Noura Rêve- Hinde Boujemaa


Film tunisien (novembre 2019, 1h30) de Hinde Boujemaa avec Hend Sabri, Lotfi Abdelli et Hakim Boumsaoudi 

Synopsis : 5 jours, c’est le temps qu’il reste avant que le divorce entre Noura et Jamel, un détenu récidiviste, ne soit prononcé. Noura qui rêve de liberté pourra alors vivre pleinement avec son amant Lassad. Mais Jamel est relâché plus tôt que prévu, et la loi tunisienne punit sévèrement l’adultère : Noura va alors devoir jongler entre son travail, ses enfants, son mari, son amant, et défier la justice…

Présenté par Georges Joniaux 07.01.2020

Le nœud du film (si l’on peut dire)  est à son milieu, lorsque Jamel pénètre dans le garage et viole  Lassad l’amant de sa femme. Cette vengeance  inattendue ainsi que la contre mesure immédiate de la victime Lassad, qu’on ne comprend pas tout de suite, sont  du vrai cinéma. En effet, Lassad pris d’un élan machiavélique, organise le vol et déprédations de son propre garage pour en accuser Jamel et ainsi se venger de la violente humiliation par justice interposée. Cette séquence sépare le film en deux. 

Il y a d’un côté Noura, la femme adultère qui fuit le risque d’être condamnée par la loi à 5 ans de prison si son mari la dénonce. C’est-à-dire subir les foudres d’une institution répressive, basée sur la prohibition  de l’infidélité, afin de préserver les familles. (Et qui paradoxalement n’hésite pas à emprisonner, ce qui n’est pas des plus protecteur pour la famille en question! )

Il faut alors préciser que cette loi est d’apparence égalitaire, dans la mesure où seraient théoriquement réprimés autant les hommes que les femmes. Ajoutons que le conjoint trompé peut à tout instant interrompre la procédure avant la sentence, ce qui en d’autres termes transfère un immense pouvoir « de négociation » au conjoint trompé. Or les femmes n’utilisent jamais cette loi, alors que les hommes le font. Et le comportement de Noura, est fortement déterminé par les potentialités répressives de cette loi. Elle va induire pour une large part, sa manière de composer avec son mari, son amant, ses enfants, la justice. Pour une  part seulement car nous constatons que sa démarche de divorce est autant dissimulée au mari que ne l’est sa liaison. Tout cela contribue à transformer une femme ordinaire, avec ses sentiments et son projet de vie meilleure, en équilibriste, en menteuse et donc la diminue.

De l’autre côté donc,  ce n’est plus de la loi de l’État dont il est question mais de la loi de l’homme dans sa famille. Ici l’homme est un délinquant, un voleur de profession. Sa vengeance lorsqu’il apprend que sa femme le trompe est déconcertante et il faut l’espérer peu coutumière. (Sinon, comme Lassad, beaucoup parmi les hommes se sentiraient alors obligés de se promener avec dans la poche un certificat médical de virginité anale !). Ce qui est remarquable chez  Jamel, c’est qu’il n’est pas libre. Il exerce comme voleur dans une entreprise de Pick Pocket dont on voit que son patron (inspecteur de police) la gère d’une main de fer. Jamel est affectueux avec ses enfants, si ce n’est son  accès de violence d’un instant pendant lequel, il fiche toute sa famille dehors, sur le pas de la porte. Et cette violence lui appartient comme à la société, au milieu et à la condition dans lesquels il vit ;  elle est ordinaire. Quant à son choix de vengeance, sodomiser son rival pour l’humilier, il appartient à l’imaginaire social masculin,  l’inspecteur pourri ne lui dit-il pas en parlant de Lassad : « moi à ta place je l’aurais niqué ». Remarquons l’essentiel,  à aucun moment, dans son dépit,  Jamel cherche à  blesser Noura mais son choix de vengeance demeure tout verbal, il exclut totalement une  violence physique contre sa femme et à aucun moment il ne cherche à faire usage de la loi sur l’adultère. En d’autres termes, certainement à sa manière, il la respecte et il l’aime. Et peut-être, l’aime-t-il  mieux que Lassad, le possessif amant de sa femme.

Ce film nous montre l’enchevêtrement entre la loi nationale qui épouse comme un gant les us et coutumes de la gente masculine, remarquons alors les déterminants dans lesquels les personnages sont  piégés. 

Le principal d’entre eux,   c’est le sexe, le Phallus devrait-on dire. Ce viol de Lassad par Jamel est une manifestation phallique qui structure totalement cette société. Et au fond si Noura rêve que la loi ne vienne pas dans son lit,  si elle aspire seulement à être heureuse, dans un monde où les femmes et les hommes seraient égaux,  elle n’en vit pas moins dans une société dont l’imaginaire est aussi raide qu’un phallus.

Et c’est ce que démontre Hinde Boujemaa, une société qui n’a jamais pu se distancier des questions sexuelles, qui n’a jamais pu par exemple créer des œuvres d’humour  sur le libertinage ou l’adultère. Une société  où femmes et hommes sont figés dans des rapports de domination et de possession, sans distanciation possible par rapport aux questions de sexe. Et on suppose du même coup que l’interdit religieux, dont il n’est jamais question dans le film surdétermine tout cela. Une religion aussi raide que le genre de phallus qu’elle a produit en plaçant autant d’interdits dans les têtes et dans les lits. 

Une réflexion sur « Noura Rêve- Hinde Boujemaa »

  1. Merci Georges pour ton bel article sur Noura rêve. Ta métaphore filée du phallus raide (quand il l’est !) pour la société et la religion tunisiennes m’a bien amusé (il fallait oser) et je suis d’accord, globalement avec ton analyse, à une réserve près : si je suis déçu par l’attitude aveuglément passionnée et de ce fait peu aimante de Lassad, dans la mesure où il se croit oublié de Noura, ne lui fait pas confiance et n’arrive pas à imaginer qu’elle puisse subir des pressions de son mari, bien qu’il chemine vers le pardon (j’ai cru comprendre que c’était lui qui appelait à la fin), je ne partage pas tout à fait ton indulgence pour Jamel. Sans doute aime-t-il ses enfants, même s’il « pète les plombs » en mettant tout le monde dehors, mais, s’il ne violente pas physiquement sa femme, n’exerce-t-il pas sur elle une pression morale inqualifiable en l’obligeant à appeler pour tendre à Lassad le traquenard et permettre indirectement le viol. Et c’est vrai que la scène nodale du viol et de la violence auto-destructrice de Lassad dans son propre garage est géniale, au point que je me suis demandé un instant si l’on était bien dans le garage de Lassad…

    Claude

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