Le film est sublime, Jean-Pierre Léaud fascinant !
L’idée de lui confier ce rôle est géniale (comment se fait-il qu’on ne connaisse pas cet Albert Serra ?)
On sort de la projection en état de grâce et, pour un peu, on croirait en l’au-delà …
Bref, revenons sur cette terre gangrenée.
Louis XIV va mourir mais avant, on passe deux heures avec lui dans sa souffrance et sa lucidité.
D’abord, il a des affaires d’état à régler, des projets à valider. Une étincelle s’allume encore dans ses yeux quand il fait dire à Fagon, son médecin, les nudités comparées de telle et telle, quand il déguste ses biscotins trempés dans du vin d’Espagne. Diminué, dépendant mais encore dans la vie.
Puis, tout au long des journées qui s’écoulent, on le voit peu à peu devenir inerte, (presque) toujours emperruqué*, dans ce grand lit, dans les bruits familiers de la chambre : le bruissement des étoffes, des soieries, le tombé lourd des velours, la vaisselle fine qui tinte sur les plateaux d’argent, la nature qui s’immisce par la fenêtre ouverte sur les jardins d’août . On entend la musique plus loin et on imagine les courtisans et les courtisanes continuant à savourer la vie, à danser.
Le roi se meurt et on est avec lui dans cette chambre cramoisie, goûtant les clairs-obscurs, regardant les mets raffinés présentés inlassablement, obstinément au roi soleil pourtant définitivement rassasié. Les chuchotements s’installent au diapason avec ceux du roi qui finissent, eux, par s’éteindre. La vie s’en va.
Le roi n’a pas peur : l’existence de Dieu est certaine.
La jambe noircit, les mouches sont là. On voit la mort envahir ce corps devenu impotent, inutile et tellement douloureux.
Le regard fixe et pénétrant de Louis XIV nous envahit.
Jusqu’au souffle ultime, le passage de vie à trépas, instant crucial que Jean-Pierre Léaud réussit à jouer et qu’Albert Serra réussit à filmer.
21 grammes s’échappent sous nos yeux.
Prodigieux.
Marie-Noël
*emperruquer : verbe transitif qui semble ne pas exister.
créé alors pour l’occasion