«Après la tempête» (海よりもまだ深く) de Hirokazu Kore-eda

nominations au Festival de Cannes 2016Du 25 au 30 mai 2017Soirée-débat mardi 30 à 20h30


Présenté par Marie-Annick Laperle

Film japonais (vo, avril 2017, 1h58) de Hirokazu Kore-eda avec Hiroshi Abe, Yoko Maki et Yoshizawa Taiyo
Distributeur : Le Pacte

Synopsis : Malgré un début de carrière d’écrivain prometteur, Ryota accumule les désillusions. Divorcé de Kyoko, il gaspille le peu d’argent que lui rapporte son travail de détective privé en jouant aux courses, jusqu’à ne plus pouvoir payer la pension alimentaire de son fils de 11 ans, Shingo. A présent, Ryota tente de regagner la confiance des siens et de se faire une place dans la vie de son fils. Cela semble bien mal parti jusqu’au jour où un typhon contraint toute la famille à passer une nuit ensemble…

Qu’est ce que tu voulais faire de ta vie ? Est-elle telle que tu l’imaginais, enfant, celle dont tu avais rêvé ?

La réponse est …

Pour Ryôta, le père, personnage principal, à l’instant, la réponse est, de toute évidence, « non ». Mais l’amour à jamais intact de sa mère lui permettra d’ajouter un « pas encore », salvateur, peut-être. Doué pour la littérature, admirateur de Jean-Henri Fabre (1823-1915) célèbre humaniste, écrivain et poète français très connu au Japon (pour moi un inconnu, ou un oublié, jusqu’à mardi dernier …) dont il parle à son fils Shingo. Ryôta, piètre calligraphe, faiblesse sans cesse soulignée par sa mère, transmise par elle, a écrit un premier roman «La table déserte» pour lequel il a reçu un prix. Un bon début. Il est célèbre mais, semble-t-il, juste dans le quartier où il a grandi et qui est resté le quartier de ses parents. Un petit prix qui lui est monté à la tête alors qu’il y a des « table déserte », des invendus plein ses étagères et que son père, joueur invétéré, a distribué, gratuitement, aux habitants du quartier, pariant sur la renommée future de son fils et leur disant de garder précieusement leur exemplaire qui, un jour, vaudra très cher ! Mais quand ?
Pour un écrivain, le deuxième livre est le plus difficile à écrire mais Ryôta n’a pas de page blanche. Sa vie lui échappe. Il a pris ce boulot de détective, à temps partiel, soit disant pour trouver de la matière pour son second livre. Mais il n’utilise pas son temps libre devant son ordinateur (plus besoin de l’encrier et des pinceaux pour écrire, la calligraphie ne sert plus qu’à l’envoi de faire-parts), ordinateur sûrement mis au clou, d’ailleurs, avec tout le reste. Ryôta est occupé à jouer. Il s’est englué dans ses combines, ses arnaques pour toujours pouvoir parier sur tout et n’importe quoi. Son père jouait, il joue et son fils jouera. La vie de Ryôta est en désordre, à l’image de l’endroit où il vit.
La prochaine étape est l’expulsion, la rue. Sa mère.

Sa mère, Yoshiko qui est là. Dans cet HLM où l’addiction au jeu de son mari les a fait migrer il y a tant d’années, provisoirement, pour toujours. Sa mort l’a libérée, elle revit et de lui, elle dit à son fils s’être débarrassée de tout. On verra qu’elle en a gardé pourtant l’habit, la chemise dont elle revêtira leur fils, une nuit de tempête. Elle porte en elle le deuil de ce mari défaillant, qui vient la visiter, l’accompagne la nuit déguisé en papillon. Leurs deux enfants, adultes, attardés, à charge, la pillent, jouent avec sa corde sensible pour lui extirper, qui des leçons de violon, qui des cours de patinage « arctistique ». Elle voudrait vivre un peu enfin pour elle-même et s’octroie pour commencer le plaisir d’assister avec six autres habitantes de la cité aux « cours de Beethoven » prodigués par un voisin retraité, lui aussi et qui héberge « sa fille », son fardeau. Provisoirement, peut-être.
Yoshiko cuisine « à l’ancienne », le secret semble être de laisser refroidir, infuser pour que les arômes se libèrent, se mélangent, se diffusent. Une recette aussi pour faire (re)fleurir le talent. Et trouver le bonheur. Il s’agit de bien choisir les ingrédients, de renoncer à certains pour goûter les autres, de mêler les bonnes saveurs, les faire s’accorder. Yoshiko donne cette recette à son fils puis, émue, ironise : tu pourras mettre ça dans ton prochain roman. J’ai pensé à la scène, plus acide, dans « Juste la fin du monde »de Xavier Dolan entre la mère Martine (Nathalie Baye) et son fils Louis (Gaspard Ulliel). Pareil. Ailleurs.

Grâce au typhon, la famille se retrouve dans l’appartement de Yoshiko qui est petit mais l’espace est resté le même alors qu’eux ont grandi. Ils ont le réflexe, à table, de se pencher en avant pour qu’on puisse ouvrir le frigo, dorment dans le salon sur des futons alignés côte à côte provisoirement étalés. Ils partagent naturellement le rituel du bain. Dans la pièce dédiée faite pour les ruissellement et les débordements, on se lave d’abord, on se douche et une fois bien propre, on se plonge chacun son tour dans la même eau du bain familial.

Transmission volontaire et involontaire, modèle à suivre, amour perdu, préoccupations d’adulte infligées aux enfants, difficulté à trouver son chemin, embûches, mensonges, précarité …
Autant de sujets délicats traités en cascade, de façon subtilement réaliste dans ce très beau film mettant en scène des personnages à la fois résistants au « chaud et froid » et fragiles.
Comme de la porcelaine. Japonaise, par exemple.

Marie-Noël

 

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