Voici un film de 1987 loué par les journalistes et qui reçu une standing-ovation du Public au Festival de Cannes, promis à la plus grande récompense du Festival , il n’y a rien obtenu, excepté le Prix d’Interprétation pour Marcello Mastroianni…
Après le superbe Michel-Ange ce film italien réalisé par le russe Andreï Konchalovsky, j’ai repensé que son frère Nikita Mikhalkov lui aussi en 1986 avait réalisé un film Italien-Russe, ou l’inverse : Les Yeux Noirs.
Les deux frères sont deux grands cinéastes. De Mikhalkov, rappelons-nous le souffle de ses films : Urga, Soleil Trompeur, Le barbier de Sibérie… Dans les « Yeux Noirs », qui leur est postérieur, tout est remarquable, le scénario, il s’inspire de trois nouvelles d’Anton Tchekhov : « La dame au petit chien » « Ma femme », et « Anne au cou ». Les prises de vues sont belles, particulièrement les plans larges. Quant au Casting, Mikhalkov a confié le rôle principal à Marcello Mastroianni (Romano), avec lui la touche Tchekhov se conjugue à la touche italienne. Marcello c’est l’Italie, avec le grain de folie, l’élégance, l’humour. Ajoutons trois actrices de premier plan, le premier rôle féminin est tenu par Elena Sofanova (Anna), il y a aussi, Silvana Mangano (Elisa), Marthe Keller (Tina). Le début du film est simple :
Lors d’une traversée sur un paquebot de touriste, un Italien marié raconte à un homme de rencontre ses déboires sentimentaux avec une Russe également mariée.
Imaginez, nous sommes au début du siècle dernier, l’histoire commence par une rencontre de hazard entre deux hommes, l’un, Romano est Italien, la fatigue se lit sur son visage, il porte une veste blanche, d’un chic décontracté dont l’histoire nous révélera l’usage. Il est atablé devant un verre. Le second est russe inconnu parlant italien, c’est un élégant septuagénaire, en costume blanc et canotier, il a soif, le bar est fermé. Romano d’un coup joyeux, lui propose de partager une fraîche carafe de rosé, ils lient conversation.
Et le récit de Romano nous projette dans le somptueux palace italien de sa richissime épouse. Lui, de son côté, n’a jamais rien fait de sa vie, depuis ses études d’architecture. Il est puéril, espiègle, indifférent à la marche des choses, il somnole volontiers. Bref, il s’ennuie et se laisse vivre, entre deux facéties, sous le regard protecteur et bienveillant d’Élisa son épouse. Représentons-nous Mastroianni avec sa belle soixantaine, son humour, son charme naturel, lointain reflet de la Dolce Vita. Son seul projet, c’est de se rendre comme chaque année en cure, pour y soigner… quoi au fait ?
La maison de cure a pour décor Les Thermes de Montecalcino. Et là commence l’aventure. Disons que ce séjour où habituellement il se défoule, le conduit à une bouleversante apparition, celle d’Anna, une femme au petit chien : « Sabatchka ».
En jouant Romano, Marcello Mastroianni y insuffle l’esprit, l’humour, le naturel de ses films avec Felini, et d’un seul coup, par la grâce du scénario, Romano devient fantasque, pour retrouver Anna, il part en Russie, et là, il y a du mouvement dans les grands espaces de la Grande Russie ; là s’exprime tout l’art du plan large de Mikalkov. Et puis, il y a les rencontres, la loufoquerie des personnages.
Voici un film classique et beau, bien écrit où se mêlent romantisme, humour, et une douce nostalgie. Mais comment se le procurer ? Certes le DVD mais le seul moyen d’échapper à son prix exorbitant, c’est de le trouver d’occasion, et je peux vous le prêter si vous voulez. Mais disons le tout net, le petit ecran n’est déjà pas la panacée pour le cinéma encore moins pour ce genre de film. Vraiment, l’idéal serait qu’on puisse le projeter à l’Alticiné un providentiel Ciné Culte !
PS : 30/11/2020, je tombe sur un article de Jacques Siclier du Monde de 2003, il qualifie le personnage de Marcello Mastroianni (Romano) de paresseux et lâche. Je ne le trouve pas lâche… bien au contraire : Il veut rompre avec sa femme, mais cette rupture coïnciderait avec un ennui majeur dont elle est victime. Alors, il y renonce et c’est un douloureux dilemme que Marcello joue merveilleusement.
Rebecca réalisé par Ben Wheatley avec Lily James, Armie Hammer et Kristin Scott Thomas sorti le 21octobre sur Netflix.
Synopsis : Une jeune femme plutôt naïve épouse un riche veuf et part s’installer avec lui dans son manoir gigantesque. Mais elle constate que le souvenir de la première épouse maintient une emprise sur son mari et les domestiques.
« J’ai rêvé l’autre nuit que je retournais à Manderley… » On rêve déjà, nous aussi en entendant cette phrase. Le magnifique manoir anglais perdu dans les Cornouailles, l’innocente nouvelle Mrs de Winter dont nous ne connaîtrons jamais le prénom, la présence du fantôme de Rebecca, la précédente épouse mystérieusement noyée en mer alors qu’elle faisait du bateau au large de Manderley. Autant le dire tout de suite, Hitchcock peut dormir tranquille, cette nouvelle version ne nous fait pas trembler une seconde. Les personnages principaux sont trop lisses, il y a des longueurs (cette nouvelle manie de faire des films de plus de deux heures) mais c’est beau à regarder et, comme nous connaissons l’intrigue, nous nous laissons faire. Seule Kristin Scott Thomas incarne à merveille la terrible gouvernante Mrs Denver et la scène mythique du bal est très réussie.
Mais si l’on y réfléchit bien, cette Rebecca qui nous est montrée sous un jour si sombre n’avait qu’un défaut, vouloir s’émanciper et vivre à sa guise dans ce manoir figé dans le passé et les convenances. Et nous appelons happy end un féminicide non puni et admis par la nouvelle épouse. Aïe, je me fais du mal, j’ai tellement aimé ce roman lu à l’adolescence et le film de Hitchcock. Au cinéma et en littérature, tout est permis… Non ?
Rétrospective Cecil B. DeMille à la cinémathèque. L’idéologie que trimballe Les Conquérants du Nouveau Mondeest fort déplaisante : Indiens menteurs, traîtres à la parole donnée, et gloire aux Blancs défenseurs de libertés ne valant que pour eux, celle de piquer la terre des autres par exemple, et qui ne se laissent jamais abattre malgré les revers.
A part ça, il y a quelques beaux moments de cinoche, comme celui où Gary Cooper faisant brûler de la poudre, sort d’un nuage de fumée comme une apparition surnaturelle dans le camp des Indiens qui s’apprêtent à faire passer un sale quart d’heure à Paulette Goddard attachée entre deux poteaux les bras en diagonale, elle est très sexy Paulette avec ses cheveux épars et dans ses jupons blancs que déchirent des Indiennes vindicatives sans doute jalouses de sa beauté de Blanche, tandis que Gary abuse momentanément le chef (qui est Boris Karloff déguisé) et son grand sorcier (sont-i bêtes ces sauvages) à l’aide de la magie d’une boussole, ce qui lui permet de délivrer Paulette et de prendre la fuite avec elle jusqu’à ce que les Indiens dessillés les poursuivent sur une rivière avec des rapides et une chute mais Gary et Paulette s’attachent ensemble avec une ceinture et Gary attrape une branche d’arbre qui dépassait par là et tous deux atterrissent sur un rocher et les indiens qui voient leur canoë retourné en bas les croient noyés et abandonnent la chasse, et on voit un gros plan des pieds de Paulette chaussés d’escarpins qu’elle n’a pas perdus dans la furie des eaux, et dans le plan suivant elle a des mocassins que lui a confectionnés Gary c’est quand même plus pratique pour marcher dans la nature sauvage.
Mépris déjà pour les Indiens en 1931. The Squaw man est un lord anglais qui s’est exilé dans les plaines du Far West, est sauvé par une squaw qu’il épouse et dont il a un fils, et quand ses amis du Vieux Monde débarquent pour le faire rentrer chez lui, il dit non, je ne peux pas abandonner ma femme je lui dois la vie et que deviendrait-elle, mais il se laisse convaincre de laisser partir son fils afin qu’il reçoive une éducation digne de ce nom à Oxford ou Cambridge sinon il deviendra comme son grand-père indien un pas grand-chose alcoolique.
C’est pas joli joli tout ça.
Samedi 4 avril 2009
Les Dix Commandements
Ma déception est à la mesure de mon attente.
Déjà indisposée avant le générique : une scène de théâtre aux rideaux fermés, un homme les écarte, apparaît, se plante devant le spectateur, ce doit être Cecil B. De Mille himself. Et là, il nous inflige un sermon sur Dieu. L’esclavage d’un peuple par un autre c’est pas bien, je suis d’accord, mais si la solution c’est seulement Dieu (God, God, God, il en a plein la bouche), là je dis non. Dieu aussi rend esclave. Y’en a marre de Dieu.
En plus, c’est boursouflé, son film, c’est ridicule ! La moumoute de Moïse quand il a rencontré Dieu ! Avant, il avait le poil normal, Charlton Heston, des petits cheveux courts et châtains (il y a bien cette natte, sur le côté, un chouïa ridicule, moins ridicule cependant que lorsqu’elle pendouille du crâne lisse de Yul Brynner qui a l’avantage, sur Charlton, de bien porter la jupette). Après, un brin ébouriffé il est, surtout la deuxième fois, super brushing en arrière, ah ! ça décoiffe de voir Dieu. Ça fait pousser les cheveux aussi, il en a bien plus épais qu’avant, un vrai miracle, et c’est ce qu’il me faudrait à moi aussi, marre de perdre les miens rien n’y fait. Dieu comme lotion anti-chute, voilà qui le rendrait un peu utile.
Nelly Kaplan, écrivaine et cinéaste est morte hier.
Partie rejoindre Bernadette Laffont, et Abel Gance, Philippe Soupault, André Breton, André Pieyre de Mandiargues, Pablo Picasso, Jean Chapot …
Sa liberté nourrit sa vie de tant de belles rencontres !
La fiancée du pirate, refusé d’abord par 23 producteurs alors qu’il avait l’avance sur recettes, fut sélectionné à la Mostra de Venise et devint un film culte.
Nelly Kaplan continua sa route de cinéaste, d’écrivaine, de scénariste. Elle choqua. Elle choqua les féministes aussi .
Sa liberté et son goût pour le plaisir, l’argent et la provocation étaient (alors, toujours) insupportables.
Elle vécut comme elle voulut. Libre.
« …C’est moi qui invite,
C’est moi qui vous quitte,
Sortez de ma danse,
Moi, je m’balance,
Parmi tous vos désirs,
Vos médisances,
Moi, je m’balance,
Sans adieu ni merci,
Je vous laisserai ici,
Sans adieu ni merci,
Je vous laisserai ici,
Car j’m’en balance,
J’m’en balance,
J’m’en balance,
J’m’en balance… »
En souvenir de notre W.E Italien voici, avec l’aimable autorisation d’Herodote.net, cette belle revue d’histoire, un article d’Isabelle Gregor.
21 octobre 2020. Andreï Konchalovsky a relevé le défi de porter Michel-Ange au cinéma, avec Alberto Testone dans le rôle-titre. Le réalisateur russe s’était déjà illustré en cosignant le scénario d’Andreï Roublev (1966, Andreï Tarkovsky). Il s’attache à montrer cette fois-ci l’artiste confronté à ses mécènes et à ses propres tourments…
Disons-le tout net : si vous souhaitez découvrir Michel-Ange et son œuvre, n’allez pas voir ce film. On sent bien que le réalisateur russe Andrey Konchalovsky, lauréat de deux Lions d’argent à Venise, n’est pas là pour pallier aux cours d’histoire de l’Art du collège.
Vous ne saurez donc rien de l’origine du talent de cet artiste et de son parcours jusqu’à la réalisation de la Chapelle Sixtine. Vous ne pourrez en sortant d’une séance vous targuer de détenir enfin la clé de son génie de peintre, de sculpteur et d’architecte. Enfin n’espérez pas mieux comprendre ses difficultés d’homme de la Renaissance perdu au milieu d’une époque aussi brillante que dangereuse.
Tout cela, il faudra le chercher ailleurs, même si le film tente d’expliciter les querelles de clocher qui l’ont amené à se mettre successivement au service de deux puissantes familles, les Della Rovere et les Médicis.
Ambition, cupidité, trahison… Les « péchés » qu’évoque le titre du film sont ceux d’un être pathétique, mangé par le doute et la paranoïa mais prêt à tout pour assouvir sa quête d’absolu.
Trop orgueilleux, Michel-Ange ?
Certainement : il n’y a qu’à compter les projets démesurés qu’il n’a pu faire aboutir, à commencer par le tombeau du pape Jules II autour duquel tourne une bonne partie de l’intrigue.
Nous sommes bien face à une « canaille divine » que le réalisateur ne cherche nullement à rendre sympathique mais dont il tient à dévoiler les déchirures.
Pour cela, il s’appuie sur la beauté des décors de la Toscane, bien sûr, mais aussi sur une reconstitution poussée de l’époque, allant jusqu’à recréer une Chapelle Sixtine en travaux plus vraie que nature. Mais ce souci de reconstitution est tellement poussé qu’il en devient parfois pesant. On peut en effet trouver quelque peu artificiel que marmots, poules et contenus de pots de chambre traversent l’écran toujours au bon moment…
On peut reprocher un montage trop haché, notamment au début qui nous promène d’un bout à l’autre de l’Italie sans ménagement et au risque de nous perdre. Heureusement le film prend plus d’ampleur dès lors que la caméra s’arrête dans les montagnes de Carrare pour quelques scènes qui, enfin, créent chez le spectateur un léger frisson d’inquiétude. Un peu de suspense, enfin ?
Finalement, on ne peut tenir rigueur à ce Michel-Ange de ne pas être un film hollywoodien trépidant où l’on aurait convoqué tous les génies de la Renaissance avec reproduction bien visible de leurs œuvres les plus connues. Ce n’est pas son but. Il s’agit avant tout du portrait d’un homme habité par son Art au point de se perdre dans ses propres rêves. Tant pis pour les personnages secondaires qui apparaissent du coup bien pâlots. Mais les quelques images de détails de ses œuvres, lors des dernières secondes, suffisent à elles seules à témoigner de la force de ce génie, finalement si fragile.
Je n’avais pas encore vu Whiplash, et un film musical me tentait. C’est chose faite, et on ne peut pas dire que j’en suis enthousiasmé. C’est film dramatique américain écrit et réalisé par Damien Chazelle, sorti en 2014 qui a remporté le Prix du jury au festival de Sundance 2013, et obtenu le Grand prix et le Prix du public du Festival du cinéma Américain de Deauville, excusez du peu ! Je lis quelque part : « Les puristes disent qu’il ne s’agit pas d’un film sur le Jazz, mais d’un drame sur fond jazzy centré sur l’histoire d’un batteur obstiné et de son mentor tyrannique. Mais la bande-son est géniale, les protagonistes exceptionnels, la photographie chaude, superbe et la mise en scène réussie. C’est haletant comme un thriller et le film ne suit aucun des schémas habituels du film musical. »
Et il faut bien reconnaître que Fabien Teller dans le rôle du jeune batteur Andrew Neiman et J.K Simmons dans le rôle de Terrence Flechter le chef d’orchestre et mentor jouent impeccablement. Mais enfin, je trouve l’ensemble du commentaire assez superlatif. D’abord ce genre de jazz orchestral, c’est un peu du « jazz à Papa ». Quant aux images du film, ses couleurs sont certainement obtenues à l’aide de filtres rouges et parfois verts et c’est assez laid. Je me suis retenu de faire un réglage couleur sur ma télé.
Terrence Flechter joue le rôle d’un chef d’orchestre despotique, manipulateur harceleur, qui ne recule devant aucune humiliation pour faire « progresser » ses élèves. Le scénario justifie la conduite du professeur par un argument d’autorité que voici : « La technique d’enseignement Fletcher est basée sur une anecdote qu’il raconte à son élève, celle de l’histoire qu’a connue Charlie Parker alors qu’il jouait avec Jo Jones. Ce dernier lui lança une cymbale en pleine tête parce qu’il jouait mal. Plutôt que de baisser les bras, celui qui allait devenir le célèbre « Bird » travailla alors de façon acharnée pour être simplement le meilleur ». C’est une invention un peu faible et lourde du scénario. Les cymbales jetées à la tête ne font pas les grands artistes, et l’inspiration géniale.
Quant à l’élève monomaniaque, convaincu du bien-fondé de cet enseignement, il tape comme un sourd sur sa batterie, transpire comme un bœuf. Sans cesse remettant sur le métier, il joue jusqu’à s’en faire exploser la peau des mains. (C’est assez peu vraisemblable et lourdement montré, le sang de ses mains qui goutte et se répand sur les toms ou sur la caisse claire). Le seul personnage qui pourrait sauver ce gamin dans cette histoire, c’est son père, c’est un homme bon. Hélas, il est d’une bonté un peu passive qui n’annule pas l’impression de maltraitance diffuse qui inonde tout le film.
On arrive au bœuf final du batteur qui n’a plus rien à voir avec grand-chose, exit la musique, l’orchestre, le public, il a seulement à voir avec « une performance » et cette relation d’emprise de couple maitre/élève, sado – maso.
Le « Bird » de Clint Eastwood 1988 (1) nous montrait un jazzman, ici je n’en ai pas vu. Whiplash m’apparaît à la fois comme une transposition du monde de l’entraînement militaire dans celui du Jazz et comme une apologie de la violence au travail et du culte de la performance. On est loin d’un Jazz vivant, imaginatif et poétique. Alors que reste-t-il ? Ce rapport entre un élève et son mentor…Et il est exécrable.
Georges
1) Digressions
a) Pour interpréter C.Parker, C.Eastwood avait choisi Dexter Gordon qui est à double titre, un géant saxophoniste. (Son art, sa stature, proche de celle de C.Parker)
b) Le fils de Clint Eastwood, Kyle est un contrebassiste et guitariste basse. J’ai eu le bonheur de le voir et de l’entendre lors d’une tournée Française à Paris…un authentique jazzman !
Au cours de sa conférence sur Bernardo Bertolucci, Jean-Claude Mirabella nous a indiqué la couleur du Dernier tango à Paris : orange. Parce que tous les films de Bertolucci ont une couleur et s’inspirent d’un peintre : ici, c’était Francis Bacon. Mais pour l’actrice principale, Maria Schneider, je crains que la couleur n’ait plutôt été le noir. La scène du viol par sodomie qui lui a été infligée n’était pas prévue au scénario. Nous l’avons brièvement évoquée le jour de la conférence mais les avis étaient divergents sur la présence ou non de cette scène au scénario. Dans une vidéo datant de 2013, Bertolucci a admis avoir piégé Maria Schneider : «J’ai été horrible avec Maria, je voulais sa réaction en tant que fille et non en tant qu’actrice, je voulais qu’elle se sente humiliée…» Il dit en avoir eu l’idée le matin, au petit-déjeuner avec Marlon Brando en beurrant des tartines. Brando devait garder le silence et surprendre Maria. La scène était simulée, nous sommes tout de même au cinéma mais les dégâts qu’elle a causés dans la vie de cette jeune actrice de 19 ans, mineure à l’époque, en rupture familiale depuis ses quinze ans, furent irréparables. Elle ne savait pas qu’elle aurait pu, à l’aide d’un avocat, faire couper cette scène non écrite au montage.
Si ce sujet vous intéresse, je vous encourage à lire le très beau récit écrit par sa cousine Vanessa Schneider journaliste au journal Le Monde. Quand Maria avait quitté sa mère, elle était allée vivre chez son oncle maternel, elle y est restée un an avant de devoir partir de nouveau : un bébé allait naître, Vanessa Schneider. Elle reviendra, souvent, de manière imprévisible, dans des états épouvantables ou joyeuse, trop joyeuse…
Laurence
Tu t’appelais Maria Schneider Vanessa Schneider Grasset
Avec Nahéma Ricci, Rachida Oussaada, et Nour Belkhiria
C’est étrange la vie. Surtout en ce moment.
Mettre son masque sur le nez. Descendre quelques marches d’escaliers pour sortir de chez soi. Avancer. Et se retrouver ailleurs. Loin ailleurs. Proche de cet ailleurs de Wajdi Mouawad qui a réécrit la tragédie œdipienne dans le froid canadien d’un exil Incendiaire. Mais plus loin encore. Dans un monde parallèle. Un Québec alternatif. Un espace où l’histoire de la fille de celui qui s’est aveuglé, ébloui par la vérité n’a pas encore été écrite. Dans un monde où Antigone n’est pas un texte de la littérature classique. Mais un prénom. Un simple prénom. Un prénom contemporain. Un prénom d’exilée (fine reprise du statut de la jeune fille dans Œdipe à Coline). Et c’est là toute la magie de cet univers cinématographique aussi beau qu’étrange et complexe.
Le fait d’avoir conservé les prénoms de la tragédie grecque intacts créée une inquiétante étrangeté surprenante, plaçant cet univers dans une familiarité forte de par notre connaissance de la pièce, doublée d’une sensation d’étrangeté car la réalisatrice prive le spectateur de la sensation de réel, voire de naturel, que le cinéma essaye habituellement de créer, sans pour autant – et c’est une vraie performance – être à un seul moment superficiel. Ce choix de conserver les prénoms offre un décalage poétique qui place le langage et les dialogues du film dans un univers étrangement proche mais radicalement singulier où la beauté et le symbole comptent plus que le naturel, et ce au profit de la profondeur. En cela, le film se rapproche étonnamment du symbolisme tel qu’il a ébranlé la deuxième partie du 19e siècle tant en poésie qu’en peinture (en illustrant notamment les grandes héroïnes des textes classiques). Cette poétisation du langage et ce symbolisme permettent au film de tenir. En effet, sans cela, le caractère excessif de l’histoire la dévoierait comme incroyable, rendant le spectateur incrédule et le laisserait à l’extérieur de toute émotion ou empathie… Mais la réalisatrice nous place d’emblée dans une tragédie (jouant ainsi avec le potentiel du théâtre à forger des mondes imaginaires) où les mots, les personnages et les actes se révèlent plus fort que la recherche d’un réalisme, qui passe tout à coup, elle, pour superficielle. Loin du naturalisme habituel du cinéma, on ne se demande pas face à Antigone si ce qui se passe à l’écran est vraisemblable. C’est beau, et c’est la seule chose qui compte. Nous sommes, très vite débordés par l’émotion quand Antigone interprète devant sa classe dans une sublime mise en abyme le récit de sa propre histoire. Celle d’une réfugiée qui a vu, au moment de partir, au moment de l’exil, le corps de ses parents inanimés jetés devant ce qui bientôt ne sera plus son foyer. Cet événement, raconté, nous laisse imaginer le drame et nous montre ces enfants, accompagnés par leur seule grand-mère à l’aéroport. On s’attache très vite à ces cinq-là, même à Polynice qui apparaît déjà comme l’opposé de sa sœur, petite frappe d’un gang, violent, superficiel, mais aimant sa famille.
Mais le spectateur est intranquille, la réalisatrice joue sur notre connaissance de l’histoire et sait que nous nous préparons au pire. Pire qui ne tarde pas à arriver. Alors que Polynice se fait violemment interpeller par la police (bien que ces actes ne semblent pas si graves), son frère tente de s’interposer. L’image s’arrête. On entend un coup de feu. On ne comprendra la suite que par les bribes d’images montées sur des musiques de rap, des vidéos virales au buzz offert par internet et les réseaux sociaux (ces scènes qui ponctuent le film sont d’une force tant sonore que visuelle et rythme le film tout en proposant une critique de la société des images contemporaines de manière très pertinentes). La police a tiré sur Étéocle. Le bel Étéocle, le gentil, l’idole des supporters de l’équipe de foot locale. Tué parce qu’il a sorti… Un téléphone ! L’actualité brute, les blessés, les morts, les manifestations, les Black lives matter se rappellent à nous dans une violence incroyable. Et c’est cet incroyable qui fait de cette scène la pièce maîtresse du film, elle est la grande réussite du long-métrage. Et ce parce qu’elle semble particulièrement ratée et bâclée. En effet, si le film se plaçait dans notre monde, tentant de se rapprocher d’un naturalisme documentaire pour faire état de ce problème sociétal qu’est la violence policière, en voyant cette scène, son raccourci, l’absence de réalisme du contexte qu’elle met en scène, son aspect gratuit, le public serait sorti de la salle en s’offusquant qu’il est impossible qu’un jeune homme soit tué ainsi, que c’est délirant et caricatural, que la scène est creuse et beaucoup trop superficielle alors qu’elle traite d’un problème aussi important qu’actuel. Et pourtant, devant Antigone, le spectateur reste. Parce que depuis le début du film, il a été préparé. Ce qui se passe devant ses yeux n’est pas la réalité. C’est une tragédie avec tous ses excès. Une dramaturgie qui cherche davantage à nous toucher et à nous faire penser politiquement un état de notre société dans sa complexité qu’à paraître réel. Et en ça, elle fonctionne parfaitement. Et elle fonctionne d’autant mieux qu’elle est excessive, presque caricaturale. C’est presque magique. Et alors, quand plus tard dans le film, la superficialité de la scène se rompt au profit d’une nouvelle vision, celle de la police, qui par ses enquêtes et sa connaissance des deux frères, a tout les éléments et toutes les raisons de croire qu’Étéocle est dangereux et certainement armé, on reste abasourdi. Le portrait dressé à sa sœur de Polynice est attendu, bien que comme elle, nous le découvrons bien plus dangereux que nous le pensions. Mais c’est la découverte du passif d’Étéocle comme chef de gang responsable de trafics de drogues et d’armes qui brise l’irréalisme premièrement affiché de la scène, sa présentation de frère génial nous avait aveuglés et même fait oublié que sous la plume de Sophocle déjà, comme le disait un ami, « Étéocle c’est quand même un sacré salopard ». On se laisse prendre à cette adaptation, croyant en des divergences mais la tragédie nous rattrape dans une sublime profondeur.
Comme dans la pièce classique, Antigone sait (après coup ici certes) que ses frères n’ont rien des héros qu’elle aurait aimé admirer. Et pourtant, elle va défendre leur honneur et leur dignité, coûte que coûte, quitte à se faire emmurer. Elle le fait pour sa famille, pour le souvenir des drames qu’ils ont vécus, pour l’image inoubliable de son frère lorsqu’il était petit qui pleurait et que l’orphelinat condamnait à n’avoir ni père ni mère pour être consolé. Elle n’explique pas, elle ne justifie pas, mais elle fait passer l’amour avant la rationalité. La famille avant sa vie. Elle est fidèle à son personnage. Et on peut en dire autant d’Ismene, qui, dans un très beau monologue, explique à sa sœur que tout ce qu’elle veut c’est une vie normale, avoir le droit d’être aimée, de vivre libre, de faire le métier qu’elle a choisi. De choisir sa vie avant sa famille. Est intacte aussi la colère de sa sœur qui refuse ce qu’elle trouve superficiel et d’un triste manque d’ambition. Tout comme l’apparition de l’oracle dans une vision fantasmatique et rêvée qui ajoute à l’étrangeté mais permet de mieux comprendre le choix esthétique fort de la réalisatrice précédemment mis en relief. Et Hémon aussi est incroyablement fidèle, magnifiquement interprété lui aussi va coller, afficher les portraits d’Antigone pour la faire sortir de derrière les murs, lui redonner la parole, une image et une humanité. Seul le nom de Créon si important dans la pièce n’est pas mentionné, s’il est le père d’Hémon, il ne peut être l’oncle tyrannique d’Antigone. Cependant on retrouve avec ce personnage la rhétorique politicienne, l’idée que l’image passe avant les sentiments, que l’ordre de la cité passe avant sa propre famille.
C’est une fabuleuse réécriture d’une tragédie sublime, qui ne cesse de nous faire réfléchir sur la cité, la politique, la famille, soi… dans des échos toujours plus profonds.
Une question est restée cependant en suspens après la séance, mais l’actualité l’a finalement malheureusement tranchée : est-ce qu’un masque mouillé de larmes a encore un sens ? Ceci dit, nous étions 9 dans l’immensité de la salle.
Sans aucun doute, mon cinéaste préféré. Ses films, l’homme, ses amours et toute sa vie me fascinent et me passionnent. Voici in extenso un article paru dans Next de Libération en 2014 à l’occasion de l’exposition qui lui était consacrée. Régalez-vous ——————————————————————– François Truffaut, du côté de chez Madeleine Par Anne Diatkine — 10 octobre 2014 à 18:56 Alors que la Cinémathèque française consacre une exposition au cinéaste disparu il y a trente ans, celle qui fut son épouse et la PDG des Films du Carrosse évoque leur vie et ses films, bien souvent imbriqués. Madeleine Morgenstern fait toujours très attention de n’usurper aucune place. Mariée une poignée d’années avec François Truffaut alors qu’il était un critique de cinéma influent, elle récuse le rôle de muse, et abhorre encore plus celui de veuve, même si le cinéaste était retourné vivre chez elle, à la toute fin. C’est elle qui est la garante des droits moraux et qui a géré le catalogue des films avant qu’il ne soit vendu à MK2. Mais évidemment, Madeleine Morgenstern est bien plus que cela dans la vie de François Truffaut. Un lien qui ne s’est jamais rompu. A l’occasion de la belle exposition de la Cinémathèque française, entretien avec une femme discrète et ferme. La rencontre «C’était fin août 1956 au festival de Venise. Je me mettais toujours au premier rang devant l’écran, et François aussi. Il écrivait comme on respire et je pensais qu’il publierait certainement des livres. Quand on s’est mariés, je n’avais pas conscience que j’épousais un cinéaste. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne l’ai pas encouragé. Je lui disais : « Tu n’as pas fait l’Idhec [ex-Fémis, ndlr], tu n’as jamais été assistant. Es-tu certain qu’il suffit de voir beaucoup de films pour savoir comment on fait ? » J’étais terrifiée pour lui. Il avait de quoi m’en vouloir !» «Les Mistons» «Il y a une originalité qu’on mesure mal aujourd’hui. François a fait ses premiers pas avec un film de fiction tourné avec de vrais acteurs – Gérard Blain et Bernadette Lafont pour la première fois à l’écran. Les futurs cinéastes débutaient plutôt par des documentaires, comme l’ont fait Alain Resnais, Jacques Demy, Agnès Varda. Avant les Mistons, un petit film est resté inédit car François ne voulait pas qu’on le voie. C’est Une visite, un court métrage sans le son.» L’éclat Léaud «Jean-Pierre était déjà apparu dans la Tour, prends garde ! de Georges Lampin. Mais son vrai premier rôle, c’est évidemment les Quatre Cents Coups. Il n’avait pas l’âge du rôle, il ne correspondait pas tout à fait au gamin, mais sa détermination reste tangible dans les essais filmés. A l’origine, le film devait être un triptyque sur les enfants composés de trois sketchs. Les Mistons aurait été l’un d’entre eux, les Quatre Cents Coups le deuxième, et François avait déjà écrit l’embryon de l’Argent de poche qui aurait été le dernier volet. Mais très vite, les Quatre Cents Coups ont naturellement pris toute la place. «A travers sa propre histoire, François voulait atteindre une vérité. Il a donc coécrit le scénario avec Marcel Moussy qui avait un passé d’instituteur. Car aussi autobiographique soit-il, le film est décalé dans le temps. C’est pendant l’Occupation et tout de suite après la Libération que François a éprouvé ce que vit le petit Doinel. Le film documente, à l’insu de François, l’époque où il a été tourné : tout ce Paris disparu de la fin des années 50. Mais c’est un effet d’après coup lié à la justesse du film et aux conditions de tournage dans les rues de Paris. «Jean-Pierre avait fini par habiter chez nous car François craignait qu’il n’arrive en retard. En temps normal, il était pensionnaire, et évidemment, très content de prendre le large. Par la suite, il y a eu une chambre à disposition pour Jean-Pierre dans les bureaux du Carrosse – la maison de production que François avait fondée pour tourner ses films. François se sentait responsable de lui. Responsable à cause du succès du film qui l’avait écarté de la scolarité. Il l’aimait comme acteur et comme jeune homme, sans cependant se retrouver en lui. Antoine Doinel ressemble à l’un et à l’autre, sans être ni l’un ni l’autre. C’est un condensé des deux. L’un des motifs de la saga Doinel était de continuer de voir Jean-Pierre évoluer sous sa caméra. Lorsqu’on parle de mimétisme, il y a des gestes que Léaud a copiés sur François. Mais c’était des indications de jeu ! Entre eux deux et Doinel, c’était un pur amour à trois ! André Bazin, le père spirituel de François, est mort le premier jour du tournage, et j’ai accouché de ma fille aînée, Laura, le dernier jour.» Se reconnaître «La Peau douce a été tourné chez nous, dans l’appartement où je vis encore aujourd’hui, et je ne peux pas dire qu’il fasse partie de mes films préférés ! François compartimentait sa vie, et même si l’appartement était un décor pratique, la décision de tourner à la maison m’a surprise. Peut-être devait-il sentir qu’il n’allait pas rester longtemps dans cet appartement. C’est en voyant le film que j’ai compris l’état de notre couple. Par la suite, j’ai rarement été fâchée contre les films, même lorsqu’ils se rapportaient à notre vie. En vérité, Baisers volés n’est pas une histoire qui me concerne beaucoup. Le modèle du personnage de Claude Jade est une autre jeune fille. Mais comme dans Domicile conjugal, j’ai vécu la situation absurde où François m’appelle d’un restaurant parce qu’il s’ennuie avec une femme. Et comme le personnage de Claude Jade, j’avais un souci des convenances : « Tu ne peux pas la laisser en plan. Reste au moins jusqu’au dessert. Sois poli ! » Les petits boulots incroyables d’Antoine Doinel sont décalqués de la vie de François. Entre autres, il avait été engagé à Ciné Revue pour rendre invisible des poils pubiens qui s’échappaient des bikinis.» La famille «Nous avons vécu l’un avec l’autre beaucoup plus longtemps séparés qu’ensemble. Nos relations ont duré toute la vie, elles sont devenues plus libres et plus fortes avec la séparation. Au début, François consacrait ses week-ends à nos deux filles, Laura et Eva. Puis, quand les filles sont parties, François a continué à destiner ses dimanches à sa famille, c’est-à-dire moi. Ces dimanches étaient jour de cinéma. François s’étant marié surtout pour avoir une famille, il a gardé la famille après le divorce.» Au volant «François aimait les femmes qui conduisaient, comme dans les films de Hitchcock. Quand il était au volant, il faisait tout le contraire des autres conducteurs. Si quelqu’un l’emboutissait, il sortait immédiatement de la voiture : « Je suis désolé, c’est de ma faute. » Au début, il a conduit une voiture de sport qui s’est cassée en deux lamentablement. Il a continué avec des voitures plus modestes. On ne peut pas dire que François mettait sa virilité dans l’accélérateur.» Un film de vacances «Même si le projet de l’Argent de poche est ancien, il a été conçu comme un film de vacances après Adèle H. Sauf que ça a été l’un des tournages les plus fatigants de François du fait de la centaine d’enfants présents. J’ai bien sûr accepté que Laura et Eva jouent et travaillent avec leur père. Eva a détesté l’expérience. Entre le scénario et le tournage, elle avait grandi et, adolescente, ça ne lui plaisait pas du tout d’embrasser un garçon devant la caméra de son père. Elle ne savait pas ce qu’il allait lui demander. J’ai été une mère indigne ! Comme souvent, la scène était tirée d’un souvenir d’enfance de François.» La prégnance «Comme les gens ont vu François interpréter certains rôles et qu’il aimait lire les textes en off de certains de ses films, son visage et sa voix étaient familiers. C’est paradoxalement dans ses films les moins autobiographiques qu’il était présent physiquement. Ils tissent une toile intime tout en étant toujours accessibles et fictionnels. Rohmer aussi a inventé un monde qui lui est propre, mais qui ne le découvre pas.» Le malentendu «François était considéré comme le gentil, à la limite de l’académisme, voire, insulte suprême, bourgeois. Dans l’opposition à Godard, c’est toujours Jean-Luc qui gagne. Je crois surtout que François a toujours refusé d’être le porte-drapeau de quoi que ce soit et n’a jamais transformé sa notoriété en pouvoir. Il se tenait loin des modes et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle l’Enfant sauvage, sorti en 1969, a été dénigré dans certains pays. Le film a été compris comme une défense de la figure autoritaire, alors que pour François, qui avait dû s’éduquer seul, il était un hommage à André Bazin. Et surtout, François n’a jamais voulu faire des films d’avant-garde. C’est bien sûr François qui a connu l’exclusion sociale, plus que tout autre. Par opposition à une jeunesse complètement fauchée, errante, allant de chambre en chambre, s’engageant comme soldat, puis désertant, François a toujours tenu à ne jamais être débraillé sur un plateau. Je ne crois pas l’avoir jamais vu en jean. La nourriture, la décoration de son appartement, tout ce qui ne concernait pas directement le cinéma n’avaient aucun intérêt pour lui. Il inventait, mais c’était sans emphase. Il innovait, quand ça lui traversait l’esprit et que c’était drôle, comme dans certaines scènes de Tirez sur le pianiste. Encore un accueil public désastreux ! On oublie souvent que beaucoup de films de François n’ont pas été appréciés à leur sortie, si l’on excepte les Quatre Cents Coups et le Dernier Métro. François disait souvent : « Un film sur quatre rencontre le public, et les trois autres, si on arrive à sauver les meubles, c’est déjà très bien. » Jules et Jim a rencontré la critique mais n’a pas du tout été triomphal au box-office !» «Les Quatre Cents Coups» bis «Assez tardivement dans sa vie, François m’a dit qu’il aimerait retourner une version des Quatre Cents Coups plus dure. Il attendait le décès de ses parents pour s’y mettre. Ça ne s’est pas fait car son père lui a survécu. J’étais très étonnée, car le film me semblait déjà suffisamment âpre.» Etre juif «On n’évoquait pas beaucoup de mon enfance juive pendant la guerre. Ce n’est pas qu’il ne voulait pas m’écouter, mais je n’en parlais pas, estimant avoir été une petite fille très aimée. François aussi, cependant, s’est découvert juif. Pendant le tournage de Baisers volés, le directeur de l’agence qui a servi de modèle à Antoine Doinel lui a demandé s’il n’y avait pas une enquête qu’il aimerait faire, en cadeau. On n’a pas toujours besoin d’un détective, mais François a saisi l’occasion : « Je serais content si vous pouviez retrouver la trace de mon père. » On savait peu de chose sur ce père biologique, à part qu’il était étudiant dentiste quand il a rencontré la mère de François. L’agence a rendu un rapport au conditionnel, sur un homme, Roland Lévy, dentiste, habitant Belfort, qui, chaque soir, promenait son chien à la même heure. Roland était aussi le second prénom de François. Quand, à la parution de la biographie, cette information a été rendue publique, j’ai reçu un coup de fil des enfants de cet homme. « On aimerait beaucoup être de la famille de François Truffaut. Mais, malheureusement, notre père n’a jamais eu de chien. » Ce qui laisse planer un doute sur la véracité du rapport. «Ce qui me semble important, c’est la satisfaction de François vis-à-vis de cette enquête qui consolidait sa théorie sur sa naissance : à savoir que la famille de sa mère était antisémite et que c’était la raison pour laquelle son père en avait été écarté. Il pensait que ses grands-parents préféraient encore que leur fille élève un enfant toute seule qu’avec un juif. A-t-il d’ailleurs su la grossesse de la jeune fille ? Janine de Monferrand, la mère de François, avait tout juste 18 ans lorsqu’elle l’attendait. Ses parents l’ont fait accoucher en cachette. Le bébé a été mis en nourrice. François avait déjà 4 ou 5 ans lorsqu’il est revenu dans sa famille, après le mariage de sa mère avec Roland Truffaut. L’enfant avait été trimballé de nourrices en grands-mères – la mère de son père adoptif l’aimait beaucoup. Il était une marque d’infamie qui a obligé sa mère à se marier, pas forcément avec l’homme de son choix, mais avec celui qui acceptait de reconnaître l’enfant. François ne comprenait pas pourquoi socialement il était toujours présenté comme plus jeune que son âge. Quand il avait 8 ans, ses parents disaient qu’il en avait 6, pour que sa mère ait l’air majeur à a naissance. C’est vers 8 ans, en fouillant dans des papiers, qu’il a découvert la vérité sur son état civil.» A la recherche d’un point de vue maternel «Janine de Monferrand ressemble au personnage de la Petite Voleuse, le film que Claude Miller tournera après la mort de François, d’après un script qu’il avait écrit. Comme la petite voleuse, elle a été enfermée Au bon pasteur, une institution pour rééduquer les délinquantes, les marginales et autres filles-mères comme on disait. Le film se termine sur une échographie où l’on voit que la jeune fille attend « un petit agité ». On peut imaginer qu’il s’agit de François lui-même. Même si, par ailleurs, il était aussi parti d’un autre personnage : une jeune femme délurée rencontrée lors de ses quatre cents coups.» L’héritage moral «Par testament, François m’a désignée PDG des Films du Carrosse. J’ai compris sa décision comme une reconnaissance vis-à-vis de mon père. J’avais toujours eu des jobs subalternes dans le cinéma, mais il savait qu’être directrice ne me ferait pas perdre la tête et que j’obéirais à certains principes de rigueur et d’honnêteté. Cependant, j’ignorais les rouages de la société. Comme François compartimentait sa vie, je ne connaissais pas les techniciens ni les acteurs. J’ai connu plus tard Fanny Ardant, avec qui j’ai des liens d’amitié. Le catalogue des films était le capital qu’il laissait à ses trois filles, Laura, Eva, et Joséphine, la fille de Fanny [Ardant]. Il a été bien géré grâce aux collaborateurs de François. Je l’ai vendu à MK2 quand les canaux de diffusion se métamorphosaient et qu’il y avait un risque que les enjeux m’échappent.» Lire des lettres «Je me suis retrouvée après la mort de François face à une montagne de correspondance très bien classée, qui ne me concernait pas. Pendant longtemps, j’ai eu beaucoup de répugnance à lire des lettres qui ne m’étaient pas destinées, et je ne les ai d’ailleurs toujours pas toutes lues. La correspondance amoureuse a été remise au notaire de François. Chacune des femmes ou leurs ayants droit ont pu les récupérer vingt ans après la mort de François.» Aujourd’hui «Au début, je n’aimais pas l’idée de commémorer les 30 ans de la disparition de François. Il est présent dans ma vie, et même s’il ne l’était pas, je serais invariablement ramenée à lui, en dépit du peu d’années où l’on a formé un couple. On ne s’est disputés qu’une fois, et ça a été le divorce. Je n’ai formé aucune rancune contre lui, ma tranquillité n’est pas de complaisance. Mais la nuit, ma violence se réveille dans des cauchemars. « Et là encore, tu m’as menti. » Je serais prête à prendre un revolver pour le tuer ! Je le raterais, je ne sais pas tirer. A chaque cauchemar, je suis bouleversée d’être restée aussi jeune, à mon âge. Il me faut un instant pour me rendre compte qu’il ne s’agit plus de moi.» Anne Diatkine
Juliette Gréco est morte.
Deux jours plus tôt, Michael Lonsdale tirait sa révérence dans la plus grande discrétion, il me semble en avoir entendu l’annonce après celle, divulguée avec fracas, de Juliette quand il est mort le premier, par une phrase lancée aux infos de 23 heures sur France Inter et puis plus rien. Seule, me semble-t-il, la chaîne France 5, en la personne de Dominique Besnehard, lui rendra hommage en remplaçant, dans son émission Place au cinéma, la projection de Chantons sous la pluie par Des hommes et des dieux, c’est quoi ça, des hommes et des dieux, pourquoi il n’y a pas Chantons sous la pluie, je fulmine jusqu’à ce que me revienne le titre du film de Xavier Beauvois dans lequel joue Michael Lonsdale, alors d’accord, c’est bien.
Et Arte diffusera India song de Marguerite Duras, le jeudi suivant à 23h 40. Souvenir lointain du film où j’avais entraîné Claudine, et de celle-ci commentant, après la séance : « Je m’endormais pendant un quart d’heure et quand je rouvrais les yeux, il y avait toujours la même image… ». C’est sûr que les plans sont longs, il y en a un qui dure six minutes, caméra fixe braquée sur les personnages figés comme dans un tableau, d’ailleurs c’est un tableau, artistiquement composé, Delphine Seyrig allongée alanguie sur un canapé, quatre hommes assis debout autour d’elle, rien ne se passe à l’image, tout est dans les voix off, ce film, c’est de la littérature. Et si rien ne bouge ou si peu ou si lentement, n’est-ce pas parce qu’il fait si chaud « Cette chaleur ! Le seul remède, l’immobilité, la lenteur, ralentir le sang » dit une voix qualifiée au générique de fin d’ »intemporelle », on ne sait pas qui parle. Usage d’un grand miroir pour agrandir l’espace et dédoubler les personnages, lesquels ne sont que des reflets, « J’ai tiré sur moi à Lahore sans en mourir » dit Michel pas encore Michael en 1975 Lonsdale, interprète du vice-consul de Lahore qui a été rapatrié à Calcutta où il se retrouve en présence de son grand amour, Anne-Marie Stretter, née Anna Maria Guardi d’une mère vénitienne, et s’éclaire pour moi le mystère du titre d’un autre film de Marguerite Duras Son nom de Venise dans Calcutta désert que je n’ai pas vu et que j’aimerais bien voir, maintenant que j’ai revu India Song
Et bientôt sur le blog des Cramés je lirai ceci : « Pour les scènes du couple Tabard, François Truffaut avait demandé à Michael Lonsdale la permission de tourner dans son grand appartement pour sa belle lumière et la vue sur la tour Eiffel. On imagine Michael Lonsdale, alors, profondément heureux : il tournait avec Delphine Seyrig. Il s’appelait Georges Tabard, elle était Fabienne Tabard, et elle était là, chez lui, avec lui. On sait [eh bien non, je ne savais pas] qu’elle fut la seule femme de sa vie : “J’ai vécu un grand chagrin d’amour et ma vie s’en est trouvée très affectée. La personne que j’ai aimée n’était pas libre… je n’ai jamais pu aimer quelqu’un d’autre. C’était elle ou rien et voilà pourquoi, à 85 ans, je suis toujours célibataire ! Elle s’appelait Delphine Seyrig.” Le dictionnaire de ma vie, 2016. Aussi, quand le vice-consul de Lahore crie Anna Maria Guardi par les rue de Calcutta, je découvre avec émotion que par sa voix Michael Lonsdale hurlait son propre désespoir.