Jeanne de Bruno Dumont

Film français (septembre 2019, 2h18) de Bruno Dumont avec Lise Leplat Prudhomme, Fabrice Luchini et Annick Lavieville

Synopsis : Année 1429. La Guerre de Cent Ans fait rage. Jeanne, investie d’une mission guerrière et spirituelle, délivre la ville d’Orléans et remet le Dauphin sur le trône de France. Elle part ensuite livrer bataille à Paris où elle subit sa première défaite. 
Emprisonnée à Compiègne par les Bourguignons, elle est livrée aux Anglais. 
S’ouvre alors son procès à Rouen, mené par Pierre Cauchon qui cherche à lui ôter toute crédibilité. 
Fidèle à sa mission et refusant de reconnaître les accusations de sorcellerie diligentées contre elle, Jeanne est condamnée au bûcher pour hérésie. 

Dans le cinéma, Jeanne d’Arc occupe une place de choix, et c’est une bonne chose pour Bruno Dumont,  car pour lui l’art est par excellence, le lieu où peut s’exprimer la grâce. Avec Jeanne, Bruno Dumont peut désormais se compter parmi les réalisateurs qui ont représenté Jeanne d’Arc. Il a choisi  de s’inspirer du « le mystère de la charité de Jeanne d’Arc », de Charles Peguy, comme pour son précédent opus Jeannette, il y reprend des dialogues de l’auteur.  

Charles Peguy  est fidèle à l’histoire, il  écrit dans une  prose unique, un peu déconcertante, sincère, et d’un bel humour. À l’époque où il écrit cette œuvre, il est jeune, plutôt idéaliste, anarchiste, incroyant. En outre, à travers les siècles qui le séparent de sa Jeanne, il y a une proximité de pensée et de rapport au monde.  Peguy dédiait son livre « à toutes celles et ceux qui ont lutté contre le mal universel : la violence, l’injustice, le pouvoir ». Peguy comme Jeanne sont  tous deux « absolus », sans concession et ne badinent pas avec ce qu’ils estiment leur devoir. (Pour Peguy, ce fut l’affaire Dreyfus, puis bien plus tard,  son engagement et sa mort d’une balle dans le front à l’occasion d’une charge, en 1914.) 

De son côté, Bruno Dumont appartient d’une manière consciente ou inconsciente à ce territoire imaginaire et culturel  du Nord  dont la Belgique francophone serait le noyau, qui produit des œuvres marquées par le surréalisme,   le burlesque, l’incongru, le bizarre, l’anachronique, et une forme d’humour absurde. Autant de moyens formels au service de sujets profonds et philosophiques.

Avec la Jeanne d’Arc de Peguy,  Bruno Dumont dispose d’un matériau qui correspond parfaitement à ce qu’il veut signifier : 

Jeanne représente pour lui un personnage métaphorique, universaliste et populaire. Elle est fragile et résolue. Elle engage sa spiritualité contre l’institution (L’église et le roi lui-même). Et enfin, son personnage se confronte au ridicule et au kitch de son époque : «  comment des gens instruits, cultivés,  en viennent-ils collectivement à assassiner une enfant ?» Ainsi, Jeanne dépasse l’histoire pour  atteindre la métaphore, celle de la lutte contre le mal, la damnation et l’église. Elle demeure humaine, elle est l’innocence universelle.

Bruno Dumont se refuse à enfermer Jeanne dans la nasse étroite du procès.  D’autres, à l’image de Dreyer ou de Bresson (que Bruno Dumont admire)   nous avaient livré une version pathétique et lacrymale de Jeanne, questionnée, injuriée, maltraitée par des brutes intellectuelles. Bruno Dumont choisit simplement de montrer les gens autour d’elle, des abords de Paris à Rouen, il ne reprend jamais l’artifice de Dreyer. Pour lui, les acteurs n’ont nul besoin d’être méchants ou sadiques, d’avoir de vilaines trognes, ils n’ont qu’à être en situation.

Dans le premier opus,  Jeannette devient Jeanne en allant de Donremy à Chinon.  Bruno Dumont s’assigne de représenter artistiquement un chemin  qui est à la fois spirituel et concret.   Avec Jeannette, Bruno Dumont nous avait donné sa mesure. Par exemple, chez Peguy, les dialogues avec Hauviette ou Madame Gervaise qui sont parfois drôles et déconcertants, deviennent bizarres et décalés avec Bruno Dumont. En outre, c’est un film chanté,  et il y a la musique métallique d’Igorrr sur la voix mal assurée de l’actrice qui a 8 ans,  (Lise Leplat Prudhomme). Cela ajoute à notre sensation d’étrangeté. D’autant que le réalisateur situe l’action sur la côte d’Opale : « Mes personnages dans leur ensemble sont des gens du Nord »… Le Nord est un théâtre magnifique pour représenter l’humanité tout entière. C’est le regard qui fait la grandeur du paysage et non le paysage en soi » quant aux gens : « Il faut accepter que le réel soit mêlé, avec ses gros, ses petits. Il faut apprendre à aimer ça. D’ailleurs, la plupart des gens sont tordus. Les gens beaux, c’est une vue de l’esprit. Mon travail, c’est d’héroïser les gens simples en les rendant glorieux, pas de mettre en avant un acteur débile dont on se fout. » 

Alors, pour Jeanne, le dispositif demeure le même. Pour la musique, il choisit Christophe, qui sur les paroles de Peguy réalise une œuvre sublime, qui indique la  compréhension intime, pénétrante du texte de Peguy et  du projet de Dumont. Et le décor…les plages infinies du Nord, les pins, les vestiges de bunkers, et le ciel immense et bleu… 

Cette fois  Jeannne est aux Portes de Paris. (Orléans est dans l’ellipse). Jeanne est d’une détermination absolue. Elle n’a de compte à rendre qu’à Dieu, un Dieu intime.  

Remarquable aussi, de Paris au bûcher son aura, sa faculté de révéler la petitesse et la couardise de ceux qui l’entourent. A montrer leur bassesse et leurs petits calculs et parfois leurs ignobles desseins.  Tout est dans le regard de Jeanne qui ne parle que pour faire mouche. Lise Leplat Prudhomme (2) qui a grandi  de deux ans depuis Jeannette, connaît son texte par cœur ; il lui fallait le ton jute, elle l’a. Julie Sokolowski (actrice principale dans Hadewijch)  a été sa répétiteuse. 

Maintenant racontons l’histoire par la fin.  L’église avait gracié Jeanne car la première fois devant le bûcher,  elle avait reconnu son hérésie, elle avait dit ne jamais avoir entendu Dieu, juré de ne plus porter de vêtements masculins- L’église, mansuétude et miséricorde !– Mais une fois dans sa cellule, on lui rend ses vêtements d’homme, elle s’en habille. Piège grossier, elle devient relapse !  On peut la brûler. Le Tribunal inquisitorial a joué sa partition sans fausse note.  

Publics,  la mise en scène de la torture, l’exposition de la douleur, le viol ultime, l’apparat et la populace,  tout cela Bruno Dumont le tient à l’écart. Au loin on voit Jeanne qui brûle, une silhouette légérement détachée du poteau de torture, une fumée. Bruno Dumont filme un paradoxe, la mort est un acte solitaire absolu, et sa représentation humaine presque rien.     

Le procès,  c’est toujours, cette même histoire de tribunaux inquisitoriaux et/ou fantoches, dont nous   sommes encore témoins aujourd’hui, la liste des pays concernés serait un peu longue, hier par exemple, la Turquie… 

La partie procés chez Bruno Dumont, jouée dans la Cathédrale d’Amiens comme un écrin gothique, baroque, et surtout ostentatoire,  ou par des mouvements de plongée et de contreplongée,  il peut jouer de l’élévation et de l’écrasement.  Les scènes sont interprétées comme d’habitude par des non comédiens, professeurs ou étudiants de faculté, dont trois  théologiens  de la faculté de Lille. Cette partie du film devrait être anthologique. Cette sensation de voir ces personnages (acteurs inexpérimentés) sur la corde raide durant leurs plaidoiries,  fragiles, donne une sensation de pathétique, d’ubuesque et de kitch total. Du même coup, elle révèle toute la grandeur de Jeanne devant le ridicule.  Lise Leplat Prudhomme est étonnante. (Il lui sera difficile de ne pas demeurer actrice). 

Avec ce film, Bruno Dumont contribue à  sortir Jeanne de l’illusion politique  dans laquelle depuis toujours on cherche à l’enfermer. Elle est insaisissable, irréductible aux fantasmes des nationalistes et religieux. Elle représente une valeur dont ils ignorent le sens, elle est radicalement libre. 

Jeanne de Bruno Dumont n’est pas seulement du grand art, c’est quelque chose qui nous parle directement au présent.  Nous ne pouvons éviter de faire le parallèle avec Greta Thunberg à qui on a accordé les épithètes :   louche, irrationnelle, illettrée, ridicule, fanatique, sadique, totalitaire et -Autiste (1)- Dont on pend l’effigie sous les ponts en Italie, qui déclenche des manœuvres de blocages de routes par des conducteurs des camions-citernes au Canada, dont le philosophe  A. Finkielkraut dit : « je trouve lamentable qu’aujourd’hui on s’incline devant une enfant ».  

(1 ): On peut aussi se référer à différents sites qui recensent les pathologies possibles de Jeanne. Les « Messieurs Homais » depuis le XIXème Siècle à nos jours ne manquaient et ne manqueront jamais d’arguments.

Une Fille Facile- Rebecca Zlotowski

Film français (août 2019, 1h32) de Rebecca Zlotowski avec Mina Farid, Zahia Dehar, Benoît Magimel, Clotilde Courau, Loubna Abibar et Cedric Apietto

Synopsis : Naïma a 16 ans et vit à Cannes. Alors qu’elle se donne l’été pour choisir ce qu’elle veut faire dans la vie, sa cousine Sofia, au mode de vie attirant, vient passer les vacances avec elle. Ensemble, elles vont vivre un été inoubliable. 

« Tous les palais sont ridicules : malgré leur intérêt historique, ils ne sont que l’expression dénuée de goût et pénible de l’ostentation. »
Charlie Chaplin – 1889-1977 – Ma vie

Dans une des ses interviews Rebecca Zlotowski nous dit : « enfant, avec mes parents nous aimions aller regarder les riches dans leur yacht, installés  face aux pizzerias ». Jeux de signes donc… (Jeu qui nous sera commenté en cours de film,  à l’unilatéral,  en se plaçant du point de vue du propriétaire du yacht). 

Dès le début Sofia, « la fille facile* » offre à Naïma (sa cousine)  un sac à main comme le sien, un sac Chanel  blanc nacré d’un goût  radicalement hystérique. Ensuite on  a comme l’impression que le scénario du film est une parodie de ceux  des photos-romans.  Les scènes et  dialogues sont  superficiels,  se produisent dans un décor qui est une sorte de compilation de signes ostentatoires, presque de clichés (dont un yacht et  son riche intérieur, le sextant, un crocodile en bois rare menaçant, le personnel de service,  les villas somptueuses etc.).

Pour Sofia, tout baigne, et nous le verrons plus tard, lors d’une  scène  de plage : Sofia et Naïma marchant sur la plage, par la magie du cinéma, disons un jeu de plans,   les galets des plages de Cannes deviennent doux  comme le sable de l’Atlantique : gros plan sur les pieds agiles de Sofia et Naïma puis plan poitrine ou plan américain (je ne sais plus) pour le haut de ces deux filles au moins libres… de toutes grimaces douloureuses, contrairement à l’ensemble des plagistes cannois (qui eux ne peuvent se couper en deux et  méritent toute notre compassion) 

Le film se place sous le signe d’ une citation curieuse  de Blaise Pascal : « La chose la plus importante, c’est le métier : le hasard en dispose »,  qu’on croirait échappée d’une épreuve de dissertation. Et la dissertation c’est le film :  

Le hasard en question, n’a pas permis à Sofia l’héroïne,  de naître riche mais de devenir désirable, c’est déjà ça ! Sofia, « la fille facile »  est d’origine maghrébine et probablement modeste, elle dispose d’attributs féminins qui selon les canons font d’elle une pin-up.  C’est sa situation initiale.  C’est ce qui la guide dans ses choix de vie.  Et comme elle apprécie et recherche les signes extérieurs de richesse et de puissance, qu’elle est elle-même, vue par  d’autres, perçue comme un signe de richesse et de puissance, le commerce de soi par soi devient alors, une sorte d’évidence. Pour Sofia, le hasard du métier sera  le hasard des rencontres. En bref, la fille facile  est une belle fille, qui aime le luxe ou ce qui lui apparaît tel …Et monnaie ses charmes, cet autre luxe. 

Son genre de personnage est connu depuis l’antiquité, sous le nom d’Hétaïre, il l’est aujourd’hui  sous le nom  d’escorte girl.  C’est un métier où rien n’est moins important que de s’attacher à quelqu’un, d’aimer comme on dit. Lorsqu’on n’a pas d’attaches, on est libre !  Dit-elle. 

Une autre manière de rappeler son désir de ne pas se lier, c’est un tatouage à la cambrure du dos et des fesses  qui indique « Carpe Diem », comme un programme,   dans  une acception qui ferait frémir Horace, mais qui lui revient. Le casting est impeccable, Zahia Dehar, l’actrice qui interprète Sofia, fut ce qu’elle joue. 

Si ce n’était pas tragique, on trouverait presque comique que des hommes en ruinent d’autres, les exploitent, les épuisent pour s’approprier ça, ce luxe, ce  kitch définitif, ce néant . 

Je garde aussi un bon souvenir de la rencontre avec Calypso (Clotilde Courau), sur son île, dans sa propriété et du dialogue qui en a suivi :     

S — : « Chaque fois que j’entends la corne de brume d’un bateau, ça me fait penser à Marguerite Duras.

La riche Calypso,  cherche alors à  déstabiliser Sofia, dont elle devine la fonction,  à lui faire éprouver une petite humiliation facétieuse. Un peu sarcastique,  elle lui demande : 

—     Qu’avez-vous lu de Duras ? 

—     J’aime tout, ça dépend comment je me sens, c’est délicat, c’est gênant …

—     Mais on est entre nous là !  

—     Avant c’était  LA DOULEUR… Aujourd’hui je vais dire que c’est  L’AMANT»

Test terminé, Sofia a montré les signes « suffisants », il ne faut pas grand-chose,  on peut changer de terrain de joute. 

Le combat de Sofia   se déplacera vers le rapport à son amant… Et on ne peut pas dire que passé  la phase de séduction et de « don, contre-don », que ce rapport soit marqué par la délicatesse. Il la fait chasser par ses gens, sous une fausse accusation de vol.   

Mais, être Sofia, c’est se sentir « libre » parmi les mufles, les délinquants légaux, c’est aussi expérimenter  ce  qu’a démontré Bourdieu dans « LA DISTINCTION», pendant la culture,  la lutte de pouvoir et  la lutte des classes continuent et nous ajouterons pendant le commerce des charmes aussi.   

Mais au total, et je ne sais pas si tout ça, correspond à l’intention de Rebecca Zlotowski où si je me fais un film dans le film,  finalement cette « fille facile » est avec  toute sa cupidité de pie, son mimétisme un peu ridicule,  une copie plutôt sympathique des gens qu’elle fréquente, ce n’est pas difficile. Quant à « la liberté » dont elle se pense dépositaire, c’est un autre sujet! Naïma son admirative cousine, qui a partagé certains moments avec elle, n’en sera pas adepte.

* NB : Une remarque, ces termes n’ont pas d’équivalent masculin

Turandot de Giacomo Puccini

Donné au Met et retransmis en direct hier à AltiCine : Turandot de Puccini, mise en scène de 1987 de Franco Zeffirelli en hommage à ce grand metteur en scène de cinéma et d’opéra disparu en juin de cette année. Grandiose. 150 minutes de bonheur total.
De l’opéra comme on l’aime, avec des décors, des costumes taillés à sa mesure. Très grands.
Et Zefirelli voyait l’opéra en grand ! Décors et costumes travaillés, généreux,  raffinés, étoffes précieuses, il veillait au moindre détail et le résultat est époustouflant !
Je suis de ceux qui trouvent que les opéras ne s’écoutent pas, ils se regardent et Turandot en est la parfaite illustration.
Et même si, bien sûr, in situ, c’est mieux, en retransmission, on a le privilège et l’avantage de voir les détails, les expressions des visages et, pendant les entractes, d’entrer dans les coulisses, d’assister aux changements de décors, ballet minuté et impressionnant de techniciens experts, et de voir soudain un(e) artiste rayonnant(e), polyglotte, entièrement tourné(e) vers la musique, venir, quelques instants, nous parler de son art.
Quelle jouissance ce doit être de chanter ces airs là, Nessun dorma (Calaf formidable hier par Yusif Eyvazov), Signore ascolta (par Liù/Eleonora Buratto).
A la fin quand ils saluent, on retient ses larmes. Dieu que c’est beau !
Alors on préférerait, à ce moment-là, être dans la salle pour applaudir, crier les noms, ovationner.
Brava ! Bravo !

Franco Zeffirelli (2003-2019)
Confié à l’orphelinat des Innocenti le jour des Z, sa mère, admiratrice de Mozart, le fait inscrire sous le nom de Zeffiretti (Idomeneo), mais, suite à une erreur de transcription, il devient Zeffirelli. Il est recueilli par une Anglaise installée à Florence qui lui enseigne sa langue et lui fait découvrir Shakespeare qui l’accompagnera toute sa vie. D’abord assistant de Lucchino Visconti, il commence dans les années 50 une carrière de metteur en scène d’opéra qui s’échelonne sur plusieurs décennies et le conduit à travailler régulièrement avec La Scala de Milan et le Met de N.Y. Il dirige Maria Callas à Milan, Vérone, Paris,  dans des représentations mémorables de La Traviata (1959), Tosca (1964), Norma (1965).
Pour le cinéma il réalise en 1967, une adaptation de La Mégère apprivoisée de Shakespeare avec Elisabeth Taylor et Richard Burton qui connaît un beau succès et l’encourage à adapter Roméo et Juliette l’année suivante, avec Leonard Whiting et Olivia Hussey, deux jeunes inconnus dans les rôles titres. Pour la première fois, un metteur en scène employait des acteurs ayant l’âge réel des rôles. Ce film (qui est aussi un de mes premiers souvenirs de cinéma)  sera le plus grand succès de la carrière de Zeffirelli et remportera deux Oscars (meilleure photographie et meilleurs costumes).
Viendront ensuite Jésus de Nazareth, Jane Eyre.
Et Callas for ever (2002) qui marquera la fin de sa carrière.
La boucle était bouclée.

Marie-No

Une grande fille-Kantemir Balagov

Film russe (vo, août 2019, 2h17) de Kantemir Balagov (Réalisateur de Tesnota, une vie à l’étroit) avec Viktoria Miroshnichenko, Vasilisa Perelygina et Timofey Glazkov
Titre original : Dylda

Synopsis : 1945. La Deuxième Guerre mondiale a ravagé Léningrad. Au sein de ces ruines, deux jeunes femmes, Iya et Masha, tentent de se reconstruire et de donner un sens à leur vie.

Présenté par Sylvie Braibant

Tout d’abord, un mot sur le débat de ce mardi soir : 

« Après la sortie en film du premier dessin animé  « Asterix le Gaulois », lors d’un « micro-trottoir », on interroge un jeune enfant : Alors tu as aimé ? 

Pas tout à fait, les personnages n’ont pas la même voix que dans le livre ! »

Au moment du débat, c’est un peu le sort que fait Sylvie a « Une grande fille » de Kantemir Balagov après avoir  relu le roman de Svetlana Aleksievitch avant le film. 

Même si comme Sylvie sans doute, il  admire l’auteur du livre,  Balagov ne voulait pas l’adapter ;  il l’indique dans le  dossier de presse qu’il s’en est  inspiré. Et quelle inspiration !

Tout, comme « Tesnota une vie à l’étroit » son premier et précédent film, il nous invite à voir une œuvre particulièrement superbe : ici, la beauté de ses cadres, la fluidité des changements de plans, son jeu symbolique avec les couleurs, les références picturales, la manière de filmer les personnages, particulièrement Lya « la girafe »…On imagine qu’avec Balagov, les Russes ont un grand cinéaste de plus.  

C’est l’histoire affreuse et douloureuse de deux femmes qui ensemble ont vécu des situations extrêmes  et probablement ont survécu l’une par l’autre à l’horreur de Leningrad. Elles se doivent tout. Elles peuvent donc tout se pardonner  et tout exiger l’une de l’autre. L’histoire humaine  est traversée par ces tandems – De ces gens qui tentent de continuer à vivre par ce moyen contraphobique. 

 Quel casting pour ce film, deux   actrices, Viktoria Miroshnichenko joue Iya autrement appelée « la girafe » et Vasilisa Perelygina joue Mascha. Iya est atteinte d’une sorte de  paralysie intermittente, de mouvement et de claquement de gosier, d’absence qui ressemble au « petit mal » épileptique. Quant à Masha, elle est devenue stérile, son ventre est mutilé. L’une et l’autre sont des traumatisées psychiques de guerre, des névroses de guerre,  disait-on.  Cet aspect essentiel permet de comprendre pourquoi on retrouve dans presque toutes les critiques du film le mot « resserrement ». Balagov est aussi un cinéaste de l’angoisse. 

A ce propos, durant le débat, un intervenant parlait d’âme russe, c’est-à-dire de la dimension culturelle spirituelle d’un peuple et dont témoigneraient par leur façon d’être au monde ces deux personnages. Si l’on veut considérer que  le servage,  la misère, la guerre, la mort en masse sont  constitutifs  de cette âme, alors oui !  Comme dans Tesnota (dont on se souvient la place de l’héroïne),  ces deux personnages expriment parfaitement l’âme russe… et donc le présent Russe actuel,  Balagov nous parle au présent.

Une séquence frappe dès le premier quart d’heure,  Iya « la girafe » chahutant avec le petit Pachka nous  a laissé horrifié,  devant nos yeux, elle l’étouffe. J’ai pensé faussement : c’est un infanticide. Je l’ai pensé car la faim, et l’horreur sans fin de l’après-guerre, celle des « Johnny Got His Gun », m’y induisaient. 

Suit  l’aveu,  l’annonce de la mort de Pachka à Masha la mère. C’est un moment d’anthologie cinématographique et le point d’orgue du film. Il dit la mesure de l’attachement de ces deux femmes. Elles sont unies par la présence d’un passé de chaque instant et leur projet inconscient. Et, presque tous les rapports de ces deux femmes liées, tournent, parfois par homme interposé,   autour de la volonté de survivre, la volonté d’enfantement à tout prix, la volonté de continuité et dépassement.

Autre séquence toute aussi frappante, la rencontre de Masha avec « la dame au lévrier », Liubov Petrovna,  la mère de Sasha, un prétendant. Elle  montre l’écart définitif entre une femme de la nomenklatura  et une prolétaire. Masha   avec  sa « belle robe » empruntée n’est pas à la hauteur des espérances de la dame pour son fils. Dans un dialogue brutal, d’où les hommes sont exclus, du silence lâche du père de Sasha et la niaiserie du fils… « la dame au lévrier » soumet  Masha à un interrogatoire en règle. Tous ses préjugés, son mépris de classe  sont contenus dans ses questions orientées qui veulent mettre en évidence que Masha fut « une fille de l’arrière donc une fille de confort, bref une pute, que l’on peut à la rigueur remercier de son dévouement ! ». Mascha  qui était serveuse de DCA, autant dire une bête humaine, à la merci de tout, conforte la Dame. L’ironie et le mépris changent de camp. Après la guerre, dans ses décombres fumants, la guerre des classes continue.

La retrouvaille finale entre Masha et Iya la  Girafe (qu’un instant elle a cru suicidée)  à la fin du film montre l’attachement définif qu’ont  ces deux femmes l’une pour l’autre.  Il  est forgé par l’expérience indicible de la guerre. Et ces femmes sont de celles par qui le présent  des Russes advient, elles sont le passé qui définit leur présent.

PS : j’ai lu beaucoup de belles critiques de ce film, j’attire votre attention sur celle du site, « le Bleu du Miroir »!

ACUSADA de Gonzalo TOBAL

Pour ce deuxième long-métrage Gonzalo Tobal nous montre à la fois une histoire policière  et le processus qui se met en place autour du   « présumé coupable » :  sa famille, ses avocats, les médias  face à un fait divers complexe et violent. Un processus donc, qui est pour une part intime et pour l’autre publique, avec ses implications   juridiques, médiatiques,  familiales, sociales.

La jeune Lali Esposito qui joue Dolorès Dreir est une interpréte principale très honorable, d’autant que c’est son premier film pour le grand écran et à l’international. 

La distribution secondaire  est constituée d’acteurs que nous connaissons à l’image de Leonardo Sbaraglia( rôle du père)  que les cramés de la Bobine ont pu voir dans Douleur et Gloire d’Almodovar et dans les nouveaux  sauvages  de Damian Szyfron  

Ou encore  d’Inès Estévez qui interprète Bétina, la mère de Dolorès, qui  jouait dans Félicidad projeté  à sa sortie aux Cramés.  Soulignons au passage qu’elle est aussi  une remarquable chanteuse de Jazz( cf. youtube). Soit dit en apparté, on peut aussi espérer que cette remarquable actrice ait fait un procès à son chirurgien plastique ou que ce professionnel soit conduit à se recycler.

Ce film n’est certainement  pas inoubliable, il présente de nombreux défauts. Sa musique est trop appuyée, les mouvements de caméra le sont parfois un peu aussi,  par exemple, cet effet de zoom  avant  vers la fin du film : lors  de cet instant de solitude  ou l’on peut voir Dolorès seule avec elle- même, observant  au loin sur les toits. Suit un plan fixe, elle observe  ce puma imaginaire ou réel. Ce puma qui comme elle a été livré, tel un monstre du Loch ness,  à l’intérêt zappant et fugace d’une population gavée d’événements -Une population passionnelle prompte à se déchainer-. 

Et puis il y a dans le scénario un abus de scènes  providentielles un peu faciles :

La mère intervient à temps quand Dolorès sa fille veut rendre visite à la mère de Camilla, l’assassinée. L’avocat rentre dans le café au moment où sa cliente risquait de parler avec les témoins. Le père arrive en voiture à l’hacienda au moment où sa fille est assise sur la margelle du puits … 

Mais on ne peut enlever à ce film, ni son côté palpitant, ni le côté touchant, fort et fragile de Lali Esposito dans l’incarnation de son rôle.  Et puis ce film est aussi une chronique du jeu social, judiciaire et médiatique devant une affaire « indécidable ». Une affaire où une fois la justice passée, coupable ou innocent, il ne restera que des décombres fumants. 

On remarque  la faculté d’auto-illusion, d’autojustification  des personnages, (qui aussi la nôtre) qu’il nous montre : La construction d’un récit collectif qui conduit à l’acquittement est un tissu de vérités tronquées et de mensonges délibérés, brefs de petits arrangements avec le réel. L’amie de Dolorès essaie de disssuader un témoin.  Le père  fait disparaître un sac à dos qui peut-être aurait été à charge. Plus loin il dit, « après tout ce que j’ai fait, si tu es condamnée, tu n’es plus ma fille ». Qu’elle soit innocente ou coupable ne rentre pas dans son calcul.  Le grand avocat ami de la famille qui pille méthodiquement (et de bon droit)  son ami pour défendre sa fille avec une stratégie qui  ne repose que sur le doute. La mère qui n’aime rien tant que le silence. La fille qui seule sait mais se prête (à l’exception de l’interview) a tous les scénarios prévus pour elle, fussent-ils faux. On pourrait ainsi dérouler l’ensemble du film qui de ce point de vue est parfaitement réussi. 

Il y a un autre aspect bien traité, c’est celui de l’innocence et de la culpabilité. Qu’un innoncent se sente et se manifeste comme un coupable dans une telle situation, le pire pour lui est à craindre! Qu’un coupable se sente ou se prétende innocent et se défende comme tel, alors il augmentera ses chances de  se sauver : « Messieurs, n’avouez jamais » a dit  Davinain, au pied de l’échafaud. Le plus souvent la culpabilité et l’innocence cohabitent intimement autant chez l’accusée que chez ses intimes. La prééminence du jeu social sur la vérité est bien montrée dans Acusada. Deux illustrations me viennent  à propos de ce jeu avec la culpabilité :

Dolorès est avec son ami (celui qu’elle a rencontré pour le service sexuel), elle lui dit  quelque chose comme : « tu ne t’imagines pas que je vais te dire si je suis coupable ou innoncente alors que 40 millions de personnes attendent »… elle ajoute après un court mais pesant silence « mais je suis innocente ».  Lorsque Dolorès  est assise sur la margelle du puits, son père démontre qu’il la pensait coupable… « mais je ne l’ai pas fait papa !  » 

Et pour nous Français, cette justice argentine qui ressemble à l’américaine, recèle un mystère attrayant, on peut y attendre son procès ailleurs qu’en prison… et répulsif à la fois, si l’on en juge par l’exemple des USA avec sa politique d’enfermement et ses erreurs tragiques pour ne pas dire cyniques. 

Roubaix, Une Lumière, Arnaud Despleschin

Présenté par Laurence

À Roubaix, « un soir de Noël, Daoud le chef de la police locale et Louis, fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes »…Nous dit le synopsis.  Ce film tiré d’une histoire vraie interprété pour les deux femmes par  Léa Seydoux (Claude) et Sara Forestier (Marie) et pour la police, Roschdy Zem (le commissaire Daoud).  

Arnaud Despleschin réalise encore son meilleur film, (c’est ce que je pense à chaque fois). Il réussit à raconter simultanément trois choses à la fois, l’histoire d’une ville, l’histoire d’une population pour l’essentielle immigrée,  l’histoire d’une enquête sur un meurtre sordide et de ses protagonistes. Tout cela interprété avec une classe exceptionnelle  par les quatre principaux acteurs.

On est surpris par  le décor du film, Roubaix est à elle seule un personnage, et la lumière de Roubaix n’est décidément plus qu’une petite lumière  venue de loin. Roubaix  est riche  de sa richesse passée de ville industrielle et laborieuse, elle a encore son décor bourgeois et ses bâtisses cossues du temps des manufactures et celles de plus en plus délabrées des courées et des petites maisons où vivaient les ouvriers pauvres souvent immigrés. Là  vivent encore des pauvres, parmi eux, nombre de vieux immigrés et marginaux,  cette fois sans travail, sans avenir. Le taux de chômage y avoisine les 31%.  Et 43% des habitants de Roubaix vivent sous le seuil de pauvreté.   Roubaix est un décor pour nous qui le voyons et une blessure pour nombre de ceux qui y vivent.

Depleschin sait que  l’histoire de cette population se confond pour l’essentiel à la population immigrée, le plus généralement du Maghreb.  Et l’histoire des Maghrébins de Roubaix nous est montrée  sous différentes formes, comme un film dans le film.

D’abord le Commissaire Daoud, enfant de Roubaix et fils d’immigrés  symbolise le prix de l’intégration (être et ne pas être en même temps). Mystérieux et solitaire, il a quelque chose de marginal  à  incarner l’institution policière dans une ville de France. Etre le représentant de la paix et être   celui qui a réussi et se retrouve à  distance obligée avec sa communauté.  Sauf parfois, pour se souvenir avec un oncle  des humiliations passées. Il se souvient d’une boîte de nuit interdite aux Arabes et aux chiens,  qui reprend le « Betreten für Hunden und Juden verboten » des nazis.  Il consacre son temps a rendre visite à un neveu en prison, qu’il a peut être fait arrêter et qui ne veut surtout pas le voir. Mais il est son cousin si proche et si loin.

La texture* du commissaire Daoud est  de celle des grands flics et détectives des romans policiers, tels parmi mes préférés, Nestor Burma, Maigret,  Néro Wolf. Il a un côté fatigué insomniaque,  une sagacité remarquable, de bonnes capacités hypothético-déductives…Par exemple, la recherche des coupables de l’incendie et la découverte de l’enchainement logique qui l’oriente vers une autre affaire, un meurtre – Celui sordide et presque gratuit d’une pauvre vieille- Il mène à  Claude et Marie- Elles sont tout ce qu’indique le synopsis, mais sont aussi le produit de la misère de Roubaix et de son aura. Une misère intergénérationnelle, un héritage,  suivi de leur rencontre à toutes deux « c’est parce que c’était elle, c’est parce que c’était moi ». Le commissaire Daoud reconstitue le mécanisme intime du lien entre ces deux êtres, par deux quasi-monologues intuitifs et pénétrants. Le film prend fin ou commence la justice, tellement juste et injuste à la fois, comme le sont  les justices de classes.

PS : Texture à Roubaix (inévitable)

Charles Gérard (1922-2019)

L\'acteur Charles Gerard, le 5 décembre 2016 à Paris.

Ses parents avaient fui l’Arménie soviétique en 1920, car son père était un général tsariste et Charles était né sous le prénom de Gérard en 1922 à Istambul qui s’appelait, alors, Constantinople.
Emigrés en France courant des années 20, les Adjémian s’étaient installés à Marseille puis au Pré-Saint-Gervais.
Sous l’occupation, Gérard Adjémian se retrouve seul. Il a 20 ans.

Boxeur souvent KO, c’est autour du ring qu’il fait la connaissance, et deviendra ami pour la vie, de Jean-Paul Belmondo qui l’emmène dans le monde du Cinéma où, sous le nom de Charles Gérard, il s’essaie à l’écriture de scénario et à la réalisation.
Mais c’est comme acteur, dans une soixantaine de films pour, entre autres, Claude Lelouch, Henri Decoin, Nadine Trintignant, Gérard Oury, Philippe de Broca, Henri Verneuil, Francis Veber, Claude Zidi, Georges Lautner, Elie Chouraqui, qu’il fera carrière.
Pour Lelouch, depuis « Un homme et une femme », il était Charlot.
Immédiatement sympathique, il incarnait à merveille le pote de toujours, la bienveillance, le soutien inconditionnel.

Aujourd’hui, on mesure combien Charles Gérard nous était familier.

https://youtu.be/i4xeyekiVjw

Les Arbres remarquables (2)

Les Arbres Remarquables, un patrimoine à protéger : Affiche

Documentaire de Georges Feterman, Jean-Pierre Duval et Caroline Breton
Soirée-débat lundi 16 septembre 2019
Animée par :
Bérengère Metzger de l’Association Ecolokaterre pour l’Arboretum des Barres et de Maxime Fauqueur Présidentde l’Association A.R.B.R.E

Dans la vie, je me tiens plutôt éloignée des arbres, des arbres de la forêt, dressés vers le ciel, serrés, menaçants, étouffants à tel point que, dès le premier pas dans une forêt, mon souci est d’en sortir, de m’en sortir. Au secours !
Alors le documentaire d’hier soir, m’a agréablement surprise. Les arbres qu’on y rencontrent sont des arbres à part, solitaires, libres, autoclonés parfois, plantés parmi les hommes, visibles et remarquables déjà parce qu’on ne peut pas ne pas les voir, et remarquables par leur âge, leurs formes, leurs racines ancrées ici ressortant plus loin, régénérées, renouvelées. Des forces de la nature ! Ces arbres-là sont des refuges, des œuvres d’art qu’on a envie d’observer longuement comme on observe les tableaux qui nous plaisent, globalement et minutieusement, infiniment.
Faire la connaissance de ces êtres lumineux et obscurs, délicieusement verts, profondément sombres, majestueusement tordus, bossus, aux formes élargies, étendues ou stoppées, improbables, rafistolés parfois, a été un réel plaisir.
Arbres remarquables et précieux.
Hier, j’ai pensé à d’autres individus feuillus moins remarquables,  parfois remarqués d’un seul, de moi, de toi, de lui, d’un autre, d’une autre avant, en leurs temps, d’enfants qu’ils ont fait grandir.
La place de la République était alors un terrain de jeux. Quel bonheur de s’y retrouver, de s’éparpiller, envolées de moineaux qui vivaient dans la ville. Il y avait l’école, les courses effrénées dans le quartier et puis le rassemblement, les retrouvailles  des gamins du quartier, toujours sur la place, à l’ombre des platanes.
Quand, en 2010 on a fait disparaître des arbres de son enfance, un vieil homme a pleuré. Un enfant, né en 1926, inconsolable qu’on ait coupé ses platanes remarquables. 

 

L’image contient peut-être : arbre, ciel, plein air et nature

« L’arbre tordu vit sa vie, l’arbre droit finit en planche »
Proverbe chinois

Marie-No

PS : La musique … dommage
On laisse le mot de la fin au vieux monsieur « Il va pas bientôt l’arrêter, son truc ? »
Sans compter qu’il va falloir le redescendre le piano droit rouge incongru.

 

Les arbres remarquables de Georges Feterman, Jean-Pierre Duval-Caroline Breton

A propos des arbres Francis Hallé  Biologiste, Botaniste, spécialiste des Forêts tropicales écrit :

« Je me demande si le rapport premier aux arbres n’est pas d’abord esthétique, avant même d’être scientifique. Quand on rencontre un bel arbre, c’est tout simplement extraordinaire » 

Dans plaidoyer pour l’arbre il ajoute : 

Lorsqu’on abat un ramin, une angélique, ou un maobi on réduit la surface d’échange de la planète de 300 hectares, rien d’étonnant que le climat s’en ressente, surtout si le chantier abat 80 arbres par jour. Aucun être vivant n’approche même de très loin, les surfaces d’échange d’un grand arbre ». 


Le film était superbe, avec des défauts pardonnables, sans doute un peu trop long et trop ponctué par des accords musicaux parfois (mais pas toujours)  trop sirupeux,  appuyés et dérangeants. Mais les arbres ! 

Tout d’abord, pour débattre ce film, il y avait deux intervenants Bérangère Metzger de Ecolokaterre et Maxime Fauqueur de ARBRES.  Différents spectateurs m’ont questionné : ils se connaissaient ? Non ils ne se connaissaient pas ai-je répondu, mais ils se reconnaissaient bien. Ils avaient en commun une même chose. Tous deux sont des militants, c’est-à-dire des gens qui consacrent une large partie de leur vie à une cause qu’ils entendent faire partager. Au bout du compte, c’est par des gens comme eux qu’avancent nos prises de conscience, et très modestement mais sans aucun doute, la civilisation.  Ici la cause des arbres. C’est superbe de se dire, puisque je vis,  je vais parler des arbres, les faire connaître et… être leur avocat. Que ces « passeurs » soient remerciés pour cette soirée, pour leur conviction, leur compétence et leur gentillesse. 

Le film nous présente de très harmonieux et majestueux arbres, et aussi d’autres, vieux, très vénérables, (j’ai lu que les arbres étaient immortels, c’est-à-dire que contrairement aux animaux dont l’homme, ils n’ont pas  la mort programmée dans leurs gènes, les causes de leur mort sont totalement déterminées de l’extérieur, en d’autres termes un arbre ne meurt pas sans être tué). Et tout de même en attendant l’agent de leur fin de vie, quel élan vital ! Des arbres noueux, meurtris,  aux branches tordues,  cassées, beaux par leur dimension et leurs stigmates. Parfois même, ils sont couchés, ou leurs troncs  sont emplis de cavités. Mais ils sont là, bien  vivants, depuis des siècles, vénérables. Et le film nous signale discrètement, qu’ils s’entraident, « perfusent » celui  d’entre eux qui ne peut plus y arriver seul. L’arbre est un être social,  capable de coopération et de don  de soi (1).

Le film est ponctué d’interventions toutes remarquablement choisies, en premier lieu,  celles de Francis Hallé et d’Alain Baraton, tout autant pour exemple, celles de Georges Feterman ou de Maxime Fauqueur. 

Je retiens de ce documentaire et du débat, qu’à travers les arbres c’est de l’histoire humaine, de l’ambivalente histoire humaine dont il est question. Les arbres ont commencé leur vie sur terre il y a 380 millions d’années, et nous, nous n’y sommes que depuis 200 mille ans. Ils n’ont que faire de nous ! Dans cette histoire, l’homme met des mots sur les choses : il nomme, accorde des propriétés et… s’approprie – puis…si bon lui semble, se donne tout autant des droits de vie et de mort des arbres sur sa propriété.  Car comme le faisait remarquer M.Fauqueur, la propriété est un droit absolu (qui ne laisse donc aucune place au bien commun).

Si l’on se place du point de vue de l’homme, l’arbre a dès l’aube de l’humanité  constitué  sa condition d’existence, lui permettant de  se protéger,  se nourrir, se chauffer… de construire, de s’outiller. Il fut la condition même de notre possibilité d’existence puis de notre civilisation . Si l’on se place de celui de l’arbre, on peut dire qu’il a rencontré en l’homme son plus constant prédateur. 

Et c’est une force de ce film de nous  montrer qu’il existe aussi et depuis tous temps et maintenant plus qu’hier,  une relation entre les hommes et l’arbre chargée d’attention de bons soins et d’amour, de nous dire qu’elle est possible et que certains la vive.  (N’empêche, la tronçonneuse selon chacun et sans permis est une calamité !)

Bien sûr, ce qui nous a été montré, c’est pour l’essentiel, l’arbre des villes, dans son agencement urbain, monuments,  châteaux et églises, jardins, promontoires…mais c’est un pas. Constatons d’ailleurs que le sauvage fait toujours peur et cette peur est ancrée en nous, comme l’affirmait François Terrasson(*2) dans les années 1980, de là une cascade de conséquences(*3) : « L’homme a tendance à détruire ce qui lui fait peur. Il ne va pas demander qu’on abatte la forêt, mais qu’on fasse reculer la ronce, le reptile et l’inconnu. Bref, il réclame le nettoyage des sous-bois, l’ouverture de nouveaux chemins et l’installation d’écriteaux rassurants. Derrière les discours de technocrates aménageurs, (…) se cacherait l’antique crainte de la nature sauvage »…

Soit ! N’empêche, ce film tout comme la littérature de vulgarisation sur les arbres indique que les temps changent, et il y a un public de plus en plus nombreux pour ça . Il devient plus difficile de défendre l’idée que les arbres sont de simples choses utilitaires ou décoratives. Et certains élus qu’Alain Baraton (4) dénonce, ont du souci à se faire pour assouvir leur passion d’exister uniquement par le bétonnage. Les humains qui considèrent l’arbre avec émotion, tendresse et respect sont de plus en plus nombreux et ils se battent (5). On monte des marches, rappelons-nous qu’il a fallu le même effort insensé pour que les esclaves soient considérés comme des hommes ! (*6 ) Alors, en dépit des études scientifiques, voir l’arbre comme vivant et sensible demeure un chemin à faire.

L’éventuel lecteur  de mes digressions intempestives qui serait allé au bout m’excusera, et s’il veut bien  garder une seule chose de ces lignes ce pourrait être  : Allez voir « Les arbres remarquables », c’est un documentaire qui non seulement nous montre de beaux arbres mais en outre, donne à voir des rapports profonds et responsables de l’humain à l’arbre… et si vous l’avez vu, conseillez-le tout simplement !

(1) Dès les années 1930, un écologue japonais, Kinji Imanashi avait décrit des mécanismes de coopération inter-espèces et dans une même espèce in  » le Monde des êtres vivants ». Edition Wildproject, domaine Sauvage 2009. Depuis, les observations en ce sens n’ont cessé de se multiplier.

2 et 3) François Terrasson, « La peur de la Nature » édition Sang de la Terre 1988, commenté par Marc Ambroise-Rendu in le Monde 1988 (bien heureux d’avoir conservé l’article dans le livre!)

4) Alain Baraton « La haine de l’Arbre » Actes Sud 2013, il cite de nombreux cas prouvés d’allégations de maladies pour abattre des arbres, et depuis de grands projets inutiles qu’il cite n’ont pas manqué, pour le plus grand bonheur des prêteurs et du BTP et la mauvaise fortune des arbres gênants)

5) Que la spectatrice et militante soit remerciée pour sa sensible et pertinente intervention concernant le Boulevard de Belles Manières, la politique c’est d’abord ça!

6) Ecouté il y a peu, T.Piketty à la radio qui disait que lors de la fin de l’esclavage aux USA, on n’a pas indemnisé les esclaves, mais leurs »maîtres ».

La Femme de mon frère-Monia Chokri

Film canadien (juin 2019, 1h57) de Monia Chokri avec Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon et Sasson Gabai

Synopsis :Montréal. Sophia, jeune et brillante diplômée sans emploi, vit chez son frère Karim. Leur relation fusionnelle est mise à l’épreuve lorsque Karim, séducteur invétéré, tombe éperdument amoureux d’Eloïse, la gynécologue de Sophia…

Présenté par Marie-Noël Vilain

Lors de sa présentation Marie-No nous signalait toutes les proximités entre Monia Chokri et son équipe et Xavier Dolan.
Et jusqu’à l’image remarquait-on. Demeure l’humour, ça on ne peut pas dire qu’il a été emprunté à Xavier Dolan. On peut même dire que Monia Chokri volontairement ou non s’en sépare sur ce point. Dans les films de Xavier Dolan pour  ce que j’ai pu en voir, ce sont les affects passionnels qui dominent, débordent le film et  nous les spectateurs sommes pris dans une sorte de syndrome de Stockholm, subjugués par ce réalisateur   qui  a rendu si lourde de souffrances la vie de ses personnages… Et donc un temps la nôtre ! Nous l’en aimons que davantage. Dolan sidère ses spectateurs dans les deux sens du terme. Le film de Monia Chokri est bien différent, lisons ce que dit Xavier Dolan : 

« Je suis incroyablement fier du film « La femme de mon frère », de mon amie Monia Chokri. Dans une époque caractérisée par l’univers de l’influence et la facilité d’une plateforme publique, écrire et réaliser un film est un geste artistique singulier, fort, unique. À l’image de ce geste, le style de la cinéaste est qui plus est si personnel qu’il fait de cette œuvre un objet qui est entièrement propre à Monia, à son univers, ses préoccupations, ses instincts esthétiques, politiques, philosophiques. Il est tellement rare de voir un film et de penser : je n’ai jamais rien vu de tel! Hormis les associations faciles et systématiques, La femme de mon frère de Monia Chokri est un film qui n’aurait pu être fait que par Monia Chokri. Mais quel bonheur d’en plus pouvoir dire que ce film fait par une artiste est aussi fait pour tous. Que tous pourront apprécier son humour, son goût, son émotion, son interprétation si simple, et complexe, et humaine (Anne-Elisabeth!!!). Monia prend tellement de plaisir, de passion à filmer et réfléchir à ce que veut dire filmer. En découvrant son film, je me suis énormément remis en question. J’ai réalisé l’importance de la mise en scène. Je me suis souvenu de sa valeur et de sa vitalité! Merci Monia » (MSN.com). 

S’il signale gentiment une faiblesse du film (Les associations faciles et systématiques), il en remarque l’humour.  Et en effet,  nous rions et sourions, en tout confort, car il n’y a dans « la femme de mon frère » aucune méchanceté. Pourtant les scènes de ce film sont souvent  un peu comme un oreiller percé après une bataille d’oreiller, c’est encore drôle, mais ça ne l’est plus tout à fait, et les plumes tombent légères.  

C’est une fonction de l’humour de mettre une distance entre les choses dramatiques de la vie et nous-même. On se souvient la première image avec cette femme au visage rond qui parle avec dédain et drôlerie invonlontaire de  quelque chose, on ne sait pas trop quoi encore, on ne sait d’ailleurs même pas où on est, on se croit au théâtre, et ça nous amuse. Puis zoom, champ, contre champ, échange entre des personnages, on se rend compte que c’est la délibération d’une thèse de Doctorat et que l’impétrante, debout en retrait,  Sophia (Anne-Elisabeth Bossé), appartiendra au monde des Docteurs, mais à la marge, on comprend que sa thèse qui n’est pas dans les canons, porte sur un sujet  certes passionnant (A.Gramsci) ne prépare à rien d’autre qu’enseigner et que ses chances d’enseigner sont des plus  minces. Plus tard nous connaitrons les frais d’études  48 000 dollars… sa vie post-universitaire sera compliquée. Sophia n’a pas les codes, elle ne les a jamais eu ! Mais la manière de voir cette femme du jury, c’est celle de Sophia, avec ce regard, tout va bien.


Plus loin dans le film, on est chez les parents,   Sophia y est avec son frère Karim (Patrick Ivon). L’intérieur,  c’est celui d’intellectuels modestes, il  est plein de livres. Les parents, sont drôles, tellement complices. Et ces quatre-là éprouve une joie peu commune de se retrouver, d’être ensemble. Hichem (Sasson Gabai) le père est un idéaliste joyeux, un immigré, cordial buveur, Lucie la  mère (Micheline Bernard) une femme drôle et décidée.  Nous apprendrons Incidemment que l’un et l’autre sont séparés, et que lui, sans travail, vit dans le garage aménagé (des revenus de sa femme)-Une sorte de je t’aime, moi non plus- 

Il y a dans ce film un humour libérateur et un humour protecteur, celui qui évite l’affrontement et préserve l’intégrité de ceux qui en use, et mieux que ça, renforce…  Monia Chokri conjugue avec élégance le drame et la comédie, la légereté de l’humour recouvre les pesanteurs  de la vie. Et ce qui fait l’élégance, c’est l’humour.

Et Sophie, son personnage principal a une faculté d’autodérision que Woody Allen ne désavouerait pas.  

J’ai aussi été intéressé par le rapport fraternel Karim/Sophie, leur complicité ambivalente qui joue avec l’inceste sans jamais y tomber (Par exemple, la scène qui se présente comme un baiser, mais qui n’en est que le simulacre, l’objectif de Karim  est de mordre le nez de sa sœur) et plus tard, la manière dont Sophie finit par se départir de sa possessivité envers Karim. La résolution par le face-à-face avec Eloïse (Evelyne Brochu), la femme de son frère est très réussie.

Et tout comme les images du début du film, j’aimerais revoir cette image des  multiples frères et sœurs sur une barque, ils ne se regardent pas mais ils sont ensemble, leur regard tombe l’un sur l’autre et ils se sourient, il y a entre eux une confiance permanente. Et comme Sophie et Karim ont été également aimés de leurs parents, on projette les mêmes sentiments sur ces frères et soeurs là.   

Avec ce premier long métrage à la fois grave et joyeux, Monia Chokry devient  une réalisatrice à suivre.