondaires, étaient dans du coton et la mise en scène et le jeu des acteurs, assez moyen, tentent de nous y envelopper. Trop peu de mal à ne pas se laisser faire, hélas et on reste à distance, peu ému par cette histoire de deuil et de reconstruction dans un décor où tout est amorti, lissé, normalisé.
Comme si toute la violence du monde était dans l’attentat et leurs auteurs, Mikhaël Hers nous impose la bonté incontestable de ses personnages, des gens simples, transparents, normaux, nous et en forçant l’émotion par leur sincérité mêlée de maladresse, subrepticement, il amène le pathos, sans en avoir l’air (mais en oubliant d’ôter ses gros sabots, mince !), dans un Paris qui n’existe pas, n’a jamais existé, mais ce n’est pas gênant puisque au contraire l’histoire s’insère parfaitement dans ces parcs ensoleillés, si verts. Forcément verts. Définitivement verts. Aseptisés.

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Marie-No

Amanda – Miakhaël Hers

Prix Jean renoir des lycéens 2018/2019
Du 3 au 8 janvier 2019
Soirée débat mardi 8 à 20h30
Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et lundi après-midi
Film français (novembre 2018, 1h47) de Mikhaël Hers avec Vincent Lacoste, Isaure Multrier, Stacy Martin et Ophélia Kolb

Distributeur : Pyramide

 

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis : Paris, de nos jours. David, 24 ans, vit au présent. Il jongle entre différents petits boulots et recule, pour un temps encore, l’heure des choix plus engageants. Le cours tranquille des choses vole en éclats quand sa sœur aînée meurt brutalement. Il se retrouve alors en charge de sa nièce de 7 ans, Amanda.

Pourquoi on peut aimer ou pas Amanda ?

– Pour le beau couple de cinéma formé par David et Amanda. David, adolescent prolongé, un peu timide, poli, insouciant, souriant, vivant au jour le jour et vivant de l’élagage des arbres parisiens ainsi que de la gestion de studios pour Airbnb.
Un gentil garçon, toujours pressé et en retard à ses rendez-vous. Un corps jeune, filmé marchant et vélocipédant ( néologisme !!) dans les rues parisiennes.
Amanda, petite blondinette aux beaux yeux bleus expressifs, aux rondeurs nourries par les Paris-brest, nièce de David.
Ils sont de nombreux plans, côte à côte, de dos, de profil, de face.
Montrer leur visage en gros plans, filmer leurs pleurs, grimaces est-ce du sentimentalisme comme le dit Michel Ciment ?
je ne sais pas ? C’est pourquoi on s’attache à eux parce qu’on les voit de près, on touche leur souffrance, ça sert à ça le gros plan. Et les filmer ensemble puisqu’ils sont unis dans leur deuil et se renforcent, s’épaulent mutuellement.

– Pour le beau Paris ( certes très personnel de M.Hers) filmé l’été, avec plein de verdure, de feuilles. Paris vu d’un vélo, reconnaître les monuments ( effet visite touristique ). En tout cas, les images traduisent un sentiment de liberté, de respiration, de vie.

-Pour la mise en scène  » sans aspérité, sans force » selon Michel Ciment, mais elle est délicate, lisse, étale parce que justement elle refuse le spectaculaire, le trop visible, l’extériorisation et fait le choix de l’intérieur ( au propre et figuré) des émotions.
D’où le refus de mouvements de caméra trop appuyés, pas de plans séquence, pas de brusquerie, d’effets.
Le réalisateur (je crois, hypothèse ) préfère montrer les sentiments de ses personnages par l’humanité de leur visage ( ceux des assassins sont invisibles ).
Il y a quelque chose de feutré, d’ordinaire, de banal mais justement comme la vie l’est, M. Hers ne filme pas des héros mais des gens comme vous et moi, ordinaires, mais dont la vie bascule du jour au lendemain.

-Pour le réalisme à l’oeuvre dans tout le film et la justesse du ton. Que ce soit par la description de la vie quotidienne, des objets, meubles, dans les appartements de Sandrine ou de Maud. Il y a beaucoup de détails, des gestes et parcours précis ( par exemple la salle de bain de Sandrine ).

-Pour la fin du film, poétique, la référence à Rohmer  » le rayon vert », pour la phrase dite par Amanda  » Elvis has left the building » .

Ce que l’on peut moins ou pas du tout aimer..

– Certaines scènes assez surjouées par les deux protagonistes ( lors du match de foot avec son copain Alex )

– Le Paris montré, dénué de tout bruit, pollution, voitures klaxonnant, enfin moi quand je vais dans le XII° c’est pas tout à fait pareil !!
C’est plus déréalisé et sublimé..que réel, pas mal d’onirisme.

– La première partie, trop heureuse, dansante et chantante.

– Les violons un peu trop présents par moments.

J’ai moins d’arguments pour cette partie ..

Finalement on peut conclure en disant que c’est un beau film, sensible, mettant en scène de belles personnes ( comme on dit ! ) à voir et qui a le mérite de susciter le débat.

High life de Claire Denis

Nominé au Festival International du Film de Toronto 2018

Du 27 décembre 2018 au 1er janvier 2019

Soirée débat jeudi 27 à 20h30Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midiFilm anglophone (vo, novembre 2018, 1h51) de Claire Denis avec Robert Pattinson, Juliette Binoche et André Benjamin

Distributeur : Wild Bunch

Présenté par Danièle Sainturel 

Synopsis : Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
Un groupe de criminels condamnés à mort accepte de commuer leur peine et de devenir les cobayes d’une mission spatiale en dehors du système solaire. Une mission hors normes…

Grand ! On n’est pas emporté dans cette dimension : on y est, dès le début !
Sans encore rien connaître de l’histoire, on sait avec la scène d’ouverture, avec la chute symbolique de l’outil, qu’il n’y a désormais plus moyen de réparer.
Il faudra que ça tienne.
Et ça tiendra. Le temps que Willow grandisse et qu’arrive la seule chance de rédemption.

On est en apesanteur, voyageant dans le temps, avant le début de l’aventure , au temps de la vie sur terre, cette terre dont des images continuent à apparaître sur les écrans du vaisseau spatial et font peur à Willow, au temps de la rage d’avoir été bernés, de la peur de ne plus pouvoir faire demi tour, au temps de la première vie de sang et de chaos, là-bas, au temps où ils étaient encore tous les 7.
7 pauvres hères regroupés à bord de ce vaisseau fantôme.

Leur salut ne peut être que devant, dans ce trou noir, destination ultime de la mission initiée il y a longtemps, et son immense lumière enfin approchée où s’engloutiront, enfin, Monte et sa fille, Willow, petit saule devenu solide, seuls survivants de cette odyssée.

Les images sont superbes de bout en bout, de la lumière bleue à la lumière orange, hypnotiques, fascinantes et, avec la musique ajoutée, on plane, à distance, au dessus des sujets abordés tels l’isolement provoqué, la recherche de la perfection par manipulation génétique interposée, la force de la nature, la terre qui lave et purifie, la violence inculquée indélébile ou remédiable … . On plane, conscients et détachés. Les cadavres cryogénises et l’image de ces corps martyrisés, enveloppés dans leurs cominaisons et casques devenus linceuls, lâchés dans le cosmos, formant un étrange bouquet, est d’une incroyable douceur.  On se sent délestés.

High Life : Photo Robert Pattinson

Bien sûr, on adore Monte ! Sa relation à son bébé fille, ses gestes lents, tendres, ses soins, ses paroles, blotti dans sa confiance en cette toute petite personne blottie contre lui, leur apprentissage de ce monde imposé dont il parvient à extraire suffisamment de sérénité pour qu’elle se lève et marche. Cet amour touche en plein cœur.

Evidemment on adore Robert Pattinson et la scène avec Dibbs abusant de lui dans son sommeil semble, ô combien, évidente. Monte, lui, rêvait de Boyse qui ressemble tant à sa jeune amie du bord de l’eau, Résultat de recherche d'images pour "high life"Boyse qui, sans qu’ils le sachent, va porter son enfant que Dibbs lui ravira, la laissant, elle aussi abusée, ruisselante de lait inutile.
Willow, l’enfant, ne ressemblera à personne jusqu’à la dernière porte et sa transfiguration dans la lumière couleur de feu.

Un film magnifique qui entre naturellement dans mon top 8 de l’année 2018

Marie-No

COLD WAR-Pawel Pawlikowski

 

Du 20 au 25 décembre 2018

Soirée débat jeudi 20 à 20h30

Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi
Film polonais (vo, octobre 2018, 1h28) de Pawel Pawlikowski avec Joanna Kulig, Tomasz Kot et Borys Szyc
Distributeur : Diaphana
Titre original Zimna Wojna

 

Présenté par : Marie-Annick Laperle

Synopsis : Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque impossible.

 

Avec une recette simple, on peut faire un bon film, un scénario qui tient la route, prenons un triangle, genre triangle amoureux,  pour cette fois, l’un des amoureux c’est la Pologne (genre mère jalouse et possessive).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Désynchronisons les élans amoureux, façon je t’aime ! Moi non plus !

Zula préfère la Pologne au moment où Wictor l’aime et Wictor n’aime plus la Pologne etc…. Variez à souhait amour et désamour.

Et surtout,  ne jamais oublier que la Pologne du coup,  est du genre vindicative et  rancunière. Stalinienne comme pas possible. On se demande pourquoi on l’aime, mais l’amour est à la fois  filial et aveugle.

On attend le moment synchrone, ce sera le final amoureux,  le « mariage/suicide » à la pilule  de Zula et Wictor, dans cette Pologne aimée…Enfin tous trois réunis.

Arrosez sans compter de  musique propagandiste  nationale et folklorique, de Jazz  bop ; puis générique : Glen Gould, Variations Goldberg et re-musique folklorique, fin.

Heureux comme Lazzaro- Alice Rorhwacher.


 

Prix du scénario au Festival de Cannes 2018
Prix jean Renoir des lycéens
Du 13 au 18 décembre 2018
Soirée débat mardi 18 à 20h30Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et lundi après-midi
Film italien (vo, novembre 2018, 2h07) de Alice Rohrwacher avec Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Agnese Graziani, Tomaso Ragno et Sergi LopezDistributeur : Ad Vitam 
Titre original : Lazzaro Felice

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna.
La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro.
Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne.

Pour ce qui me concerne, ce fut un bonheur de voir ce film, je le tiens pour l’un de mes préférés. J’aime qu’on me raconte des histoires. Avec Alice Rorhwacher, le cinéma devient aussi une aventure  poétique,  tout l’est, l’esthétique de l’image et sa vivacité,  le choix des décors et des personnages, le son, la musique et l’histoire en forme de conte, et Lazzaro donc, cet étrange personnage !

Heureux comme Lazzaro est bien dans une tradition italienne qui souvent  conjugue réalisme et fantastique. Le journal La Croix évoque Victorio de Sica et Fédérico Félini. Alice R  cite Italo Calvino et Novecento de Bernardo Bertolluci. Pas de doute.

Parmi les caractéristiques du film, il est construit comme un diptyque, ou mieux encore comme les cartes d’atout d’un jeu de  tarot. Tête bêche scènes des champs et scènes bourgeoises. Mais la réalisatrice  y a ajouté autre chose : l’effet du temps. L’effet du temps sur les lieux et les personnages. Des scènes des champs aux scènes de la ville, 20 ans ! Ce sont donc des figures en mutation qu’on nous présente, qui conduisent des paysages de campagne à devenir ville, des groupes de paysans à devenir citadins. Des jeunes à devenir vieux. Des serfs à exclus. Ce qu’Alice Rorhwater énonce ainsi, on va du Moyen Âge technologique au Moyen Âge des âmes.

Quelques figures émergent 

La marquise Alfonsina de la Luna, elle regarde du haut de son château, dans un surplomb écrasant, ses ouvriers agricoles, qu’elle traite comme ses serfs. Elle  vole et trompe. « Les libérer c’est leur faire prendre conscience de leur esclavage ». D’ailleurs tout le monde exploite tout le monde, moi je les exploite, et eux, ils exploitent Lazzaro ! Et qui exploite Lazzaro ? demande Tancredi son fils. Forcément quelqu’un répond la marquise. Impossible pour elle,  dans son système, de penser autrement.

La figure de la marquise mute quand arrive le temps de la ville 20 ans plus tard. Les serfs sont devenus des gueux.  La ville a son cœur battant, ses banques, ses quartiers d’affaires, et sa population bien insérée, elle a aussi ses franges. (Curieusement, nous verrons ce même thème prochainement dans le film Une affaire de famille  de Kore-Eda). Dans ces franges, ces non-lieux,  les habitats précaires, de fortune dominent. Les marquises ne sont plus là, les banques leur succèdent comme système d’oppression. Banques et franges sont bien entendu des figures analogiques de l’oppression.

La figure du peuple dans la première partie est représentée avec les artifices du conte. Une petite communauté, marquée par  sa condition. Son lot c’est le servage, la duperie, la spoliation, l’escroquerie, la captation de leur force de travail et le mépris.  Peuple aliéné, tenu dans l’ignorance. Sur les terres de la marquise, pas d’école,  il n’est pas question d’apprendre à lire. Pas ou peu de lumière non plus. La marquise leur donne deux ampoules, il faut les dévisser pour aller de pièce en pièce.(la marquise n’aime pas les lumières).  Quant à l’éducation, c’est l’absence de scolarité pour les enfants et le catéchisme de la Marquise.  Le catéchisme de la marquise, la vie des saints,  dont elle les gratifie, symbolise l’action chrétienne durant des siècles vers le peuple.

Le  réalisme et le fantastique se rencontrent, puisque cette communauté vie cela dans les années  1980.  Le fantastique rend la scène contemporaine, le réalisme, c’est qu’en effet avec le christianisme du moyen âge à l’orée du 20èmesiècle, n’enseignait guère la lecture. Au peuple l’ignorance.

Dans les années 2000, cette même communauté vit aux franges de la ville. Ces membres ne sont plus serfs, ils sont  devenus gueux. Ils vivent de petits commerces et de petits larçins, rejettent tout ce qui appartient à la terre, préfèrent les chips à la chicorée qu’il leur faudrait ramasser. Là encore la forme conte fantastique fait du larcin  un métier. La seule et la dernière activité des réprouvés, rouler des gens cupides et bien pensants. Ces gueux, le cinéma italien  les connaît bien, autant  que les feuilletonnistes du 19èmesiècle partout en Europe. Ils ont d’autres attributs plus positifs, ils sont solidaires.

La figure de Lazzaro  appartient à ceux dont  Alice Rorhwacher dit : « En explorant mon pays et mon époque, j’ai souvent rencontré des « Lazzaro » : des personnes que je qualifierais de « gens braves » mais qui, le plus souvent, ne se consacrent pas à faire le bien, car elles ne savent pas ce que cela signifie. Leur nature même est de rester dans l’ombre, quand elles le peuvent, elles renoncent toujours à elles-mêmes pour laisser la place aux autres, pour ne pas déranger. Ce sont des personnes qui ne peuvent pas émerger de la masse où plutôt elles ignorent qu’il est possible de le faire. Ces gens-là s’occupent des tâches désagréables et lourdes que l’humanité laisse derrière elle, elles remédient à tout ce que les autres foulent aux pieds par inadvertance, sans que personne ne s’en aperçoive ».

Lazzaro présente des traits de sainteté, Saint François,  Sainte Agathe, et Saint Lazare (comme lui il ressuscite) .  Sa figure oppose au chritianisme institué, une sainteté qui n’appartient à aucune religion particulière,  dans un monde où comme hier,  l’homme bon est suspect et où le saint serait une menace telle qu’il faudrait le tuer.

Alors et le loup  dans cette histoire ? Il y a d’abord un hurlement au loin, un appel de l’inconnu, celui d’un être dangereusement libre. Et puis le loup dit le philosophe Baptiste Morizot est l’animal qui dans nos sociétés occidentales, nous rappelle que nous sommes aussi de la viande. Et Michel Pastoureau, l’historien a noté les occurrences des traits attachés aux loups dans la littérature du Moyen Âge au 19èmesiècle : voleur, menteur, lâche, cruel et sanguinaire, couard, fourbe, paresseux, avare ». Bref, des traits humains.

Pour terminer, par hypothèse,  la Marquise Alfonsina de Luna semble devoir son nom  à Alfonsina Storni, célèbre poétesse mexicaine s’étant suicidé et dont F. Luna a fait une chanson que voici .

Mercedes Sosa-Alfonsina y el mar – YouTube

PS : Drôle la mutation de Nicolas le régisseur et homme-lige  de la marquise, paternaliste et voleur devenant 20 plus tard recruteur à la criée au moins disant salarial.

 

Un amour impossible-Catherine Corsini

 

 

 

Du 6 au 11 décembre 2018

Soirée débat mardi 11 à 20h30

Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi

Film français (novembre 2018, 2h15) de Catherine Corsini avec Virginie Efira, Niels Schneider, Jehnny Beth et Estelle Lescure

Distributeur : Le Pacte

Synopsis : À la fin des années 50 à Châteauroux, Rachel, modeste employée de bureau, rencontre Philippe, brillant jeune homme issu d’une famille bourgeoise. De cette liaison passionnelle mais brève naîtra une petite fille, Chantal. Philippe refuse de se marier en dehors de sa classe sociale. Rachel devra élever sa fille seule. Peu importe, pour elle Chantal est son grand bonheur, c’est pourquoi elle se bat pour qu’à défaut de l’élever, Philippe lui donne son nom. Une bataille de plus de dix ans qui finira par briser sa vie et celle de sa fille.

Présenté par Laurence Guyon

Christine Angot a connu le pire, l’inceste pédophilique. Et ce film, reprend  l’un de ses récits.

Dans « un amour impossible », un titre qui flatte à cause de ses doubles, triple sens et sonne comme un roman de gare, Chantal adolescente sera, comme son auteur,  sodomisée par son père, et l’on retrouve dans le film, les thèmes de Christine Angot, les figures  de la violence familiale, des passions douloureuses et de la colère. Servi par une écriture « vérité » ou prétendue telle.

La trame du film, c’est le déroulement linéaire de la vie de Chantal et de Rachel sa mère. La vie de Chantal commence avant sa naissance par la rencontre de Philippe et Rachel. La carpe et le Lapin*(1).On peut se croire un instant dans « pas son genre de Lucas Belvaux », mais nous ne sommes pas là seulement pour ça…

Nous sommes  là pour assister à la mise en pièces par « un prédateur » de Rachel, une belle et gentille femme, qui ne demande rien, qui est travailleuse et courageuse et pas bête du tout et… de Chantal sa fille.

Rachel est une femme qui n’a pas connu son père, et qui par une sorte de compulsion de  répétition trouve l’amant  absent qui plus tard, refusera de reconnaître Chantal sa propre fille. Et ce sera le seul combat de Rachel  de faire en sorte que Philippe la reconnaisse. Et, il va la reconnaître pour mieux la connaître*(3).

Donc, il lui donnera son nom et la sodomisera. Ce qui fait dire à Chantal dans un dialogue avec sa mère quelque chose comme : « Ce qu’il voulait c’est nous humilier, humilier notre condition : Cet homme a voulu nous atteindre dans ce que nous sommes, (des gens modestes et dignes)  et à travers moi c’est toi qu’il voulait atteindre dit Chantal à Rachel, sa mère.

Voilà l’essentiel, du coup, il y a aussi le récit de Philippe*(2)  cet amant qui ne veut pas se marier, ce père qui refuse de l’être. Que sait-on de lui ?  Il est riche, beau, intelligent, polyglote  et cultivé. Son père est un homme de pouvoir antipathique. Il vit avec une femme  qui finira par se défenestrer.

Cette scène de saut invite le spectateur à en  faire un lui aussi, car le film suggère que cette suicidée est nécessairement la victime d’un époux sadique, et donc  Tel père, Tel fils ! Et cette dame n’est plus là pour nous contredire.

Christine Angot n’aime rien de mieux qu’escamoter les femmes de même qu’elle suicide la mère de son amant, elle fait disparaître sa propre mère sous le poids des déterminismes sociaux. (fille de fille mère et fille mère à son tour, fille de pauvre  et pauvre elle-même, fille d’un juif errant etc).

Or,  ce système de « bonnes raisons » qui paraît peu crédible,  ne l’est plus du tout lorsqu’un  jour Chantal raconte à sa mère que son père  l’abaisse et l’humilie gravement. Elle lui répond : «  il peut être comme ça !  »

Alors, raisonnablement on en vient à reconsidérer  « l’hagiographie » de Rachel.  C’est une femme qui accepte tout, les petites et grandes humiliations, les longues absences, et plus encore les brefs retours, qui accepte de risquer d’être enceinte et de l’être, d’élever seule son enfant, de ne rien réclamer pour elle-même et seulement, longtemps après, la reconnaissance paternelle de sa fille etc.…

Mais ça, ça porte un nom :   Le masochisme. Bref,  elle a un rapport masochiste pathologique à cet homme.  Elle privilégie tout au long de sa vie, ce mode de rapport avec Philippe.

Et donc Philippe et Chantal forment un couple sadomasochiste et Rachel est une victime pour une part d’elle même, consentante. (Ce qui n’exonère nullement Philippe, qui serait à lui seul un sujet)

Sans doute,  le parler vrai et cru de Christine Angot (Chantal) comporte sa part d’omission et probablement de dissimulations diverses autour de cette question. Toujours est-il que les dangers que faisait courir Rachel à sa fille en la confiant à son géniteur, sont aussi le produit de son masochisme permanent. (Ce qui ne comporte ni condamnation, ni jugement moral d’aucune sorte).

…Bref, il y a quelque chose de  passif-agressif dans ce récit de Christine Angot.

Pris par ce bavardage, j’allais oublier presque de dire que ce film ambiguë s’étire un peu, que sa musique emprunte beaucoup à Phil Glass, et que la narration par la petite fille est assommante.

 

 

P.S : Je me relis, bon, c’est écrit, cependant,  j’aurais peut-être dû dire que l’auteur place ses projecteurs où il veut. Par exemple, il aurait été interessant de connaître la mère de Philippe. Et la mère de Rachel donc!  Christine Angot me semble prise dans sa rationalité,  dans son système explicatif.

 

 

*(1)Cette expression appliquée aux humains servait de métaphore au couple composé d’un noble et d’une roturière. Pour y pallier, le noble se voit dans l’obligation de donner la main gauche à l’épouse  pendant la cérémonie, signifiant par ce geste qu’il ne transmettait son rang ni à sa femme ni à leur progéniture. Il est à signaler que si le noble donne sa main gauche, c’est parce que l’alliance normale entre deux personnes de même rang se mettait à la main droite. (Sur le site expressions française)

 *(2) Philippe, sans doute comme Philippe Petain, car le père de Rachel est juif, et le Philippe du film manifeste un instant un antisémitisme bon teint.

*(3) Dans l’interprétation Chrétienne de  la Genèse, Loth qui accueillait deux étrangers (en fait deux anges) vit sa maison entourée par les habitants de Sodome qui voulait …les « connaître ».