Perdrix de Erwan Le Duc

Perdrix : Affiche

Le réalisateur, Erwan Le Duc, est journaliste sportif à la base. Genre, le type couvre le Mondial de foot en Ukraine !!!
Comme quoi il ne faut jamais désespérer de rien puisque, avec « Perdrix », son premier film long métrage, Erwan Le Duc nous offre une comédie romantique, déjantée, soignée, signée.

Une telle émotion, une telle fantaisie avaient bien besoin de sortir !
D’abord sur nos gardes, on plonge vite dans l’histoire et on prend un plaisir mélancolique à être avec cette famille loufoque mais pas tant que ça, soudée, mais pas tant que ça, figée dans l’empêchement.
Ca parle d’amour. L’amour naissant et évident entre Pierre et Juliette, l’amour pudique, débordant, étouffant, d’une mère pour ses fils, d’un père pour sa fille, l’amour préservé et ravageur d’une femme pour son mari disparu, l’amour fraternel.
L’équilibre est trouvé entre la fantaisie et l’émotion.
Dans la famille Perdrix, le gardien du temple c’est Pierre (Swann Arlaud, épatant en gradé lunaire), le fils aîné, gendarme bienveillant qui n’ a pas grand chose à gendarmer dans sa bourgade perdue des Vosges. A part garder un œil sur la colonie de nudistes, arrivés là depuis peu, voulant faire reconnaître leur droit à se présenter sans artifices, sans masque, nus donc et signifier à tous par des « actions » l’urgence à adhérer à leur cause, à se débarrasser du superflu, à participer à leur révolution.
Pierre Perdix doit aussi encadrer les reconstitutions historiques. Il y a des tanks, des jeeps à garer. Et les bénévoles à accompagner. Ils se passent l’uniforme tantôt français, tantôt allemand. Interchangeables, pareils. Un seul mot d’ordre : zénitude.
Nicolas Maury (le Hervé de Dix pour cent) est Julien dit Juju, le frère de Pierre. Juju père opaque, biologiste réfugié dans la géodrilologie, vouant une passion totale à ces animaux fouisseurs, précieux indispensables alliés du futur, acteurs majeurs dans la qualité du fonctionnement des agroécosystèmes. Juju a une fille, Marion, ado, dans la honte du père, faute de mère,  et le sien lui tape l’affiche format XXL ! Elle, ce qu’elle veut c’est partir en sport études option ping-pong, échapper à sa grand-mère aussi, Thérèse, formidable Fanny Ardant, enfermée dans son deuil avec tous les siens, réfugiée dans son garage, dans l’écoute des autres. Car cette tribu, entre eux, ne se parle pas. Ça s’est décidé comme ça, quand le père est mort, il y a des années. Ils se sont groupés et figés. Thérèse inconsolable d’avoir perdu l’homme de sa vie, l’homme idéal, croque désormais tous les autres, simples mortels, ce qui ne la console nullement.
Un beau jour,  Juliette débarque et Juliette (Maud Wyler formidable en malheureuse électrisée), c’est le contraire. Son cas est tout aussi pathologique, remarquez ! Juliette c’est la fuite en avant avec sa vie consignée sur des petits carnets qui la retiennent en arrière.
Qu’est-ce qui pourra bien rompre ces malédictions ?
L’amour évidemment !
L’amour qui les fera tous sortir du cadre pour les remettre sur le chemin du possible bonheur.

Beaux personnages, dialogues travaillés,
Une jolie comédie, originale et émouvante.
C’est rare.

Marie-No

Compte rendu (en retard) du 60ème Festival de Cinéma de Prades!

Le lundi commence allègrement le 60eFestival du Cinéma de Prades, eh oui ! 

Avec « Vire-moi si tu peux », deuxième court métrage d’un jeune réalisateur,   Camille Delamarre, c’est aussi un acteur et surtout un monteur reconnu. Ici, il  bénéficie d’un sacré casting et donc d’un bon coup de pouce, avec deux acteurs principaux, Patrick Timsit et Richard Berry, c’est drôle et très bien fait.  Et donc nous allons guetter son premier long-

Ensuite nous faisons la connaissance de Serge Bromberg qui a fondé Lobster, une société un peu folle, dont la mission consiste à  retouver et à rénover des films disparus ou anciens, on n’imagine pas combien le hasard est généreux,  comment s’agencent les coïncidences pour ceux qui cherchent, pour ce genre  « d’archéologue du cinéma ». Serge Bromberg est un découvreur. Il est cabotin, mais c’est un artiste,  personne n’est parfait. Ce qui est parfait c’est le travail de sa maison. Vient le ciné, le temps de voir du muet ! On regarde parfois ça avec un peu de condescendance, on n’y tient pas plus que ça, mais que la séance commence et on remise très vite nos préjugés.  Ma culture cinématographique concernant Meliès, se bornait à l’image de la lune qui reçoit une fusée dans l’œil, celle qui illustre le 60èmeFestival de Prades ! Mais le film ? Eh bien nous avons eu droit à une projection colorisée, comme lors de sa première projection!  Dès ses débuts, le cinéma se rêvait en couleurs. Avec Meliès, on est dans un imaginaire débridé,  à l’époque de Jules Vernes, on songe à la conquête de l’espace, six savants fous alunissent, rencontrent des lunaires, (des sélénites), ces drôles d’extraterrestres ! Les trucages commencent dès les débuts du cinéma. 

Autorisons-nous cet aparté, l’histoire compare souvent  deux tendances, Melies, sa fantaisie et ses trucages et les Frères Lumières (l’artiste et le scientifique),  pour leur mise en lumière du réel. Observons aussi que lorsqu’on regarde la galerie de portraits des fondateurs du cinéma on n’y voit que des messieurs.  On oublie Alice Guy née en 1873, dont pourtant Wikipédia nous dit : « Avec La fée aux choux, qu’elle tourne en 1896, elle est la première réalisatrice de l’histoire du cinéma. Elle joue un rôle de pionnière en ayant l’idée de filmer du contenu de fiction pour faire vendre des caméras proposées par Gaumont. En 1910, elle est aussi la première femme créatrice d’une société de production de films, la Solax Co3 ». Une paille ! Mille films presque tous disparus ou mal identifiés. Pour l’essentiel  Serge Bromberg et ses collègues n’en ont  probablement jamais eu la restauration, car il nous apprend qu’en quelques décennies, les bobines de 35 mm en nitrate de cellulose durcissent  deviennent compactes, indébobinables, avant  que de se ratatiner sur elles-mêmes.  (Mon explication est un peu sommaire, j’en conviens, mais ça ne change rien au résultat). Autant dire que les films que nous propose Serge Bromberg sont de purs miracles ! Sauvés, reconstitués grâce des recherches folles dans le vaste monde et à des techniques impossibles (science et  patience !)

Et au total, nous avons vu quelques muets, dont quelques magnifiques Laurel et Hardy et particulièrement « Vive la Liberté » qui se déroule au sommet d’un gratte-ciel… Terreur époustouflante, et rire libérateur garanti !  Nous avons aussi vu la plus grande bataille de tarte à la crème de l’histoire du cinéma, et bien d’autres trésors. 

Serge Bromberg nous quitte, il était un véritable showman,  accompagnateur pianiste (très Jazzy)  des films, conteur, et drôle. Alors, une petite anecdote  pour finir : Serge Bromberg  est dans la salle et nous discutons avec lui en petit groupe, et le piano qui devait lui permettre d’accompagner un film manquait. Alors, il nous dit : « On va sans doute me trouver un peu excessif, mais dans la mesure où j’accompagne ce film au piano, j’en ai exigé un !». 

 Arrive Nicolas Philibert et ses  documentaires. On se souvient de l’immense succès d’Être et Avoir.

Au physique, imaginez Marilyn Monroe sur la grille de métro,  maintenant, mettez à sa place Nicolas Philibert, qu’obtenez-vous ? Un homme avec tous les cheveux sans exception,  dressés sur la tête. 

Blague à part, c’est un homme de petite taille,  un peu austère et réservé, mais qui immédiatement captive. Son visage, son timbre de voix, cette manière  de parler sans jamais élever le ton, et lentement, pesant chaque mot,  scrupuleux, très attentif. Lorsqu’on lui demande pourquoi, il fait du cinéma, il cite Henry James : « j’écris des livres pour savoir ce qu’il y a dedans disait-il, et moi je fais des films pour savoir ce qu’il y a dedans ». 

Et je ne sais pas si c’est un effet de sélection, on a l’impression que Nicolas Philibert aime les lieux clos, les systèmes fermés, et il les filme en essayant paradoxalement, d’en savoir le moins possible sur le sujet, en gardant sa capacité d’étonnement : 

« La ville Louvre ; le pays des sourds ; de Chaque instant ; La nuit tombe sur la ménagerie ; La Maison de la Radio ; La moindre des choses ; Un animal des animaux » Musée, institution de sourds, école d’infirmière, zoo, radio, asile, jardin des plantes. Pourrait-il aussi bien filmer dans un lieu mal circonscrit ? Il faut que j’en trouve un pour le voir.

Il ne fallait rien louper. Il y a une sorte de magie dans ses films :  le ton,  la distance, la méticulosité, et son amour des visages, pas du visage qui joue un rôle social, non, celui de l’être en tension, celui qui travaille, qui pense, qui fait. Celui dont le projet, l’action  lui fait oublier qu’il existe, qu’il est en train d’exister. Le style de Nicolas Philibert a quelque chose de fascinant. Pris dans cet engrenage qu’est la succession de ses films, on voudrait que ça ne s’arrête pas, on a l’impression de comprendre, d’être avec, de partager. L’instant de la projection, on est orang-outan, sourd, journaliste ou empailleur…On est en empathie avec les personnages de ses sujets. Lors de son dernier débat, Nicolas Philipbert demandait au public qu’est-ce qu’un grand  film ? Et nous y sommes allés de nos définitions malhabiles ou parfois aiguisées. Il gardait la sienne pour la fin, je n’en ai pas retenu les termes, mais je me souviens que sa définition n’était pas celle d’un film en particulier, mais celle d’un chef-d’œuvre, en substance il dit à peu près : « Quelque chose qui dépasse celui qui l’a fait, quelque chose de plus grand que l’intention de son auteur !  »… C’est ce que Nabokov disait du « Don Quichotte ! »

Mon bémol  c’est « La moindre des choses » ce documentaire passionnant se passe à Laborde, institution pour personnes malades mentales. Qu’est-ce que la psychiatrie institutionnelle avait demandé N.Philibert au Docteur  Jean Oury, fondateur de l’Institution, et lui de répondre laconiquement : « C’est la moindre de choses » … Séduisant, car on est invité à découvrir la chose en question. 

Pourtant, je trouve que ce film ne voit pas assez la part de l’institution dans la maladie de ces braves gens,  sauf un instant fugace, par un personnage du film, (François je crois), élégant, sensible, spirituel, édenté…Pourquoi les vieux et moins vieux pensionnaires n’ont plus de dents en psychiatrie, pourquoi leur rasage devient approximatif ? Comment parmi la multitude de malades, devient-on un vieux pensionnaire qu’est-ce qu’on y gagne, et surtout, qu’est-ce qu’on y perd ? 

Puis vient le moment où l’on quitte Nicolas Philibert, plutôt c’est lui qui nous quitte et nous le regrettons. 

Intermède, Laïla Marrakchi, avec 2 longs et un court… pour ma part, j’aurai sans doute préféré l’inverse car les affres de la jeune bourgeoisie branchée marocaine m’intéressent autant que « la boum » .

Arrive Cédric Kahn, je ne connaissais pas, je n’avais vu qu’un film de lui, et là, belle sélection et autant vous le dire tout de suite, il va succéder avec une classe folle à Nicolas Philibert. Qu’est-ce qu’on nous présente ?  

« Une vie Meilleure, la Prière, Feux rouges, Roberto Succo, l’Ennui, Vie Sauvage ».Mais d’abord un mot de l’homme Cédric Kahn, il succédait bien à Philibert pour l’éthique et dans l’attention portée aux personnages et aux acteurs, aux situations et à la manière de les filmer. Mais l’homme Cédric Kahn m’apparaît plus naturel, moins construit, plus spontané et il fait de la fiction. 

Il a chez lui, une sorte de méfiance pour le « psychologisme » et il feint de ne rien trop savoir des personnages, il laisse à chaque spectateur son libre jugement,  il préfère de loin parler des circonstances et conditions de tournage, des acteurs qu’il a filmés. Au contact, il est simple, direct, attentif (très), et toujours le plus clair et  fluide possible dans ses commentaires, il accepte les critiques les plus dures comme les plus élogieuses avec placidité et bienveillance. Cédric Kahn est son meilleur agent parce qu’il a un contact spontané et fin et  peut-être son plus mauvais parce qu’il n’exprime aucune vanité d’aucune sorte, dans un monde qui n’est pas fait pour ça. 

Dans cette sélection, deux films étaient inspirés de livres, l’un « feux rouges » de Simenon, et « L’ennui » de Moravia, je réunis ces deux films très différents, parce qu’il se trouve que j’ai  un peu lu les auteurs. Cédric Kahn s’inspire, il ne reproduit pas, il ne craint pas de modifier les histoires. Pourtant, les Simenon et Moravia de Cedric Kahn y sont mieux que sentis, ils y sont eux-mêmes. Cedric Kahn est un cinéaste de l’ambiance, du climat.  De ces films, il faut tout voir et revoir si l’on peut. « La vie sauvage » d’abord, vous savez ce marginal un peu mégalomane qui  décide de soustraire ses enfants à la décision de justice et à leur mère, et les élève en fugitifs comme des Sioux. C’est presque un documentaire, c’est aussi un remarquable travail d’acteurs. A l’exemple aussi de « L’ennui », le fameux Moravia dont je parlais à l’instant, le héros fait aussi penser à « un amour de Swann » en moins soft au plan physique mais en aussi vif et douloureux sur le plan affectif… il y a des voies où il ne faut pas s’embarquer !  Un film remarquablement joué là aussi. (Charles Berling, Sophie Guillemin (quel rôle ! elle y est parfaite) et Arielle Dombasle. Mais surtout, il faut attendre avec impatience le prochain film de Cédric Kahn « Fête de famille » et ne pas le manquer, Les Cramés de la Bobine seront vigilants.

Avant de finir ce billet, déjà bien long,  trois choses : 

-Il y a un prix du public  du Court-Métrage à Prades, et il y a une rigoureuse présélection qui aboutit à nous présenter 15 courts-métrages. Ambroise Michel, l’un des réalisateurs était présent, c’était le seul, il n’a pas gagné, mais tout de même,  son « court » était bien fait et drôle.  Presque tous étaient bons. Si un jour près de chez-nous, un ciné projette des courts, je serais un bon  client. Nefta Foot Club a obtenu le prix, je ne sais pas comment les organisateurs ont fait pour trouver un vainqueur, pour ma part,  à 80 % d’entre eux, j’ai mis la note maximum… Mais je le reconnais  volontiers, Nefta est un franc moment de ciné, drôle, original et inattendu.

-En bref : Signalons deux films légèrement anciens,  « Parlez-moi de vous » de Pierre Pinaud, un premier long métrage, avec dans le rôle  principal, magnifique,  Karine Viard, elle est en compagnie de Nicolas Duvauchelle et bien d’autres. Puis vint  « Larguées, d’Eloïse lang »  Camille Cottin, Camille Chamoux, Miou-Miou, ce n’est pas ce que je préfère, les bonnes actrices ne font pas nécessairement de bons films. Et deux prévisonnements : Papicha de Mounia Médour, remarquable, dans la lignée du grand « Mustang » puis Alice et le Maire de Nicolas Pariser( Avec  Fabrice Lucchini et Anaïs Demoustier.) Superbes  et à retenir !

-Enfin, le Festival de Prades,  demeure une joie dans la vie de ses festivaliers. Pas seulement parce qu’on y reconnaît les visages amis, qu’on y apprécie les compétences, la gentillesse, le travail, les choix, mais aussi pour le style du Festival de Prades, son climat sympathique. 

Et puis, l’essentiel du Festival est mono Salle…et rien que ça,  rend ce festival distinct et agréable, les habitués des festivals musique, théâtre, ciné, comprendront. Décidément, Prades, cette belle petite ville touristique, avec ses 6000 habitants, demeure  une grande ville de la Musique et du Cinéma.

Jean-Pierre Mocky 1929 ou 1933 /2019

Au début, Jean Pierre Mocky était peintre,  et il l’est resté,  une peinture par d’autres moyens.

Jean-Pierre Mocky, la dernière fois que je l’ai aperçu c’était dans la rue quelque part dans Paris, vers le quai Branly,  avant cela,  c’était  à la télé en 2013, dans « On n’est pas couché » une émission tardive et très regardée,  il présentait son dernier film d’alors,  « le Renard Jaune », face à lui  Natacha Polony et  Aymeric Caron (Laurent Ruquier, « Modérateur »). Nul ne s’étonnera d’apprendre que lors de cette émission,  Jean-Pierre Mocky,  les a très rapidement  traités de cons, leur a dit qu’ils représentaient exactement ceux qu’ils n’aimaient pas.   Les deux journalistes n’étaient pas de reste, dans un autre genre, une autre grossièreté.

On peut être gêné par le style de prise de parole de Jean-Pierre Mocky, mais il a souvent eu le mérite de mettre en lumière verbiages et impostures, et à travers ces deux journalistes d’un soir,  l’imposture et la vacuité générale de ces gens qui font l’opinion.  (Comme avant lui l’ont fait Thomas Bernhard et quelques autres)  

Et dans cet orage, il y avait tout Mocky : « Vous démolissez un film qui n’a pas de pognon et qui fera 15 spectateurs ! Foutez-moi la paix ! » « Il y a toujours eu des gens comme vous » (et Il cite des  cinéastes empêchés de travailler pour les mêmes raisons).

Mocky pour ce film comme pour tous les autres, a tourné sans argent, là c’est un copain « Marchand de Vin », « C’est Jean Bellaïsch, qui a financé le film,  quelqu’un qui aime le cinéma et qui s’y connaît »  

Je me souviens qu’alors nous nous étions précipités pour voir « Le Renard Jaune » dont la distribution, comme souvent chez Jean-Pierre Mocky était prodigieuse. Et comme presque toujours, nous avons aimé.  Mocky a travaillé avec les meilleurs acteurs, meilleurs opérateurs, meilleurs musiciens. Ces gens l’aimaient, et il les aimait, il les connaissait mieux que personne, car si cet homme pouvait être bourru, il devait aussi être  amical et c’était  une encyclopédie vivante du cinéma, à l’égal d’un Tavernier. 

Je recherche dans ma vieille collection de « L’autre Journal » j’ai retrouvé un numéro de Mai 1986 »,  c’est une  splendide revue de Michel Butel, et je tombe alors sur un article de Paul Sabini « Mocky, donc aime faire des films et pourtant, depuis quelque temps, ceux pour qui il les fait n’ont pas le temps de le lui rendre. Ces films comme dit la comptine, font trois petits tours et puis s’en vont des salles, parce que ceux qui tiennent le marché aiment beaucoup l’argent et que lui n’en rapporte pas assez…Mocky, lui, réussit à dissoudre la gangue  qui étouffe le travail des autres, de ceux qui lui ressemblent. »

La vie de Mocky  c’est le cinéma, il a commencé avec les plus grands, et fut même un acteur, il l’est demeuré en tous points.  Mais, c’est le réalisateur anar que je préfère, lui et son œuvre ne font qu’un. Il y aura un temps où l’on considérera l’ensemble plutôt que de dire « il a fait le meilleur et le pire ». En attendant, si je ne me sens nullement qualifié pour qualifier son travail , j’imagine tout de même que c’est un chef-d’œuvre.

Mocky, c’était un homme libre qui  a fait un cinéma qu’on ne voit que rarement. Si l’argent  fut un frein, le néopuritanisme de ces dernières décennies en fut un autre. Mais restons confiants,  la galerie des personnages qui  sévit désormais sous d’autres déguisements que ceux  de ses curés trouvera ses Mocky, car  Mocky est éternel.

Je joins deux liens, Strip Tease pour sa drôlerie (mais on y voit aussi l’homme dans l’action, pressé, inquiet, sans un rond )

Et j’ai eu plaisir à écouter Vladimir Cosma et surtout Jean-François Stevenin, qui parle très bien de Mocky.

STRIP TEASE – Le parapluie de Cherbourg – YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=rrbXkUvOTVg

https://www.franceinter.fr/emissions/le-6-9/le-6-9-09-aout-2019

Jean-Pierre Mocky (1933-2019)

Jean-Pierre Mocky au Clap Ciné !

Bouleversant, drôle, provoquant, choquant, étonnant, époustouflant, impressionnant, touchant, séduisant, charmant.
Dans la vie, Mocky avait mis des distances, ses distances avec les imbéciles, les hypocrites, les malotrus dont il n’a cessé, à l’écran, de brosser des portraits depuis 1959, infatigable enthousiaste mélancolique, attachant détaché. 66 films ! Et il avait encore du pain sur la planche.
On n’a pas fait gaffe qu’il pouvait s’envoler et voilà !
Le 8 août, Jean-Pierre Mocky est parti rejoindre les irremplaçables.

Dieu existe, son nom est Petrunya de Teona Strugar Mitevska (2)

Depuis que j’ai enregistré mon brouillon pour y revenir et essayer d’écrire ce que j’ai vu dans ce merveilleux film, je suis chaque fois assaillie, au moment d’ouvrir le fichier, par le nom qui s’affiche : Dieu existe. Intitulé qui s’était inscrit automatiquement et que je n’ai pas modifié.

Une affirmation qui ne laisse ici aucune place au doute, suivie d’une deuxième allégation en forme de preuve, le titre est un jeu, une transgression, un formidable pari : un nom de femme pour Dieu ? Dieu, une femme ?  Quels bouleversements en perspective !

Reprendre tout ce qui a été dit, analysé et commenté brillamment lors de cette dernière séance de la saison ? J’en serais bien incapable. Mais évoquer quelques images du début du film et partager ainsi le désir violent que j’ai de le revoir, de creuser son mystère, j’essaie.

                La femme immobile, les pieds posés sur une ligne sombre tracée ainsi que d’autres lignes parallèles sur le fond d’une piscine sans eau, masque de son corps cette ligne, se tient droite au milieu de la cavité immense, ancienne piscine olympique d’un monde révolu. Les tons bleus, couleurs usées, délavées, bleu clair, bleu cru, bleu pâle, mêlés de blanc et de rouille, sont des horizontales au tracé imprécis qui contribue à un certain flou. Et le contraste entre la silhouette droite, immuable, et le sol qui flotte malgré l’absence d’eau, liée à une musique de rock déjantée de plus en plus forte, nous plonge dans une réalité d’une grande fragilité mais constitue aussi une promesse : Cette femme a un destin.

Statue figée sur un sol instable, point qui devient minuscule dans l’immensité du bleu rayé de sombre au fur et à mesure de l’éloignement de la caméra, cette femme est notre héroïne.

La deuxième image est portée par des chants religieux traditionnels: une procession d’hommes en soutanes noires portant haut trois bannières rouges. La grande croix, brandie par un apprenti-pope, en retard à la procession, s’incline sous les câbles d’arrimage d’un pylône (et nous avec elle) avant de les rejoindre. En contre-point de cette procession chaotique, fresques et images de l’enfer, dévotions démonstratrices, signes de croix, baisers d’icônes.

Après ces présentations, tout comme la caméra suivant la croix nous avait fait nous incliner sous le câble tendu, notre regard est soudain dirigé sous la couverture de quelque endormie qui proteste qu’on la réveille trop tôt. Une main tend dans une assiette deux galettes croustillantes, une voix rappelle l’heure. Les premiers échanges d’une mère, qui réveille, et d’une fille, endormie, sont comme intra-utérins. Le trajet de la nourriture transmise par la mère à la bouche de la fille est comparable à celui des éléments nutritifs allant directement du ventre maternel au fœtus à travers le cordon ombilical. C’est seulement après avoir croqué dans son repas que la fille-fœtus roule et se dégage de la couverture. Nous la reconnaissons, c’est elle. Elle n’est pas d’accord pour aller au rendez-vous d’embauche. Elle est sans joie, sans volonté apparente, mais en exposant sa nudité à l’œil maternel réprobateur, elle s’oppose, elle s’affirme. Sa mère la harcelle, la bouscule. Elle s’habille, sort et tend sa joue à son père croisé dans l’escalier.

La mère la poursuit jusqu’au bord de la piscine désaffectée : Vertigineux dialogue entre une fille, ronde dans un manteau de fourrure synthétique, traçant son chemin sur le rebord de la piscine au-dessus de la route, et sa mère, menue, au niveau inférieur, rongée par l’inquiétude,  qui voudrait jusqu’au bout contrôler ce que va faire, dire et entreprendre cette enfant qui lui échappe.

Autant dire que pour s’émanciper, cette enfant, qui n’en est plus une, aura d’abord à affronter sa mère.

Une image encore : ce mannequin au corps de femme auquel Petrunya visse une tête d’homme avant de s’allonger à son côté. Le calme qui l’envahit soudain. Un clin d’œil à la Genèse « Homme et femme, il les créa » ?

Sans cesse, on rit, on est surpris, on s’interroge.

J’ai hâte de revoir le film, de suivre Petrunya à nouveau, de la voir s’emparer de la croix plus rapidement que ces jeunes mâles torses nus assoiffés de victoire, de l’entendre calmement affirmer qu’elle n’a rien volé, que cette croix lui revient, déjouant ainsi les contradictions du rituel.

Merci pour ce film merveilleux!

Marie-Odile

Dieu existe, son nom est Petrunya de Teona Strugar Mitevska

Film macédonien, (vo, mai 2019, 1h40) de Teona Strugar Mitevska avec Zorica Nusheva, Labina Mitevska et Simeon Moni Damevski 
Titre original : Gospod postoi, imeto i’ e Petrunija
Distributeur : Pyramide Distribution

Présenté par Brigitte Rollet

Synopsis : A Stip, petite ville de Macédoine, tous les ans au mois de Janvier, le prêtre de la paroisse lance une croix de bois dans la rivière et des centaines d’hommes plongent pour l’attraper. Bonheur et prospérité sont assurés à celui qui y parvient.
Ce jour-là, Petrunya se jette à l’eau sur un coup de tête et s’empare de la croix avant tout le monde.
Ses concurrents sont furieux qu’une femme ait osé participer à ce rituel. La guerre est déclarée mais Petrunya tient bon : elle a gagné sa croix, elle ne la rendra pas.

Un premier plan en plongée sur une jeune femme assez enveloppée, mais rapetissée et enfermée entre les lignes d’eau d’une piscine vide, recouverte de neige fondue – comme dans le cadre serré et étouffant du huis-clos policier de la deuxième partie du film – une jeune femme de 31 ans, vierge, diplômée d’histoire mais au chômage, couvée et surveillée par une mère castratrice qui vient porter un improbable petit déjeuner à sa fille blottie comme une enfant dans les plis de ses draps et bientôt d’une croix de bois au creux des seins : le ton est donnée d’emblée par une mise en scène énergique et étouffante, multipliant reflets et cloisons, à l’image d’une vie morose, secouée contre toute attente par une initiative irréfléchie, qui va se transformer en détermination butée, puis en affirmation personnelle tout autant qu’en choix féministe. Face au cocon vénéneux de la famille, aux pouvoirs de l’Etat et de l’Eglise, face aux jeunes ultra-orthodoxes dont la violence et la vulgarité nous saisissent dès les premières images, « Dieu existe, son nom est Petrunya » de la réalisatrice macédonienne Teona Strugar Mitevska, prix du jury œcuménique à la dernière Berlinade, met en scène la révolte de Petrunya entre force tranquille et obstination farouche, une présence nue que nous épousons confusément, un regard dont nous voyons rarement ce qu’il avise mais dont la fixité comme absente aux autres suggère à la fois la souffrance d’une personnalité marginale et incomprise, et une irrépressible urgence intérieure.

Brigitte Rollet, qui présente le film, le montre bien : loin de nous imposer un discours didactique ou de mettre en scène des personnages manichéens, la cinéaste a réussi à nous immerger dans une fiction à la fois fort vraisemblable et déconcertante, l’histoire, inspirée d’un fait réel survenu à Stip, en macédoine en 2014, d’une jeune femme qui, lors d’un rituel épiphanien saute dans l’eau glacée d’un fleuve au nez et à la barbe de garçons musclés et triomphants, pour récupérer et accaparer la croix de bois propitiatoire – promesse d’un an de bonheur – que le pope a lancée selon la tradition mais qui ne saurait, selon cet usage non écrit, revenir qu’à la seule gent masculine ! La « coupable » a dû s’exiler à Londres… Sur cette trame originale autant que dérisoire, sur ce point de crispation va se cristalliser tout un nœud de non-dits et de contradictions, incarnés par des personnages entiers et impulsifs, habités par leurs pulsions, leurs haines, leurs « identités meurtrières », selon l’expression d’Amin Maalouf : dès lors, le spectateur est pris dans un tourbillon d’émotions, de violences, de paroles empêchées ou impossibles qui opposent tradition et modernité, loi (autorisant la possession de cette croix par le premier et plus habile plongeur) et tradition l’interdisant implicitement, foi et superstition, communication officielle, orientée, machiste (des actualités télévisées) et information libre, inévitablement personnalisée et provocatrice de la journaliste Slavica – double féministe, extraverti de la taciturne héroïne, aux prises avec ses propres démons, un cameraman rétif et phallocrate, un ex-mari et père défaillant, avec lesquels il faut composer dérisoirement pour mener à bien l’enquête inouïe, accoucher du scoop inespéré.

Les hommes en effet ne sont guère valorisés dans ce film, sans pour autant nous paraître caricaturaux, si ce n’est l’employeur potentiel qui reçoit Petrunya dans son incroyable bureau, cabine de verre offerte aux regards des couturières avides autant qu’empressées, open space ouvert au sourire accablé d’un patron ironique devant des compétences historiennes pour lui inutiles et au mépris social et sexuel d’un homme qui déclare tout de go à cette femme grosse, modeste et timide qu’il n’a « même pas envie de la baiser » : faut-il s’étonner que la scène où Petrunya, encore vêtue de sa robe à fleurs empruntée à sa meilleure amie, se jette à l’eau pour s’emparer de la croix bénie, se situe juste après cet odieux rendez-vous ? Se jeter à l’eau pour appeler à l’aide, en appeler confusément à une transcendance pour recoller les morceaux d’une vie en miettes par un éclat personnel autant que social et religieux…

Mais quelle transcendance ? Georges faisait remarquer que ce rite de la croix jetée et de la bénédiction de l’heureux élu qui s’en empare relève plus du paganisme ou de la superstition que d’une foi sincère ou officielle, bien mal représentée du reste par ces jeunes orthodoxes – quand bien même elle serait comme ici encadrée par les autorités religieuses, en l’occurrence un pope assez veule, gardien d’une coutume immémoriale et informulée, l’exclusion des femmes de la sphère religieuse orthodoxe, comme le soulignait Éliane. Le grand mérite de ce film est de nous rappeler que le fanatisme provient souvent plus d’interprétations marginales, incontrôlées de la religion, par des individus, des « fidèles » irréfléchis ou violents, que d’une dérive sectaire des dogmes ou des religieux eux-mêmes. Bref, le diable est dans les détails, comme cette croix anodine transformée en objet de concupiscence et de possession égoïste et matérialiste, la garantie d’on ne sait quel bonheur bien profane et provisoire… Et ce pope est décidément peu courageux, face à ses propres fidèles qu’il hésite à calmer à l’entrée du poste, face au commandant de police, représentant quant à lui une autorité civile potentiellement agressive, sommant Petrunya de rendre la pomme de discorde, bientôt enfermée dans un coffre, mais plus ennuyé que répressif, s’en remettant in fine à la loi qu’il incarne en libérant à la demande d’un procureur amusé une prévenue à qui on ne saurait rien reprocher stricto sensu.

Deux hommes pourtant semblent échapper à ce portrait peu flatteur de la virilité : le père, qui aime assurément sa fille mais reste passif, voire muet face à sa femme et le jeune policier qui protège Petrunya des orthodoxes enragés l’attendant à la sortie du commissariat, et surtout qui éprouve pour elle la sympathie du garçon lui aussi déclassé, marginal, blessé par la vulgarité et l’indifférence goguenardes de ses collègues. Une idylle semble même s’esquisser entre ces deux timides, suggérée, au-delà de la protection policière et nourricière, par des regards admiratifs et une main fiévreusement pressée.

A l’inverse, les figures féminines qui entourent Petrunya, son « adjuvante », la journaliste Slavica, lointain écho de la cinéaste autrefois correspondante de presse, et son « opposante » – la mère castratrice – son autrement plus fortes et appuyées, sans tomber pour autant dans le schématisme ou la psychologie : le film montre, incarne mais ne cherche pas à expliquer ou interpréter, ou plutôt il libère toutes les interprétations possibles.

La mère castratrice est ainsi une figure saisissante, qui illustre le « double lien » dont parle Georges : il s’agit d’une relation moins ambivalente que violemment contradictoire, nourrie d’amour absolu, fusionnel, physique et de haine extrême, tant la mère, engluée dans un système de valeurs traditionnelles, conspire inconsciemment à sa propre servitude volontaire et ne peut ressentir le geste émancipateur de sa fille, qui ne devrait selon elle avouer que…25 ans, que comme un acte de pur folie, un blasphème sans nom, une négation de l’éducation qu’elle lui a inculquée. Il est frappant que les deux femmes ne communiquent guère que par des cris, des injures, des gestes violents et que la rébellion de Petrunya, rappelant à sa mère la façon humiliante dont elle a acheté sa première place au concours de chant de ses sept ans, lui volant ainsi son enfance, sa liberté, son talent, se résolve (ou s’exaspère ?) dans une étreinte désespérée.

Comme si, au bout du désespoir et de l’impossible parole, il n’y avait que la tendresse, confuse et indicible qui, par-delà l’impossible communication verbale, viendrait rééquilibrer l’affirmation personnelle, la revendication exacerbée. Petrunya, à la parole si rare, paradoxalement si douloureuse malgré sa répartie et sa culture, s’est avérée non seulement une femme émancipée, « devenue ce qu’elle est » selon la définition de Simone de Beauvoir, mais surtout un être libre : elle n’a plus besoin de montrer au pope ou au commandant de police leurs contradictions, dans un commissariat-confessionnal, d’opposer la légitimité personnelle de son geste à la légalité officielle ou à l’obscurantiste tradition. Telle sa récente consœur serbe ovationnée – signe des temps – pour avoir tiré de l’eau et gagné à la force du poignet l’emblème sacré, elle peut bien maintenant rendre la croix, objet transitionnel, identitaire au pope médusé – et tracer sa propre voie, un sourire en prime !

Les Météorites de Romain Laguna

Film français, (mai 2019, 1h25) de Romain Laguna  avec Zéa Duprez, Billal Agab et Oumaima Lyamouri

Distributeur : KMBO

Synopsis : Nina, 16 ans, rêve d’aventure. En attendant, elle passe l’été entre son village du sud de la France et le parc d’attractions où elle travaille. Juste avant de rencontrer Morad, Nina voit une météorite enflammer le ciel et s’écraser dans la montagne. Comme le présage d’une nouvelle vie

« Comment parler de ces  » choses communes « , comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu’elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes ». « Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire … »  questionnait Georges Perec.

Paradoxalement, avec l’apparition extraordinaire d’une météorite dans le ciel imaginaire de Nina, le film de Romain Laguna  nous plonge  dans sa vie ordinaire, nous montre en passant le banal, tels les manières de s’habiller, de s’occuper , de se déplacer,  de se parler, la gestuelle… Il y a un côté documentaire, témoignage de ce film qui contribuera à montrer aux générations futures comment on vivait en 2019.

Ce film nous dit en effet des choses sur la jeunesse populaire du sud de la France, celle des classes sociales défavorisées, des campagnes et des petites villes, où le chômage est de rigueur, et où la rigueur du chômage, la pauvreté moderne, s’exprime autant dans les codes vestimentaires que  le rapport au monde des personnages. La coupe de cheveux de Morad, sa manière sérieuse de faire son travail de dealer. Romain Laguna est un réalisateur qui filme le deal comme le substitut d’un travail honnête, une sorte de travail commercial. Il y a un côté Philippe Faucon dans sa démarche.

On retiendra aussi l’image superbe du début du film, Nina court sur un pont, le temps de louper son autocar, c’est presque une parabole. Oui, la modernité est là, tapante,  sous la forme d’un pont jaune vif suivie d’une route bien neuve, qui pour elle, mène au Parc d’attractions de dinausaures, (à condition de ne pas louper le car) bref à un petit boulot qui ne peut être que  de vacances.  

Nina et les autres jeunes du film vivent dans un lieu ou le droit de faire des projets existe… pour ailleurs ! Et là encore, tout est posé avec simplicité, on n’en fait pas une maladie, mais on le sait, il faudra partir. « Tu ne vas pas rester dans ce trou Nina » lui dit son ami Alex, « moi je vais voir le monde, je pars à l’armée après les vendanges, rien à foutre de mon père et ses vignes ».

Une autre  réalité contemporaine, l’absence des parents, le père en Algérie de Morad et le père inconnu  de Nina. Nina n’a que sa mère et vit avec elle quand elle est là. D’apparence immature, bronzée, tatouée, tabagique et fumeuse de pétard, aimant la fête, c’est une mère copine, mais une mère tout de même,  qui ne refuse pas le contact physique avec sa fille donc avec qui Nina n’est pas absolument seule. Et le père qui est-il ? Qui le sait ? Peut-être est-ce à lui que Nina doit son angiome dans la région de son œil droit. Le père ? Une météorite !

Nina exprime ses sentiments sans détour. En dépit des conseils d’Alex, son ami, elle choisit Morad qui tout de même… est arabe. Morad peut jouer les petits machos, elle n’en a cure, elle lui parle d’égal à égal. C’est une jeune femme débrouillarde, qui n’a pas peur de jurer, ni de se défendre, ni de jouer au foot. Cette manière d’être femme, dans mon expérience cinématographique commence avec Roseta des Frères Dardennes et se prolonge dans de multiples films à l’image par exemple de l’Esquive d’Abdelafif  Kéchiche avec Sara Forestier, Luna de Elsa Diringer avec Laëtitia Clément » Djam de Tony Gatlif avec Dafné Patakia.

Romain Laguna a une proximité avec son actrice à l’égal de Kéchiche avec les siennes, il scrute les frémissements,  les émotions, la beauté changeante de Nina, toutefois, il le fait avec pudeur, discrétion en recherchant toujours la simplicité.

Simplicité donc, équilibre aussi ! Pour ce film, il a voulu un format  1.33 parce qu’il trouve qu’il n’en faut pas davantage pour équilibrer entre les décors naturels et les personnages. Et cette même recherche de l’équilibre, on la retrouve aussi dans l’alternance des plans, le dedans, le dehors, le jour la nuit, la ville, la campagne. Tout cela n’empêche pas les petits clins d’œil esthétiques, Nina dans la cuve de raisin et Nina surplombant le cratère. 

Que se passe-t-il pour Nina ? Pas grand-chose, les choses dont la vie est faite. Une amourette qu’elle croit amour, une tranche de vie vers Béziers, entre les cités dortoirs, les villages, la montagne, avec  les rivières et les vignes, les herbes folles et les cailloux qui roulent sous les pieds. Où il ferait bon vivre s’il n’y avait pas ces lieux lointains où l’on peut concevoir des ponts jaunes… La Nina de Romain Laguna pense que tout sera différent puisqu’elle a vu une météorite s’écraser sur le Mont Caroux, qu’elle a escaladé ce Mont-Caroux, (comme un rituel de passage, celui qui sépare l’adolescente de l’adulte) Ça devrait lui porter chance, en tous les cas, elle le pense et elle est prête pour ça.

Sans doute y a-t-il quelque chose de Nina chez Romain Laguna qui par elle revisite avec tendresse les paysages de son enfance.

68, mon père et des clous (2)

68, mon père et des clous, je remonte le titre et le temps.
Les clous de mon enfance puis mon père et, par extension, mon grand-père, gardiens de clous dans des boites précieuses , longtemps interdites, permises en accès temporaire et surveillé, à mon frère, d’abord, puis à moi, grande, alors, pour de vrai et très vite en possession moi-même de ma propre boîte à clous que je continue de remplir avec ceux trouvés par terre, partout. Interdiction, impossibilité (presque) maladive de les laisser là … Et je me rappelle la quincaillerie de mon enfance, rue Dorée, trois marches, la porte, je re-sens cette odeur si particulière… ça faisait si longtemps ! Monsieur M savait compter et comme son époux, Madame M portait une blouse. Ses cheveux naturels étaient maintenus en place par deux petites barrettes pour une tenue permanente jusqu’à la fermeture. Tout, et c’était beaucoup, parfaitement rangé, jamais à court, déclaré admirable ce qui m’amène à 68, le 68 de mon adolescence.
Alors, c’est à ça qu’un de ces diables devenu vieux pourrait ressembler, aussi?

Jean est un mystère. On en apprend sur lui mais pas tant que ça. Même sous la torture, il ne parlerait pas. On comprend qu’il a été marqué au fer rouge de ses idées perdues. Lui n’en est pas mort, mais les marques sont là. D’autres les auraient cachées devant un auditoire, ou dans une boucherie … Non, trop prenant et/ou trop violent pour ce Jean-là. Après une vie de quincaillier, l’âge venu, devant nous, il ne laisse presque rien paraître du déchirement de laisser ses employés licenciés, eux si tristes d’être obligés de les quitter, lui et Bricomonge, leur antre, leur refuge. Il fait face. Ne pleure pas. Hors champ, il aura pleuré, sans doute … Pleuré sur ces belles années où les clous se vendaient tout seuls, pas besoin de compter. Ces années de tranquillité et de rencontres aussi.
Mais lui reste-t-il des larmes ? A son fils il semblerait qu’il n’ait pas parlé des années d’avant, celles qui l’ont, à la fois endurci et en même temps carapaçonné, alors, ni vu, ni connu, je t’embrouille, il tient bon, fait face, ne lâche rien. Malin, il enrobe, joue au chat et à la souris, pas de problème : le chat c’est lui.
On comprend qu’un jour, il y a longtemps, Jean a décidé de déposer les armes et que leur poids l’a mis à terre. Après … On comprend qu’un jour, il s’est redressé. Qu’on l’y a aidé. Après …
Après, quand il a tenu debout, qu’elle a pû le lâcher, qu’il a recommencé à marcher, il n’a pas bien su où aller et, aucune autre activité ne pouvant alors l’occuper à plein temps, il a choisi de se rafistoler à son compte, dans le foutras d’une quincaillerie et pouvoir, ainsi, incognito, continuer à penser. Penser toujours et si, en plus il y a des makrouts. Hmm !
Un film délicieusement mélancolique.

Marie-No

68, mon père et les clous – Samuel Bigiaoui.

Synopsis : Ouverte il y a 30 ans, en plein Quartier latin, la quincaillerie de mon père est un haut lieu de sociabilité. C’est aussi l’ancien terrain de jeu de mon enfance. Bricomonge va fermer. À l’heure de l’inventaire et des comptes, j’accompagne mon père dans les derniers moments du magasin. Et je cherche à comprendre ce qui a amené le militant maoïste qu’il était dans les années 1960-1970, intellectuel diplômé, à vendre des clous.

Digression ….

Voici un petit documentaire, sans prétention, qui raconte une histoire de vie, celle de Jean Bigiaoui et la disparition de son entreprise, la quincaillerie « Bricomonge », rue Monge à Paris.

Qu’est-ce qu’un quincaillier ? Un personnage obscur, qui naît, vit et meurt, discrètement, et la fermeture d’une quincaillerie, n’est pas un scandale à l’époque des Brico-machins qui partout déploient des kms de rayonnages.  Pour ceux de ma génération, la quincaillerie, c’était un petit bonheur,  avec ses couleurs, ses odeurs, son monde… Mais, voilà, c’est de la vieille histoire. Et curieusement, ça continuait d’exister, dans ce quartier du vieux Paris, jusqu’à il y a peu, encore très modeste.

Là, le quincaillier y est un personnage, et les milles objets d’une quincaillerie ne retiennent plus l’attention, c’est lui, l’homme au comptoir qui nous intéresse. Il faut dire qu’habituellement,  un quincaillier de son âge, il a son certif, une blouse grise ou blanche, un crayon plat dans la poche,  sur l’oreille une cigarette, et sa femme permanentée, souriante et ferme tient la caisse. Au lieu de quoi, on a un homme, intellectuel diplômé, et par surcroît, c’est un ancien mao. Et du coup, notre intérêt, notre regard se porte davantage sur l’homme, que sur le métier. Ou pour être plus juste, le métier de l’homme prendrait une coloration différente, deviendrait une sorte de faire-valoir paradoxal, un exotisme si cet homme n’avait tenu une trentaine d’années cette boutique, ce qui confère à sa démarche une authenticité indiscutable. 

Pourquoi donc un homme diplômé, ancien militant mao en vient-il, à retardement à se faire quincaillier ?  C’est une des raisons d’être de ce film qui oscille entre nostalgie de la fermeture et curieuse histoire de vie. Et à cette question le film ne répond pas. (C’est pourquoi je m’autorise à des hypothèses oiseuses.)

Alors on regarde d’abord le Mao qu’il fut. De quoi, pour un homme comme lui, juif tunisien, le maoïsme est-il le nom?  On peut se référer à l’excellent petit livre de Virginie Linhart, « le jour ou mon père s’est tu », pour comprendre un peu qui étaient ces Maos, du moins pour comprendre comment ils apparaissaient alors. En bref, pour les souvenirs vagues qu’il me reste de l’ouvrage : des gens brillantissimes, révolutionnaires, doctrinaires, qui fumaient cigarettes sur cigarettes et organisaient des réunions interminables, laissant le plus souvent,  leurs progénitures livrées à elles-mêmes (avec toutefois l’injonction non dite,  d’être brillantes). Enfants qui très tôt comprenaient qu’ils n’étaient pas avec des parents comme ceux des autres, navigant entre admiration et frustration, obligés de grandir vite et d’être solides.

On remarque, comme Henri le soulignait dans sa présentation du film,  un long  hiatus inexpliqué, ou plutôt vaguement expliqué par la reprise des études, entre la fin du mouvement maoïste et l’ouverture de la quincaillerie. Ce que le film ne nous dit pas non plus, c’est qui étaient les parents de ce quincaillier ? De riches bourgeois tunisiens, ou des « petits » juifs de la Goulette ? Avec sa quincaillerie, Jean ne reproduit-il pas quelque chose d’intime ?  Le travail d’un père, grand-père ou oncle ? L’histoire ne nous le dit pas. Ce qu’il nous dit de cette histoire c’est : « je voulais être responsable de tout ce qui se passerait dans mon travail,  et avec cette quincaillerie, c’était bordé, ça me rassurait ». Ses employés sont trois, très autonomes, très libres dans l’organisation de leur travail, cet homme n’est pas un Mao ordinaire, il leur laisse toutes facultés d’auto-organisation, il fait confiance, ce qui ne correspond pas à son étiquette initiale, car le maoïsme est rigide.  Son bras droit dans la boutique, c’est une femme du Maghreb, Tunisienne ?  Elle arrive au travail avec des makrouts, il y en a pour tout le monde, elle est joyeuse, éveillée, conviviale et bonne. Avec elle, Jean, ce quincaillier a là, près de lui quelqu’un qui est le signe de quelque chose qui lui est cher. Ce quelque chose, c’est son pays natal. Alors, ce maoïsme ne serait-il qu’un long deuil, la colère et le désespoir d’un être déraciné ? 

Dernière image du film, on aperçoit sa femme, c’est une « psy quelque chose ». Comment un quincaillier a-t-il pu rencontrer cette femme qui  elle est exactement à sa place dans cette rue Monge gentrifiée?  Voici mon hypothèse :   Ce n’est pas le quincaillier qui l’a rencontrée, c’est l’intellectuel, et je hasarderais le post-maoiste… Voilà, ce que je veux dire, le maoïsme de Jean serait le trompe-misère du déracinement. Et sa femme interviendrait dans cette question. 

Il y a eu un temps dans l’histoire ou ces gens ont découvert la supercherie maoïste, (ils ont été plus vite à comprendre que les staliniens). Douloureuse déconvenue,  perte de sens que cette découverte. Il a comme tous les Mao été dupé, Mao n’est pas le messie, et du coup, pour Jean, c’est le retour du refoulé, le deuil de l’exode  et sa douleur. Il revient au premier plan.  Alors que faire de sa vie ? Abyssale… se suicider ? Si cette reconstitution a quelque chance d’être vraie, on peut aussi imaginer, que dans cette histoire de vie, ce parcours,  que l’on observe en creux, il y a eu une longue déprime à l’image de celles qui emplissaient la clinique Laborde à la même époque. Déprime qui s’intercalerait entre Mao et la quincaillerie. La rencontre providentielle entre Jean et sa compagne psy deviendrait possible. « Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement? »

Mais, ce que Samuel filme de Jean son père,  c’est l’homme qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. C’est un autre deuil, un autre exode, la perte de son commerce, et de tout ce qui a fait sa vie professionnelle, ses employés, ses clients, de nouveau son espace », comme la ré-exposition dans une sonate. Mais ce faisant Samuel dit à Jean, j’aime ce que tu as été, tes passions, ton entêtement et tes erreurs, et c’est même pour ça que je t’aime davantage. Et tu m’as permis d’être ce que tu t’es refusé d’être, je suis un intellectuel matheux, architecte, artiste, tu vois ça peut continuer. 

Il faut parfois plusieurs vies pour faire une seule destinée…