Voir ou revoir Eric Rohmer (1)

Amis Cramé(e)s de la Bobine, vous voyez des films, vous les aimez, commentez-les ici! Pour notre part, nous voyons ou revoyons ceux d’Eric Rohmer. Et je me propose d’en toucher un mot .

Le coffret Eric Rohmer est sur l’étagère, il n’y a qu’à tirer le premier DVD qui veut bien venir, ensuite c’est comme un jeu des 7 familles, dans la famille « les contes moraux » : nous tirons le film « la boulangère de monceau et la carrière de Suzanne », puis dans « comédie et proverbes » : « Pauline à la plage », dans « l’ancien et le moderne », « Quatre aventures de Reinette et Mirabelle » et « les rendez-vous de Paris »… Voir et revoir ces films au hasard manque de méthode, j’en conviens.

On peut lire sur Wikipédia que Rohmer aimait Honoré de Balzac et Marcel Proust. Et si j’ai bien lu ailleurs, il est devenu cinéaste un peu parce qu’il avait loupé l’agrégation de lettres, un peu parce qu’il écrivait, un peu parce que sans doute depuis toujours il aimait le cinéma. Pour cet homme imaginant, l’image, le son, les mots et… « son idée sur le cinéma » ne devaient faire qu’un.

Bref, il devient d’abord un remarquable et parfois redoutable critique aux Cahiers du Cinéma, puis il y sera rédacteur en chef (d’où plus tard il sera évincé par Jacques Rivette), à ce moment, déjà il tourne. En fait Rohmer utilise la littérature pour son cinéma, amour des textes, poésie, sonorité, diction des acteurs, manières et attitudes, et puis il y a cette attention méticuleuse portée au cadre… Une esthétique et un classicisme qui détonne dans cette nouvelle vague. Remarquons le contraste avec le cinéma de Godard : A l’un, les sujets dénonciateurs et révoltés les quartiers populaires, leurs rues tristes, leurs bistrots et hôtels, leurs petits cinés, la désinvolture de ses personnages… A l’autre, les cadres bourgeois ou champêtres pour des gens que les contingences matérielles ne concernent pas ou plus et… de la tenue.

Eric Rohmer, il y a ceux qui ne l’aiment pas, et ils sont nombreux. Ils disent que ses personnages jouent d’une manière affectée, précieuse, qu’ils minaudent, que les événements, les situations, le hasard des rencontres sont artificiels… Rohmer avait choisi de ne pas se soucier de ces objections et de faire exactement ce qu’il voulait faire, c’est-à-dire une oeuvre. Et puis aurait-on fait à Marcel Proust ce type d’objections ? Oui !

Mais pour l’heure, au moment où je revois ses films, tous ces débats sont usés. Alors, on apprécie les retrouvailles et les rencontres, il y a ses personnages avec leurs désirs, les tensions feutrées qui les animent, leurs chassés-croisés, « les jeux de l’amour et du hasard », où à l’opposé les calculs petits et grands. Et on se laisse séduire et souvent déconcerter par tout ça. Par exemple dans «les rendez-vous parisiens » (1995) on trouve un sketch « les Bancs de Paris » que je vais délibérément spoiler ici :

Elle, parisienne, est prof de Math n’aime plus son fiancé mais n’ose ni le lui dire ni le quitter, elle flirt avec Lui, un prof de lettres, qui vit à Bobigny. Ils se rencontrent une fois par semaine de jardin parisien en promenades, chaque jardin, chaque promenade les rapproche un peu. En tous les cas, ils ont plaisir à être ensemble. L’année avance, le temps se rafraîchit. À la suite d’une promenade à Montmartre, Elle qui ne voulait pas s’engager avec Lui pour ne pas trahir son fiancé lui propose à brûle-pourpoint de passer trois jours à l’hôtel, « comme des touristes » ! Pas dans n’importe  quel hôtel, à Montmartre, près du Bateau-Lavoir…Depuis longtemps, elle rêvait d’y séjourner. Mais au moment où ils y arrivent, avec leurs bagages, ils aperçoivent un couple qui y pénètre. Elle connaît bien l’homme de ce couple, c’est son propre fiancé ! Avec Rohmer, nous ne sommes pas dans les femmes d’amis de Courteline…Que croyez-vous qu’il se passa ? Soit ! Elle et Lui n’iront pas à l’hôtel.

Alors ?

Alors, Elle se sent tout d’un coup libre. Libre comme l’air. Elle congédie Lui, le prétendant, en disant : Tu étais le complément de mon fiancé et je n’ai plus de fiancé, nous n’avons donc plus de raison de demeurer ensemble, tu ne le complètes plus…

Par cette étrange comptabilité, la voici libérée.

Tout est ainsi dans Rohmer, l’ordinaire, le banal ouvrent sur la vie, inattendue, libre, bondissante et créative…

Ne comptons pas trop, que je tente de raconter Pauline à la plage (1983), ce film sur les amours de vacances, (là encore, la toile de fond est banale) où l’on peut voir dans une très belle distribution, Arielle Dombasle (Marion), splendide, qui sait si utilement s’auto-leurrer. (N’oublions pas que c’est à Rohmer que nous devons entre autres les débuts au cinéma d’Arielle Dombasle et de Fabrice Luchini.)

Fin de la première partie

PS : Les bancs de Paris, (les bancs publics) confortables et délassants, n’existent quasiment plus à Paris. Les rares nouveaux modèles sont conçus dans le même esprit que ce qui a valu la suppression des anciens. Empêcher qu’on s’y allonge et qu’on y dorme!

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